From strangers to friends to strangers again (Sól)

From strangers to friends to strangers again

J’ai l’impression que je termine mieux l’année que je ne l’ai commencée. En même temps, ce n’était pas trop difficile. Tout a débuté avec un cœur brisé, non pas à cause d’un garçon, mais en me sentant une nouvelle fois rejetée par la plus vieille amitié que j’ai jamais connue. Et cette fois, sans raison apparente. J’avoue que j’ai perdu plusieurs mois à me dire que le malentendu allait s’arranger, et puis le temps a fait son œuvre et la blessure rouverte a tout doucement recommencé à cicatriser. Le travail y a été pour beaucoup, quitte à m’en surcharger. Mais tant que j’étais concentrée sur quelque chose, au moins, j’évitais de trop me prendre la tête à propos d’une chose sur laquelle je n’avais de toute façon aucune emprise.

Tout ce micmac s’est finalement dénoué il y a quelques semaines, et le constat a été sans appel, prouvant une bonne fois pour toutes mon innocence dans toute cette histoire me mêlant injustement au drama entre Sól et Jenna. Je me suis sentie soulagée sur le coup, mais ça n’a pas changé grand-chose à mon quotidien. J’ai recommencé à travailler pour oublier que je m’étais tout simplement pris la tête sans raison apparente. Au moins, ma conscience s’en trouve soulagée pour de bon. J’en parle comme si c’était un supplice, mais l’ambiance est vraiment cool au travail. Certes, je travaille dans tout ce qui est relatif au social, donc je ne suis pas encore spécialisée dans la cause des femmes comme je le voudrais, mais je défends des sujets qui me paraissent justes et qui correspondent à mes valeurs. C’est toujours réconfortant à la fin de la journée.

Et puis au boulot, il y a aussi les pauses. Depuis quelques semaines, une seule personne est au cœur de toutes les discussions : l’Œil de Lynx. Les autres s’en amusent en disent qu’il ou elle aura intérêt à se trouver un bon avocat le jour où le masque tombera. Certains dessinent même quelques portraits robots, qu’ils peuvent compléter ou modifier de jour en jour, et chacun y va de sa petite analyse pour expliquer les motivations de cette mystérieuse personne. J’ignore si l’agitation est aussi palpable au commissariat de la ville, mais au moins ça nous occupe et ça nous change un peu du quotidien.

D’ailleurs, à force de réfléchir ou d’entendre les autres en parler, quelques idées me sont venues aussi, et bien vite, la curiosité d’en apprendre plus. Alors, l’un de mes jours de repos, je me suis décidée à m’habiller chaudement pour me rendre au parc et ainsi débuter ma petite enquête secrète. Dans ce genre d’endroits, tout le monde observe son voisin l’air de rien. Je pourrais sans doute trouver quelques indices sur cette Gossip – j’imagine déjà étaler mes arguments à côté de ceux des autres sur le grand tableau blanc.

Une fois sur place, je souris dans mon écharpe avant d’aller prendre une place libre sur un banc, et commence alors ma petite observation, que j’espère discrète. Avec un cahier ouvert sur les genoux et un stylo dans les mains, je fais mine d’être concentrée sur quelque chose pour ne pas paraître trop suspecte à mon tour, mais je reste aux aguets.

— Quand tout va bien côté professionnel, c’est côté cœur que la réalité s’effondre. Après des mois sans décolérer, elle a fini par avoir le fin mot de l’histoire et ça a été très amer. Impossible de pardonner à Jenna pour sa trahison, même après avoir cherché le peu de compassion présent dans son cœur. La sensation tenace d’être seule au monde malgré le retour d’Ari dans sa vie, d’avoir fait toutes les erreurs possibles en se mettant des œillères, tout ça la submerge plus qu’elle n’aimerait l’admettre. Et se distraire avec cette idée de chasse au lynx n’est qu’une des nombreuses lubies dans lesquelles elle se plonge en ce moment.
Déambulant dans le parc avec son deuxième, ou peut-être troisième, café du matin à la main, elle fait le tri dans toutes ses pensées parasites sans trop regarder où elle va. Que faire maintenant ? Elle aurait bien besoin de quelqu’un qui s’y connaît en droit pour avancer dans sa petite enquête, comme elle en a parlé avec Moon-jeong. Mais la seule personne à laquelle elle peut penser… est assise juste là. Quelque chose se tord dans ses entrailles et lui déchire la poitrine quand elle observe Heidi sur le banc. Quelque chose comme de la peine, de la culpabilité. Elle aussi, a beaucoup souffert à cause d’elle – parce qu’elle a fait confiance à la mauvaise personne et que ça s’est retourné contre elle. Les lèvres colorées entrouvertes, elle regarde son souffle s’échapper dans l’air froid comme si elle était hypnotisée. Et puis, sans même essayer de garder la face, elle se reprend avec son aplomb habituel. « Est-ce que cette place est libre ? » L’air de rien, elle désigne d’un vague geste du menton le banc sur lequel son ancienne amie s’est installée pour… écrire ? Étrange, elle ne lui connaissait pas cette habitude.

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From strangers to friends to strangers again

Je suis de ces gens qui pensent que le hasard fait bien les choses, et pourtant, je ne sais pas franchement quoi en penser quand, en sentant un regard sur moi, je me dis que lever les yeux serait une bonne idée. Je m’attendais peut-être à un petit enfant ou à une personne âgée un peu perdue, mais au lieu de ça, mon regard se pose sur Sól, que je ne m’attendais pas à voir ici. Bergen reste malgré tout une petite ville comparée à d’autres, et le parc appartient bien à tout le monde, mais c’est étrange de la voir là, si proche, un peu comme si elle s’était approchée en écoutant sa propre volonté. Elle aurait pu faire le choix de me repérer et de m’ignorer en traçant sa route, mais on dirait presque qu’elle voulait que je la remarque aussi.

C’est étrange depuis que la situation s’est mis à plat entre nous. D’un côté, je suis soulagée que mon innocence ait bel et bien été prouvée, et de l’autre, je n’en reste pas moins blessée. C’est vrai, j’aurais pu hurler au sommet de la plus haute montagne que je n’avais rien fait, elle serait toujours restée impassible à mes explications. Tenter de renouer le dialogue de la sorte –si c’est bien ce que c’est– me paraît un peu trop facile, mais grisée par mes recherches, je n’ai pas franchement la tête à une confrontation.

« – J’imagine que oui… » Je glisse malgré tout un regard vers les autres bancs, histoire de vérifier s’ils sont disponibles ou non, et je retire mon sac, que je dépose par terre pour la laisser s’installer. J’anticipe déjà le silence qui risque de s’imposer en reprenant mon activité, scrutant les environs à la recherche de louche. En fait, de quelqu’un qui trouverait l’observation des autres passionnante. Un peu comme dans tout ce que reflète mon attitude en ce moment.

