Des retrouvailles tant attendues (ft. Timothée)

Illyana n'était pas du genre à trembler. Elle savait ce qu'elle voulait dans la vie, et elle faisait tout pour l'obtenir, sans balbutier, sans trébucher. Mais aujourd'hui elle était un peu trop proche de ce qu'elle voulait dans la vie, et ses genoux étaient à deux doigts de jouer des castagnettes. Aujourd'hui, Illyana retrouvait son frère.

Bien sûr c'était une bonne nouvelle, elle avait manœuvré depuis des mois pour en arriver-là, faisant croire à sa famille d'accueil que vraiment, la Norvège était sa passion (elle ne leur avait évidemment pas dit pour Timothée ; même si elle était indépendante maintenant qu'elle était majeure, elle avait craint qu'ils ne lui mettent d'une manière ou d'une autre des bâtons dans les roues). Bien sûr, mais...

Elle s'en voulait toujours de ce qui était arrivé à leur famille et, même s'il l'adorait et qu'elle lui faisait une confiance aveugle, elle avait peur qu'il ne lui en veuille aussi. Elle n'avait jamais osé lui en parler – ils n'en avaient jamais vraiment eu l'occasion. Malgré toute son éducation féministe, elle se sentait toujours coupable d'avoir été agressée par son père, et que Tim ait été en prison.

Elle avait ressassé tout ça pendant les deux heures trente d'avion qui séparaient Paris de Bergen. L'annonce de l’atterrissage la tira de ses pensées. Elle sortit sans bousculer les autres, malgré son impatience elle savait rester polie. Elle récupéra rapidement ses deux grosses valises au carrousel à bagages, puis sortit de la zone réservée aux passagers. Tim lui avait dit qu'il serait là pour l'attendre. Elle espérait qu'il ne serait pas en retard.

Illyana... Illy... Il avait passé tant d'années à attendre cette date -bien plus que celle de sa sortie de prison !- tout en se persuadant que ce serait mieux pour elle de mener sa propre vie loin de lui. Pourtant, il lui avait fait savoir son déménagement à Bergen juste pour le cas où, tout en lui assurant qu'elle devait rester en France pour ses études. Et qu'il travaillait pour cela parce que c'était à lui de subvenir à cela, et non à ces étrangers qui l'avait recueillie. Il aurait pourtant dû être reconnaissant envers cette famille, il n'y arrivait juste pas. C'était sa sœur, pas leur fille ! Et Illy ne s'y était pas trompée puisqu'elle l'avait choisi sur eux. Une victoire bien dérisoire après ces dix années de séparation mais une victoire qui comptait tellement.

Ca faisait au bas mot deux heures qu'il attendait que son avion atterrisse, voire même décolle de Paris. Les deux plus longues heures de sa vie. Mais ce que n'ayant pas le permis, il avait pris le bus et avait donc dû faire avec les horaires imposés. Mais pour le retour à Bergen, il comptait bien prendre un taxi et tant pis pour le budget qui allait exploser. Illyana... Et Paco qui était là aussi. Et il préférait d'ailleurs ne pas penser à la petite merveille qui devait forcément être là aussi à coller Paco... Bizarrement tout son passé se remettait en place ici, à Bergen, et c'était... étrange. Et ce devint même insoutenable lorsque l'avion fut annoncé sur le panneau lumineux. Dieu merci, l'avion ne s'était pas abîmé en mer et elle arrivait ! Aussitôt, il fut pris par la folle angoisse de ne pas la reconnaitre. Ce qui était idiot, ils s'étaient envoyés des photos à sa sortie de prison. Et si lui n'avait pas tant changé que cela, elle était devenue une belle jeune femme... Dix ans. L'idée lui noua la gorge alors que les premiers passagers passaient devant lui avec indifférence, totalement inconscients de ce qui se jouait dans sa vie en cet instant.

Et puis, il la vit. C'était elle. Ca ne pouvait être qu'elle ! Illyana... Sa si douce Illyana. Poussant devant elle ses deux grosses valises... C'était bien une fille, tiens ! Bon sang, s'il n'arrêtait pas de sourire comme un dément, elle allait prendre peur et il allait surtout se faire un claquage musculaire ! "Illyana... Illyana ! ILLY !" Parce qu'il fallait en plus qu'elle le cherche du mauvais côté ! Mais il n'en fallut pas plus pour qu'elle tourne la tête vers lui. Et que leur regard se croisent. Et que les dix années s'envolent alors qu'il était certainement bon cette fois-ci pour le claquage des zygomatiques. "Hey ! Sœurette..." Il avait tant à lui dire, ne serait-ce que de savoir si elle avait fait un bon voyage... Mais rien ne sortait. C'était incroyable, elle était là.

Juste là, à quelques pas devant lui qu'il se décida enfin à faire. Pour la serrer avec une délicatesse infinie contre lui, alors que le souvenir où elle lui avait été arrachée en larmes des bras lui revenait plus clair que jamais en mémoire. La dernière fois qu'il l'avait vue en vrai. "Illyana, je te promets que je vais m'occuper de de toi maintenant. Je ne laisserai plus rien, ni personne nous séparer. Je serai là, je te le promets ! Illyana... Illy..." Alors que dans un geste remontant d'un passé très lointain, alors qu'elle n'était encore qu'une petite fille, il lui faisait un bisou sur le front.

