Un miroir comme un autre [Orel]

La capuche de son sweat sur la tête, son sac à dos version US Army avec ses bombes de peinture sur une épaule, il se baladait dans la ville à chercher un autre coin où graffer. Et s'il était facile à Paris de trouver des murs à s'approprier, ici à Bergen c'était une toute autre histoire. C'est qu'il ne tenait pas à se retrouver au poste pour une histoire de vandalisme... Surtout avec son casier judiciaire déjà bien lourd ! Il avait donc profité de la liberté de pouvoir aller et venir comme bon lui semblait -et autre part que dans une cour fermée aussi bien sur les côtés par des murs que sur le haut par un grillage- pour chercher du côté de la jeunesse et donc de l'université. Lieu où il n'avait lui-même jamais pu mettre les pieds et il ne pouvait qu'espérer qu'Illyana ait elle, cette chance. Du moins, il économisait chaque couronne qu'il pouvait pour pouvoir le lui offrir, une fois sa majorité venue.

Il allait s'éloigner pour chercher un autre endroit -parce qu'il était difficile de trouver des murs en béton au milieu des arbres- lorsque son regard tomba sur un stand. Où il fit l'erreur de s'approcher par curiosité alors que bien vite un drapeau arc-en-ciel lui arracha autant la rétine qu'un long soupir fatigué... Et alors qu'une femme de l'âge d'être sa mère l'alpaguait déjà avec un grand sourire chaleureux tout en lui fourrant des dépliants de prévention dans les mains. Oh pitié... Sa réaction fut immédiate, et surtout épidermique ! "Et-ce que j'ai l'air d'être une tarlouze ?! Franchement ? Vous m'avez bien regardé !? C'est pas ici que vous devriez faire de la prévention mais auprès des pères, ça éviterait d'avoir des gamins battus !... Vous servez vraiment à rien !" Il s'en foutait, il ne connaissait personne ici. Alors pour une fois, il avait sorti ce qu'il avait réellement sur le cœur quant à toutes ces conneries d'associations. Et alors qu'il avait balancé les dépliants au visage de cette femme. Bon, ce n'était pas sa mère qui les avait abandonnés du jour au lendemain à leur père mais... elle lui ressemblait un peu. De ses souvenirs. Dommage pour elle.

Vu le silence soudain qui s'abattit sur le stand, il avait réussi à choquer autant cette femme -qui n'y était strictement pour rien- que toutes les personnes se trouvant tout autour. Mais il s'en foutait. De toute façon, il se détournait déjà pour partir et pour surtout, passer à autre chose. C'est que tout cela était sans doute très bien pour la pauvre petite chose qu'était la petite merveille mais certainement pas pour lui !

Parmi tous les métiers que j'avais, celui de coach de l'équipe universitaire de football était celui qui me prenait le plus de temps. Etant encore très jeune pour exercer à ce poste -bien que j'étais épaulé par un coach assistant-, beaucoup pensaient à tord que je n'arriverai pas à tenir le choc mais l'année se terminait et notre équipe était en demi-finale. Voilà une belle manière de faire taire les mauvaises langues. Nous étions entrain de sortir d'un entraînement plutôt intensif lorsqu'une voix s'éleva brutalement et attira notre attention. Un homme venait de lancer des dépliants au visage d'une femme en clamant qu'il n'avait rien à voir avec ladite cause et que la prévention devrait se faire plutôt auprès des pères abusifs. Mon sang ne fit qu'un tour au mot qu'il venait d'utiliser, "tarlouze", ça faisait parti du genre d'injure que mon géniteur avait bien trop souvent utilisé à mon encontre pour me blesser et ma réaction fut immédiate. La suite de ses propos avaient été occultés par ce mot là, pour le moment au moins. Je lâchais mon sac de sport pour me diriger vers cet inconnu, le bousculant pour qu'il se retourne et me fasse face.
« Hey ! C'est quoi ton problème ?! » Je ne me serais jamais permis de défendre cette cause auparavant, trop effrayé qu'on m'assimile à cette idée. Mais maintenant tout était différent, je n'avais plus peur de qui j'étais et au contraire, j'avais envie de me battre pour ceux qui n'arrivaient pas à s'ouvrir. « Tu crois franchement que ta réaction est utile ? C'est pour des gars comme toi qu'ils sont obligés de faire de la prévention, pour vous apprendre à arrêter d'être con ! »
Ça me rendait réellement dingue de voir ce genre d'action encore aujourd'hui avec tout ce qui se faisait pour aider cette communauté. Pourtant j'avais vécu dans l'ombre pendant tellement de temps que je pouvais parfaitement comprendre les deux parties, même s'il ne m'était jamais arrivé d'être aussi extrême. « Ce n'est pas toujours la faute des pères abusifs. Tu devrais lui présenter des excuses, à elle et à tous ceux que tu as pu blesser avec ce mot. Parce que eux, au moins, ils ont le mérite d'aider les jeunes battus par leur père pour ce genre de motif. » je ne payais pas de mine devant ce gars, il faisait bien dix centimètre de plus que moi et avait un air affiché sur le visage qui aurai pu faire fuir n'importe qui, mais l'injustice était quelque chose qui me mettait hors de moi, surtout à ce propos. Et si, jusqu'à présent j'avais toujours gardé cette rage au fond de moi, désormais ce n'était plus le cas.