— A voir le long moment de flottement qui s’étire entre Heidi et elle, elle commence à regretter cette impulsion qui l’a poussée à s’approcher, à lui parler, à s’inviter. Et c’est rare, cette amertume qui survient si vite après avoir pris une décision, chez elle. En général, elle est sûre d’elle et absolue, parce que c’est comme ça qu’elle fonctionne et que tout est plus simple. Mais aujourd’hui, elle n’y arrive pas. Après un temps où elle peut observer l’hésitation sur le visage de son ancienne amie, celle-ci finit par pousser ses affaires comme pour lui faire de la place.
Loin d’elle l’idée de prendre ça pour plus que ça n’est ; elle est parfaitement consciente qu’elle n’a pas le droit de surinterpréter. Sans pour autant la remercier, elle s’installe et croise une jambe sur l’autre. Son gobelet à la main, elle règne sur le banc en reine même quand il n’y a rien à gagner au bout. Et pendant ce silence qui s’éternise, elle en profite pour observer la blonde du coin de l’œil avant de lâcher un petit soupir d’aise après avoir pris une gorgée de café brûlant. « Depuis quand est-ce que tu écris ? » Lui demander directement ce qu’elle fait ici est tentant, mais ce n’est curieusement pas la première chose à laquelle elle pense. Non, c’est plutôt les souvenirs de ce qu’elles ont partagés qui remontent, les habitudes oubliées ou enfouies des instants perdus.

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La question de Sól me prend de court, parce que je ne m’attendais pas à ce qu’elle enclenche la conversation. Enfin. Je me doutais bien qu’elle avait une idée derrière la tête en venant s’asseoir à côté de moi, mais je ne pensais pas qu’elle essaierait quelque chose de façon si rapide. J’ignore ce qu’elle souhaite faire ou les points qu’elle espère peut-être aborder, mais mon petit doigt me souffle que ce comportement a sans doute un rapport avec Jenna. Et je ne suis pas sûre d’être prête à en parler, ou bien à faire la promesse silencieuse d’essayer de reconstruire quelque chose avec elle. Je suis tombée de si haut que je redoute maintenant ce que de tels scénarios pourraient donner.

Mon hésitation est perceptible malgré moi, puisque je reste silencieuse quelques secondes, la mine de mon style arrêtée à peine à quelques centimètres du papier de mon carnet. Je sais bien que je ne lui dois rien, mais je sais aussi qu’une absence de réponse de ma part pourrait aussi provoquer une scène à laquelle je ne me sens pas capable de faire face tout de suite. « – Disons que je n’écris pas vraiment… Ou du moins que j’essaie de me trouver un passe-temps. Ça fait du bien de s’aérer l’esprit. »

Je réalise sans doute trop tard que la fin de ma phrase porte quelque peu à confusion – là où je parlais de distraction pour sortir de l’univers du travail, elle pourrait y voir une référence à toute cette histoire. Tant pis. Je me contente de rester vague en tout cas, consciente que l’Oeil de Lynx et/ou ses complices pourraient être partout, y compris au plus près de mon ancienne amie. Tiens. Et si sa présence pourrait malgré tout m’aider à avancer ? « – Et toi, balade quotidienne ? » L’air de rien, et surtout en essayant au mieux de me protéger, cet échange pourrait bien m’apprendre certaines choses. Reste à savoir si ce sont celles que j’espère entendre.

— C’est si facile de lire la surprise sur le visage d’Heidi qu’elle en serait presque vexée. Mais contre toute attente, elle ne l’est pas. Comment le pourrait-elle, après tout ce qu’il s’est passé de si terrible entre elles ? Et tout ça, c’était principalement sa faute. Ou celle de cette peste de Jenna. Un peu des deux ; si seulement elle avait eu un peu plus confiance, si seulement elle ne s’était pas laissée piétiner par le doute. Oh, elle sait bien que c’est à elle de faire un pas. Sans savoir ni ce qu’elle veut, ni quoi espérer, elle doit le faire. Mais les excuses sont toujours difficile quand on porte un tel égo, à tel point que les mots s’accumulent dans sa gorge et n’en sortent pas. Alors, patiemment, elle attend et observe. Et quand Heidi finit par lui répondre, elle ne peut empêcher un certain soulagement de l’envahir. La réponse est à la fois bateau et étrangement spécifique ; elle détourne les yeux pour regarder droit devant elle. « Mh, je vois. » Mais alors qu’elle pensait déjà à sa prochaine approche, c’est son ancienne amie qui lui coupe l’herbe sous le pied et prend les devants. Ce serait mentir de dire que ce n’est pas son tour d’être surprise. Elle prend une inspiration, autant pour garder ses émotions et ses pensées sous contrôle que pour éviter de se montrer amorphe. « Quelque chose comme ça, oui. J’aime boire mon premier café de la journée dehors. » Chaque mot est à la fois si mesuré et si naturel qu’elle s’impressionnerait elle-même. C’est bizarre, d’être de ce côté du monde – de celui qui hésite, qui ne sait pas quoi dire, qui n’est sûr de rien. Elle qui n’a jamais eu que les certitudes et la franchise pour arme s’en retrouve bien démunie. « Mais peut-être que quelqu’un voudrait en voir un peu plus de ma part. » Cette fois, elle croise une jambe sur l’autre et se tourne légèrement vers son interlocutrice, brusquement plus ouverte quand il s’agit d’engager la conversation sur un sujet qui ne les touche que de loin. « Et toi ? Est-ce qu’un petit félin te surveille du coin de l'oeil, aussi ? » Évidemment, elle connaît déjà la réponse puisqu’elle a vu le post sur le compte Sammen d’Heidi. C’est juste… plus facile d’entamer une discussion de cette façon.

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From strangers to friends to strangers again

Ce début de conversation semble tellement banal que c’en est étrange. On dirait tout simplement celle de deux jeunes femmes qui ont fait connaissance il y a seulement quelques semaines, et tentent aujourd’hui de dessiner peu à peu une relation. Autant dire que nous sommes à des années lumières de la réalité de notre relation. En revanche, je ne saurais dire si ce genre de conversation est une bonne ou une mauvaise nouvelle pour nous. Certes, , mais on dit aussi que l’indifférence est le meilleur des mépris. Je veux croire que le fait que Sól vienne s’asseoir ici prouve bien que nous n’en sommes pas encore là, mais une part de moi ne peut s’empêcher d’être encore réticente à un vrai échange. Je me contente de hocher la tête quand elle me dit qu’elle aime se balader avec son premier café de la journée, mais sa prochaine question arrive à capter mon attention.

Elle est la première à amener l’Œil de Lynx sur le tapis, et une petite voix me souffle que je pourrais peut-être en tirer quelque chose. Pour le moment, il est assez difficile d’observer les protagonistes du parc et d’envisager que la moindre de leur réaction est suspecte. J’ignore si la blonde elle-même pourrait être l’Œil de Lynx ou l’une de ses complices, même si cette idée me paraît assez démesurée.

