En souvenir du bon vieux temps [Paco]

Le Blood Night, encore. A croire qu'il y passait sa vie ! Mais c'était le seul endroit où il pouvait contacter Paco parce qu'il doutait que celui-ci se baladerait à nouveau sur les quais. Une longue semaine s'était écoulée et il ne l'avait pas revu. Pas une seule fois. C'est que Monsieur ne supportait pas l'odeur du poisson... Il avait donc pris une très longue douche -forcément froide sur la fin- tout en utilisant au moins la moitié de son flacon de gel douche... Aux odeurs d'embruns marins, pas de chance. Mais il n'allait pas racheter un gel douche exprès pour lui ! Déjà qu'il avait fait attention à ne pas mettre de vêtements qu'il avait utilisé sur le bateau dès fois que même lavés ceux-ci garderaient une infime trace d'odeur de poisson. Il avait donc opté pour une chemise ouverte sur un col roulé tout fin, histoire de cacher les marques violacées sur son cou...

Mais plus important que son égo qui en avait pris un sérieux coup ce jour-là, il avait surtout réussi à préserver sa liberté de mouvement. Parce qu'il ne se serait vraiment pas vu rattaché d'office à la famille nombreuse d'Elrick, à l'instar de ses chiens ou de sa perruche ! Bien qu'il avait découvert ce jour-là que Paco avait lui aussi un chien. Et à tous les coups, c'était un désir de la petite merveille que d'avoir une boule de poils à caresser... Parce que ça lui faisait aussi bizarre que si on lui avait soudainement appris que Paco était père de quatre gamins ! C'est que ça ne collait pas vraiment avec le propriétaire du night club qui semblait encore bien plein ce soir-là. Au moins, les affaires semblaient plutôt bien fonctionner pour lui. En espérant que cela ne l'empêche pas de lui rendre ce menu service qu'il était venu lui demander... Dieu, il allait demander un service à Paco. Et si l'idée le crispait, il n'avait malheureusement pas le choix. Il ne pouvait tout de même pas demander ça à la petite merveille !

S'approchant du bar, il fut satisfait de retrouver le même barman de la dernière fois. Avec un peu de chance, il se rappellerait de lui. Ce qui semblait être le cas puisque celui-ci vint rapidement vers lui pour lui demander ce qu'il voulait. "Voir ton patron. En privé. J'ai un service à lui demander. Dis-lui simplement ça." Lui qui venait demander un service, ça ne pouvait que le faire réagir... Il fit d'ailleurs un sourire sympathique à l'employé qui lui lançait un regard soupçonneux avant de se décider à obtempérer. Les dés étaient lancés et il n'avait plus d'autres choix maintenant que de se montrer convaincant. Restant accoudé au bar, il observa la scène sur laquelle se mouvaient les corps dansant en rythme avec la musique alors qu'il avait ce soir bien autre chose en tête que l'amusement.

Le barman ne fut pas long à revenir pour lui demander de le suivre. Au moins, Paco acceptait de le recevoir et c'était déjà une petite victoire parce qu'on ne pouvait pas dire qu'ils s'étaient quittés en bons termes. Bien que ça n'avait pas été non plus une dispute. Ca avait plutôt été un truc vaseux entre les deux. Et à y réfléchir, il n'aurait pas su qualifier leur relation depuis qu'ils s'étaient retrouvés ici. Pas d'animosité mais clairement pas de l'amitié non plus. Un truc pas clair en tout cas, bourbeux et qui accrochait aux chaussures... La preuve, il était encore là aujourd'hui à venir chercher ce qu'il ne pouvait pas trouver ailleurs. Et sans même être sûr que Paco accepterait.

Il remercia le serveur avec un sourire et un signe de tête, sourire qui lui fut par ailleurs rendu, avant d'entrer dans le bureau. Pour aussitôt faire face à Paco. Il ne savait pas s'il attendait tous ses visiteurs ainsi, debout face à la porte mais l'effet était... Surprenant. Intimidant. Et très certainement voulu. Et il en fut presque soulagé de le voir s'installer à son bureau, signe qu'il n'était apparemment pas une menace même s'il n'était clairement pas attendu. "Désolé de te déranger mais je suis venu te demander un service." Autant dire les choses telles qu'elles étaient, quitte à le voir apprécier un peu trop le moment. Une chose qu'il aurait certainement lui-même fait d'ailleurs. Il rajouta donc, tentant de faire pencher la balance de son côté. "...En souvenir du bon vieux temps ?" C'était surtout qu'il jugeait préférable d'amener les choses par ce biais plutôt que de lui dire qu'il aurait pu aller chouiner devant la petite merveille jusqu'à ce que celui-ci le prenne en pitié.

Soupirant, il sortit son portefeuille de sa poche d'où il tira une petite clé et alla jusqu'au bureau où il la fit glisser vers Paco. "C'est un double que j'ai fait faire à partir d'une empreinte. Elle ouvre un casier à bagages de la gare du Nord à Paris... Dedans, il y a un sac de sport qui contient des armes et au fond, il y a ça..." Rouvrant son portefeuille, il sortit d'une pochette fermée une unique boucle d'oreille pendante faite en saphirs et en brillants qu'il préférait ne pas imaginer être des diamants même si les pierres semblaient très belles et surtout très authentiques. "J'ai pris ça comme preuve mais il y a des colliers, des bagues et d'autres trucs tout en pierres comme ça. J'ai cherché sur internet et il y a vingt ans, un vol à main armé a eu lieu dans une joaillerie place Vendôme. Les malfaiteurs ont été tués lors du braquage sauf le Viking qui a été attrapé plus tard mais on n'a jamais retrouvé le butin... Il a toujours dit qu'il n'était à Bergen que pour un an tout au plus, le temps pour lui de se faire oublier. Et je pense que c'en est la raison..." Tout comme lui avait toujours dit qu'il avait les moyens de s'en débarrasser.

