La nuit, tous les chemins sont plats - TimTim

Allez savoir comment ou même pourquoi mais l'équipage du chalutier l'appréciait bien. Et alors qu'il ne comprenait qu'un mot sur deux de ce qu'ils racontaient tous, mais soit. Du coup, il se retrouvait régulièrement invité les soirs où le bateau ne sortait pas pour à -appelons un chat, un chat- une beuverie. Parce que s'enfiler des Mjød, Aquavit et autres Fjellbekk, le tout sous les rires des marins qui apparemment pariaient sur le moment où il s'écroulerait était sa définition d'une beuverie ! Le summum étant certainement lorsqu'il commençait à déclamer du Rimbaud ou du Verlaine en Français... Vieux restes d'un autre temps. Mais ça lui permettait de se faire passer pour plus ivre qu'il n'était réellement, histoire de se ménager un peu. C'est qu'il devait ensuite rentrer à pied et qu'il préférait trouver le bon immeuble et la bonne porte. Ca pouvait être utile.

C'est peut-être ce qui fit qu'il ne repéra pas tout de suite qu'il était suivi. Mais lorsqu'il comprit -enfin ! Et tout en se traitant d'abruti- il ne s'arrêta pas à son immeuble et poursuivit sa route comme si de rien n'était. Hors de question de lui donner son adresse sur un plateau d'argent ! Tout en cherchant un moyen de se débarrasser de ce gêneur. Qui se rapprochait. Trop. Et alors qu'il n'avait aucune arme de défense sur lui... Si ce n'est sa clé d'appartement et il ne lui en fallut pas plus pour mettre la main dans sa poche et passer son majeur dans l'anneau, faisant glisser la clé entre ses doigts. C'était bien maigre mais c'était tout ce qu'il avait. Et au moins la marche dans l'air frais le dégrisait un peu. Il n'aurait même pas su dire depuis quand il était suivi ! Mais par contre, il pouvait affirmer rien qu'au bras qui se posa sur ses épaules qu'il n'avait aucune chance -à jeun ou pas- contre ce type.

Et s'il se crispa le temps de quelques petites secondes, il s'obligea à ne pas réagir et à suivre le mouvement. La carrure à ses côtés était imposante, le norvégien utilisé mâtiné d'un affreux accent russe rendait sa compréhension déjà limitée particulièrement difficile même si le ton laissait à lui seul suggérer tout ce qu'il avait besoin de savoir. Pour une raison encore inconnue, il se trouvait dans la panade. Est-ce que l'alcool qu'il avait ingurgité allait camoufler la douleur des coups ? Il l'espérait sans trop vraiment y croire. Il n'avait pour lui que son agilité et sa vivacité -certainement amoindries sous l'effet de l'alcool dans son organisme- avec peut-être la mauvaise surprise de sa clé. Ca faisait peu contre ce genre de gars. Un russe en plus... Mais bon sang, qu'est-ce qu'il lui voulait ?! Mais l'heure n'était certainement pas aux grandes questions philosophiques mais à trouver le moyen de se sortir de là. Et c'était pas gagné d'avance... "Ouais, c'est moi. Qu'est-ce que tu me veux ?" Son anglais prouvait à lui seul qu'il ne venait pas de Bergen, il ne prit donc pas la peine de le préciser.

Il resserra cependant un peu plus son poing autour de sa clé dans la poche de son sweat, tout en suivant docilement le rythme que ce type lui imposait. Il attendait. Parce que ça viendrait forcément. Et là, il n'aurait qu'une chance de lui faire suffisamment mal pour prendre le dessus, pas deux. Quoique... Ce n'était même pas sûr s'il devait être fait du même bois que le Viking. Il s'était clairement foutu dans une merde noire sans même savoir ce qu'il avait fait ! "Et si tu me racontais un peu ce qu'il se passe ? Que je sache au moins." Là encore, de l'anglais. Mais surtout, il savait qu'il allait passer un sale quart d'heure et il ne cherchait absolument pas à plaider sa cause. C'était le genre de truc totalement inutile qui ne faisait qu'empirer la situation. Et puis plaider, ça n'avait jamais été son truc. Même lorsque son père le prenait gamin pour un punching-ball... Mais il voulait au moins connaitre les raisons de tout ça.

Alors il tourna la tête pour faire face à son futur agresseur, lui lançant un regard direct et déterminé à ne pas plier quoi qu'il pourrait se passer. Ses lèvres -qui seraient certainement craquées et en sang d'ici peu de temps- fermées en un pli serré alors qu'il prenait la réelle mesure de l'armoire à glace se tenant -pour le moment- à ses côtés. Ca allait faire mal.



[Pas de souci, au contraire c'est plus sympa comme ça !]