Illyana commençait à s'inquiéter de ne pas voir son frère lorsqu'elle entendit, par dessus le brouhaha de l'aéroport, une voix qui l'appelait. Elle tourna la tête et croisa aussitôt le regard de Timothée. Son sourire fendait son visage en deux et bientôt celui de sa sœur fit de même. Paralysée, elle ne franchit même pas les quelques mètres qui les séparaient et c'est finalement lui qui le fit pour la prendre dans ses bras.

Toujours submergée par l'émotion, elle ne sut que répondre à la promesse de dévotion de son frère. Elle se contenta de le serrer très fort contre elle – avec autant de force que lui permettait son corps frêle. Lorsqu'il lui embrassa le front elle eut un petit rire nerveux. Personne n'avait été aussi tendre avec elle depuis bien des années – certes sa famille d'accueil était aimante, mais la puberté avait mis entre eux une certaine distance physique.

Après s'être laissée aller dans l'étreinte pendant cinq bonnes minutes – la foule avait continué à bouger autour d'eux, leur jetant sans doute des regards réprobateurs non devant la démonstration d'affection mais devant le fait qu'ils bloquent le passage – Illyana se détacha de Tim.

"Je vais nous appeler un taxi" furent les premiers mots qu'elle arriva à prononcer, car tous ceux plus intimes restaient coincés dans sa gorge.

Elle ne pensait pas au fait qu'il y en aurait devant l'aéroport. Malgré tous ses efforts pour paraître adulte, Illy venait de faire son premier voyage en avion et, à l'exception d'un séjour scolaire en Angleterre, c'était la première fois qu'elle se rendait à l'étranger.

Reprenant un peu ses esprits, elle regarda son frère qui semblait aussi perdu qu'elle. Il avait un peu vieilli, bien sûr, mûri en tous cas, mais il avait presque la même tête que dans son souvenir. Elle lui sourit.

"Et sinon j'ai fait bon voyage, merci de t'en inquiéter" lâcha-t-elle avec espièglerie.

Elle était là, après plus de dix ans à juste espérer un coup de fil qui serait écouté en direct par une personne "bienveillante", ce qui leur laissait donc zéro intimité du moins tant qu'il était en prison. Les choses s'étaient ensuite assouplies, ce qui avait permis à Illyana de venir poursuivre ses études ici sans avoir à évoquer sa présence. Il ne pouvait rien faire contre la détestation de cette famille qui avait pourtant accueilli sa petite sœur en son sein tout en lui assurant une éducation tout à fait correcte. Mais pour le moment, elle était enfin là et c'était tout ce qui comptait.

Il était heureux, incroyablement heureux. Son monde se reconstituait, entre la surprise d'avoir retrouvé Paco ici et maintenant sa petite sœur. Il avait son travail, ses amis et avait même réussi à échanger quelques mots civilisés avec la petite merveille, comme quoi il était vraiment heureux pour arriver à penser de la sorte ! Mais apparemment, aux interjections agacées qu'il entendait ici ou là, ils gênaient à être ainsi en plein milieu du passage... Et puis Illy lui parla de taxi tout en s'amusant de son manque de civilités. "Et c'est toi qui me dit ça alors que tes premiers mots sont au sujet du taxi ?!" Il riait alors qu'il se détachait avec bien du mal d'elle. Puis avisant les deux énormes valises, il se fit un plaisir de l'embêter. "Mais vu tes bagages, c'est pas un taxi qu'il faut mais une camionnette ! Franchement, t'as quoi là-dedans ? Ton maquillage ?" Bon sang, il n'avait pas fallu longtemps pour qu'il retrouve à jouer avec un plaisir évident son rôle de grand frère casse-bonbons. Alors que tant de souvenirs affluaient, et notamment toutes leurs chamailleries à voix basse pour ne pas se faire remarquer par leur père cuvant son alcool... Chassant tout cela, il en revint au moment présent. "Allez viens, je m'occupe de tes bagages." Et tout en parlant, il prenait en main des deux valises qu'il fit rouler en direction de la sortie vers les taxis.

"Tu verras, il y a une communauté assez importante de Français à Bergen, et puis la vie ici est plutôt tranquille. Ah oui ! J'ai ça aussi à te donner..." S'arrêtant net, il sortit de sa poche une clé qu'il lui tendit tout en souriant. "C'est la clé de mon appartement. Il ne paye pas de mine et c'est pas le grand luxe mais tu peux y passer quand tu veux. Tu y seras toujours la bienvenue." C'est qu'il ne fallait pas qu'elle croit qu'il allait la laisser toute seule dans la nature. Il allait veiller au grain ! C'est qu'il avait après tout, dix ans à rattraper.

"Tout le  monde n'est pas obligé d'être mal habillé comme toi !" rétorqua du tac au tac la jeune fille en réponse à la pique sur ses valises.