Le tout était de le faire sans se retrouver mêler à tout cela. Et c'était là qu'il avait besoin de Paco. "Je voudrais que t'aille voir les flics pour leur donner ça. Si j'y vais, ils vont m'accuser de complicité de recel ou je ne sais quoi. Mais toi, tu peux dire que tu as retrouvé tout ça par terre après que tu te sois battu avec lui... Et que tu as ensuite fait des recherches sur lui. On te croira, t'as pas de casier toi." Déposant le bijou à côté de la clé, il resta là à attendre le verdict de Paco.

Faites confiance à Paco pour ne pas vous faciliter la vie. Ce n'était pas nouveau mais là c'était galère. Mais il n'avait pas le choix, devant l'impossibilité de négocier les choses avec le Viking, il lui fallait lui planter un couteau dans le dos. De quoi donc mettre un terme définitif à leur "association". Mais pour ça, il avait besoin d'un intermédiaire auprès des flics. Hors de question de risquer à nouveau la taule, et encore moins pour le Viking ! Quoique sous ses airs de prospère chef d'entreprise, Paco semblait bien cacher son jeu parce qu'il doutait que le poing américain lui était destiné. C'est qu'il avait encore les traces sur sa gorge pour lui rappeler qui aurait le dessus sur l'autre en cas de nouvelle confrontation. Il dérangeait donc. "Tu attends quelqu'un, je vais pas traîner alors. Il me faut juste un oui ou un non." Alors qu'au vu de sa grimace ennuyée, les choses se dirigeaient clairement vers le non.

Ce qui ne l'empêcha pas de répondre à sa demande parce qu'il n'avait aucune envie d'aller frapper à la porte de la petite merveille, ou pire d'Aaron. "Il y a eu des morts. En fait, ils ont fait un carton sans distinction entre les employés et les clients, avant de se servir tranquillement au milieu des corps." Il en haussa les épaules parce qu'en toute franchise, il s'en foutait des circonstances qui avaient amené le Viking en taule. La seule chose à savoir était qu'il faisait partie des longues peines, même si dans son cas on n'avait pas besoin de cela pour déterminer son niveau de dangerosité.

Mais il en revint rapidement à ce qui l'intéressait. "Ne compte pas sur moi pour te supplier Paco. Si tu ne veux pas le faire, je trouverais quelqu'un d'autre, c'est pas un souci." Regardant ostensiblement le décorum du bureau à la lueur de la seule lumière allumée, il ne retint pas une moue blasée. "Je ne voudrais pas te créer des ennuis ou mettre à mal ta position... Parce qu'apparemment, tu as plutôt bien réussi dans la vie. Un vrai petit bourgeois !" C'était sûr que lui ne sentait pas le poisson lorsque ses employés avaient terminé de travailler pour lui !

Menteur ! Décidément, c'était une habitude... Parce que le poing américain déposé dans le tiroir, il ne l'avait pas rêvé. Et alors que son regard voyageait jusqu'à celui-ci, il fit remarquer mine de rien. "Drôle de façon de recevoir ceux qui frappent à la porte de ton bureau..." Il en haussa les épaules avec une désinvolture qu'il était cependant loin de ressentir. Parce que s'il était parvenu jusqu'ici à ne se focaliser que sur le motif de sa visite, Paco venait par son geste de mettre l'accent pile sur ce qu'il se refusait de voir... Ce torse dénudé sur lequel son regard s'attardait maintenant un peu trop. Et sans même utilise cette fois-ci l'excuse des tatouages... Sans doute parce que son regard s'était un peu trop attardé cette semaine sur le reflet dans le miroir des marques que Paco avait laissées sur son cou...

Se secouant, il tira une des chaises placées devant le bureau pour s'y asseoir puisque les choses s'annonçaient plus longues qu'un simple oui ou non. "C'est pas pour la taule, il est en capacité de s'y faire respecter de toute façon, même par les matons. Pourquoi crois-tu qu'on m'a collé dans sa cellule ? Il m'a juste vu arriver." Et malgré les dix ans de recul, il ne voyait toujours pas ce qu'il aurait pu faire contre ça. Surtout à peine débarqué dans un univers totalement inconnu. "Mais il sera entendu pour le recel sauf qu'il ne se présentera jamais de lui-même et la Norvège autorise l'extradition des suspects. Je veux qu'il se sente traqué et qu'il découvre qu'il aura fait vingt ans de taule pour rien parce que les flics auront mis la main sur son butin..." Ce qui lui assurerait à lui une certaine tranquillité puisque Bergen serait en toute logique le premier endroit où la police le chercherait... Et ça lui semblait pas si mal comme plan. Mais Paco semblait avoir beaucoup à dire là-dessus, à commencer par redéfinir ce qui était une supplication ! Ce qui le fit évidemment, aussitôt réagir. Avec lui aussi un sourire plaqué aux lèvres et un regard empli de défi. "Tu sais que j'aurais pu aller voir n'importe qui d'autre ? J'ai juste pensé à toi en premier, c'est tout... Et juste pour que tu saches, non je ne suis pas jaloux de ta vie. J'aurais juste voulu que les choses ne changent pas." Mais il aurait fallu pour cela que la petite merveille n'existe pas. Et puis avec des "Si" on refaisait le monde.