Ne lui demandez pas pourquoi cette folle lui avait collé de tels dépliants dans les mains. Comme si cela pouvait le concerner... Mais c'était tout le problème avec ces "gens-là", c'est qu'ils pensaient que tout le monde était comme eux ! En tout cas, il n'avait rien lu ni même écouté ce qu'elle avait à lui dire. Il avait juste explosé et ça lui avait fait un bien fou. Sans doute d'ailleurs parce qu'elle avait une vague ressemblance avec sa mère. Mais il ne s'était pas non plus attardé, ou plutôt il avait cherché à quitter les lieux rapidement ne voyant plus rien à faire ici. Sauf qu'il fut arrêté. Et pas de la plus courtoise des façons ! Se moquant totalement du fait qu'il avait été lui-même tout sauf courtois et poli. "Qu'est-ce que tu me veux ? Je t'ai rien demandé, fiche-moi la paix !" Parce qu'il ne tenait pas vraiment à s'attarder davantage que nécessaire ici. Hors de question d'être assimilé à "eux" !

Et il l'aurait bien bousculé pour pouvoir passer mais ce qu'il racontait était tellement hors de la réalité qu'il se sentit le besoin de recadrer les choses. "Si tu ne veux plus avoir des cons comme moi, c'est pas les gens comme moi qu'il faut aller voir mais leur père... Tu sais, le genre de type qui cogne leur gamin parce qu'il joue à la poupée avec leur petite sœur, juste parce qu'il a vu à la télé que les schémas familiaux se répétaient et qu'il veut lui montrer qu'un homme peut aussi être doux et tendre. Histoire qu'elle se trouve un type bien une fois adulte... Et crois-moi, t'as du boulot !" Et cela sans compter tout l'aspect religieux des choses. Bien que c'était peut-être par là qu'il fallait déjà commencer, mais ce serait sans lui. Il avait déjà assez donné !

Il en secouait la tête devant tant de bêtises concentrée et en était même à lever les yeux au ciel d'une façon tout sauf discrète lorsqu'il éclata soudainement d'un rire amer. "Pas la faute des pères abusifs ?! Mais t'entends ce que tu dis ? Quant à aider les gosses battus, et ils les aident comment ? En s'interposant peut-être !? Me fais pas rire ! Lorsque la porte de l'appartement claque sur toi, t'es tout seul ! Personne n'est jamais là, et encore moins eux avec leurs petits bouts de papier !" Dieu, il savait de quoi il parlait... Alors pour les excuses, il pouvait toujours courir. C'était déjà rare lorsqu'il en faisait -du moins sincèrement, sans y avoir un gain quelconque lié à celles-ci- mais il n'allait certainement pas en faire à une bonne femme qui l'avait d'office considéré comme une de ces tarlouzes. "Alors pour tes excuses, compte dessus et bois de l'eau ! Je lui ai rien demandé moi à cette bonne femme, c'est elle qui m'a agressé avec ses papiers." Parce que lui aussi pouvait hurler au scandale, il n'y avait rien de plus simple !