Oui, certes, elle avait une énorme trousse de toilette pleine de maquillage. Mais l'apparence, c'était important – c'était la première image que les autres avaient de soi. Et elle savait qu'en temps que femme, les regards étaient d'autant plus scrutateurs.

Timothée mentionna la communauté importante de Français à Bergen. Elle savait au moins qu'il y avait Paco, mais elle ne dit rien ; elle ne savait pas où en étaient leurs relations, et l'Italo-marocain lui avait fait promettre de ne pas dire à son frère qu'ils étaient restés en contact.

Ce dernier lui donna la clé de son appartement. Malgré elle, elle sentit une chaleur l'envahir : était-ce donc cela, l'amour familial ? En tout ce temps, elle avait oublié.

"Merci beaucoup" dit-elle en prenant la clé et en serrant brièvement la main de son frère, avant de se rengorger : "Je te donnerai une clé du mien si tu veux. J'ai réservé une chambre à la cité universitaire."

En arrivant devant les taxis, Illy se sentit très bête : elle aurait dû savoir qu'un aéroport aurait un endroit dédié. Tim ne semblait pas avoir remarqué sa bourde : tant mieux. Elle n'aimait pas qu'on la prenne pour une idiote. Avant que son frère n'ait eu le temps de faire quoi que ce soit elle héla une voiture et s'adressa au chauffeur dans un anglais impeccable :

"Bonjour monsieur, nous allons à la cité universitaire s'il-vous-plaît."

Elle reprit d'autorité ses deux valises pour les mettre dans le coffre, laissant à peine le chauffeur l'aider. C'était la première fois qu'elle prenait le taxi, mais elle n'allait le laisser deviner à personne.

Une fois installée dans le taxi avec Tim, elle eut un instant de mutisme. Elle avait tant de choses à dire, tant de temps à rattraper... et en même temps, allaient-ils encore être proches, après dix ans sans se voir ? Les pensées se bousculaient et Illyana avait du mal à en saisir une. Elle commença finalement par une discussion bateau :

"Alors tu m'as dit que tu étais pêcheur, c'est ça ?"

La répartie ne fut pas longue à arriver. Et ça l'amusa alors qu'il haussait les épaules à la remarque sur sa tenue négligée. Quoique ce n'était qu'un jeans avec un simple pull, en fait le premier qui lui était tombé sous la main. L'important ce matin avait surtout été de ne pas rater le bus pour l'aéroport et non son habillement. Et surtout, ne pas oublier cette clé qu'il tendait à Illyana. C'était le meilleur cadeau qu'il avait pu lui trouver après ces dix années de séparation, et alors qu'il avait bien conscience qu'elle était maintenant en âge d'avoir son propre chez soi. Mais il avait tout de même tenu à lui donner un double de son appartement. Comme symbole et comme un lieu "refuge" qui lui serait toujours ouvert, avec un grand frère qui serais toujours présent pour elle. Après avoir été absent pendant plus de dix ans... Mais on ne changeait pas le passé, tout juste pouvait-on jouer sur le futur.

Souriant alors qu'elle prenait la clé, il accepta volontiers d'avoir la sienne ! "Bien sûr que je la veux !" Tout en rajoutant avec un petit sourire en coin. "Mais t'as pas peur que je débarque à tout bout de champ pour te surveiller ?" Et ce n'était clairement pas pour s'assurer qu'elle avait bien fait ses devoirs ! Et si le ton était à la plaisanterie, il était évident qu'il allait tout de même veiller sur sa sœur, et ses fréquentations. Et cela même si celle-ci était devenue une jeune femme indépendante qui semblait n'avoir besoin de personne pour gérer se affaires, comme elle le prouva avec le taxi. Et c'était d'ailleurs une chose qu'il ne se lassait pas de faire, découvrir les changements tant physiques que de caractère de la petite fille qu'il avait connue.

Et sans doute qu'elle en faisait de même de son côté puisque très vite, elle s'intéressa à son métier. "Le titre réel c'est marin-pêcheur mais j'ai pas du tout le pied marin. En fait, j'ai le mal de mer. Tant que j'ai les moteurs du bateau qui vrombissent sous mes pieds, ça va mais dès qu'ils s'arrêtent... Et il suffit qu'il y ait un peu de houle pour que je change aussitôt de couleur. Ca fait bien rire tout l'équipage... Du coup, je préfère dire que je suis pêcheur. Ca me semble plus honnête." En vérité, il trouvait ça lui aussi plutôt drôle. Une fois qu'il avait la terre ferme sous les pieds.