Il ne fallait pas être devin pour savoir que ça allait tomber. Pour une raison inconnue, ce type avait un compte à régler avec lui et ce n'était visiblement pas le genre à perdre du temps en négociations. Il verrait donc plus tard -s'il était encore vivant, puisqu'il y avait toujours un risque réel d'y passer, volontairement ou non- les raisons du pourquoi et du comment. Pour le moment, il s'agissait non pas d'éviter les coups puisqu'il n'était pas assez idiot ou naïf pour croire qu'il pourrait s'en sortir, mais d'en donner au contraire un maximum. Histoire de lui faire regretter de s'en être pris à lui. Est-ce que cela changerait quelque chose au résultat final ? Non. Mais il pourrait au moins se regarder dans la glace s'il parvenait à se relever du bitume.

Il le laissa donc déblatérer tant qu'il voulait sur un quelconque lien totalement inexistant entre eux alors qu'il se préparait mentalement à ce qui allait forcément suivre. Parce que visiblement que ce soit en taule ou à l'extérieur, le modus operandi restait toujours le même. Allez savoir pourquoi mais les grosses brutes aimaient s'écouter parler avant de frapper...

Et donc, s'il préférait généralement éviter l'emploi de ses poings, il savait par contre esquiver, et plutôt bien même. Le problème étant qu'on ne pouvait pas esquiver et se battre en même temps. Et là, il avait une chance. Pas deux. Pas trois. Juste une. La décision fut prise en une fraction de seconde alors qu'il sentait le stress et l'adrénaline se libérer soudainement en lui. En même temps que le coup qui arrivait et loin de s'écarter, il sauta au contraire sur le russe. Sa main jaillissant de sa poche visa aussitôt l'œil, et sans retenir la force de son coup, bien au contraire... Alors que dans le même temps sa tête explosait dans une douleur fulgurante. S'éloignant en titubant, il secoua la tête tout en tentant de reprendre ses esprits au plus vite, s'attendant déjà à ce que d'autres coups pleuvent sur lui. Mais il était hors de question qu'il se laisse faire bien gentiment ! "Tu vas sans doute me laisser pour mort sur le sol mais je te jure que ce sera pas sans bobos pour toi !" Parce qu'il n'y avait aucun doute que ce russe allait avoir le dessus sur lui. Il se fichait d'ailleurs de terminer sa vie sur ce trottoir, il n'avait pas d'attaches et personne qui l'attendait à la maison. Mais par contre, il comptait bien vendre chèrement sa peau et il n'en resserra que davantage ses doigts autour de sa clé.

Quant à voir ce qu'il valait, l'excuse en était presque risible ! Et il en aurait peut-être même laissé échapper un ricanement s'il n'était si occupé à se remettre de ce coup de poing. Quoi que puisse être ce type, il était clairement dangereux. Et il n'avait aucune idée de comment il allait s'en sortir... Mais il avait au moins obtenu une répondre au Pourquoi ? Restait la principale question, à savoir le Pourquoi lui ? "Et pourquoi je t'intéresse tant ?" Et d'ailleurs, d'où il le connaissait ? Parce qu'il était absolument certain qu'il ne connaissait pas de près ou de loin ce type. Bon sang, il ne manquerait plus qu'il soit de la mafia russe !

Le coup avait été donné, et c'était tout juste si l'autre avait bronché. En fait, il avait même... sourit. Oh Dieu ! Mais comment il allait s'en débarrasser ?! Bien que pour l'heure, il avait tout autre chose à penser puisque ce coup allait forcément en appeler d'autres. Et s'il passa sur le proche d'un proche -il n'était proche de personne !- il grimaça lorsqu'il fut attrapé avec un Montre moi ce que tu as dans le ventre... Alors qu'il préférait ne pas s'attarder sur le sourire affiché qui n'annonçait rien de bon. Du moins pour lui.

Et là, il n'attendit même pas la fin de "la brindille" pour frapper. Parce que ça allait tomber de toute façon, alors autant qu'il prenne de l'avance ! Et s'il donna un grand coup de pied au niveau du genou espérant au moins le faire flancher sur ses appuis -si ce n'est casser le genou dans ses rêves les plus fous- il ne put par contre rien faire pour éviter le coup de poing qui l'envoya à terre alors qu'il encaissait le coup comme il pouvait. Les forces étaient totalement déséquilibrées, et il sauta sur l'occasion de pouvoir s'expliquer dès qu'il le put. Parce que le Viking ?! Franchement ?... Il était vraiment en train de se faire tabasser à cause de lui !? "18 ans. 10 ans de taule. On me colle dans la même cellule que le Viking. On a passé un deal cette nuit-là. Je devenais sa femme, j'écartais bien docilement les cuisses pour lui et il faisait en sorte à ce que je ne devienne pas la pute de tout le bloc." Et il pouvait dire que le Viking en avait envoyé plus d'un à l'infirmerie avant que les choses ne se calment enfin. Surtout grâce à l'arrivée d'un blondinet bien propre sur lui avec l'étiquette "pointeur" collée sur son dos. Il ne lui avait pas fallu longtemps pour savoir ce qu'était un "pointeur" et comprendre que ce serait juste l'enfer pour lui. C'est qu'en prison, on n'appréciait généralement pas trop les pédophiles... Mais de là à dire que c'était plaisant, il ne put retenir un ricanement à ça. "Donc j'appellerais pas ça plaisant, non... mais nécessaire." Parce qu'il avait beau avoir été un petit con, il n'en restait pas moins qu'il avait vite compris où il avait mis les pieds.