« – Ce n’était qu’une rumeur stupide… Je crois que c’était plus une tentative pour me déstabiliser et essayer d’en apprendre plus sur moi. Je n’ai pas trop à me plaindre pour le moment, j’ai vu qu’il ou elle avait été plus sévère avec d’autres personnes. » J’ignore si je ne suis pas assez intéressante à ses yeux – ou si ma vie manque de matière et donc de sociabilité pour qu’il ou elle se penche vraiment sur mon cas, mais ce n’est pas comme si j’allais me mettre à supplier pour être au centre des conversations de tout le monde pendant quelques semaines. Je consens à lever les yeux de mon petit carnet pour tourner cette fois mon visage face à elle. « – Est-ce qu’il ou elle est après toi en ce moment ? »

— C’est si facile de s’engouffrer dans le piège de cette conversation en apparence banale. Au plus elle va insister, au plus ce sera difficile d’en sortir et de parler des choses qui compte et elle le sait pertinemment. Le regard sévère rivé sur son ancienne amie, elle jauge sa réaction à une question à laquelle elle a déjà la réponse. Finalement, elle sourit et lâche un petit soupir amusé, pas gênée à l’idée de révéler qu’elle a bien vu le post. « Oui, ça c’est sûr. J’aurais aimé savoir qui t’a demandé en mariage, quand même. » Même si Heidi a été touchée aussi, c’est bien moindre comparé à d’autres. Elle ne saurait dire si sa propre situation est grave, d’ailleurs.
Un peu surprise, agréablement, que la blonde relève la tête pour lui retourner la question, elle lève un sourcil. Un rictus se dessine sur ses lèvres, long de significations et de possibilités – lourd de colère et de désir de revanche. « Mh… je crois qu’iel me réserve pour plus tard. Pour l’instant, iel ne fait que jouer. » Aussi amère soit la vérité, elle n’en est pas moins là. Tout ce qu’elle a pris dans la figure ces derniers mois n’avait rien à voir avec ce foutu œil de lynx. Elle se replace contre le dossier du banc et prend une gorgée de son café comme pour marquer le suspens. « Il s’est passé quelque chose, à Halloween, mais je suis presque sûre que c’est quelqu’un d’autre qui lui a demandé de faire ça. Et puis… Je lui ai parlé. » Jetant ses informations comme des confettis, elle sent la fierté monter dans sa poitrine. C’est dangereux et malsain, bien sûr qu’elle le sait, mais ça ne l’empêche pas de sentir brûler la flamme de la compétition dans le creux de son ventre. Les yeux brillants d’un trop plein de passion, elle peine à retenir le sourire qui lui barre le visage. « Peut-être qu’iel a des plans pour moi, mais il sait que j’en ai pour ellui aussi. » C’est un combat qu’elle entend bien remporter par tous les moyens, peu importe si elle doit y laisser sa peau.

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C’est presque naturel de parler avec elle d’un sujet qui n’a rien à voir avec nous deux – presque rassurant de constater qu’on pouvait tenir une conversation sans s’envoyer des piques, même si je n’oubliais pas ce qui s’était passé pour autant. Je mettais plutôt cette discussion sur le compte de ma curiosité plutôt que sur mon envie réelle d’arranger les choses, même si ce serait mentir que de dire que cette rencontre ne provoque rien en moi. « – C’était qu’un gros malentendu. Je suis bien loin d’en être arrivée là dans ma vie.   » J’avoue à mon tour dans un petit rire. Et puis, je ne suis même pas certaine de vouloir me marier un jour de toute façon, mais c’est un autre sujet.

Oh, j’ignore si l’Œil de Lynx est au courant ou s’il a simplement lancé une rumeur au hasard, mais il était bien question de bague. Seulement, ce serait bien trop compliqué à expliquer, et je n’ai pas envie de me justifier auprès d’elle concernant Sven – je lui ai déjà répété à mille reprises que je n’étais pas amoureuse de lui, mais c’était peine perdue. Et reparler avec elle de ça serait bien trop étrange maintenant. Quand Sól m’avoue plus ou moins que ce félin et elle se sont lancés dans un jeu du chat et de la souris, mes yeux s’écarquillent sous la surprise. « – Parlé ? Je crois bien que t’es une des rares personnes à avoir eu ce privilège. Iel est comment ? C’est une sorte d’evil Spider-Man qui veut mettre le chaos ?   »

Il n’y a rien de grave pour le moment, rien qui ne dépasse la vie d’une personne, et même si évidemment, c’est dommage pour les concernés, il n’y a rien de criminel ou de dangereux pour le moment. Espérons que ça reste ainsi, seulement des rumeurs probablement lancées par une ou des personne(s) qui s’ennuient. « – Est-ce que… Enfin, j’imagine que tu as prévu quelque chose pour contrecarrer ses plans ? Tu as pu apprendre quelque chose d’intéressant ? » Personne n’est parfait après tout, ielle aurait pu laisser passer un détail important. Et en demandant ça, replongeant dans ma petite enquête, je ne réalise pas tout de suite que je me trahis moi-même à poser beaucoup trop de questions.

— Si elle sait pertinemment qu’elle repousse le moment où la conversation va s’alourdir, elle ne fait rien pour s’en empêcher non plus. Il y a quelque chose de rassurant à se raccrocher à des petits riens comme la fausse vie amoureuse d’Heidi ou les activités louches du grand méchant du moment. Avec un sourire presque complice, elle lève un sourcil incrédule. « Oh… dommage. Même si c’est un peu spécifique, pour un malentendu. » Une demande en mariage, ça ne sort pas de nulle part, tout de même.
Après avoir avoué non sans une pointe de fierté avoir directement parlé à l’œil de lynx, elle se délecte du visage surpris de son ancienne amie. Riant doucement derrière sa main, elle se nourrit de cet enthousiasme soudain pour ménager son suspens. « Écrit, plutôt. » Une main dans son sac, elle en ressort victorieuse avec son téléphone pour montrer les fameux messages à Heidi. « Rien de très révélateur, comme tu peux le voir, mais… je me sens quand même étrangement privilégiée. » Et elle ne devrait pas ; c’est dangereux et elle en est consciente. Mais ce chat de malheur lui a déjà pris sa popularité et sa crédibilité, alors… Dodelinant de la tête, elle range son smartphone et s’adosse à nouveau contre le dossier du banc. « Si je dois être honnête… plutôt qu’un evil spiderman, on dirait quelqu’un comme moi. Mes amies et moi, on a quelques théories mais… rien de très concluant. Mis à part que le ou la coupable doit probablement se trouver parmi les premières victimes. » Du coin de l’œil, elle observe la réaction de la blonde qui ferait un parfait suspect. Ce serait improbable, mais pas impossible.
Quant à avoir un plan pour contrer tout ça… C’est effectivement le cas, et elle s’en félicite. Si l’idée d’avoir toujours une longueur d’avance est appréciable, celle d’impressionner Heidi reste encore meilleure – pour une raison qu’elle choisit d’ignorer pour le moment. « Mh… et bien, j’ai tenté de mener une petite enquête. De demander à droite et à gauche, de faire des parallèles entre les victimes et les histoires… Et j’ai effectivement pu apprendre des choses intéressantes, j’ai même un plan aussi. » Le nez en l’air, elle en oublie pourquoi elle est là. Les conseils juridiques ; une belle excuse mais une excuse quand même. Soudain emportée par sa fougue, elle se laisse aller à d’autres pensées. « Mais qu’est-ce que ça m’apporterait de tout te dire ? Si ça se trouve, c’est toi. » Elle ne le pense pas, pas une seule seconde. Ce n’est qu’un faux test pour elle-même, une façon de remettre le feu à une forêt déjà calcinée par l’incendie dans le vain espoir de ne pas être oubliée. Malgré son air évidemment malicieux, il n’y a aucun doute que ces accusations vont faire tourner au vinaigre une conversation déjà fragile.