Il perdit cependant rapidement son air débonnaire pour quelque chose de bien plus sérieux. "Je t'ai ouvert un compte sur lequel je transfère de l'argent tous les mois pour tes études. Je sais que cette famille subvient à tes besoins mais c'est moi ton frère, et c'est à moi de m'assurer que tu ne manques de rien." Et notamment pour se études ! Illyana était intelligente et il avait été plus qu'heureux de la voir s'engager dans un métier "respectable". Pas que son propre boulot ne l'était pas mais lui avait fait de la prison et ce serait toujours quelque chose qui lui collerait à la peau, et sur son casier judiciaire. Avec tout le mépris qui allait accompagnait généralement cette découverte. Du moins de son vécu en France, où les accusations pour vol lui avaient vite été collées sur le dos, et sans qu'on cherche à savoir si c'était réellement vrai ou pas. Au moins ici, que ce soit Aaron ou son frère, avaient été plus cool puisqu'ils ne s'étaient absolument pas intéressé à son passé. Du moins jusqu'à ce que le Viking fasse des siennes.

Mais Illyana méritait elle bien mieux ! "Je suis très fier de la jeune femme que tu es devenue, et je ne doute pas que tu deviendras une brillante avocate." Et lui qui avait généralement tellement de mal à initier le moindre contact physique, se retrouvait à chercher à nouveau la main de sa sœur pour juste s'assurer qu'elle était bel et bien là ? Oui, sans doute...

Illyana sourit lorsque son frère parla de débarquer à tout bout de champs.

"Je ne compte laisser personne me surveiller, merci bien."

En vérité elle était heureuse, non qu'il joue le grand-frère protecteur, mais de la possibilité de le voir régulièrement. Qu'il débarque chez elle serait plutôt un plaisir, donc... au moins au début.

Elle esquissa un sourire en imaginant son frère changer de couleur à bord du bateau. Elle ne savait pas elle-même si elle avait le pied marin, elle n'avait fait que de la barque au bois de Vincennes.

"J'imagine que dans une ville portuaire je vais pouvoir faire un tour en bateau un de ces jours !"

Elle avait le sentiment d'avoir manqué tant de choses dans sa vie ! Les sept premières années dans un foyer pauvre et dévasté par l'alcool, puis dans une famille certes aimante mais qui ne partait pas en vacances. Elle avait fait des activités extra-scolaires, mais il s'agissait toujours de viser l'excellence, rarement de se relaxer. Elle avait gardé cette mentalité en grande partie, cependant, et elle n'était que peu sur le point de se détendre.

Tandis que le taxi restait coincé dans les embouteillages, Timothée lui parlait d'argent. Elle sourit.


"Eh bien, entre la bourse, ma famille d'accueil qui me considère comme leur fille et toi, je vais crouler sous l'argent ! Je n'aurais pas dû réserver une chambre, mais une villa !"

Les Bevilacqua n'avaient en effet aucune obligation de l'entretenir puisqu'elle n'était plus sous leur garde, mais ils avaient continué à compléter sa bourse – qu'en tant qu'ancienne enfant placée elle touchait au niveau maximal. Certes, tout cela l'arrangeait bien, car si elle aurait été prête à travailler pour payer ses études elle préférait pouvoir se concentrer sur ses résultats académiques.

Elle était étonnée d'une chose, cependant, et c'était que Tim semble se sentir responsable d'elle, presque s'en vouloir de l'avoir laissée seule pendant dix ans. Bien sûr elle l'avait plus ou moins toujours vu comme une figure parentale mais après ce qui s'était passé... Elle aurait compris qu'il lui en veuille.

Elle aussi d'ordinaire assez froide, elle prit maladroitement la main de son frère.

"Merci" répondit-elle simplement. Puis, sentant l'émotion l'envahir, elle changea immédiatement de sujet : "Tu parles norvégien toi ? J'ai commencé à essayer d'apprendre, mais je sais que rien ne vaut l'immersion."

Illyana pouvait bien dire ce qu'elle voulait, il lui souriait tout en sachant qu'il veillerait tout de même au grain. Elle n'avait que 18 ans et débarquait tout juste dans un pays totalement inconnu avec personne d'autre que lui vers qui se tourner en cas de problème. Il se devait donc d'être là, maintenant qu'il pouvait le faire. Et visiblement, un sortie en mer s'imposait. "Eh bien, je suppose que ça devrait pouvoir se faire.  Et tu vas avoir la joie de me voir changer de couleur..." Et tout aurait dû rester ainsi, calme , doux, tranquille...

Mais il y avait tant de choses qui n'allaient pas dans sa remarque... A commencer par la principale, celle qui touchait à leur lien, qui le fit réagir aussitôt. Et de façon très épidermique. "Tu n'es pas leur fille, Illyana ! Et tu ne le seras jamais. Aussi pourrie qu'ait été notre famille, tu restes une Martin, et pas autre chose." Les mots étaient durs mais ils étaient à la hauteur de sa crainte la plus profonde. Qu'elle aussi préfère d'autres personnes à lui. Et ça, il ne l'accepterait pas. Pas une nouvelle fois alors que l'image de Paco s'imposait à lui... Il s'était donc senti obligé de remettre les pendules à l'heure, et de lui rappeler qui elle était. Avant de préciser sur un ton bien plus doux. "Je suis là maintenant, t'as plus besoin d'eux. Je vais assumer mon rôle et faire ce qu'il faut pour toi. Et si tu as besoin de plus d'argent que ce que je te verserai sur ton compte, il faudra me le dire... Et tu peux leur écrire que tu les remercies mais que tu ne veux pas de leur argent." D'ailleurs, c'était quoi ces goût de luxe ?! Une villa ? Et puis quoi encore ? Pourquoi pas une piscine pendant qu'elle y était !? Il comptait voir l'état de sa chambre universitaire mais si elle était correcte, elle ferait avec ! Il ne manquerait plus qu'ils lui aient pourri sa petite sœur... "Ta villa, tu te la paieras avec ton propre argent lorsque tu travailleras. L'important, c'est de ne rien devoir à personne. Sauf la famille évidemment mais c'est pas pareil." Qui se résumait en l'occurrence à une seule et unique personne, lui-même ! Parce que ces gens n'étaient définitivement pas sa famille.