Un peu comme là où il n'avait pas trente-six solutions pour se défaire de cette brute ! A part lui donner ce qu'il voulait, il ne voyait pas. Sauf que manque de chance pour Monsieur brute épaisse, il n'allait pas pouvoir lui apporter grand-chose. "Désolé mec, mais je vais t'être d'aucune utilité." Le Arrêtons tout là et séparons-nous en bons termes n'était évidemment pas dit mais restait là en suspend dans l'air. C'est qu'ils avaient chacun à faire de leur côté, non ? C'est que lui avait à faire, comme rentrer chez lui par exemple, et si possible en un seul morceau...

C'était une montagne ce type, rien ne l'ébranlait ! Enfin, peut-être que le Viking aurait pu mais lui n'y parvenait pas. Il avait bien conscience -comme à chaque fois qu'il avait eu à se battre puisque le Viking n'avait pas pu être H24 derrière ses fesses- qu'il lui manquait quelques bons kilos de muscles. Que ce type avait, malheureusement pour lui. Et il n'allait pas pouvoir encaisser encore beaucoup de ses coups, c'est qu'il n'avait rien d'un  punching-ball non plus. Il avait donc expliqué parce que tant qu'il parlait et que l'autre écoutait, au moins il ne frappait pas.

Son expression de dégoût quant à elle ne passa pas inaperçue alors qu'en miroir, il faisait une moue désabusée. C'est que tout le monde n'était pas une version humaine d'Iron-man ! Il n'avait même pas bougé lorsqu'il l'avait frappé au genou, bon sang ! Et pourquoi il avait attisé son intérêt ? Il n'avait rien qui puisse intéresser un type pareil... Qui pourtant se montrait bien curieux. Ce qui ne fit que renforcer sa méfiance, d'autant que celui-ci le dominait de toute sa prestance. Ancrant ses pieds dans le sol, il serra les dents et se fit violence pour ne pas reculer se battant contre lui-même pour ne pas flancher. Surtout ne pas flancher, il était sûr que ça ne lui apporterait que davantage de problèmes. Parce que s'il n'avait aucune idée de ce que ce type cherchait, il savait par contre qu'il n'aimait pas son regard. "Assassinat." Un simple mot tellement loin de la réalité que ça avait été. Parce que ce n'était qu'un meurtre, il n'avait rien prémédité. Mais est-ce qu'il aurait pu le faire s'il avait su à l'avance ce que risquait Illyana ? Sans doute, oui... Clairement, oui. Sauf qu'il se serait débrouillé pour maquiller ça en accident. Mais il n'allait certainement pas s'en vanter auprès d'un type qui débarquait de nulle part pour "voir ce qu'il avait dans le ventre". "Mais c'était des conneries tout ça, j'avais rien prémédité... Ils ont cherché trop loin, je suis rien de plus qu'une petite frappe comme on en trouve tant dans les cités." De quoi donc se rendre le plus inintéressant possible.

Et comme il ne tenait pas à ce qu'il creuse davantage, il questionna à son tour. "Je comprends pas, qu'est-ce que tu me veux ?... Et t'es qui d'abord ?" Et ce n'était certainement pas pour se taper la discute autour d'un verre dans un bar quelconque ! Mais il était toujours bon de savoir les noms pour savoir qui éviter, et se tenir à distance. Il pourrait certes passer par le Viking pour avoir tous les renseignements qu'il voulait mais là aussi, il préférait éviter. Et ne rien lui devoir surtout, parce que tout avait toujours un prix. Et il connaissait déjà celui du Viking.

