(m/pris) Ex-amant

Histoire

Quand on brise un idéaliste, il se relève plus fort à chaque fois qu’il tombe à terre. Ça, c’est ce que Nathaniel se disait quand il était plus jeune, mais la réalité a fini par le rattraper plusieurs fois, durement, et il sentit au fil des ans sa propre carapace s’égrainer à mesure des échecs et du désespoir de certaines situations. Ce n’est pas encore un dépressif notoire mais c’est quelqu’un de marqué ; ayant grandi dans une famille d’accueil faute d’avoir connu ses parents biologiques, Nathaniel s’est construit seul au travers de quelques drames ; la mort de sa mère, les conflits avec son père, l’arrivée d’une belle-mère gentille mais inintéressante dans sa vie ainsi que d’un bébé qu’il n’a connu que très peu. Le jeune homme s’est vu chassé à demi-mots, d’une façon plutôt atroce, à l’arrivée de ses dix-sept ans quand son père a soudainement déconseillé à sa compagne de servir un quatrième couvert pour lui. Au moins, le message était clair.

Justicier inaccompli, Nathaniel n’a jamais toléré les écarts de conduite et a passé sa jeunesse à se battre contre des jeunes, des délinquants, des personnes voulant du mal aux autres ; parfois, il était remercié d’un sourire, d’autres, on le chassait à nouveau en le sommant de se mêler de ses propres affaires. Ce qu’il n’a jamais fais, d’ailleurs.
Sauf que les semaines passaient et rien ne s’arrangeait. Il avait à peine suivi l’école, était vaguement bon en sciences mais ne s’intéressait à rien d’autres. Sa foi autrefois inébranlable en une justice inépuisable s’effilait comme une pluie de poussière sous ses doigts, jusqu’au jour où on lui tendit une main ; la main de l’homme ne sera pas gravée dans les mémoires sauf dans celle de Nathaniel. On lui a proposé de passer un concours et d’essayer de devenir flic ; après tout, pourquoi pas ? Mais on l’a prévenu ; les justiciers mourraient jeunes, il faudrait se calmer. Il a tenté, vraiment.

Il s’est montré idéaliste, loin d’être brillant mais suffisamment astucieux et intelligent pour passer au travers de toutes les tentatives de le faire vaciller. Et en quelques mois, le jeune Shepard était admis à l’école de police ; au départ, de la circulation. Le reste n’est qu’une suite quelque peu hasardeuse d’initiatives, de hasards heureux comme malheureux qui propulsent le jeune Shepard en tant qu’enquêteur dans plusieurs secteurs différents de la police, plus souvent sur le terrain que dans les petits papiers. Au moins jusqu’à ce qu’on lui propose de rejoindre Interpol ; même en tant qu’anglais, il y avait des occasions en dehors de l’Union Européenne qu’il devait savoir saisir, au moins d’après ses cours de droit.

Nathaniel a su se démarquer. Au final, il a réalisé que beaucoup de choses se faisaient dans les bureaux de police, et que veiller à la communication au niveau national comme international était aussi important que peu évident. Mais Nathaniel est un bosseur, quelqu’un qui en veut et qui en donne, qui a accepté des missions de repérages ou de prises d’informations pas toujours assumées par les bureaux locaux.

Mais l’homme n’est qu’un homme avec des failles. Quelqu’un a su un jour s’en rendre compte sans vraiment le vouloir ; sur une vague histoire de papiers volés, Nathaniel se mit à coopérer avec une coréenne, jusqu’à avoir une affaire avec cette dernière, jusqu’à se rendre doucement compte qu’elle lui apportait une certaine stabilité dans son chaos ; jusqu’à ce qu’elle disparaisse du jour au lendemain, sans même donner de nouvelles. Cela a concordé avec une grosse affaire dans laquelle s’était récemment plongé Nathaniel, un trafic d’humains dont certains cadavres avaient été retrouvés à divers endroits de la ville. Incapable de retrouver un amour qu’il qualifia rapidement comme perdu et fou de rage, Shepard s’est jeté à corps perdus dans cette nouvelle affaire, jusqu’à venir titiller des familles entières de malfrats dont il n’aura jamais la tête.

Car un jour, récemment, un de ses supérieurs est venu discuter tranquillement avec lui de sa « réhabilitation » en Norvège. Une nouvelle ville, un nouveau travail, essentiellement accès sur la communication entre le nouveau centre de police et l’international. On lui a demandé de se faire tout petit, d’observer.
Officiellement, Nathaniel est toujours flic, toujours à interpol. Officieusement, on cherche quand même à le mettre sagement au placard, car il a foutu un coup de pied dans la mauvaise fourmilière.