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Évidemment que j’ai pensé que la prédiction de l’Œil de Lynx ne devait rien au hasard, mais c’est quand même étrange de penser le grand méchant loup était dans la rue, à ce moment-là. Pile au bon moment. D’ailleurs, il a toujours l’air d’être là au bon moment et bon endroit. Le problème, c’est que la révélation de Sven et puis mon baiser inattendu nous ont pris de court tous les deux. En temps normal, on ne pense pas forcément à regarder qui se trouve autour de nous quand on discute avec quelqu’un. Alors dans un contexte comme celui-là, on le fait encore moins. Et si… Oh, et si l’œil de Lynx n’avait pas été vraiment là, mais pouvait observer les caméras de surveillance de la ville ?

Soupçonner la maire ce serait étrange, mais… Si ce n’est pas elle, ça pourrait étendre la liste des suspects à pas mal de personnes. Il faudrait que je vérifie la prochaine fois que je passe dans la fameuse rue ; lever le nez pour vérifier s’il y a bien une caméra ou non. Mais je ne veux pas dévoiler un indice, alors je décide simplement un petit rectangle au haut de ma feuille, espérant que ce moyen mnémotechnique sera suffisant pour me rappeler de cette idée. Je me penche vers elle quand elle me montre son téléphone pour que je puisse voir la conversation. Ce serait étrange si elle venait à communiquer avec elle-même pour rassembler de fausses preuves. « – Tu sais si il ou elle communique aussi avec d’autres personnes ? C’est bizarre, on dirait qu’ielle cherche à tâter le terrain pour savoir si ielle peut avoir une alliée ou une ennemie. » Ou alors ce n’est qu’un simple jeu du chat et de la souris, et j’analyse trop les choses. Un plan ? Malgré moi, je dois bien avouer que Sól a toute mon attention, mais la suite de sa phrase me fait froncer les sourcils.

« – C’est vrai que vouloir être au centre de l’attention et provoquer des problèmes, ça me ressemble beaucoup… » Je hausse un sourcil, incertaine quant à la question de savoir si c’était une façon de me déstabiliser ou bien une pique. Un peu gonflé de sa part si c’est la deuxième option, mais une fois de plus, rien ne m’indique que ce n’est pas elle derrière le félin. « – Il se trouve que j’ai peut-être un plan ou des pistes, moi aussi. » Je ne tiens pas à vendre mes collègues pour le moment, et puis pour être honnête, on en est encore au stade des suppositions, pas des vérités absolues. « – Si ça se trouve, c’est toi aussi. » Dans un autre contexte, ça m’aurait probablement fait rire, parce qu’on ressemble vraiment à deux petites filles à ce moment précis, mais le poids de notre dernière dispute me pèse encore.

— Sans pouvoir retenir un sourire au coin de ses lèvres, elle remet son téléphone dans son sac. Malgré la situation, difficile de ne pas jubiler d’être à ce point privilégiée et au centre d’une affaire pareille. Cet œil de lynx la fascine autant qu’il lui fait peur. « A vrai dire, je n’en ai aucune idée mais une partie de moi aime à croire que je suis la seule. Alors, qu’est-ce que tu en penses ? Devrais-je devenir son alliée, ou son ennemie ? » Elle lève un sourcil, sincèrement intéressée par la réponse à cette question. Elle ne peut pas s’en empêcher, elle aime ça. Le risque, la gloire et la catastrophe ; tout ce qui va avec. Surtout si en plus, ça peut éveiller la curiosité d’Heidi au passage. Parce que ce serait bien plus simple comme ça qu’avec de vraies excuses ou une vraie discussion – mais ça, elle ne peut pas s’y résoudre. C’est trop difficile.
Haussant les épaules, elle se pare d’un air désinvolte. L’idée que ça puisse être elle depuis le début a quelque chose de superbe et dégoûtant à la fois. « C’est toujours ceux qu’on soupçonne le moins qui ont fait le coup. Tu serais une bonne candidate. » Mais la suite l’interpelle bien plus qu’elle n’aimerait l’admettre. « Ah oui ? » Et avant qu’elle ne puisse exiger d’en savoir plus pour satisfaire son insatiable besoin d’avoir une longueur d’avance, l’accusation lui arrache un petit rire. Ignorant totalement l’expression d’Heidi qui a l’air bien moins détendue qu’elle, elle se remet de son éclat dans un clin œil équivoque. « Peut-être que c’est moi. Ce serait probablement amusant. Imagine, j’aurais la ville sur un plateau d’argent et le monde entier pendu à mes lèvres. La sensation doit être grisante, je crois que je peux comprendre pourquoi cette personne fait ça. » Avec un sourire énigmatique, suffisamment malsain pour être inquiétant, elle s’adosse au banc et croise ses jambes dans l’autre sens. « Et donc ? Lesquelles de tes théories ou de tes pistes viennent appuyer le fait que c’est moi, l’oeil de lynx ? »

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Je pensais que l’Œil de Lynx resterait à tout jamais ce nuage menaçant sur la ville, qu’il allait disparaître comme il était arrivé, et qu’on ne saurait jamais vraiment qui était derrière tout ça. Mais ces messages échangés avec Sól rendent sa présence plus que concrète. Même si mes observations au parc ne m’ont rien apporté en tant que telles, je pourrais au moins repartir avec ce mini-scoop. En revanche, la question de mon ancienne amie me fait froncer les sourcils, sous l’incertitude qui me prend. « – Mh… Difficile à dire. Imagine si les choses prennent une drôle de tournure, et que des gens décident de porter plainte ou d’entamer une espèce de chasse à l’homme. Je ne sais pas, ça pourrait être risqué si on le ou la retrouve et que les autres veulent en découdre. » Sanctionner pour l’exemple, peut-être. Ça me paraît être l’option la plus raisonnable ici, car les Norvégiens sont avant tout un peuple pacifiste. Si l’Œil de Lynx fait par exemple de la mauvaise publicité à un commerçant, à coup de diffamation, il y a fort à parier qu’il pourrait vouloir obtenir réparation, une fois cette mystérieuse Gossip découverte.