Mouais, il n'en saurait décidément pas plus. Et il ne fallait évidemment pas compter sur un nom. Un russe donc, et à la tête de tueur. Mais qu'il soit "ami" -et en y mettant tous les guillemets possibles parce qu'il doutait que le Viking puisse avoir des "amis"- avec le Viking ne pouvait de toute façon qu'être une très mauvaise chose. Il se contenta donc d'une moue désabusée alors que celui-ci lui souriait de toutes ses dents, visiblement particulièrement fier d'avoir l'ascendant sur lui. Chose pas bien compliquée lorsqu'on était une montagne de muscles... Mais ce n'était pas pour cela qu'il n'allait pas se rebiffer ! "Eh bien, profite bien de ton "ami"..." Et le mot avait été bien appuyé prouvant qu'il n'était absolument pas dupe des relations réelles entre les deux hommes. "Tant que tu le peux encore. Parce que j'ai quelques comptes à régler, et les choses risquent de se compliquer un peu pour lui..." Est-ce que le russe irait le prévenir ? Généralement de ce qu'il avait pu constater en taule, ce n'était pas le genre de la maison. Mais quand bien même qu'il le ferait, il doutait que le Viking puisse y croire. A la limite, il prendrait ça pour une bonne blague sachant qu'il n'avait aucun moyen qu'il parvienne à avoir le dessus sur lui, du moins physiquement.

Un peu comme avec ce russe d'ailleurs. Et ce n'était pourtant pas faute d'avoir essayé de lui porter ne serait-ce qu'un coup... A la place, il se retrouvait à jouer au chat et à la souris avec lui, ayant bien évidemment le rôle de la souris. Oh joie, Oh bonheur... C'était évidemment ironique ! Parce qu'en plus Monsieur était curieux. Même si c'était bien plus qu'être simplement curieux... A le voir faire, il aurait même dit qu'il... l'intéressait ? Mais pourquoi ? Il n'avait rien pour lui ! "T'es lourd ! Porte tes kilos toi-même." Parce que là aussi, il n'avait pas vraiment eu le choix que de le laisser s'appuyer sur son épaule. Foutu constitution d'adolescent décharné, ça ne lui avait apporté que des ennuis... Alors que soupirant de fatigue, il répondait une nouvelle fois à ses questions. "Mon père et par arme blanche. A coups de couteau." Et il n'était pas compliqué de savoir quelle serait la prochaine question. "Et ne me demande pas les circonstances, je ne te les donnerais pas. Ca ne concerne pas que moi, je ne peux donc pas en parler sans l'autorisation de cette personne." Parce qu'il était hors de question qu'il implique sa sœur de quelque manière que ce soit ! "Tu peux me laisser mort sur le trottoir, je m'en fous mais je parlerais pas." Ca avait au moins le mérite d'être clair.

Une autre chose aussi qu'il voulait mettre au clair -et au point où il en était, il ne risquait pas davantage que de se retrouver mort sur ce trottoir- qui n'allait pas forcément plaire au russe... "Et je n'ai pas besoin que tu m'ouvres des portes, je sais très bien le faire tout seul quand j'en ai besoin. Donc je te remercie, mais hors de question que je te doive quoi que ce soit !" Parce qu'il ne fallait pas non plus le prendre pour un lapin de six semaines, les services n'étaient jamais gratuits.

Première fois qu'il attirait son intérêt. En même temps que toutes les questions non formulées -qui de toute façon n'auraient pas obtenues de réponse- qui allait avec. Le Russe devenait soudainement autre chose qu'une montagne de muscles avec un accent à couper au couteau. Plus encore, il devenait autre chose qu'un vague "ami" du Viking... Problème, lui ne pouvait pas le cogner pour obtenir des réponses. Du moins pas sans se retrouver aussitôt en état de mort avancée par terre. Il allait donc éviter, c'est qu'il tenait encore un minimum à la vie ! Mais il restait curieux alors qu'il posait un long regard songeur sur lui tout en répondant du tac-au-tac. "Désolé, j'ai pas encore fait l'école du rire..." Et c'était le moindre qu'on pouvait dire !

Mais étonnamment, le Russe semblait y tenir. Et pas à la façon d'une grosse brute épaisse du "Tu parles où je t'en colle une". Il n'aurait de toute façon pas parlé. Mais là, il soupira avant d'admettre d'une voix serrée alors qu'il peinait à avaler la boule logée dans sa gorge. Bon sang, la seule fois où il en avait parlé c'était lorsque tout lui était revenu en mémoire et qu'il avait foutu un bordel monstre dans la cellule. Ca c'était d'ailleurs terminé au mitard cette affaire... Et on avait vu mieux comme confident que le Viking, mais il avait supposé que c'était toujours mieux que les matons. "Oui, il l'était. La pire des ordures qui puisse exister." Il rajouta d'ailleurs comme pour mieux prouver ses dires. "Ce n'était pas pour moi que je l'ai buté, j'aurais pu faire avec jusqu'à ma majorité et même après." Est-ce que cela serait suffisant ? Pas sûr... Mais il était lui aussi curieux maintenant. Après tout, même une montagne de muscles devait avoir eu elle aussi un géniteur... Qui avait apparemment compté. Ou qui au contraire n'avait pas été présente, c'était une autre possibilité. Mais parfois, il valait mieux !  