Il avait totalement raison, il ne m'avait rien demandé, mais sa réaction était démesurée et je m'étais senti obligé de le remettre à sa place. Ma crédibilité n'était pas très élevée à ses yeux et mon geste n'avait pas vraiment eu d'intérêt au final. C'était comme un coup d'épée dans l'eau, ça n'avait servit qu'à le faire parler davantage. Peut-être un peu trop précisément à mon goût d'ailleurs. Et ma colère s'apaisa légèrement en réalisant que son explication était peut-être bien du vécu. Aurait-il été ledit enfant qui jouait à la poupée avec sa petite soeur ? Ou avait-il connu cette personne ? Le visage toujours fermé, mais l'attitude moins agressive, je le repris lorsqu'il me cita.
« Ne détourne pas mes paroles. J'ai juste dit que ce n'était pas toujours de leur faute. Evidemment que lorsque c'est le cas, ils sont les principaux fautifs. » J'en étais le premier affecté, un père homophobe qui avait toujours tout fait pour m'enfermer dans ses cases. « Mais les bénévoles ne veulent du mal à personne. » dis-je en parlant du stand de prévention. « Et même si leurs moyens sont limités ils tentent d'aider au mieux avec ces stand ou, en dehors, en tendant une main aux personnes que tu décris, en leur proposant de l'aide et leur rappelant qu'ils ne sont pas tout seuls. » Evidemment ce n'était pas aussi simple que ça et lorsqu'on était dans le déni ce n'était pas une main tendue qui s'avérait être utile. Bastien m'avait déjà proposé d'aller à ce genre de réunion, et pour être honnête, j'avais préféré régler mes comptes seuls plutôt que mettre les pieds là-bas. « On a du te donner une sacré éducation de merde pour que tu ai si peu d'estime pour cette cause. Ils ne t'ont rien fait, ta  réaction est démesurée, gratuite et inutile. »
Ma colère avait fini par se dissiper, peut-être parce que j'avais l'impression qu'il se sentait bien plus concerné qu'il ne semblait l'être à première vue. Une présence près de moi me fit réaliser que nous n'étions pas seuls et que je venais juste de me donner en spectacle devant mon équipe. La capitaine me tendit mon sac que j'avais laissé tombé en écoutant l'homme s'écrier. « Tout vas bien ? » Alors que j'attrapais mon sac pour le récupérer, ma tête s'abaissa pour appuyer mes paroles. « Oui, vous pouvez partir, tout va bien. » L'équipe, un peu perplexe, fini par m'écouter et quitter les lieux alors que mon attention se reporta sur l'homme que je venais de bousculer. Un peu confus face à ses paroles qui me laissait sous-entendre le contraire de ses agissements. Se pourrait-il qu'il soit refoulé ?
« Est-ce que tu mesure au moins l'impact que peu avoir des mots ? Ok, tu ne veux pas t'excuser, mais comprends au moins que ce n'est pas en utilisant ce genre de termes que tu te sentira meilleur ou supérieur. La différence existe, que tu le veuille ou non et ce n'est pas forcément une faiblesse. »
Le ton utilisé était beaucoup moins agressif mais j'étais toujours très contrarié qu'il ai pu avoir ce genre de réaction envers cette pauvre femme qui ne faisait que lui donner un flyer. Il n'y avait rien de violent dans l'acte de la bénévole et il l'avait repoussé avec un tel dégoût que ça en était insultant.

Comme si ça suffisait pas d'avoir été alpagué par une femme ressemblant un peu trop à sa mère -et pour lui coller des trucs homosexuels dans les mains en plus !- il fallait qu'il fasse maintenant avec le chevalier blanc des grandes causes nationales... Comme si celui-ci n'avait pas autre chose à faire ! Genre aider un papy à traverser la rue ou donner des cours d'alphabétisation ? Ou n'importe quoi d'autre qui tiendrait sa si belle morale éloignée de lui ? "Ils ne servent strictement à rien..." Parce que oui, il persistait et signait ! "Si ce n'est te pourrir la vie et couper des arbres pour imprimer leurs papiers. Et viens pas me dire que c'est du papier recyclé parce que l'encre n'est pas recyclée elle !" Chacun ses causes après tout ! Bien que c'était surtout pour avoir le dernier mot parce qu'il n'en avait rien à faire de l'écologie. Comme du reste, d'ailleurs... Mais il supposait que ce type était bien le genre à y être sensible, non ?