Prenant conscience qu'il l'avait sans doute bousculé alors que ce n'était absolument pas ce qu'il avait voulu faire -et encore moins aussi tôt après leurs retrouvailles- il ajouta comme un vieux réflexe oublié. "Toi et moi contre le monde entier, Illy ?" C'était ce qu'il lui chuchotait lorsque n'arrivant pas à la protéger totalement de la violence de son père, il la soignait avec une douceur infinie. C'était bien sûr des excuses, mais aussi une demande implicite pour ne pas les renier, eux et leur histoire, pour des gens qui n'avaient rien à voir avec eux. Il savait qu'il ne le supporterait pas. Mais il y eut bien vite la main d'Illyana venant chercher la sienne, et il la serra avec force en retour alors que la discussion revenait sur du basique. "J'ai mis du temps à m'y mettre mais maintenant oui. Mais tu verras, beaucoup de Norvégiens parle aussi l'anglais. Ca aide au début !" Et pas qu'un peu ! Alors qu'il n'avait toujours pas lâché la main de sa sœur comme pour se persuader qu'on ne la lui prendra jamais.

Illyana était agacée par la diatribe de son frère. Son ton, mais aussi le fait qu'il pensait pouvoir lui dire qui elle était. Elle choisit la voie de la semi-diplomatie, n'ayant pas envie de se disputer devant un chauffeur de taxi.


"Je ne les ai jamais considéré comme mes parents" répondit-elle d'un ton froid "mais eux me voient comme leur fille. Ils n'ont pas d'enfants à eux, et je suis de loin celle qui ait été placée chez eux le plus longtemps. Ils m'auraient adopté, s'ils l'avaient pu. Mais je suis contente que ça n'ait légalement pas été possible, car je n'ai pas spécialement envie d'avoir de parents. Je suis ma propre personne."

Elle réalisa que ses mots étaient durs, peut-être plus durs encore que ceux de Tim, et ajouta pour faire la paix : "Mais je suis ta sœur."

Elle fut presque plus agacée encore par sa réponse à propos de la villa. Cette fois elle roula des yeux.

"C'était une blague, Tim. Je ne me rappelais pas que tu n'avais pas d'humour" le taquina-t-elle.

Son frère se radoucit finalement et lui chuchota ces vieux mots qu'il lui disait enfant. Ils déchainèrent en elle une nuée de pensées et d'émotions. Tout d'abord, elle avait appris à s'en sortir seule contre le reste du monde. Mais aussi, elle se sentait responsable de ce qui était arrivé à Tim, redevable de ce qu'il avait fait pour elle et, d'une certaine manière, comme si c'est elle qui avait été la grande sœur. Enfin, il y avait la chaleur primaire de l'affection qu'il lui portait, et elle le ressentait dans ses paroles.

Elle finit par changer de sujet en lui demandant s'il parlait norvégien, ce à quoi il lui répondit qu'il avait fini par apprendre mais que beaucoup de locaux parlaient anglais.

"Bien" commenta-t-elle. "J'ai appris l'anglais en lisant et en regardant des séries, et je me débrouille. Mais j'espère utiliser mon temps ici pour apprendre une quatrième langue – j'ai fait allemand au collège. Une avocate ne parle jamais assez de langues."

Elle prit une petite pause, puis décida de s'ouvrir d'un projet qu'elle avait formé avant même d'arriver ici :

"Et puis si tout se passe bien je pourrais continuer ma licence et mon master en Norvège. Il y a des équivalences, mais je devrai vraiment bien parler la langue à la fin de cette année."

Sidéré. Il était sidéré. Ils avaient voulu l'adopter. SA petite sœur. Il avait passé tant d'années à craindre cela, et ça avait bien failli se produire. Ils avaient voulu la lui arracher... Ce n'était plus de la colère mais de la pure haine qui enflait en lui parce que bon sang, c'était SA sœur ! Et pas la fille du premier couple en mal d'enfant qui passait par-là ! Mais il n'avait pas été là. Et ça, rien ne le réparerait. On ne rattrapait pas d'un claquement de doigt toute une enfance et une adolescence. Elle avait vécu avec eux plus longtemps qu'elle n'avait vécu avec lui !.. Et qu'aurait-il pu faire du fond de sa cellule ? Rien, malheureusement. Et Dieu, heureusement que ça ne s'était pas fait ! Il n'aurait plus manqué que cela ! Il savait en tout cas qu'il irait à nouveau courir les rues avec ses bombes de peinture, et il lui faudrait certainement plus d'une sortie pour évacuer tout ça. Parce que... Bon sang ! Adoptée... Il lui fallut quelques grandes et profondes inspirations pour endiguer tout ça.