Il aurait donc bien mérité des baffes mais c'était maintenant trop tard pour faire marche arrière alors que les mots glissaient hors de sa bouche sans qu'il ne puisse les retenir. "Tu m'expliques le truc avec les paternels ? Je l'ai mérité, non ?" Après avoir encaissé tous ses coups, il pouvait bien faire ça, non ? "On n'a qu'à aller boire un truc quelque part, je t'invite." Comme s'il avait besoin d'ingurgiter encore davantage d'alcool après la soirée qu'il avait passée... Mais bon, il n'avait pas vu comment le retenir autrement. Ou plutôt si, il y aurait bien un truc mais est-ce qu'il avait vraiment envie d'aller jusque-là ? Après tout, il le connaissait pas ce mec et il en avait rien à faire de lui. Mais... Bon sang, il y avait eu un truc qui s'était dégagé un court instant de lui. Le même truc qu'il connaissait lui-même trop bien lorsque quelque chose le prenait au dépourvu... Une faille. Et ça des failles, il en était bourré. Mais la montagne de muscles ? C'était plutôt surprenant. Et ça demandait à être creusé, surtout qu'il était un "ami" du Viking... On était jamais trop prudent. "Si tu me dis, je te dirais peut-être... Si tu me frappes plus." Oui tant qu'à faire il rajoutait ça, ça pouvait toujours servir. Parce que bon sang, il avait une sacrée poigne !

Ne lui demandez pas comment il était passé des coups à une possible discussion, il n'en savait strictement rien. Enfin... Peut-être une possible discussion. Quand le russe aura fini d'y réfléchir. Il ne cherchait pas en tout cas à le brusquer, celui-ci pouvait même prendre tout le temps qu'il voulait. Pendant qu'il réfléchissait, il ne le frappait plus et il appréciait ça à sa juste valeur ! Il savait encaisser les coups, et plutôt bien même -lorsque vous passiez par la case prison, vous n'aviez pas vraiment le choix de faire autrement- mais il avait ses limites. Surtout face à une telle montagne de muscles.

Et puis il avait été surpris de le voir presque déstabilisé à savoir qu'il avait pu tuer son père. Alors qu'il était persuadé que frapper et sans doute même tuer devait être le quotidien de ce type. Bon sang, ce type parlait avec ses poings et... la réflexion ne semblait pas être son fort. Parce qu'il suffisait d'un oui ou d'un non. Oui, ils buvaient une bière ensemble -il n'était pas sûr de pouvoir prendre plus fort ce soir après tout ce qu'il avait déjà ingurgité, foutus marins norvégiens !- tout en évoquant leur paternel. A demi-mots, parce qu'il doutait que ce soit les grandes confidences à pleurer sur l'épaule de l'autre. La bonne blague, surtout lorsqu'il s'agissait de son père ! Et si c'était non, il le rétamait à terre ou se barrait en le plantant là, tout en préférant de loin la seconde solution. Ce n'était pas comme s'il pouvait représenter un réel danger pour un type pareil...

Finalement, la réponse tomba et il en était presque étonné. Quant à payer, la question ne se posait même pas. Ce n'était pas lui qui était en position de force, donc il payait. C'était l'évidence même. "Ouais, c'était prévu comme ça de toute façon. Il y a un bar pas loin." Pas que ça l'enchantait d'aller dans un bar de son quartier mais il ne voulait pas trop tirer sur la corde en chipotant sur ce genre de détail... Arrivé à celui-ci, il évita soigneusement le comptoir et les oreilles indiscrètes du serveur pour préférer une table dans un coin de la salle. S'y installant, il proposa. "Commande ce que tu veux, pour moi ce sera une bière." Avant de demander. "Qui commence ?... Mouais, je commence, ça semble évident." Il était nerveux et il n'aimait pas ça. Soupirant, il s'obligea au calme alors qu'il prenait appui contre le dossier de la chaise tout en attendant que le serveur leur apporte leur verre.

Jusqu'à ne plus avoir d'excuse pour retarder l'échéance lorsqu'il se retrouva avec son verre en main. "Mon père était un alcoolique, je n'ai pas souvenir de lui sans ses crises de violence quotidienne. Ma mère en a eu marre et un jour elle s'est barrée en nous laissant ma petite sœur et moi aux "bons soins" de mon père. Je ne suis même pas sûr qu'Illyana se rappelle d'elle... J'essayais de la protéger des coups en les prenant à sa place mais parfois je pouvais pas. Ou plus. Mais on s'en sortait pas si mal à deux... Jusqu'au jour où ça a été plus loin que les coups... A toi." La suite, il ne la dirait pas sans contrepartie. C'était... compliqué alors qu'il occupait ses mains à essuyer la condensation qui s'était formée sur son verre au lieu de le boire...