Quant au regard qui lui fut renvoyé, il ne s'y était pas attendu. C'était ce même regard qu'il n'aurait jamais pensé revoir. En tout cas plus depuis que la petite merveille s'était immiscé entre eux, prenant sa place et foutant en l'air ce qui avait jusqu'alors fait partie intégrante de sa vie. Il resta là à se noyer dedans, happé par l'intensité de celui-ci... Jusqu'à ce que Paco finisse par détourner son regard et que reprenant pied, il recadre les choses... "Sauf que ça faisait déjà bien longtemps que tu étais surtout là pour ta petite merveille..." Jalousie, ressentiment, amertume, il y avait bien trop de sentiments qui bataillaient pour la première place dans cette simple phrase. "T'es déjà pas capable de supporter la simple odeur du poisson alors celle de la prison, ça t'aurait retourné l'estomac. Je... Je voulais pas te mélanger à ça. Pas toi. C'était trop moche et trop sale. Tout est sale là-bas. On devient sale qu'on le veuille ou non, et à côté l'odeur de poisson c'est franchement pas grand-chose." Il avait parlé, à mi-voix, sans oser le regarder. Il pouvait clamer haut et fort, le regard toujours droit et fier, qu'il n'était qu'une pute parce que c'était ce qu'il avait été mais ça, c'était bien plus compliqué. Avouer à Paco qu'il était suffisamment important pour qu'il veuille le protéger, ça ne se faisait pas si facilement. Surtout quand on savait que celui-ci était toujours collé à la petite merveille dix ans plus tard. Et ça, il n'arrivait toujours pas à le digérer.

Au moins Paco avait eu la bonne idée de ne pas rester là-dessus, même s'il n'avait rien qui pourrait le satisfaire. "Il y a bien ce russe qui est aussi une montagne de muscles mais il connait assez le Viking pour s'être demandé ce qu'une "brindille" comme moi faisait avec lui. Donc... Non, pas de plan B." Et ce n'était pas faute d'avoir pourtant cherché !

Comme quoi avec un peu d'insistance, on parvenait à la vérité. Parce que tout sonnait tout de suite beaucoup plus vrai. Sauf la dernière phrase qu'il rectifia sur un ton acide. "Utilise les bons mots s'il te plait. Mon ex-codétenu." Mais pour le reste, il ne pouvait que lui donner raison, on n'était jamais assez préparé face au Viking.

Et puis comment ne pas sourire à l'expression si satisfaite que Paco affichait ? Parce que bien sûr qu'il lui faisait confiance, malgré sa trahison privilégiant la petite merveille sur leur amitié si unique, du moins à ses yeux. Et malgré le fait qu'ils en étaient toujours au même point dix ans après. La petite merveille encore et toujours là entre eux comme un chewing-gum collant sur une semelle de chaussure...Et s'il y avait bien un abruti là-dedans, c'était bel et bien lui. Ne serait-ce que pour faire malgré tout confiance à Paco, si menteur... Et alors qu'il était prêt à tout lui pardonner pour en effet, retrouver un peu du bonheur si simple et si facile de leur amitié, avant l'arrivée de la petite merveille dans leur vie. Mais il pouvait là aussi que donner raison à Paco. C'était sans doute mieux comme ça, ne serait-ce que parce que ce "nouveau" Paco était... Différent ? Moins manipulable ? Bien plus sur un pied d'égalité avec lui que dans leur jeunesse ? Plus impressionnant ? Troublant ? Ne serait-ce que par le fait qu'il ne parvenait pas à mettre le mot adapté sur un tel changement...

Quoique niveau changement, il y en avait eu aussi pas mal de son côté, et pas des plus beaux. Et il s'était contenté de tout jeter à la figure de Paco, le laissant avaler ça. Chose que celui-ci avait apparemment pas trop mal réussi à faire... "Ouais, peut-être... Que c'est mieux comme ça." Si bien sûr, on ne tenait pas compte de la petite merveille toujours à s'accrocher à Paco. Un vrai morpion celui-là ! Quant à l'idée d'en être amoureux, il ne put faire autrement que d'en faire une grimace écœurée alors qu'il se demandait où Paco avait bien pu aller chercher ça ! "Non, je veux juste l'annihiler. Qu'il ne reste plus aucune trace de lui nulle part." Et encore moins dans leur vie. Surtout plus dans leur vie ! "Mais j'y travaille, t'inquiète pas !" Parce qu'il ne s'agissait pas seulement de le dire, mais aussi et surtout de le faire... Et le pari fait avec Paco, utilisé au mieux et on pouvait lui faire confiance pour cela, lui ouvrait d'excellentes perspectives...

Et pour Paco qui ne digérait toujours pas son refus de le voir dans l'enceinte de la prison, il en bascula sa tête en arrière fixant le plafond. "On peut dire que tu sais pousser dans les retranchements... Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? Que j'étais pris dans une souricière sans aucune possibilité de m'évader et que je t'aurais haï de te voir entrer et sortir à ta guise, alors que je devais rester coincé là ? Surtout dans de telles conditions ? Bon sang, je voulais pas lire le jugement dans ton regard... Je voulais que tu gardes une belle image de moi, du moins aussi belle que tu l'avais encore après tout ça. Et je devais m'en sortir par moi-même." Parce qu'il assumait totalement son acte et qu'il aurait pu prendre vingt ou trente ans que ça aurait été pareil. Enfin, si possible dans une autre cellule... Redressant la tête, il plongea son regard dans le sien pour conclure. "Il y avait tout ça et encore certainement une centaine d'autres "bonnes" raisons pour ne pas t'entraîner avec moi dans ce cloaque. Tu méritais mieux." Et là, il désigna d'un vague geste de la main ce bureau qui représentait à lui seul toute la réussite de Paco. "Et puis, tu avais ta petite merveille à l'extérieur, avec toi. Le genre de gars qui ne se retrouvera jamais en prison à faire la pute..." C'était con de se comparer à celui-ci parce qu'il ne regrettait pas son acte. Au contraire même.

