Séance promotionnelle (Allan)

Déjà son deuxième livre de publié. Allan était aux anges, son empire se construisant avec la tranquillité d’un félin en chasse ; ça allait bien plus vite qu’elle ne l’aurait imaginé, mais elle était prête à suivre le rythme. Son éditrice était une perle qui se satisfaisait de la goulue de l’écriture et de l’art qu’était la française, bien que son manque d’effort sur son accent trop prononcé en anglais la faisait rire autant que cela ne la désolait.
Une séance promotionnelle était prévue : Allan sortie alors le grand jeu. Bien qu’écrivant des thrillers horrifiques, l’ancienne ingénieure possédait une beauté rare et facilement accentuable avec quelques artifices, maquillage et jolis vêtements compris. Son éditrice et son équipe promotionnelle le savait, Allan la première avait toujours adoré se faire belle et jouait de son visage, même si ça ne lui prenait pas si souvent. Charmante mais peu charmeuse, elle était surtout d’un naturel éclatant, poussant le quidam à se retourner sur ses pas.
Aujourd’hui ne ferait pas exception.
Allan eut une entrée fracassante ; ce fut le cas de le dire, puisqu’en ouvrant grand la double porte de la librairie qui les accueillait pour le shooting, son geste l’embarqua dans une errance jusqu’à ce que son corps ne bascule en avant. Déséquilibrée, la rousse roula sur elle-même dans un mouvement gymnastique qui n’avait rien de souple, et atterrit finalement sur les fesses, les cheveux en vrac. Après un instant de flottement, son fou rire se repercuta sur les visages à moitié inquiétés de ceux qui ne la connaissaient qu’un peu, franchement hilares de son éditrice et de ses plus proches complices.
— J’espère que vous avez pensé à prendre quelque chose pour mes cheveux ! s’exclama-t-elle dans un anglais parfait quoiqu’avec un fort accent français. C’est bon je me suis rien cassé… hop !
Magistrale, étonnante, rien n’avait été calculé mais ce fut tout comme. Allan retira quelques grains de poussière sur son manteau, déplia son écharpe venu embrasser son épaule et jeta ses cheveux en arrière dans un effet de style dramatique. Jolimment maquillée, ses yeux en amande étaient accentués par une ligne verte qui allongeaient la forme féline de son regard. Un peu de mascara et un gloss enchantaient son visage avec une simplicité magnifique. Les talons de la femme claquaient en rythme alors qu’elle s’avançait pour embrasser son éditrice, observant les alentours avant de repérer un visage inconnu.
— Oh, qui est-ce ? demanda-t-elle le sourire gourmand en regardant ce qu’elle ne savait pas encore être Mikkel.

Une mèche folle continuait de se tortiller près du nez de la belle Allan, qui ne s’en souciait pas le moins du monde jusqu’à ce que quelqu’un la connaissant bien ne pense à la lui bouger. Ses yeux noisettes fixaient avec une intensité peut-être gênante le jeune photographe : l’écrivain sauta sur place, frappant ses mains ensemble, ravie de la rencontre.
— Oh ! Un nouveau photographe, trop cool ! Vous travaillez depuis longtemps dans le métier ? En tout cas vous avez bon style. Pas que les derniers étaient mal habillés, héhé...
Prise dans un ricanement enfantin, Allan ne fit pas attention aux grands gestes que son éditrice lui faisait depuis l’autre bout de la pièce. En vérité, la rousse voulait simplement discuter, par pure sympathie et euphorie, peut-être.
— Mikkel Admonsten… Mikkel Admortzen… Attendez je vais l’avoir, Mikkel AD...mon...sten ! Non… ADMONTSEN ! Fiou je me ferais jamais aux prononciations du coin ahah, oh ! Allan Louise Tempête, enchanté, je suis heu, la personne que vous allez devoir photographier ~ chantonna-t-elle d’une voix aussi douce qu’elle ne chantait faux.
Et ça s’entendait tragiquement.