Sa vie résumée en 6 phrases. Mais il n'y avait vraiment pas besoin d'en rajouter plus. Il s'était d'ailleurs arrêté à escient avant d'aborder les circonstances du meurtre. Pour le cas où le Russe ne parlerait pas, histoire de ne pas se faire totalement avoir... Et étonnamment, celui-ci parla à son tour. Et même s'il se doutait bien que tout était loin d'être dit, il avait tout de même droit à quelque chose. Vrai ou pas, c'était une autre histoire... Bien que sa remarque sur l'incompréhension de son geste paraissait on ne peut plus sincère. Il y avait de toute évidence un vrai questionnement là-dessous, et comment pourrait-il le lui reprocher alors que son père semblait avoir eu une place énorme dans sa vie... Il m’a tout appris... Il était digne d’être père... J’en garde un bon souvenir... Il ne m’a jamais frappé... A mille lieues de ce que eux avaient connus. Une famille aimante et normale en somme ? A la façon de celle de Paco ? Bien qu'il parlait de décès en mission, et il n'abordait pas le sujet de sa mère... Alors peut-être pas si normale que ça, en fait.

Par contre lui, en avait des choses à dire sur la sienne ! "Ma mère s'était déjà barrée et sans laisser d'adresse... Je peux pas lui reprocher d'avoir fuit la maison, c'était invivable comme atmosphère. Mais elle aurait pu nous prendre avec elle. J'aurais pas bronché et puis j'avais des bonnes notes à l'école, j'aurais pas créé de problèmes..." Combien de fois s'était-il dit cela ? Bien trop pour les compter. "Au moins, elle m'avait laissé Illyana." L'histoire aurait dû s'arrêter à ça. Ils vécurent heureux terrés dans la cuisine alors que leur père cuvait son vin dans le salon...

Dans une autre vie, une vie idéale, ça aurait été Paco qui se serait trouvé en face de lui en cet instant. Parce que ça aurait semblé le plus logique, que de raconter ce qui s'était passé ce soir-là à son ami de toujours. Un ami qu'il n'avait plus depuis longtemps maintenant. Un "ami" qui lui avait tourné le dos lorsqu'il était venu le trouver pour l'aider à se débarrasser du Viking... Mais il paraissait que la nature avait horreur du vide, alors d'autres prenaient les places vacantes, le temps de donner une clé d'un casier de gare ou de raconter une histoire... Et pourquoi pas après tout ? On s'en foutait que ce soit Pierre, Paul ou Jacques au final. Il avait juste sorti le mots alors qu'il revivait une nouvelle fois la scène. Sans qu'il n'en ressente le moindre regret ou remord particulier. Alors lorsque le Russe le tira de se souvenirs, il en haussa simplement les épaules. "Je le referais de la même façon si c'était à refaire. Il y a des choses auxquelles on ne touche pas." Et sa sœur en était une.

Et puis ça tomba. Mafieux. En vérité, il l'avait su dès que ce type lui était tombé dessus. On portait sur soi ce qu'on était, Paco avec sa réussite sociale, lui et ses dix ans de vie qui lui manquaient au compteur et le Russe et son appartenance à la mafia. La Bratva, sans nul doute. Mais il n'avait pas tort dans ce qu'il disait, c'était tout à fait dans le style de la vie que de vous jouer des sales tours comme ça. "Et tu veux savoir le plus drôle ?... C'est que mon père nous rabattait les oreilles toute la journée avec ses Bondieuseries et les flammes de l'Enfer qui allaient nous consumer au moindre pas de travers." Et lui plus particulièrement s'il ne se conduisait pas en homme, parce que rien d'autre ne foulerait le sol de cette maison ! "Mais peut-être que si... Ma mère était restée et avait assumé son rôle, ça ne serait jamais arrivé." Ou si au moins, elle les avait embarqués avec elle... Mais avec des "Si", on refaisait le monde.

Et il aurait bien bu pour faire passer tout ça mais la bière était une boisson aussi amère que la bile qu'il avait en bouche. Il resta donc à jouer avec son verre sans y toucher alors qu'une nouvelle fois le Russe tapait dans le mile. Il en sourit, et il aurait sans doute pu en rester là, à ce simple sourire... Mais par simple esprit de contradiction, il porta finalement son verre à sa bouche pour en boire une gorgée. "J'en bois." Là n'était pas le problème, il était facile de faire des choses qu'on n'aimait pas faire. La plupart des gens faisait ça tous les jours. "Mais en vrai... Peut-être que j'aime pas ça en fait." Ni le goût, et encore moins l'effet que ça avait sur lui vu que son organisme ne supportait que très peu l'alcool... Il en leva cependant les mains devant lui comme pour parer toute future attaque, avant de rajouter. "Et avant que tu me cognes pour en comprendre les raisons... Tu m'as vu ? Je fais déjà pas bien peur alors si je commandais un lait-fraise, ce serait juste fini de moi."