Soulagé d'en revenir au Viking, il reprit les propose de Paco parce qu'il se devait d'être parfaitement clair dans cette histoire. "Non, pas juste lui faire quitter la ville. Je veux qu'il ressente cette sensation d'être traqué et de n'avoir aucun lieu où fuir. Qu'il sache ce que c'est que de voir toutes ses tentatives pour s'en sortir tomber à l'eau, je veux le voir tout perdre. En plus de devoir se cacher des flics, l'argent que lui aurait procuré ces bijoux et la vie de rêve qu'il s'était imaginé. Qu'il ne lui reste aucune perspective après avoir passé 20 ans à croire qu'il avait tout gagné." Le détruire psychologiquement, à défaut de pouvoir le faire physiquement. Après tout, il fallait pouvoir se contenter de ce qu'on pouvait avoir. Et pour le coup, il se moquait bien en cet instant de ce que Paco pouvait penser de lui. Qui par ailleurs, acceptait. "Je te remercie. Vraiment."

Dix ans s'étaient effectivement écoulés et la petite merveille était toujours collée à Paco comme si sa vie en dépendait. Et c'était exactement ce qu'il lui reprochait ! Alors oui, il était plus déterminé que jamais à casser ce lien entre eux. Et s'en prendre à la petite merveille était le plus facile, du moins pour le moment. Parce qu'il n'hésiterait pas à attaquer du côté de Paco à la plus petite brèche. Et il suffisait généralement d'attendre pour que les choses arrivent. De son expérience d'harceleur, elles arrivaient toujours à plus ou moins brève échéance... "N'oublie pas que c'est toi qui a mis en place le pari. Je n'ai fait qu'y répondre..." Parce qu'il ne comptait certainement pas laisser Paco se dédouaner de cela.

Et étonnamment, Paco semblait aussi obnubilé par ses refus de visite en prison qu'il l'était avec la petite merveille. Quant à savoir pourquoi, il avait un peu de mal à comprendre mais Paco trouva apparemment sa vérité tant tout le fatras de ses propos. Alors que lui-même n'aurait pas su dire quel argument l'emportait sur les autres tant tout était toujours confus dès qu'il s'agissait de son amitié avec Paco. Et sans doute plus encore maintenant qu'ils s'étaient retrouvés. Pouvait-on même seulement encore parler d'amitié ? Peut-être étaient-il avec cette décennie devenus davantage des connaissances qu'autre chose... Bien qu'il n'était même pas sûr que "connaissances" soit le bon terme.

Mais il était sûr d'une chose par contre, c'est qu'il n'appréciait pas du tout l'idée d'Illyana dans les murs de la prison. Et que ce soit en simple visite n'y changeait strictement rien. Le regard soudainement plus dur, il s'en prit verbalement à Paco. Parce qu'il n'était pas question qu'on touche à Illyana, et encore moins avec des idées pareilles. "Tu ne comprends pas quoi quand je parle de cloaque, de souricière, de saleté qui te colle au corps à te retourner l'estomac...? Et tu crois vraiment que j'avais envie de voir Illyana là-dedans !? De la coller sous les yeux lubriques de tous ces types affamés de sexe et de femmes ! Pour rappel, j'étais pas dans le quartier bondés des petites peines de deux ou trois mois. Il y avait des types qui n'avaient pas touché une femme depuis des années. Il y avait même un pédophile !" Il supposait que ça répondait à sa question.

Mais sa venue ici ne concernait pas Illyana, la prison ou même lui-même. Mais le Viking. Et surtout la façon de s'en débarrasser en le faisant souffrir de la pire des façons possibles. Et quoi de mieux que de mettre ses plans de retraite dorée au soleil par terre... Et il en remercia Paco pour cela parce que rien ne l'obligeait à le faire. Il aurait pu tout aussi bien refuser. Mais si celui-ci y trouvait son compte alors c'était encore mieux ! "Je me moque de savoir pourquoi tu le fais. La seule chose qui compte, c'est que tu le fasses. Je veux foutre la vie du Viking en l'air." Que Paco le fasse par vengeance pour les coups qu'il s'était reçu ou juste par loyauté envers lui, ça ne changeait rien au fait qu'il avait accepté sa demande. Et c'était bien tout ce qui lui importait.

Quelle drôle de question. Il fixait Paco clairement perplexe alors qu'il haussait les épaules dans un geste plein de désinvolture. "Bien sûr que je dors bien. Pourquoi j'aurais des soucis de sommeil ?" Parce que s'il devait en perdre le sommeil à chaque fois qu'il lançait une pique à quelqu'un, ça ferait au bas mot presque vingt ans qu'il n'aurait pas eu une nuit de sommeil ! Après tout, les piques étaient faites pour empêcher les autres de dormir, pas lui !

Mais si rien -ou du moins pas grand-chose- l'empêchait de dormir, il y avait tout de même de situations plus plus fatigantes que d'autres. A commencer par ce sujet-là. La petite merveille. Encore. Il en soupira mais se décida tout de même à répondre. Et comme toujours, très honnêtement. "Il existe. C'est déjà de trop." Au moins, ça avait le mérite d'être clair. Et bon sang, la suite faisait tellement... gamin. Pourquoi avait-il fallu qu'ils se retrouvent dans le même pays et dans la même ville ?! Il avait été maudit avant sa naissance, il ne voyait que cela... "Et puis, c'est de ta faute. Tu m'as lâché pour lui... Et puis, il est toujours là dix ans après. Vous êtes siamois ou quoi ?!" Voilà, c'était dit. Et ça puait la jalousie, même à ses propres oreilles. Mais il y avait des blessures narcissiques dont on se remettait difficilement. Surtout lorsque votre propre mère n'avait pas jugé bon de partir avec vous, vous abandonnant à un sort dont elle avait parfaitement conscience. Pour voir le même scénario se rejouer -en partie- avec son meilleur ami... C'était franchement nul comme raison mais il ne pouvait rien faire contre ça. Il avait beau tenter de se raisonner, dès qu'il le voyait -non pire, dès qu'il y pensait !- ça le submergeait. "Franchement, si tu crois que ça m'amuse... Mais j'y peux rien, il m'agace. Avant c'était parce qu'il se permettait de porter sa différence comme si c'était quelque chose de tout à fait normal, et maintenant c'est juste parce que... Il est là !" C'était tellement ridicule... Alors qu'il avait pourtant bien autre chose à penser. Surtout avec le Viking !