Donc clairement, la blague ne le touchait pas. Du moins pas comme elle aurait dû le faire. Au contraire même, il prenait ça très au sérieux ! "Illyana, ça fait dix ans que tu vis avec d'autres personnes qui te considèrent en plus comme leur fille. Et qui doivent avoir des moyens financiers que je n'ai pas. Alors excuse-moi d'être un peu à cran à l'idée qu'on puisse vouloir voler ma petite sœur !" Il restait que le caractère bien affirmé des Martin était toujours bel et bien là, et c'était plutôt rassurant. Même si évidemment, il n'avait pas fallu longtemps pour que ça aille au clash avec sa sœur. Mais ce n'était pas si grave, ils avaient l'habitude. La seule chose gênante, c'est qu'elle n'avait plus 7 ans et qu'il ne pouvait plus utiliser l'argument imparable du Je suis ton grand frère, tu fais ce que je te dis ! "J'en veux pas de ces gens. Ils ont rien à faire avec nous. C'est bon, t'es grande maintenant, t'as plus besoin d'eux." Le message était donc clair, et pouvait se résumer à un : "Vire les !"

D'autant qu'il pouvait assumer financièrement Illyana, et même ses longues années d'études. Quitte à faire des heures supplémentaires ou à prendre un second emploi pour cela. Il était encore jeune et en bonne santé, il pouvait travailler ! Et en fait, il était même sacrément fier de son ambition. Elle réussirait, et il lui donnerait tous les moyens nécessaires pour cela. "T'as raison. Va le plus loin que tu peux, que jamais personne ne te regarde de haut ou te méprise..." Parce qu'avoir un frère ex-taulard n'était pas le top à inscrire sur son CV. Et il ne doutait pas qu'en tant qu'avocate, ce genre de renseignement serait forcément utilisé à un moment ou à un autre de sa carrière. Comme un boulet à sa cheville...Déglutissant pour chasser l'amertume qui lui venait en bouche, il confirma rapidement. "Et puis, c'est pas tout le monde qui parle le Norvégien." Hors de Norvège évidemment. Mais il était sûr qu'elle réussirait, ça il n'en doutait pas alors qu'il lui adressait un sourire plein de fierté.

Parce que c'était évident qu'elle allait s'installer ici, avec lui, non ? Bien sûr que si ! "Bien sûr que tu vas rester ici ! Mais enfin, Illyana... Ne me dis pas que t'étais venue en... touriste ?" Juste une année pour voir à quoi il ressemblait maintenant avant de retourner chez ces gens ?! "On va reformer une famille maintenant. Notre famille." Parce qu'il n'avait peut-être pas su retenir sa mère, qu'il avait tué son père et laissé sa sœur aux mains d'étrangers mais il ne voulait pas en plus avoir mis un coup fatal à sa famille... Ou du moins au peu qu'il lui restait. C'était donc un regard déterminé qu'il posait sur elle attendant juste un "Oui" et rien d'autre à côté !

Illyana fut un peu étonnée mais néanmoins rassurée par la réaction de Tim. Elle avait craint qu'il ne lui fasse la leçon sur ses études – un Erasmus n'était censé durer qu'un an – alors qu'elle comptait bien rester en Norvège.

"Je ne suis pas venue en touriste" le rassura-t-elle d'un ton ferme. "Il faut juste que je mette les bouchées doubles sur l'apprentissage du norvégien si je veux faire ma carrière ici. Mais je suis confiante en mes capacités à le faire."

Elle le regarda en souriant et serra sa main.

"Notre famille" confirma-t-elle.

Elle résolut d'envoyer un message à son ancienne famille d'accueil pour leur dire qu'elle n'aurait plus besoin d'argent. Elle ne savait pas encore si elle leur dirait qu'elle avait retrouvé son frère. Maintenant qu'elle était avec lui elle se sentait plus en sécurité, mais elle avait toujours une peur semi-irrationnelle qu'ils ne fassent quelque chose pour les séparer.

En tant qu'étudiante en droit elle était bien consciente de tous les leviers qu'ils auraient pu utiliser. Elle s'était renseignée et un ex-prisonnier était toujours louche aux yeux de la justice. Elle ne voulait pas se retrouver sous tutelle dès sa majorité parce qu'on aurait jugé qu'elle faisait n'importe quoi sous son influence.

"Tu as rencontré des gens sur place ? Des amis ? Une amoureuse ? Ou un amoureux peut-être ?"

Illy ignorait l'orientation sexuelle de son frère, et posait uniquement la question de cette manière parce qu'elle était elle-même bisexuelle. Mais cela, elle ne l'avait pas encore dit à Tim. Elle ne savait pas du tout quelle serait sa position sur le sujet, elle était bien trop jeune lorsqu'ils avaient été séparés pour avoir eu conscience de ce genre d'enjeux.