Si on y arrive un jour. Il me semble prématuré d’informer mes autres collègues avocats de cette nouvelle. « – Mais bon, j’imagine que tu vas essayer d’en apprendre davantage, dans tous les cas », je termine avec un léger sourire, avant de me raviser. Certes, je suis toujours fâchée contre elle, mais ça m’embêterait quand même d’apprendre qu’elle s’attire des ennuis à cause de ce félin. J’ose espérer qu’elle partagerait le même état d’esprit si la situation était inversée, mais j’ai l’impression qu’il y a bien longtemps que nous n’arrivons plus à nous comprendre. Je papillonne un moment des yeux quand elle insinue que je pourrais être la candidate idéale pour ne pas être soupçonnée, et presque malgré moi, je peux lui donner raison. Plusieurs films et séries nous l’ont déjà prouvés. « – Certes, mais je pourrais pas tenir la pression. »

Elle peut malheureusement en témoigner. Lors de notre toute première confrontation, celle qui a réveillé pas mal de souvenirs douloureux des deux côtés, ça m’a plutôt mis dans tous mes états, et ça peut importe si c’était en face d’elle. J’ai toujours eu beaucoup de mal à contrôler mes émotions ; or, je ne pense pas que ce serait dans l’intérêt de l’Œil de Lynx d’être en pareille posture. « – Oh, tu veux des arguments en plus de ceux que tu viens de me donner ? » Je pouffe un peu, parce que sa réplique aurait très bien pu être prise pour argent comptant par quelqu’un qui ne la connaissait pas beaucoup. Je ne relâche tout de même pas ma garde pour autant, et je me concentre un instant en regardant les passants face à moi, à la recherche d’une réponse à lui donner.

« – Voyons… D’une, t’es populaire et tu l’as toujours été, ça aide pour avoir des contacts, que ce soit ici ou à Oslo. C’est vrai que l’Œil de Lynx n’a jamais fait de remarque sur un manque de goût vestimentaire, mais… Oh. Ce rôle, ça aurait pu être une stratégie de ta part.   » Les yeux un peu écarquillés face à l’idée qui m’est venue, j’ai bien conscience que ce n’est rien de plus qu’une fantaisie – c’est même carrément tiré par les cheveux. Soit c’est le cas, soit je suis un véritable génie. Ou alors, bonne à écrire une fiction sur ce mystérieux félin. « – Tu as bien une entreprise de cosmétiques, n’est-ce pas ? Et quand on se maquillage, on se grime, on met un masque, en quelque sorte. Tu aurais pu te servir de ça pour présenter tes produits à un moment ou un autre. Enfin. N’importe qui dans Bergen avec une excellente vue aurait aussi pu prendre ce pseudo pour sévir…   » La lèvre retroussée, je finis par sourire à moi-même, parce que je dois être la personne la plus rapide pour formuler une théorie et la descendre dans la seconde. Au moins, voilà une preuve supplémentaire que je ne suis pas derrière tout ça !

— Sans pouvoir retenir un sourire, elle croise les bras contre sa poitrine et laisse échapper un petit sifflement admiratif. « Mmmh… inquiète pour ma sûreté, je vois ! » Peut-être bien qu’elle se fait des idées – ou qu’elle se raccroche à peu de choses plutôt que de s’excuser directement. Parce que c’est plus simple comme ça. « Et bien, on ne fait pas une omelette sans casser d’œufs et la récompense vaut rarement la peine si on ne se mouille pas un peu pour l’obtenir. Mais être dans le viseur des autorités… très peu pour moi, je dois bien l’admettre. » Mais laisser tomber en ayant une opportunité pareille, ce ne serait pas digne d’elle. Le rictus malicieux et l’air espiègle, elle lève un sourcil en guise d’approbation. « Bingo. » Si elle note le début de sourire sur le visage d’Heidi, elle ne s’en réjouit pas tout de suite. Ce n’est pas gagné pour… pour quoi, en fait ? Que voudrait-elle, au juste ?
Quand elle affirme que la blonde serait la candidate idéale, celle-ci ne dément pas mais oppose un argument difficile à contrer. Dodelinant de la tête, elle approuve malgré elle. « Peut-être pas. » Être sous le feu des projecteurs, traquée jour et nuit, ça ne réussirait pas à Heidi. Elle voudrait se débarrasser de tout ça plutôt que de s’en délecter. Son rire est un peu rassurant, quelque part. Ça veut dire qu’elle est sur la bonne voie, en s’accusant de la sorte. Au fond, elle aurait voulu être l’instigatrice de ce coup de maître. « Évidemment ! Impressionne-moi. » Lui laissant le temps d’y réfléchir, elle attend ses idées avec une impatience visible. Hochant doucement la tête, elle esquisse une moue satisfaite. « Ah, intéressant. » La popularité, les contacts plus que les remarques de style ; c’est un bon endroit où commencer et elle ferait bien de le noter pour ses propres recherches. Brusquement, elle a un mouvement de recul en entendant la suite. Avec une petite grimace faussement outrée, elle lève le menton comme si elle avait encore des choses à prouver. « Hey ! Avec ma marque, tout est dans le fait de porter le maquillage comme une arme ou une protection, pas comme un masque. Ce n’est pas une question de se cacher, au contraire, c’est sublimer ce qui est déjà là ! » D’un mouvement de tête entendu, elle approuve sa technique marketing sans jamais tomber dans le second degré avant de sourire à Heidi. « Euh… ça ferait beaucoup d’yeux de lynx, ça c’est sûr. » Mais en même temps… si c’est le seul critère, ça expliquerait que ce fichu félin soit partout.
D’abord hésitante, elle finit pas s’abandonner à une idylle amicale qui n’existe pourtant plus. Partager ses plans avec Heidi, ce n’est peut-être pas une si bonne idée. Pourtant, elle en a envie à cet instant et suivre son coeur paraît la chose la plus sensée qu’elle a pu faire ces derniers mois. « Quelques amies et moi, on s’est dit qu’on pourrait… décrédibiliser l’œil de lynx en postant tout un tas de choses en son nom, certaines vraies et d’autres fausses. Ne sois pas surprise si tu deviens championne olympique de planche à voile dans les prochains jours. » L’air de rien, avec un clin d’œil et une attitude désinvolte, elle la met dans la confidence.

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From strangers to friends to strangers again

Je ne sais pas ce que j’aurais préféré le plus : essuyer de nouvelles hostilités et en être contrariée pendant quelques jours, ou entamer une conversation sérieuse pour parler de tout ce qui nous est arrivé ces derniers mois. Je crois que ce qui s’est improvisé est un mix entre les deux. C’est déconcertant, la manière dont nos échanges semblent si naturels et c’est bien ce qui me peine. Je lutte pour ne pas me laisser aller à la légèreté, parce j’ai du mal à ne pas remettre en cause la moindre de ses paroles maintenant. Je crois la sentir sincère, mais je la sais aussi forte pour mettre au point des stratagèmes pour avoir ce qu’elle veut. Ce serait trop facile de rentrer dans son jeu et d’effacer la blessure qu’elle a causée durant plusieurs mois. « – Disons que je n’ai pas envie d’être la dernière personne à t’avoir vue et à devoir en répondre, c’est moi l’avocate après tout. »

J’esquisse un petit sourire, peut-être malgré moi. J’en viens à me lancer dans toute une théorie sur le pourquoi Sol serait une bonne candidate pour incarner l’Œil de lynx. J’ai bien l’impression que ma réflexion est de plus en plus logique au fil de mes mots. Peut-être même un peu trop. Je finis par me contredire moi-même, et c’est vrai que l’argumentaire de Sol tient la route. Elle n’y mettrait pas autant de forme si ce n’était pas la vérité. « – Bon, je t’accorde ce point… Mais c’était quand même bien essayé. » Finalement, et un peu bizarrement, j’ai l’impression qu’elle est la première à fendre la coquille en me révélant l’un de ses plans. La fin de sa phrase m’arrache un petit rire, et c’est à mon tour de prendre une posture un poil trop sérieuse pour être crédible.