Quant à ce qui concernait son éducation "de merde", il répondit sans hésiter, tout en se payant le luxe de l'innocence affichée. "Education catholique et si tu as quelque chose à y redire, tu peux toujours aller au Vatican te plaindre auprès du Pape ! Je suis sûr qu'il sera très intéressé par ta vision des choses." Ce n'était tout de même pas sa faute si les religions étaient si intolérantes pour... tellement de choses en fait ! Et juste parce que ça l'amusait et que ça le changeait de cette colère sourde qui le rongeait depuis sa dernière rencontre avec Paco -et dont il se serait bien passée- il fit un petit synopsis non exhaustif de tout ce qu'il avait intégré depuis l'enfance... "Deux hommes ensembles, c'est contre-nature. La nature veut un homme et un femme pour pouvoir se reproduire. Et puis avant, il n'y en avait pas tant que ça. Tout ça c'est à cause de la société décadente. C'est l'Enfer qui les attend ! Et puis comme toutes les maladies mentales, ça se soigne. Les thérapies de conversion ont de très bons résultats... C'est avec ça que j'ai été éduqué." De quoi donc bien affoler son chevalier blanc des grandes causes humanitaires !

Et visiblement pas seulement lui vu l'inquiétude qu'il percevait chez les sportifs qui l'accompagnaient. Parce qu'en plus tout ce beau monde semblait être des adeptes d'une vie saine dans un corps sain ! Il ne fut d'ailleurs pas mécontent lorsque tout le monde fut renvoyé au vestiaire. Alors que lui se trouvait à devoir faire avec un sermon plein de bons sentiments et si mielleux qu'il en devenait poisseux. "Oh oui, je sais la portée des mots... On m'a dit que je puais parce que j'étais en tenue de travail. Ce n'est quand même pas ma faute si le poisson à une odeur ! Est-ce que je lui ai reproché moi que son abruti de chien ait des poils ? Quant à mieux négocier mes tarifs... Comme si j'avais eu le choix ! On ne se prostitue pas pour le plaisir, surtout avec un mec !" Il ne décolérait donc pas. Et tant pis si ce type ne devait rien y comprendre, de toute façon il parlait plus à lui-même qu'à celui-ci. Même si pour le coup, il lui demanda. "Et c'est quoi ton nom ? Parce que Chevalier Blanc des grandes causes humanitaires, c'est un peu long... Et crois-moi, je me sens ni meilleur, ni supérieur à quoi que ce soit." Ce serait difficile vu ce qu'il avait fait. Mais au moins, c'était sorti. Peut-être que ça allait lui permettre de se sentir mieux ? Une fois que la boule qu'il avait dans la gorge serait elle aussi partie... Comme quoi étonnamment, il était capable de détester davantage Paco que la petite merveille !