Ce qui aurait très justement pu passer pour du scepticisme n’était qu’une forme innocente de curiosité. Allan avait toujours su courir avant de savoir marcher, et cela se rappelait parfois à son entourage lors de ses interactions sociales. Un sacré morceau de femme, plus lucide que les apparences ne le laissaient prévoir.
— Woah, j’ai du mal à me souvenir de où j’étais il y a six ans ! Et alors ça fonctionne comme vous voulez ? Ravie de vous connaître en tout cas ! Vous avez vraiment bonne tête, sourit-elle en creusant ses joues de petites fossettes.
A la mention de sa chute, Allan chercha la trace de poussière sur ses vêtements. Prédatrice de la saleté, sa main se leva pour chasser les résidus impropres et qui nuiraient peut-être aux futurs clichés… avant de revenir à la conversation, un grand sourire d’établit sur son faciès.
— Je suis maladroite, mais je tombe si souvent que je sais comment rattraper mes chutes. Oh ! Je n’échappe pas toujours à une cheville ou un poignet foulé, au grand damne de mon éditrice héhé...
Editrice à qui Allan se permit de sourire en ignorant royalement les gestes désespérés faits dans sa direction. A bien y regarder, Allan pourrait même croire que la trentenaire cherchait à simuler les mêmes glyphes qui apparaissaient dans son nouveau roman.
— Va pour Mikkel ! s’exclama Allan en faisant rebondir ses boucles rousses tout autour d’elle.
Un peu trop joyeuse pour quelqu’un qui avait réellement eu du mal à prononcer un simple nom, d’ailleurs.
— Ah ça non, je suis habituée à des climats plus doux, ahah… oh, vous pensez que ? Oh ! Charlotta ! Je ne t’avais pas vu, tu ne devrais pas t’agiter comme ça, tu vas te décoiffer...
Un clin d’oeil adressé à Mikkel plus tard, voilà que la rouquine s’en partait rejoindre la désespérée. Accueillit par quelques réprimandes et une demande expresse de s’agiter pour qu’ils finissent dans les temps, Allan se montra toutefois d’un professionnalisme exemplaire ; presque immobile quand quelqu’un réajusta sa tenue ou ses cheveux, ou même encore son maquillage, elle vint se placer sur le petit bureau mis à sa disposition, un exemplaire de son roman, Les Roses d’Argent entre les mains. Faisant un petit signe à Mikkel pour qu’il s’avance, une fois à portée de voix elle n’hésita pas à l’interpeller de nouveau.
— Dites-moi tout, maître Photographe ! Comment souhaitez-vous que je me mette ?

D’une petite discussion tranquille, le visage d’Allan réagit moins bien à la réponse qu’on lui servit. Son sourire se figea, prenant une teinte moins sympathique, et plus pensive. Un regard à son éditrice qui haussa les épaules, ne sachant pas trop comment réagir face à un prénommé photographe qui… ne donnait aucune consigne.
— Hum.
Allan se redressa, les bras croisés contre sa poirine et le visage clair. Ses deux yeux noisettes se plantèrent contre ceux de Mikkel. Sans être spécialement froide, la chaleur d’Allen s’amenuisa quelque peu en se demandant qui donc avait été engagé.
— Est-ce dela timidité, peut-être ? Vous savez j’ai l’habitude d’être photographiée.
La rouquine chercha une manière sympathique de poser les choses, ne souhaitant pas non plus donner l’impression qu’elle souhaitait apprendre le métier à un meilleur connaisseur qu’elle.
— Je ne sais pas être naturelle. Du coup je suis assez curieuse de votre avis… comment trouvez-vous la lumière sur ma peau ? Vous préférez mon profil droit, mon profil gauche ? Je ne veux pas être naturelle, je veux des photos qui fassent vendre ~-
Et pour se faire pas de secret : le naturel ne suffisait pas. Il fallait une série de cliché publicitaires ! Aussi triste que ne soit cette réalité, le “naturel” n’était pas quelque chose de particulièrement intéressant.