Mais au moins, il n'était pas le seul à être en difficulté avec leur passé. Est-ce que ça le soulageait ? Pas vraiment. Pas lorsqu'on impliquait Illyana. Illyana au parloir de la prison ? Mais comment Paco pouvait avoir une telle idée ! "A choisir, j'aurai préféré te livrer toi à ces types plutôt qu'Illyana." C'était aussi simple que ça. Et il ne s'étala d'ailleurs pas davantage là-dessus. Mais visiblement, Paco non plus. Jusqu'à ce qu'il pose finalement la question. "...Tu boudes ?" Trop drôle ! Il n'en retint d'ailleurs pas un sourire mi-amusé, mi-moqueur alors qu'il ne décrochait pas son regard de son expression fermée, et de cette étonnante redécouverte. Ainsi, Paco en était toujours à jouer le grand seigneur lorsque quelque chose ne lui convenait pas, préférant laisser croire que ce qui venait de la plèbe ne l'atteignait pas. Déjà à l'époque, ça l'amusait follement lorsque Monsieur prenait ses grands airs... Bien qu'à y réfléchir, c'était pas si drôle que cela. Visiblement, Paco avait du mal avec l'idée qu'il puisse en vouloir à la petite merveille... Encore. Décidément, l'histoire avait une fâcheuse tendance à se répéter. Mais loin de faire amende honorable, il se contenta de confirmer, réellement amusé mais avec un ton presque tendre dans la voix. "Il boude !" Alors que prenant appui sur le bureau, il appuyant sa joue contre son poing, tout en restant là à le fixer le sourire quelque peu moqueur, tout en laissant le temps s'étirer...

Là, ce fut lui qui secoua la tête lorsqu'il vit la cicatrice saigner à nouveau tout en grimaçant en solidarité. Oui, ça faisait mal à la lèvre et c'était chiant surtout ! Le moindre étirement ravivait la déchirure et ça n'en finissait pas de cicatriser. Le regard rivé sur la lèvre de Paco, il lui fit part de ses propres astuces. "Lorsque la cicatrice sera sèche, passe un corps gras dessus. Un baume à lèvres ou n'importe quoi d'autre. Ca va la ramollir assez pour ne qu'elle cède pas à nouveau... N'empêche, il t'a quand même pas loupé. Mais je reste impressionné, moi j'étais KO bien avant ça." Et il n'avait aucune honte à le dire vu la masse de muscles que c'était. Il en connaissait peu qui pouvait vraiment faire face. Le Russe, peut-être ? Oui certainement, c'était une autre masse de muscles façon grizzli sorti de sa montagne. D'ailleurs, l'animal totem des russes n'était pas l'ours ? Mouais, quand on savait que celui des français était le coq... Il préféra rapidement passer à autre chose ! Et détourner rapidement son regard de la bouche de Paco sur laquelle il était toujours rivé. Bref !

Bien que cette même bouche abordait un sujet des plus délicats. La petite merveille et tout l'agacement qu'il lui causait. Avec toujours les mêmes arguments qui en revenaient à Pauvre petite chose, tu vois tout le mal que tu lui as fait, il est si mignon, si adorable, bla-bla-bla... Parce qu'il y avait toujours un moment où il n'écoutait plus. Il était d'ailleurs étonné de ne pas trouver un autel à la gloire de la petite merveille dans ce bureau ! Sans doute que c'était chez lui ? Certainement d'ailleurs ! Quant à leur amitié, il savait exactement quand il l'avait perdue. Le jour même où la petite merveille était arrivée dans leur lycée... Parce qu'aussi insignifiant et solitaire qu'il était, la petite merveille avait une chose qu'il n'avait pas à l'époque. Il se fichait de ce qu'on pouvait penser de lui et il avançait droit dans ses baskets, jusqu'à même accepter toutes leurs brimades sans broncher. Et Dieu sait s'ils lui en avaient fait ! Et personnellement, il n'appelait pas ça une "petite chose ayant besoin d'être soutenue" et plainte surtout ! "Oui, tu l'étais. Tu étais même mon meilleur ami, celui qui graffait avec moi, qui partageait mes moments de liberté, celui pour lequel je me prenais la tête avec les autres pour que tu sois intégré au groupe... On délirait bien ensemble, c'était cool..." Tant de souvenirs qui affluaient dans sa mémoire... "Et puis il est arrivé, et tu es devenu son ami à lui. Je passais après. Je suis toujours passé après, de ce jour-là." Et Dieu sait s'il en avait fait des tests pour s'en assurer ! Et dix ans après, il en était exactement au même point. Il en eu un sourire sans joie tant tout cela était pitoyable.