La mâchoire crispée, je ne comprenais pas où il voulait en venir. Ses paroles semblaient être une diversion, comme s'il avait envie d'arrêter de parler en mal de la cause lgbtq et préférait lancer un autre sujet. Je pensais faire face à un homophobe déterminé et tenace mais il n'avait pas fallu beaucoup pour le calmer sur l'idée.
« Tu ne me fera pas croire que tu défends la cause écolo alors que tu piétine ces personnes et leur jette leur flyer à la gueule.  »
Il n'était pas impossible que des défenseurs de la terre puisse être aussi contre la diversité sexuelle, mais la situation me faisait penser que ce n'était pas vraiment le cas pour lui et lorsque j'évoquais son éducation il rétorqua immédiatement en exposant une raison totalement attendu. Saleté d'éducation catholique, elle avait lavé le cerveau à bien des personnes et j'avais tellement refoulé à cause de ça.
« Pas besoin d'un exposé, j'ai grandis dans ce genre de famille et que je sache, je n'ai pas fini par détester tout ce qui bouge. Du temps que ce n'est pas une injustice qui se produit devant moi. »
C'était une situation particulière et assez étrange. Dans notre confrontation, nous semions quelques confidences et j'ignorais s'il le comprenait mais il m'en disait davantage sur lui avec ces petits détails. Mais la suite de ses explications furent complètement illogiques, il passa d'une information à une autre et pour la peine, j'en appris encore plus sur lui avec ça. Mais ma curiosité n'était pas intrusive et même si le sujet de la prostitution était quelque chose de vraiment délicat, j'hésitais à lui en demander davantage. En effet, se confier au gars qui venait de le bousculer pour lui aboyer dessus, ce n'était pas commun.
« A...attend quoi ? » ça m'avait tout de même rendu confus « Tu... ? » je restais interdit, tenté d'en apprendre un peu plus malgré tout. J'aurai certainement pu l'aider d'une quelconque manière. Je me rendais compte que cette situation était vraiment contradictoire, autant dans les paroles que dans les gestes. Après avoir voulu lui mettre un coup pour son agissement, l'idée de l'aider était passé dans mon esprit.
« Non en effet c'est un peu long, et pas franchement représentatif. » Défendre les causes humanitaires n'était pas dans mes habitudes, mais cette fois ça m'avais fait vriller. Surement un trop plein. « Si tu cherches à donner un nom à celui qui tente juste de te faire comprendre qu'il faut arrêter de persécuter ceux qui sont attirés par le sexe opposé, tu peux m'appeler Orel. Et j'ai affaire à qui ? Parce que généralement, lorsqu'on se présente, il y a un retour. »
Etrangement, les présentations descendirent le ton de notre conversation qui était toujours contrariée mais peut-être un peu moins animale. Je croisais les bras avant de faire mon analyse, un peu comme une psychologie de comptoir.
« J'ai l'impression que tu as bien plus à voir avec cette cause que tu ne veux le faire croire. Et on dirait aussi que tu en souffre au point de balancer quelques bribes de confidences par là à des inconnus pour te libérer un peu. » La carte de l'honnêteté était peut-être ma meilleur option. « Je ne te conseillerai pas leur aide, à ta place je l'ai refusé aussi et je me suis fait justice tout seul. Par contre, tu devrais parler à quelqu'un parce que pour le moment tu lance quelques infos au hasard, mais ça finira par prendre trop d'importance et trop de poids pour tout garder. »
Il n'allait certainement pas accepter mon conseil non plus, je savais trop bien ce que c'était, ce qui me permettais de comprendre et de prévoir certaines réactions même si tout n'était pas comparable évidemment.

Passé les grands mots -parce que "piétiner ces personnes" c'était tout de même un peu exagéré, non ?- il ne pouvait pas lui donner tort. Il se moquait de la cause écologique presque autant que celle de l'homosexualité, ce qui n'était pas peu dire ! Il en haussait d'ailleurs les épaules avec indifférence tout en se dédouanant de ses actes. "Bah, tout ça ne me concerne en rien de toute façon. Et puis, ils n'ont pas qu'à alpaguer les gens comme ça dans la rue..." Alors que sans grande surprise, Monsieur Chevalier Blanc des grandes causes humanitaires évoquait à son tour une éducation religieuse. Mais qui apparemment avait davantage pris chez lui au vu de ses grands élans charitables... "Désolé mais j'y crois pas à toutes ces conneries. J'ai toujours trouvé ça très hypocrite parce qu'en vérité, t'en as rien à faire d'elle. Tu ne la connais même pas ! Et c'est pas parce qu'elle présente bien que c'est forcément une belle personne." Et il en savait quelque chose...

Et c'était d'ailleurs sans doute ce qui l'avait fait réagir de façon si épidermique. Parce qu'elle avait des airs de sa mère, du moins de ses souvenirs... Parce que du jour où elle était partie sans les emmener avec elle, ils ne l'avaient plus jamais revu. Ni même eu de ses nouvelles, et ce n'était pourtant pas faute d'avoir attendu. Il ne pouvait que souhaiter qu'elle se soit finalement noyée dans la Seine... En tout cas, cette vague ressemblance avait certainement été la goutte d'eau qui avait fait déborder le trop plein de son passé venu le poursuivre jusqu'ici. Et c'était plutôt une bonne chose que ce soit un total inconnu qui ait été là à ce moment-là. Il ne s'expliqua donc pas davantage se contentant de faire comme s'il n'avait pas entendu les questions, préférant se focaliser sur le nom de son "maître à penser". Son père aurait d'ailleurs adoré avoir un tel titre ! "Orel... Je ne m'étais pas trompé, ça sonne très preux chevalier." Ou comment éviter de se présenter lui-même.