"L'avantage d'être dans une cité universitaire c'est que je pourrai être proche des autres étudiants. Il parait que l'Erasmus est toujours une fantastique expérience sociale. Mais ne t'inquiète pas !" l'interrompit-elle avant qu'il ait le temps de protester. "Je ne te laisserai pas tomber pour mes nouveaux amis."

Elle avait quand même hâte d'en rencontrer, de découvrir la vie estudiantine, la fête, dont elle n'avait eu qu'un avant-goût l'année précédente en raison de son jeune âge. Maintenant elle était adulte, tout un monde s'ouvrait à elle !

Sans doute qu'il avait fait preuve d'un peu trop de fermeté mais le sujet était important. Tellement important que l'angoisse lui en vrillait ses boyaux. Parce qu'il n'était pas question de laisser penser à qui que ce soit -et d'autant plus à sa sœur !- qu'elle pouvait être accaparée par les premiers venus sans qu'il n'ait son mot à dire. Il avait donc comme bien souvent dans ces cas-là, tout jeté à la figure de la première concernée sans prendre en considération ni le fait de savoir comment elle pourrait prendre cela, ni même ce qu'elle pouvait elle en penser. Pour finalement, après avoir tout balancer, se sentir soulagé comme jamais à sa réaction. Elle allait rester. Plus encore, elle se considérait toujours comme sa sœur et faisant partie de sa famille. Et c'était... Comme un poids énorme qui venait de lui être enlevé, sans même d'ailleurs avoir jamais eu conscience qu'il vivait dans une telle angoisse. Apparemment, il était doué pour ne pas voir ce qui le gênait.

Les montagnes russes émotionnelles étaient d'ailleurs loin d'être finies. Et s'il sourit à l'évocation des amis ou d'une possible amoureuse -rien que la dénomination était mignonne ! Pour un peu, il aurait presque eu l'impression d'avoir l'Illyana de 7ans face à lui- il en écarquilla le regard à la suite alors que dans un réflexe sa main allait se poser sur la bouche de sa sœur et qu'il jetait un regard affolé sur... Le chauffeur de taxi ?! Et s'il lui fallut quelques seconde pour réaliser où ils se trouvaient et retirer sa main, il en prit davantage encore pour analyser ce qu'il venait de se passer. Ca avait été un réflexe mais il n'avait aucune idée de comment il allait l'expliquer. A part par des propos religieux qui ne lui appartenaient pas et auxquels il ne croyait pas en plus... Ce qui était tout sauf le meilleur moyen de se sortir de cette situation. Même s'il n'était pas sûr que ce qu'il dit soit beaucoup mieux. "Oh, euh... Désolé... Je sais pas ce qui m'a pris." Il poursuivit, cherchant visiblement à faire oublier l'incident. "J'ai des amis, les gars de l'équipage mais pas de petite-amie. Pour le moment, c'est pas vraiment la priorité. Et sinon... je suis pas comme ça. Je suis normal. Hétéro." Et il n'allait certainement pas lui parler du Viking ! A la place, il préféra vaguement évoquer Paco sans non plus s'attarder dessus. "Et j'ai retrouvé Paco ici. Je ne sais pas si tu t'en souviens, je t'en avais parlé quand j'étais au lycée..." Il fit cependant un vague geste de la main comme si ça n'avait que peu d'importance tout en se gardant bien de préciser que la petite merveille était lui aussi là.

Retrouvant peu à peu le sourire, il écouta Illyana s'enthousiasmer sur cette "fantastique expérience sociale" qu'elle allait apparemment vivre cette année... Lui n'avait en tout cas pas besoin d'un quelconque Erasmus pour se sentir privilégié. Illyana était là avec lui, et il n'avait besoin de rien d'autre. "Méfie-toi juste de l'alcool norvégien. L'Aquavit en particulier. Tu dis que tu connais pas et tu passes la soirée à en boire... Mais je suis sûr que tu vas rapidement te faire des amis ici, et je resterais toujours là s'il y a le moindre problème." Et c'était bien la seule chose qu'elle devait se rappeler en toutes circonstances, qu'elle pouvait faire appel à lui n'importe quand.

"What the fuck?" s'indigna Illyana en essayant de ne pas parler trop fort, pour ne pas alerter le chauffeur de taxi, lorsque Timothée mit sa main sur sa bouche. Elle ne fut guère rassurée par la suite de la conversation. "Normal, hétéro" ? Elle en était déçue de Tim, qui contrairement à leur père avait toujours semblé ouvert d'esprit. Certes elle était bien jeune lorsqu'ils avaient été séparés, mais elle avait le souvenir distinct de lui jouant à la poupée avec elle. Alors "normal, hétéro" ? Elle espérait que ce n'était qu'une maladresse.
 
"Tu sais moi je suis bi. Est-ce que je ne suis pas normale ?" demanda-t-elle avec une pointe de provocation.