Il était donc facile de répondre à ce qui était plus une affirmation qu'une question d'ailleurs. "A cette époque-là, j'aurais tout donné pour reprendre ma place, oui. Et aujourd'hui, alors qu'il est toujours là dix ans après..." C'était toujours bon de le rappeler ! Parce qu'il ne le digérait décidément pas. "Je sais qu'on ne rattrape pas dix années d'absence, ou de présence selon d'où on se place... Tu as bien plus de souvenirs avec lui que tu n'en auras jamais avec moi." C'était malheureusement comme ça. Mais il pouvait au moins recadrer certaines choses. Parce qu'on pouvait lui reprocher beaucoup de défauts mais pas son manque d'honnêteté. "N'importe quoi, ça n'a rien à voir. C'est juste une question de priorités. Illyana, c'est... Ce que j'ai de plus précieux au monde." Et il se fichait que ça sonne "gamin". Ca l'avait été dès qu'il avait posé les yeux sur elle au retour de la maternité. Sa petite sœur... Il s'était promis ce jour-là de la protéger et il avait tenu sa promesse. Du moins, du mieux qu'il avait pu parce qu'après, il n'avait plus été là pour elle... Ni pour personne d'autre d'ailleurs. Bien trop occupé à s'assurer une vie à peu près correcte dans ce qui était ni plus ni moins qu'un enfer carcéral.

Il ne s'était en tout cas pas attendu à revenir sur tout cela en venant ici. Il était censé ne parler que du Viking et de son plan pour bien lui pourrir la vie et il en était arrivé à ça. Evoquer un passé révolu qu'il ne retrouverait jamais, quoi qu'il fasse. Quant à Paco soudainement silencieux -et boudeur ?- il préférait ne pas chercher ce qui aurait pu lui déplaire dans tout ce qu'il avait dit. Sans doute parce qu'il y avait beaucoup trop de choses ! En tout cas, il avait réussi à capter son attention et ça le fit sourire, alors que Paco en miroir prenait à son tour appui sur le bureau. "Du coup, tu boudes plus alors ?... Parce que tu peux bouder tant que tu veux, ça ne me gêne pas." C'est qu'il n'était pas contrariant ! Et d'ailleurs, tout cela l'amusait assez ayant l'impression de retrouver -de façon fugace mais qui rendait l'instant si particulier- une certaine complicité.

Question : Qu'est-ce qu'il faisait encore ici, confortablement installé qui plus est, alors qu'il aurait dû quitter les lieux dès que Paco aurait accepté sa demande ? Réponse : Il n'en savait fichtrement rien ! Mais une chose était sûre, il était là et ne donnait pas l'impression de vouloir partir un jour, même à lui-même. Et c'était peut-être ça le plus inquiétant... Ou peut-être plus encore le fait qu'il ne s'en inquiétait pas vraiment alors qu'il aurait dû le faire ! Mais pour le moment, il écoutait Paco évoquer sa vie alors que lui était en prison. Comme pour le jeu d'un Monopoly où le joueur en prison ne jouait plus alors que les autres continuaient à avancer... Sans lui. "Ca t'a réussi en tout cas même si je suppose que t'avais une bonne raison pour te battre comme ça." La question était ouverte, à Paco d'y répondre ou pas. Il souriait en tout cas, ce qui lui permettait de ne pas avoir à confirmer quoi que ce soit -du moins à voix haute et intelligible- sur ses capacités en question de courage.

Sourire qui se mua bien vite en une moue désapprobatrice lorsqu'il l'entendit se révolter contre ses affirmations. Mais forcément, dès que ça concernait la petite merveille, il fallait que Paco aille à l'encontre de ses dires. Même si là aussi, il garda un silence prudent étant le premier à savoir qu'il avait effectivement quelques petites tendances obsessionnelles lorsque quelque chose le taraudait. Et il n'allait décemment pas dire le contraire... Et il avait peut-être été un peu obsessionnel lorsqu'il avait vu Paco lui échapper pour un homo, et qui le portait limite comme un étendard. Du moins, c'était un secret pour personne dans le lycée. Quoique, ils avaient aussi pas mal agit pour propager cette information. Décidément, il ne comprendrait jamais pourquoi celui-ci avait accepté tout cela sans broncher. A part bien sûr, pour jouer la pauvre victime auprès de Paco. Ce qui avait fonctionné au-delà certainement de toutes ses espérances...

Quant à la jalousie, il était là aussi difficile de la nier. Il avait été jaloux. Non plus que cela, il avait été malade de jalousie. Véritablement blessé... Ce n'était guère étonnant que ce qui avait été au départ des petites taquineries sans grande portée se soient rapidement transformées en vrai harcèlement. "Je ne sais pas pourquoi je m'accroche encore à tout ça... C'est idiot, ça fait partie du passé maintenant." Ne touchant pas à la boucle d'oreille sur le bureau, il récupéra par contre la clé qu'il fit tourner entre ses doigts d'un air songeur. Il avait d'autres amis maintenant. Plus une bande mais un équipage auquel il faisait partie. Et il était sûr qu'Aaron aurait été voir la police pour lui, qu'il aurait menti comme un arracheur de dents juste pour le sortir de tout ça. Bon, peut-être qu'il aurait aussi davantage insisté par la suite pour qu'il emménage pour un temps chez Elrick mais ça n'expliquait pas pourquoi il avait aussitôt pensé à Paco pour ce service... Comme l'évidence même. "Tu as tes amis, j'ai les miens et... C'est bizarre que nos vies se soient à nouveau percutées comme cela." Comme s'il y avait un truc qu'il leur fallait encore résoudre. Mais s'il s'agissait de la petite merveille, le destin ou quoi que cela puisse être, pouvait toujours aller se faire voir !

Laissant tomber la clé sur le bureau, il finit par soupirer devant toute l'étendue de sa propre bêtise. Avant de relever le regard et plonger dans celui de Paco qui ne le lâchait pas. Souriant, il demanda. "Tu m'offres pas à boire ?" Aaron lui offrait toujours un verre lorsqu'ils prenaient le temps de discuter comme ça. Parce que Paco ne semblait pas décidé à le foutre à la porte et lui, pas plus décidé à bouger.