Allan capta immédiatement la crispation chez son interlocuteur. Bien qu’elle garda sa posture, une part d’elle regretta un peu de mettre son photographe mal à l’aise, mais il n’aurait pas été honnête de ne rien dire et de faire comme si tout allait bien alors que la manière de faire ne lui plaisait guère. Une inspection visuellement méticuleuse suivit les réponses de Mikkel. Fuyait-il le regard d’Allan ? Elle se gratta la base de la nuque. Un étrange silence englobait les deux personnes, comme si tout le monde était soudainement curieux ou intimidé par l’échange. L’attention ne gênait pas la française qui attendit que l’autre finisse de s’expliquer avant de placer une main sur sa hanche. La réflexion se posait là : Mikkel ne semblait pas disposé à lui dire si la lumière était bonne, ou si son corps serait mieux quelque part, avec certains gestes, ou non. Un coup d’oeil à son éditrice plus tard, Allan accepta mentalement la situation qui ne changerait pas de si tôt ; et de toute façon, elle ne gagnait pas suffisamment d’argent pour faire des caprices.
— Va pour l’aventure, dans ce cas ! s’exclama-t-elle joyeusement pour montrer qu’elle n’était pas spécifiquement contre l’idée.
Faire des promesses était quelque chose de dangereux, cependant. Allan fit soigneusement le choix de ne pas commenter, mais vint quand même se placer aux côtés de Mikkel pour observer, retenir l’ensemble de la scène. Jouant de sa mémoire photographique, Allan sautilla jusqu’à la table, reprit l’un de ses livres, et commença à jouer des sourires, des gestes, de son corps, toujours de manière charmante, jamais aguicheuse, consciente qu’elle ne vendait pas un bouquin de charmes. Habituée à se faire photographier, la jeune femme trouva finalement un plaisir non négligeable à ne recevoir absoluement aucune indication. C’était atypique, certains auraient dit peu professionnel, mais si le résultat était aussi bon que Mikkel ne semblait le penser, alors ça valait carrément le coup.
— Vous avez déjà photographié des écrivains ? demanda-t-elle subitement pendant le shooting, curieuse de faire la conversation.

L’oeil appréciateur de la femme suivit plusieurs fois les mouvements de Mikkel. Son air d’enfant intimidé avait laissé place au comportement d’un prédateur autour de sa proie, ce qui faisait plaisir à voir : il ne ressemblait plus du tout à un débutant. Difficile de dire s’il savait ce qu’il faisait, Allan n’avait jamais entendu autant de bruit venant d’un appareil. Clic clic clic. Mais pourquoi pas.
— Une fois ou deux, ça veut dire que seulement l’un d’entre eux à retenu votre attention. J’espère que dans les deux ou trois écrivains photographiés, je ferais partie des deux que vous avez retenus sans hésiter !
Allan ne pouvait pas toujours se montrer sincère : sa vie en France le lui avait appris, les multiples anecdotes à grande base de problèmes de communications ici, comme avec Stella, aussi. Mais quand elle irait, elle aimait le faire de bon coeur, même si cela ne la rendait pas toujours la plus photogénique. Elle continua à prendre des poses, jouant les divers angles qu’elle imaginait prendre sur les photos à mesure que Mikkel lui tournait autour.
— Quel sérieux, sourit-elle. Je ne savais pas que le mythe des gens qui changeaient de personnalité en jouant de leurs outils de prédilection était vrai, mais je dois avouer que c’est très impressionnant !

L’écrivain laissa son rire se répercuter des murs jusqu’aux sourires des gens qui observaient la scène ou s’occupaient simplement de papiers, du rangement ou du nettoyage. Heureuse de faire partie des gens remarquables, la sincérité décelée dans la voix de Mikkel ravit la rouquine qui sautilla un peu sur place avant de se rasseoir. Brisant la pose quelques instant pour se détendre les muscles, elle se remit à nouveau à jouer en s’imaginant des airs de déesses grecques : car il était vrai que l’art antique était le plus majestueux ! Même si à la réflexion, ce n’était peut-être pas ce qui devrait être cherché en priorité pour elle.
— Tant mieux ! On m’a même déjà que j’étais belle, plusieurs fois. Autant en jouer quand ça peut me profiter ~ chantonna Allan.
Après, elle se doutait qu’ils n’y seraient pas encore pendant deux heures. Quoique. Allan chercha une réponse du regard : Mikkel comptait-il la laisser en roue libre pendant encore longtemps ? Sportive, cela ne la dérangeait pas, mais créativement parlant elle risquait de répéter les mêmes gestes dans la vouloir : sans indication et n’ayant jamais fais ça de sa vie, l’ennuie la guettait en plus du reste.
— De là d’où je viens, certains eraient tentés de vous répliquer que dans le monde professionnel, il ne faut pas se contenter d’essayer mais bel et bien de faire au mieux, répondit Allan sur le ton de la conversation. Mais à titre personnel je trouve ça déjà pas mal… vous avez encore besoin de beaucoup de clichés ?