« – D’accord alors, mais à une condition : précisez bien que je n’ai laissé au-cune chance à mes adversaires.   » Quiconque me connaît sait bien qu’une telle carrière serait peu vraisemblable de toute façon. Contre toute attente, cette petite confidence me donne envie d’en faire une à mon tour, et même si je suis hésitante, elle ne tarde pas à quitter mes lèvres : « – Au cabinet, tout le monde y va de son hypothèse aussi… Ils y ont même réservé toute une partie sur le tableau de la salle de réunion, et chacun peut y mettre ses hypothèses. Personne n’est sûr de le démasquer, mais on dirait que l’œil de Lynx est dans toutes les bouches. »

— C’est simple, c’est facile. C’est mieux que d’écouter la pensée parasite qui lui souffle constamment que ce n’est pas ce qu’Heidi voudrait entendre de sa part. Mais plus l’ancienne meilleure amie réagit avec légèreté, moins elle trouve le courage de cracher ce qu’elle devrait. Des excuses, sincères et sans artifice, elle sait bien qu’elle n’a plus que ça à dire – sans même espérer quoi que ce soit en retour. Seulement, elle sourit. Elle baisse les yeux comme si elle était prise d’une timidité soudaine qui ne lui ressemble pas et elle sourit, juste le temps de se reprendre. « Mieux vaut avoir quelques coups d’avance. » L’enquêtrice improvisée et l’avocate en devenir, ça sonnerait presque bien.
Entre les argumentaires entrelacés, il est aussi aisé de l’imaginer en félin machiavélique qu’en victime infortunée. « Merci, c’est trop d’honneur. Et je sais ! » Elle jubile autant qu’elle appréhende, parce qu’elle sait bien que la fin de cette conversation approche et ses chances de faire amende honorable avec. Quelque chose se brise dans sa poitrine quand Heidi se met à rire mais elle ne peut pas s’empêcher de se joindre à elle de bon cœur. « Évidemment, c’était prévu ! Mais je ferais passer le mot quand même, au cas où. » La lueur de malice brille dans ses yeux tandis qu’elle continue sa vaste blague. Et quand c’est à son tour de se confier, elle hoche doucement la tête avec un sourire tendre. Plus tendre que tous les sourires qu’elle a pu offrir ces dernières années. « C’est fascinant. Avoir réussir à se faire une place sur toutes les lèvres de la ville en si peu de temps. »
Et puis, un moment de flottement s’installe et s’étire jusqu’à devenir une ambiance un peu lourde et silencieuse – pour elle, du moins. Elle soupire, une fois, deux fois. Elle avale la dernière gorgée de son café seulement pour se donner du courage malgré sa gorge étranglée par l’émotion et plisse les yeux en faisant mine de fixer l’horizon. Parce qu’elle ne peut pas regarder Heidi dans les yeux, pas maintenant. « Je suis désolée, tu sais. Pour le… truc, avec Jenna. » Maintenant, le bout de sa langue brûle et ses oreilles sifflent. Pourquoi est-ce que c’est si difficile ?

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From strangers to friends to strangers again

Je dois bien accorder quelque chose à Sol et ses copines, c’est qu’elles ont du cran. C’est la première fois que j’entends que des habitants sont concrètement prêts à faire quelque chose pour débusquer l’Œil de Lynx, et j’avoue que je suis curieuse de savoir si cela pourrait vraiment affecter sa petite routine et le/la pousser à se montrer ou à passer à la vitesse supérieure. J’ai l’espoir que ce soit simplement quelqu’un qui fasse ça pour amuser la compagnie ou se distraire, évidemment. Ça m’étonnerait grandement que cette personne soit dangereuse. Et s’il s’avère que c’est la maire qui se cache derrière tout ça pour créer une sorte de mystère et rendre la ville attractive, ça serait drôle.

J’esquisse un sourire en coin quand elle me confirme que mes exploits olympiques seront bel et bien connus de tous. « – Hâte de voir ce vont être vos supposés secrets à vous aussi. » C’est assez marrant d’être la confidence, et à la fin de ses explications, un silence naît entre nous. En temps normal, il n’aurait pas été dérangeant, presque agréable. Mais aujourd’hui, il me permet de réaliser que j’ai finalement baissé un peu ma garde au fil de notre conversation, comme avant, comme si notre complicité ne s’était jamais vraiment arrêtée. Sauf que c’est faux.

Gênée, je ne sais pas trop comment enchaîner, alors je baisse les yeux vers mon carnet, dans l’espoir qu’elle reprenne la parole en premier, ou qu’un petit enfant égare un ballon près de notre banc. Ça fera une distraction pour passer à autre chose. Mais rien de tout cela ne se passe, et à la place, c’est Sol qui réengage la conversation avec des excuses. Et il me faut encore quelques secondes pour réaliser que l’initiative vient d’elle. Je la connais encore bien assez pour savoir qu’un tel acte lui coûte, et donc, qu’elles sont sincères. Mais la blessure est encore tenace, bien que j’apprécie ce premier pas qu’elle fait vers moi. « – Si tu lui faisais réellement confiance, je crois comprendre pourquoi tu l’as crue… Mais c’était aussi blessant que tu n’accordes pas autant d’importance à ma partie de l’histoire. Après tous les efforts qu’on avait déployées toutes les deux pour que ça marche, pourquoi j’aurais fait ça ? »