Quant au Viking, il n'avait rien à expliquer, puisque tout le cheminement venait d'être fait. Tout juste se permit-il une moue désabusée au "pris sous son aile" alors qu'il mettait les bons mots sur les bonnes choses. C'est qu'il fallait appeler un chat, un chat. "Ouais, j'ai fait la pute pour un type histoire d'éviter que tout le bloc me passe dessus. Et je l'ai pas fait de gaité de cœur, t'as vu sa tronche ?" Pour cependant rajouter. "Et puis, je suis pas homo." C'est qu'il n'avait jamais eu aussi peur que le jour où les grilles de la prison s'étaient refermées sur lui. Pas le centre éducatif fermé pour adolescents, ça il avait pu gérer. Mais la prison, la vraie. 18 ans tout juste, il n'était qu'un gosse qui s'était retrouvé là sans vraiment le vouloir, et surtout sans y être préparé. Et il en avait eu conscience dès les premières minutes, celles-là mêmes où les regards plein de pitié blasée des matons s'étaient posés sur lui. Avant de le mener à l'abattoir. Jusque dans la cellule du Viking.

Il fut une nouvelle fois ramené au moment présent par un Bah j’ai compris tes raisons, c’est cool. Qui le fit juste sourire d'un vrai sourire franc et amusé. "Content pour toi." En fait, ce type était on ne peut plus simple à comprendre. Il voulait savoir quelque chose, il frappait jusqu'à obtenir ses réponses, et après il était content. Et si vous ne vouliez pas avoir de problème avec lui, il fallait juste répondre à ses demandes. Rien de tordu là-dedans donc, ou d'improbables faux-semblants à démêler. En fait, il aimait bien ce genre de types où on savait dès le départ où on allait. Ca ne vous préservait pas d'une trahison -ça, on n'était jamais sûr à 100%. L'exemple de Paco en était la meilleure preuve- mais savoir comment fonctionner avec quelqu'un vous mettait à l'abri de bien des soucis.

Ce serait faux de dire qu'il n'avait jamais pensé à ce que les choses auraient pu être si sa mère était restée avec eux, et qu'il avait plus d'une fois caressé l'idée que les choses puissent avoir été différentes. Pourtant il n'était généralement pas du genre à s'accrocher à des chimères mais là, parfois -et souvent lorsqu'il revenait à son lit après être passé sous le Viking- il avait fait semblant d'y croire. Il y avait certes eu la case prison dont il se serait bien passé mais il y avait surtout les années perdues avec Illyana. Dix foutues longues années où il n'avait pas été là pour elle. Et ça le rongeait, parce qu'elle s'était trouvée seule pour tout affronter... Grimaçant, il finit par hausser les épaules avec fatalisme alors qu'il se contentait d'un vague "Mouais." en réponse. De toute façon, rien ne changerait ce qui avait été fait alors à quoi bon ressasser tout ça...

Ce fut comme ça qu'il se retrouva à expliquer à demi-mots qu'il n'aimait pas spécialement l'alcool mais qu'il valait mieux parfois faire croire le contraire. Et d'autant plus pour quelqu'un ayant son gabarit. Et il était plutôt doué lorsqu'il s'agissait de faire semblant. Bon après, et en toute logique, le Russe ricana de lui mais il pouvait faire avec ça parce qu'à choisir, il préférait de loin les ricanements aux coups. C'était nettement moins douloureux. Quant à aller boire en Russie ? Non merci, il passait son tour ! "Qu'est-ce que j'irais faire en Russie !?" D'un autre côté, il était venu en Norvège pour passer 8 heures par jour sur un bateau alors qu'il avait le mal de mer... Ouais, on pouvait quand même dire qu'il n'était pas doué ! Mais là, c'était tout autre chose qu'il voulait imprimer dans la tête du Russe. "Et je suis pas homo." Et ça, il y tenait. Et assez pour le marteler encore et encore, parce qu'il était hors de question de laisser qui que ce soit avoir le moindre doute à ce sujet. Et il se moquait bien de savoir si le Russe était cool avec ça ou pas.