Ah ça, s’il y avait bien une chose qu’Allan savait faire mieux que personne, c’était bien de PROFITER de sa vie qui à tout instant, pouvait se voir écourter ; une sensation qui ne la quittait jamais vraiment depuis qu’elle avait fuit la France et tout ce que cela impliquait. Mais les considérations du jour étaient bien éloignées de ce sombre prisme dans lequel elle était vaguement impliqué : cela lui paraissait si lointain, quand elle regardait Mikkel faire peut-être (avec un peu de chance) les plus jolis clichés de sa carrière ! La rousse, quelque peu égocentrique, aima se le souhaiter.
Quand Mikkel déclara qu’il avait suffisamment de clichés, les muscles de la femme se détendirent : bien que sportive, cela restait un sacré exercice de rester concentrée aussi longtemps pour gesticuler, mais pas n’importe comment.
— Oooh oui je veux voir !!
Elle se doutait de l’aspect qu’elle avait eu, mais n’étant pas photographe elle-même Allan n’avait fait qu’essayer d’imaginer les photos qui étaient prises. Sautillant autant par démonstration de son aise que par besoin de se dégourdir les jambes, Allan fut vite arrivée près de l’épaule du photographe.
— Alors alors alors ? Oooh vous devez absoluement me dévoiler ce que vous en avez pensé aussi !

Allan observa d’un œil appréciateur toutes les photos qu’elle était en train de voir. Elle aimait la plupart des clichés, même si certains faisaient un petit peu « étranges », moins soignés, ou alors elle avait bougé trop vite. Elle jeta un coup d’oeil étrange à Mikkel devant cet air finalement presque suffisant.
— Eh bien, j’attends de voir vos retouches pour parfaire les clichés !
Allan n’était pas déçue, mais n’était pas persuadée de la manoeuvre non plus. En tout cas, Mikkel avait quand même été très agréable, et rien que pour ça il méritait largement son salaire.
— En tout cas c’était un véritable plaisir, sourit Allan, —J’espère qu’on aura d’autres occasions de travailler ensemble !

Equilibriste au milieu de réactions plus vives, Allan était tout de même bien loin d´imaginer tous les doutes qui assaillaient son interlocuteur. Satisfaite néanmoins du fait qu´il ait hâte de s´y mettre, Allan gratifia le photographe d´un sourire plus amical. Elle jonglait entre sa curiosité naturelle et une légère méfiance, mais sa sympathie pour à la fois le jeune homme et son éditrice prima sur le reste.
La rousse accueillit entre ses doigts la petite carte obtenue, nota le soin apporté à la chose et inclina la tête avec un respect teinté de malice.
— Oh ! Elle est trop jolie ! Et ça marche, Mikkel. Je suis sûre qu´on aura l´occasion de se recroiser, que ce soit pour de nouvelles sorties de livre ou autre chose, eheh ~
Elle piétinait un peu, toute excitée à l´idée de voir les images qu´elle verrait d´elle. Allan était tout de même assez confiante ; son éditrice n´aurait jamais engagé un débutant ou quelqu´un qui était réputé pour faire n´importe quoi, même si les soldes de la maison d´édition ne leur permettait pas toujours de faire des milles et de cents.
— Devant de la scène, je ne sais pas, mais de la vôtre, pourquoi pas, ricana la jeune femme.