— Au début, c’est comme si c’était quelqu’un d’autre qui avait dit ça à sa place. Mais plus les secondes s’écoulent, plus elle est ancrée dans la réalité : ça lui fait mal, mais elle vient bien de s’excuser. Il le fallait, rien n’aurait pu avancer sans ça, et pourtant elle s’en retrouve quand même avec la sensation d’avoir creusé sa propre tombe. Entre la sensation de honte éternelle, la culpabilité dévorante et la fierté mal placée, difficile de se sentir bien après ça. On dit que la vérité est libératrice mais c’est faux ; elle va y penser pendant les semaines à venir et ça se verra jusqu’à même les futures cernes sous ses yeux.
Évidemment, Heidi comprend. Elle comprend toujours tout sans même rechigner que ça en devient oppressant. Elle aurait largement préféré que son ancienne amie lui hurle dessus – elle aurait pu faire de même et toute cette conversation aurait été bien plus simple. Peut-être pas plus productive, mais plus facile, c’est certain. Secouant doucement la tête de gauche à droite, elle garde les yeux fixés sur un point loin devant elle. « Exactement pour cette raison. Une nouvelle amie n’avait aucune raison de me mentir, du moins c’est ce que je croyais. Alors que toi… tout aurait pu être un plan si bien ficelé que j’en aurais été impressionnée. Il faut un sacré cran pour essayer de m’avoir deux fois de la même façon. » Et si ça avait effectivement été tout de la faute d’Heidi, elle aurait même réussi. De quoi lui arracher un frisson d’horreur ; quand est-elle devenu si naïve, si manipulable ? A force de s’autoproclamer forte et indépendante, la voilà qui tombe dans des travers qu’elle n’aurait jamais cru possible.
Après une seconde de silence, elle reprend la parole en essayant de rendre son ton moins dur, moins tranchant. « Même avec tous ces efforts… je n’ai aucune garantie de rien. Pardonner une fois était déjà si difficile que faire confiance les yeux fermés m’est devenu impossible. Alors j’ai choisi la version la plus facile et la plus évidente. Je ne dis pas que j’ai pris la bonne décision ou que je le referais, mais de mon point de vue, avec le contexte et les informations que j’avais, ce n’était pas insensé. » Loin de là, même. Tout s’imbriquait tellement bien dans cette version de l’histoire, tout était si logique que c’en est effrayant. Peut-être que ça passerait pour de la victimisation ou de l’apitoiement sur elle-même, mais elle espère que quelque part dans cet instant de calme, elle y a un peu droit aussi.

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From strangers to friends to strangers again

La tournure de notre conversation est devenue surprenante, mais je ne suis pas fâchée qu’on mette enfin les choses sur la table. Si elle est la première à en parler, c’est bien que tout cette histoire a bien dû lui peser à elle autant qu’à moi, n’est-ce pas ? Par réflexe, j’ouvre la bouche parce que j’ai envie de rappeler que la « première fois » n’avait pas du tout été calculée pour lui faire du mal, mais on a déjà eu cette discussion là. Je me souviens bien assez de cette dispute au Moro Center, qui ne nous a pas laissées indemnes toutes les deux, et même avec les meilleures intentions du monde, c’est vrai que j’ai aussi eu mes torts, même si c’est moi qui en ait payé le prix fort. Alors je me contente de rester silencieuse pour le moment, parce qu’on tournerait en rond et que ça risquerait ce rare moment d’accalmie.

« – Elle voulait tellement être dans tes bonnes grâces… J’ai trouvé ça étrange, mais je ne pensais pas qu’elle manigançait tout ça depuis le début. Le pire, c’est que je n’arrive toujours pas à déterminer si c’était vraiment de la méchanceté de sa part, ou… Quelque chose d’un peu désespéré. » Quand on espère tellement recevoir l’approbation de quelqu’un, on peut bien être capable du pire, et toute cette histoire nous l’a prouvée. Il y a encore plusieurs semaines, c’était facile de me dire que je n’avais rien fait de mal, et que je devais simplement accuser le coup, essayer de reprendre ma vie sans me dire que Sol pourrait redevenir mon amie. Depuis, tout est devenu confus, pas forcément dans le mauvais sens, mais c’est difficile de dire de quoi demain sera fait, ni même si notre amitié pourrait tout doucement se reconstruire. On a essayé une autre fois, et voilà qu’elle est repartie en éclats.

Les mauvaises langues disent bien que les choses n’arrivent jamais deux fois sans une troisième. Que le tort vienne d’elle ou de moi cette fois, ça nous ferait peut-être un trop-plein à encaisser. « – Tu crois qu’on y arriverait, à avoir une amitié pour de vrai ? Je veux dire, sans nuages ? » Je relève les yeux vers elle alors que j’affiche un sourire presque triste. Je ne doute pas qu’elle ait été sincère, à un moment ou à un autre. Pour être si blessée par quelqu’un, il faut que cette personne compte réellement pour nous, et pour le coup, c’est applicable à toutes les deux.

— En fronçant un peu les sourcils, elle montre sans le vouloir que tout ça l’affecte aussi. « C’est agaçant à admettre mais en fait, je n’en sais rien. » C’est vrai, Jenna a toujours tout fait pour lui plaire et elle, en retour, lui a ouvert toutes les portes. C’était une amitié profitable pour elles deux, peut-être que c’est ça qui a déclenché cette catastrophe. Vouloir éloigner Heidi… Oui, c’était désespéré. « Elle m’a perdu, moi. Mais elle a gagné tout ce que j’ai construit sans l’aide de personne et elle ne m’en a pas laissé une miette. Et c’est exactement ce qu’elle voulait, en traînant avec moi. Devenir comme moi. Devenir moi, à ma place. » Elle hausse les épaules comme si ça ne la concernait même pas alors que tout au fond de son cœur, la trahison résonne encore. Tout le monde a perdu dans cette histoire, sauf la brune. « Enfin, j’imagine. » Un soupir fatigué lui échappe. Elle l’a prise sous son aile en pensant se faire une alliée, une amie ; en pensant avoir trouvé un alter égo à sa (dé)mesure. On dirait que tel est pris qui croyait prendre, ses ambitions de grandeur se sont vite retournées contre elle. « Tu sais, j’ai organisé une fête pour halloween. Comme tous les ans. Personne n’est venu parce que tout le monde est allé à la sienne. » A la fois sur le ton de la confidence et celui d’une fatalité qu’on n’essaye même plus de fuir, elle sait bien qu’elle n’est plus qu’une étoile filante sur le déclin face à la supernova Jenna dans le monde des gens populaires de la ville. Ça lui fait mal, plus qu’elle n’aimerait le réaliser, de se savoir déjà dépassée.
Un sourire sur les lèvres, elle baisse un peu les yeux comme si elle faisait mine de réfléchir. La question l’a traversée plusieurs fois, évidemment – celle-ci et tant d’autres. C’est difficile à concevoir, surtout maintenant. Relevant les yeux vers les siens, elle laisse planer le suspens quelques secondes sans répondre à sa tristesse à peine voilée. « Est-ce qu’on ne s’ennuierait pas un peu, sans nuage ? » Au bout du compte, c’est Heidi qui a toujours été là. Avec le bon, le mauvais et le pire que ça, c’est elle qui n’a pas cessé d’être présente ; tantôt en tant qu’amie, tantôt en tant qu’ennemie, peu importe. Elle est contente de la savoir à ses côtés ou dans un coin de son esprit en permanence, elle n’échangerait ça pour rien au monde malgré toute la douleur et la destruction que leur relation a pu causer.