En tout cas, le Russe pouvait être presque sympa quand il comprenait les choses, et qu'il ne frappait donc pas. Au point qu'il se vit même offrir un lait-fraise ! Sauf que... Non merci, il passait son tour ? Une nouvelle fois ? Et il le fit savoir avec la grimace écœurée que tout parent digne de ce nom fait devant du lait infantile. "Beurk. Ca doit être dégueu... Je faisais ça à Illyana quand elle était petite pour renforcer ses os. C'était une toute petite crevette... Et je lui laissais pas le choix de l'avaler elle par contre, c'était préventif." C'est que lui ne faisait déjà pas le poids face à son père alors elle !... Et ce n'était pas comme s'il pouvait faire grand-chose d'autre. Il faisait surtout comme il pouvait et avec les moyens du bord... Il en revint donc à sa bière qui n'était pas si mal finalement. "Je vais donc rester à la bière. Mais j'en boirais pas deux." Ca lui semblait être un bon compromis alors qu'il en levait son verre pour trinquer silencieusement avec lui avant d'en boire une gorgée et de le reposer rapidement sur la table.

Pour finir ensuite par rire à sa façon de dire les choses ! Et c'était dit tellement naturellement en plus. "Oh, merci bien mon bon seigneur ! Tant de générosité émeut mon pauvre petit cœur... Mais ouais, ça pourrait se faire." Et ça pourrait même être sympa. Bon, il fallait juste oublier qu'il n'y avait pas une heure, ce type le cognait pour le questionner mais il s'estimait chanceux, il en était ressorti vivant ! Ce qui était loin d'être gagné au départ... Ce fut donc avec un petit sourire en coin qu'il assura. "Et je te remercie pour ma tête, elle va apprécier... D'autant que j'ai jamais agi comme un con alors je vois pas pourquoi je commencerais maintenant." Après, tout n'était qu'une question de point de vue, n'est-ce pas ? Et puis, il avait su faire avec le Viking, il saurait faire avec le Russe...

Ah oui, la Norvège... Effectivement vu sous cet angle, il pourrait tout aussi bien se retrouver un jour en Russie, ou n'importe où ailleurs. Même si là, il était venu de son plein gré pour un boulot, et sans surtout penser un instant que le Viking voudrait pouvoir poursuivre leur relation hors des murs de la prison. Et ça, ça avait été juste rédhibitoire... N'étant pas homo. Oui, il insistait. Encore. En tout cas, il ne pouvait donc qu'accorder ce point au Russe, il était bel et bien venu en Norvège. "Ouais, pas con... Eh bien, on va faire gaffe aux malentendus parce qu'avec ma chance, je risquerais bien de me retrouver en Sibérie." Pas l'endroit le plus hospitalier de la Russie donc, il fallait bien avouer. Parce que tout bon "gamin" qu'il soit, il n'était pas encore prêt à faire n'importe quoi pour un type dont il ne connaissait strictement rien. Pas même son nom !

Et s'il le rassura sur le fait qu'il ne lui demanderait pas les mêmes services que le Viking, il se retrouvait cependant avec un soudain "coup de main" sorti de nul part et qu'il n'avait aucunement demandé ! Euh... Non ? Ca n'allait pas fonctionner comme ça ? "Transforme pas ça en service s'il te plait. Je ne t'ai rien demandé, je te dois rien. Je sais encore tenir mes comptes quant à mes dettes." Parce qu'il savait quand il avait des dettes et ce qu'il devait rembourser et à qui. Et le seul à qui il devait quelque chose ici, c'était à Aaron... Qui lui avait quand même bien sauvé la mise ! Merci à Paco pour ça d'ailleurs... Et oui c'était suintant d'ironie. Mais il évacua rapidement l'image de Paco puisqu'il lui fallait prouver au Russe que tout "bon gamin adaptable" qu'il soit, il n'en restait pas moins conscient des réalités. "Le jour où je te demanderais un service, je te serais redevable. En attendant, on peut sortir pour aller draguer les filles et on verra qui de nous deux a le plus de succès !" Malgré l'assurance qu'il affichait, le défi était couru d'avance vu sa carrure maigrichonne à côté de celle du Russe mais il ne comptait pas perdre sans se battre !

Et alors qu'il allait effectivement partir, il se retrouva soudainement avec un numéro dans les mains écrit à la va-vite sur une serviette en papier. Ah oui, les coordonnées... Déchirant la serviette en deux, il piqua le stylo des mains du Russe pour écrire à son tour le sien, avant de rendre le stylo et le morceau de serviette à leur propriétaire. "Voilà pour moi. Quand tu auras fait tes injections de Botox pour combler tes rides en prévision du grand jour, tu n'auras qu'à me contacter." Pour aussitôt modérer ses propos, dès fois qu'ils seraient mal pris. C'est que le Russe frappait fort lorsqu'il s'y mettait ! "Les gamins, c'est censé être impertinents, non ?... Allez, salut ! A plus." Dieu, il plaisantait avec ce type ! Il devait définitivement avoir des tendances suicidaires, ce n'était pas possible autrement.