Ouais, peut-être. Sans doute même. L'idée du plateau de Monopoly lui revint d'ailleurs en tête. Mais le problème, c'était de savoir comment rattraper tout ce retard. Avec Illyana... Avec Paco ? Dix longues et interminables années... Irrattrapable ! Et puis, il y eut ça ...je te propose une soirée dans un bar de striptease, tu refuses ? C'était juste aux antipodes de sa propre ligne de pensée et il se demanda bien d'où un truc pareil pouvait sortir. Mais il n'y réfléchit pas davantage alors qu'il acceptait vivement. "Bien sûr que je veux ! Une sortie, ça se refuse pas !" Et encore moins une sortie avec Paco. Restait à savoir si la petite merveille serait là mais il préféra ne pas poser la question. Il le saurait bien assez vite de toute façon et il ne voulait pas gâcher son plaisir.

Restait à voir les modalités de cette sortie, et sans autre moyen de se contacter que le Blood Night ou le port. Avec son odeur omniprésente de poisson... Avisant le pot à  crayons, il en tira un feutre rouge. "Attends, bouge pas. Vu que je peux pas avoir accès à ton téléphone parce que Monsieur a trop peur que je lui casse..." Ou qu'il fouille dedans. Et c'était plus sûrement ça d'ailleurs... Il écrivit donc son numéro sur la peau découverte de l'avant-bras de Paco. D'une jolie couleur caramel ornée de motifs qui donnaient envie d'en dessiner le contour du bout des doigts et d'en découvrir davantage... Il en referma le feutre d'un geste sec avant de le remettre à sa place tout aussi rapidement. Et passer à autre chose ! "Je n'allais tout de même pas t'obliger à revenir au port avec son affreuse odeur de poisson..." Et peut-être que c'était une bonne chose de ne plus mélanger son présent avec son passé. D'autant que maintenant l'équipage en entier le croyait homo ! Même si Aaron ne semblait pas s'être laissé prendre par leur petite improvisation. Un bon point pour lui.

Pour finalement rouler des yeux face au refus de Paco de lui servir un verre. Comme s'il parlait forcément d'alcool alors qu'il en buvait largement plus que sa dose avec Aaron et les autres de toute façon."Je me serais contenté d'un verre d'eau du robinet, tu sais. A moins que tu ne la fasses aussi payer ?" Il en souriait, amusé alors qu'il rajoutait. "Rassure-moi, tu ne la fais pas payer ?" Il plaisantait parce que parfois il fallait se raccrocher aux branches, voire même aux brindilles lorsqu'on ne comprenait pas ce qu'on foutait soi-même !

Les 18 ans de Paco. Il s'en rappelait comme si c'était hier, pour la simple et bonne raison que c'était la seule fois où il avait vraiment failli flancher et autoriser la visite. Le cas de conscience avait été terrible. Finalement, le Viking avait laissé des marques sur lui qui avaient fait pencher la balance. Et peu après les demandes de visite s'étaient peu à peu espacées jusqu'à ne plus en avoir. Et c'était... pour le mieux ? C'était ce qu'il avait voulu se convaincre en tout cas. Alors ouais, il n'avait pas été là pour les 18 ans de Paco. Une absence totale pas même compensée par une visite au parloir. Il n'y avait donc pas grand-chose à répondre à ça, si ce n'est en acquiesçant d'un petit mouvement de tête.

Quant à la suite, il était le premier à ne pas comprendre ce qu'il foutait. D'autant qu'il y avait un bloc de post-it qui était là sur le bureau mais qu'il avait totalement ignoré, préférant écrire directement sur les tatouages de Paco. Et heureusement que celui-ci n'avait pas fait le moindre commentaire parce qu'il n'aurait pas su quoi répondre. Mais il était sûr que c'était la faute à ses tatouages ! Ils attiraient le regard et... On en arrivait à faire des trucs comme ça ! Il n'avait en tout cas pas été long à tout remettre à sa place dès le dernier numéro inscrit, et à trouver à dire le premier truc qui lui passait par la tête. Du moment que ça ne concernait ni un feutre, ni un numéro, et encore moins un bras... Et à son plus grand soulagement, la diversion fonctionna. "N'est-ce pas ? C'est que je peux être très gentil quand je veux... Parfois." Qu'est-ce qu'il ne fallait pas dire !

Le coup du verre d'eau du robinet en était d'ailleurs un parfait exemple. Parce que demander ça au comptoir bourré de monde. Et pourquoi pas un lait-fraise pendant qu'il y était ?... Le ridicule ne tuait pas mais tout de même, il devait là aussi y avoir des limites, non ? Il n'en restait pas moins que le défi était tentant... Alors que son regard se reportait sur la clé. "Cool." Un simple mot, presque une onomatopée, qui à elle seule ne révélait en rien les rêves détruits du Viking. Plus de bijoux, plus d'argent, plus de vie dorée au soleil et un mandat de recherche collé à ses fesses... Et tant d'années passées à l'ombre, à attendre son heure, jusqu'ici en Norvège à faire croire qu'il s'était rangé le temps de se faire oublier et convaincre qu'il n'avait aucune connaissance de la planque des bijoux, tout ça réduit à néant. Vingt ans de prison pour rien. Pouvait-on imaginer pire vengeance ? Il ne pensait pas. Du moins, il n'avait pas trouvé et Dieu sait s'il avait cherché.