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From strangers to friends to strangers again

On dit que les déceptions amoureuses sont les plus douloureuses, mais je crois qu’on sous-estime bien trop souvent les déceptions amicales. Je n’ai jamais été en couple à proprement parler, et pourtant je sais ce que c’est que d’avoir le cœur brisé, alors je pourrais bien témoigner. Et même si les actions de Sól restent encore condamnables aujourd’hui, je n’oublie pas qu’elle a été trompée elle aussi. Quitte à être un poil trop empathique, on dirait bien qu’elle a cru dur comme fer cette version qu’on lui donnait, et même si elle est douloureuse pour moi, j’imagine qu’elle a dû se sentir mal quand la vérité a éclaté. Avoir le sentiment d’avoir fait une bêtise sans en être responsable à 100 %.

Je ne comprends pas bien le lien qui les unissait Jenna et elle, alors je la laisse m’expliquer ce qui s’est passé de son côté. Je ne voyais que le côté suivie et suiveuse, mais je grimace en comprenant que c’était plus complexe que ça. Du côté de la brune, on dirait bien que ce n’était qu’une relation basée sur l’opportunisme, et si c’est triste pour Sól, ça l’est aussi pour elle. Tant mieux si ça lui réussit pour le moment, mais ça doit très vite être solitaire comme mode de vie.

« – Désolée de l’apprendre… Mais tu rebondiras. Après tout, tu le fais toujours. » Ce n’est pas simplement pour booster son égo, mais c’est la vérité. D’aussi loin que je m’en souvienne, elle ne s’est jamais laissée démonter par une quelconque mésaventure. J’ignore si celle-ci sera l’exception qui confirme la règle, mais ça m’étonnerait.Il y a un petit moment de silence, dans lequel je lui demande si on pourrait avoir une amitié sans drama.

Je crois qu’on avait réussi à plutôt bien s’entendre, qu’on était reparties sur le bon pied, mais maintenant, tout semble plus incertain que jamais. Et pas plus tôt ma question posée, sa réponse me laisse présager le pire. Est-ce qu’elle va me dire qu’une partie d’elle se méfiera toujours de moi ? C’est plausible. Elle est d’un calme olympien, mais c’est aussi quand elle est dans cet état qu’elle sait le mieux piquer. Pour autant, ça serait étrange de sa part, après s’être montrée si vulnérable.

Finalement, sa réponse m’arrache un petit sourire. C’est vrai que notre amitié a été rythmée par des dramas en tous genres, mais on finit toujours par retrouver notre chemin vers l’autre. La preuve. La prudence dont j’ai fait preuve au début de notre échange commence même à s’émietter. « – Peut-être. Mais je préfèrerais me prendre la tête pour des choses futiles, comme une coupe ratée ou la couleur d’une robe. » Je hausse les épaules avec un petit air amusé, avant de regarder à nouveau un instant autour de nous. « – Peut-être. Mais je préfèrerais me prendre la tête pour des choses futiles, comme une coupe ratée ou la couleur d’une robe. » Je hausse les épaules avec un petit air amusé, avant de regarder à nouveau un instant autour de nous.

— Gonflée de fausses convictions et d’assurance feinte, elle souffle un instant comme si on venait de lui dire une évidence. « Oui, je le fais toujours. » Elle ne sait même plus pourquoi elle essaye de maintenir à ce point les apparences quand plus personne ne la regarde ; peut-être qu’après des années, elle ne peut simplement plus faire autrement. D’habitude, elle retombe sur ses pattes – toujours. Là, elle a la sensation qu’elle est en chute libre depuis des mois sans jamais apercevoir le fond du gouffre. On lui dira qu’elle en fait trop, qu’elle exagère, que ce n’est pas si terrible. Pour elle, ça l’est. C’est un énorme virage inattendu, elle n’a jamais vécu sa vie comme ça.
Après un moment de flottement, elle garde le silence. Peut-être qu’elle est déçue. D’Heidi mais aussi d’elle-même. Parce que tout au fond, une partie d’elle s’attendait à ce que l’ancienne amie revienne à ses pieds en rampant, à la supplier pour que tout redevienne comme avant et elle se serait empressée d’accepter. Mais ce n’est pas le cas et l’amertume dans sa bouche s’immisce vers sa poitrine. Le cœur battant et les yeux rivés droit devant elle pour ne rien paraître, elle remet son masque et son armure. « Peut-être que c’est si compliqué parce qu’on n’était pas destinées à être amies. » Plus sèchement qu’elle ne l’aurait voulu, elle conclut cet échange qui lui a pourtant tant coûté à débuter. Heidi sourit, comme apaisée, mais c’est loin d’être son cas. Elle aurait aimé que celle-ci partage ses sentiments, cet amour pour les catastrophes et les réconciliations ; secrètement, peut-être même qu’elle aurait aimé un pardon. Dans un geste souple malgré la fraîcheur, elle se relève sans plus de cérémonie. « C’était cool de te voir. Passe une bonne journée. » Et là, elle ne peut même pas lui dire ça en la regardant droit dans les yeux. Pathétique jusqu’au bout.

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From strangers to friends to strangers again

Mine de rien, Sól me fait de la peine. Je suis d'un naturel empathique, et bien sûr, je n'oublie pas que je suis censée être toujours en colère contre elle. Je suis malgré tout contente d'avoir eu sa vision des faits et ses excuses. Ça explique pourquoi sa réaction a été si difficile à encaisser, pourquoi la discussion était au point mort entre nous, et qu'il était impossible de trouver un terrain d'entente pour avoir cette discussion d'adulte. Finalement, la situation a pris un tournant triste, mais je mentirais si je disais que je ne suis pas un peu égoïstement soulagée de savoir que mon image est bien lavée de toute cette histoire. Certes, ça ne répare pas le passé, mais au moins, ça prouve que je suis de bonne foi.

Je n'ai jamais aimé être dans la lumière, mais depuis toute jeune, j'ai toujours prêté beaucoup d'importance à la manière dont les autres me voyaient. Alors évidemment, quand une fille comme Sól m'a prêté de l'attention, aussi sûre d'elle en apparence et déterminée a accepté de m'offrir son amitié, j'étais aux anges. Je n'ai jamais été envieuse comme Jenna, mais je trouvais fascinant cette manière qu'elle avait de se mettre facilement les gens dans la poche. C'était réconfortant d'être dans son cercle proche et je n'en demandais pas plus. Mais aujourd'hui, je me rends compte que cette position est bien moins glorieuse que je ne le pensais. Elle m'a l'air surtout bien solitaire.

Et comme si je n'en avais pas fini avec le mystère Sól, voilà qu'elle me pose une nouvelle énigme. Je pensais que la situation s'était un minimum apaisée entre nous, et voilà que les premiers prémices d'une nouvelle secousse se font sentir. D'abord troublée, je fronce les sourcils, comme pour réfléchir sérieusement à cette pensée. Et finalement, ça me fait secouer la tête. « – Alors pourquoi est-ce qu'on tombe constamment l'une sur l'autre ? » Je tourna la tête vers elle pour espérer croiser son regard, mais il n'en est rien. À la place, elle m'annonce son départ de façon plutôt abrupte, et j'ouvre alors à nouveau mon carnet pour reprendre mon activité et la laisser filer. Je sens bien que la discussion doit se terminer ici de toute façon. « – Bonne journée à toi aussi. »