Alors certes elle n'avait jamais embrassé une fille... mais jamais un garçon non plus, "protégée" qu'elle avait été par sa famille d'accueil, centrée sur ses études plus que sur toute ébauche de vie personnelle.

Mais voilà que Tim évoquait Paco, et lui demandait si elle se souvenait de lui. Un peu, qu'elle s'en souvenait, puisque Paco avait joué les grands frères adoptifs après l'incarcération de Tim. Mais ça, Illy avait le pressentiment qu'il valait mieux ne pas le mentionner.

"Oui, je m'en rappelle" répondit-elle simplement.

Il l'avertit ensuite des dangers des boissons norvégiennes. Elle n'était pas trop inquiète à ce sujet, elle n'était pas une grosse buveuse. Quoique... elle ne savait pas ce que lui réservait l'avenir. Elle avait à peine été invitée dans des soirées l'année précédente, bien décidée qu'elle était à devenir major de promo. Elle avait réussi ce défi, mais maintenant elle commençait à avoir envie de découvrir le monde, et quel meilleur endroit pour le faire qu'un nouveau pays ?

Elle avait si hâte de cette nouvelle vie. Elle serra la main de Tim tendit que le taxi ralentit et finit par s'arrêter devant ce qui semblait être la résidence universitaire.

"Je crois qu'on est arrivés !"

Le chauffeur descendit pour leur ouvrir le coffre et elle se chargea elle-même de ses deux grosses valises.

...Bi ? Illyana... Sa petite sœur... Illy, bi ?! C'était un pan entier de sa vie -le pan le plus important- qui vacillait sur ses bases alors qu'il retirait lentement sa main de sa bouche, les yeux écarquillés et peinant à réaliser ce qu'elle lui disait. Et de façon si naturelle en plus qu'il en était juste sidéré... Mais bon sang, où avait-elle été élevée ?! Mais au moins elle était bi, et pas homo... Quoiqu'il avait bien du mal à imaginer deux filles le faire, du moins passé le stade des préliminaires... Il lui fallu donc quelques secondes pour intégrer et assimiler la chose avant de se décider à y répondre. "Quoi que tu sois, tu resteras toujours ma sœur. Toujours. Rien de ce que tu feras ne changera jamais ça. Je serais toujours là pour toi. Et je me battrais pour toi, même pour ça." Et ça lui coûtait de dire cela même si, alors que les mots franchissaient ses lèvres, il prenait conscience qu'il le ferait malgré tout. Si Illy devait avoir des problèmes à cause d'une possible relation avec une fille, il serait là pour elle.

Mais il était clair que tout cela ne le réjouissait pas. Et qui l'aurait fait d'ailleurs ?! Et d'autant plus qu'Illyana ne semblait absolument pas prendre la mesure des choses. Mais lui savait mieux. "Illyana, tu étais trop jeune pour te rappeler mais... papa pensait que j'en étais et... T'a pas idée de ce qu'on peut faire subir à ces personnes. C'est les souffre-douleurs attitrés de tout le monde et j'en sais quelque chose ! En prison..." Il n'alla pas plus loin. Est-ce qu'il avait seulement envie de parler de cela avec elle ? Clairement, non. Mais il savait ce qu'il ne voulait pas. "Et je ne veux pas que tu connaisses ça. Tu mérites mieux. Alors tu peux t'amuser mais garde ça pour toi. N'en fais pas l'étalage, et encore moins sur la place publique." C'était des mesures de bon sens mais qu'il estimait nécessaire de rappeler. Avant tout pour sa sécurité. Parce que les humiliations -pour quelque chose qui en plus ne le concernait même pas !- il connaissait plutôt bien. Et en vérité, la seule période de calme toute relative qu'il avait eue, ça avait été lorsqu'il s'en était pris à la petite merveille... Comme quoi c'était plutôt édifiant.

Est-ce que sa sœur lui obéirait ? Au vu du regard indigné qu'elle lui avait lancé, il était en droit d'en douter. Et pourquoi le ferait-elle ? Il avait été absent plus longtemps qu'il n'avait été présent dans sa vie, au point qu'il avait fallu que ce soit des étrangers qui assument le rôle qu'il n'avait pas pu tenir... Mais bon sang, elle ne pouvait pas rester juste avec les gars ? Si elle était bi, ça ne devrait pas lui poser tant de problèmes... Et ça lui en éviterait certainement ! Mais à la voir gérer seule ses deux énormes valises, le message était on ne peut plus clair. Il se contenta donc de lui ouvrir la porte de la résidence avec un sourire quelque peu moqueur alors qu'il ajoutait. "Comme quoi, on a toujours besoin d'un grand frère. Et t'est à quel étage ?" Mais ce ne fut que dans l'ascenseur qu'il reprit leur conversation. "J'ai un ami qui est bi lui aussi, je te le présenterais si tu veux. Tu ne seras pas toute seule comme ça." Oui, il cherchait à bien faire ! Sans doute un peu maladroitement parce qu'il avait du mal à imaginer que sa petite sœur puisse être "comme ça" avec une fille, mais il tentait de faire avec cet énorme truc qui lui était tombé sur le coin du nez.