Et juste parce qu'il n'était pas du genre à reculer face à un défi, il se leva tout en assurant. "Je vais au bar demander un verre d'eau du robinet. Et tu peux déjà appeler tes gars de la sécurité parce que je ne le paierai pas... Et tu me vois désolé pour l'horrible futur trou dans ta trésorerie." Bon sang, avec ça le barman allait définitivement le repérer, si ce n'était déjà fait. Après tout, il supposait que c'était pas tout le monde qui demandait à voir le patron en privé, et encore moins à être reçu ! "N'hésite pas à me rejoindre si l'idée de tester l'eau de la ville te dit !" Et ce fut sur un vague geste de la main qu'il quitta le bureau pour aller s'installer au bar où il fut évidemment repéré par le barman. "Hey ! Tu peux me passer un verre d'eau du robinet, s'il te plait ?" Le tout avec un charmant sourire.

Un vague geste de la main avait répondu à la provocation de Paco. Qu'il le colle dans toutes les listes noires qu'il voulait, il ne sortait jamais seul et il lui était alors facile de passer par quelqu'un d'autre pour obtenir ce qu'il souhaitait. Et d'autant plus si c'était de l'alcool ! Sauf qu'aujourd'hui c'était après un simple verre d'eau du robinet qu'il courrait et alors qu'il faisait sa demande au barman, celui-ci lui colla d'office une petite bouteille d'eau -gratuitement !- dans les mains. Non sans marquer le fait qu'il en avait reçu une. "Ok, merci !" Et ce fut sur un dernier sourire qu'il retourna au bureau tout en buvant son eau.

Prenant tout de même la peine de frapper à la porte, il entra pour s'accouder à la porte et présenter tout sourire la bouteille d'eau. Sourire qu'il perdit aussitôt à ce qui lui fut demandé. Laisser la petite merveille tranquille, rien que ça ! Forcément, la petite merveille... En vérité, il l'avait attendu cette contrepartie. Mais bien avant. Et il se trouvait pour le coup déçu d'y avoir cru. Décidément, même après dix ans de taule, il était toujours aussi naïf. Et vraiment pitoyable. La réponse ne se fit cependant pas attendre. "Va te faire voir ! Je vais demander à Aaron. Et tu sais ce qu'il y a de bien avec lui ? C'est qu'il ne demande jamais aucune contrepartie." Ce n'était pas le fait d'arrêter d'embêter la petite merveille, ça il s'en fichait. Mais que ce soit Paco qui le lui demande, c'était par contre une toute autre histoire. "Vu les pierres incrustées dans la boucle d'oreille et le pedigree du Viking, ça sera forcément transmis aux autorités françaises et le résultat sera le même." Paco pensait quoi ? Qu'il n'avait pas pensé à un éventuel refus ? Bien sûr qu'il avait pensé à un plan B ! Et celui-ci avait été bien plus facile à trouver que celui de se débarrasser du Viking.

Se décollant de la porte, il alla jusqu'au bureau où il remis la main sur le bijou et la clé. "C'était sympa de te revoir et bonne continuation. Moi, j'ai un problème à aller résoudre..." Tant pis, il ferait avec les 4 gosses, les 2 chiens et la perruche d'Elrick s'il le fallait mais il n'allait certainement pas plier devant un tel chantage. Posant sa bouteille d'eau à la place précédemment occupée par la boucle d'oreille et la clé, il se limita à un "Et merci pour l'eau." A défaut de l'aide qu'il n'allait pas lui apporter. Et si ce ne fut pas dit, sa moue désabusée parla pour lui.

Et voilà, il n'avait fallu que la mention de la petite merveille pour qu'ils en reviennent aussitôt à ça. Le ton qui montait, Paco qui défendait bec et ongles la petite merveille et lui qui réalisait qu'il n'aurait jamais gain de cause face à celui-ci. Même dix ans après. Qu'avait-il pu croire ? Il s'était juste fourvoyé, encore une fois. Et là-dessus, il ne pouvait pas vraiment donner tort à Paco. Même si les paroles de ce dernier se retournaient par une drôle d'ironie contre lui. "C'est clair que tu en es un parfait exemple..." Aveuglé par la colère, il ne se focalisait plus que sur cela. Contre la petite merveille, toujours là à lui pourrir la vie par sa seule existence et contre Paco qui prendrait toujours faits et cause pour celui-ci. Quoi qu'il pouvait se passer et combien il se bagarrerait contre ça. Mais surtout contre lui-même, pour y accorder tant d'importance. Alors qu'il avait d'autres amis maintenant. Et une autre vie. Alors pourquoi ça comptait si peu face à un passé qui semblait si immuable... "Oui, en effet. J'ai bien compris que je passerais toujours après ta chère petite merveille... Même lorsqu'il s'agit de me débarrasser d'un sale type qui me colle un peu trop. En tout cas ne t'inquiète pas, le message est bien passé." Et le voir si calme, si tranquille, à vouloir lui faire entendre son point de vue alors que lui bouillonnait de l'intérieur n'arrangeait en rien les choses. "Mais pourquoi faut-il toujours que tu le ramènes sur le tapis ?! Ca ne le concernait en rien, là !" Et c'était bien ce qui était le plus douloureux.

Mais il y eut bien pire encore. Alors certes, il s'était énervé -et à juste titre !- mais la réplique de Paco le laissa juste sans voix. Du moins le temps qu'il l'assimile et qu'il en saisisse toute la portée. Alors ça allait se terminer comme ça ? Tout ça pour... Ca ? Leurs routes se séparaient ici... Apparemment, oui. Il était sonné. "...Ok." Que pouvait-il dire d'autre ? Il dut pourtant se ressaisir alors qu'il affirmait davantage son ton. "Ok." Et qu'il collait dans sa poche son poing qui serrait la boucle d'oreille et la clé. "Désolé de t'avoir dérangé." Se détournant sans même un dernier regard à Paco -à quoi bon ?- il quitta le bureau.