Mais il sourit, un peu soufflé qu'on vienne encore lui affirmer que son homophobie latente -surtout héritée de son père- prouverait à elle seule son attirance pour les hommes. Ce qui était du grand n'importe quoi ! "Donc si je suis ton raisonnement, mon père serait tout comme moi, gay ? Vous êtes tous très drôles à vouloir me cataloguer "homo" mais je suis hétéro, tout comme mon père d'ailleurs." Parce que si on passait les idées loufoques de Bekka, il avait été en fait le premier choqué de voir tout l'équipage trouver comme normal qu'il leur présente un -faux et il tenait à le préciser, même seulement en pensée- petit-ami ! Alors qu'ils étaient tous eux-mêmes parfaitement hétéro et mariés, ou en passe de l'être pour Aaron et Bekka. "Mais ça va aller, je te remercie. C'est juste que... J'étais censé avoir tout quitté en France et je retrouve tout mon passé ici. Elle... ressemblait à ma mère. Un peu." La moue tout comme le ton amer clôturaient à eux seuls le sujet.

D'autant qu'à son aveu, son regard surpris se tourna bien vite sur Orel. "Alors t'en es ?... C'est vrai cette histoire que vous êtes capables de vous reconnaitre entre vous juste en vous regardant ?" Parce que si c'était le cas, il était définitivement hétéro ! Mais étonnamment alors qu'il aurait dû avoir un mouvement de recul d'horreur, ça ne lui fit ni chaud, ni froid. C'était bizarre de voir à quel point la petite merveille pouvait l'agacer à un point inimaginable alors qu'avec Orel, rien. Nada ! "J'en connais un autre, et je ne peux pas le voir mais toi, ça va. Je te trouve même sympa malgré ton côté moralisateur. Et t'as fait quoi pou te faire justice ?" Parce que... Ca l'intéressait. Peut-être même qu'il l'affichait un peu trop autant dans son ton que dans son regard qui le fixait. Mais oui, il voulait savoir... Et il parvint même à lui sourire alors qu'il lui indiquait. "Mes amis m'appellent Timmy..."

Il marquait un point il fallait l'admettre, elle s'était approché de lui pour le retenir alors qu'il marchait sans vraiment prêter attention à ce qui l'entourait. Elle aurait pu avoir une approche différente de celle-ci.
« Peut-être qu'elle aurai du utiliser un autre moyen de t'aborder, mais tu aurais pu en trouver un meilleur pour lui répondre. » Chacun d'entres eux avaient une part de responsabilité dans ce qu'il venait de se passer, elle pour son approche peu délicate et lui pour son geste. « Tu as raison, les apparences sont trompeuses. Qui nous dit qu'elle n'est pas une criminelle ? Mais je m'en suis mêlé par rapport à ta réaction, pas pour elle. »
Et en un rien de temps, mon esprit s'emmêla au point d'être complètement désarçonné. Je ne comprenais plus ce qu'il se disait, notre conversation pouvait avoir du sens mais à mes yeux elle n'en avait pas. Je fronçais les sourcils sous l'incompréhension, tentant de trouver une manière d'expliquer mon point de vu.
« Je n'ai pas de raisonnement particulier, je ne connais pas ton père et... » je soufflais d'exaspération « Ça n'a rien à voir. Je ne te catalogue pas. J'ai juste l'impression que cette histoire te touche plus que tu ne le penses. » Qu'il soit hétéro ou non, les raisons pouvaient être nombreuses pour que ça le touche. Il aurait pu avoir un mauvais vécu avec des gens de cette communauté, ou même juste refouler des pensées. Mais il avait surement besoin de parler et d'évacuer tout ça.
« Ok, je vois, si tu as de mauvais souvenirs de ta mère alors ce reflexe peu paraître normal finalement. Mais d'un point de vu extérieur c'était violent et gratuit. Et autre chose... Tu as vécu en France ? Cette ville va bientôt être peuplé de plus de Français que de Norvégiens. »
Voilà deux informations en une phrase qui m'avait beaucoup encore beaucoup apprit sur lui. Pouvions-nous considérer que nous étions en train de faire connaissance malgré le ton utilisé au tout début ?

« Franchement ? C'est des idées reçues. » comme si avoir une attirance donnait un radar, cette idée me faisait sourire. « Ce n'est pas parce que tu n'apprécie pas un gay que tu dois tous les mettre dans le même panier. Même si je ne suis pas totalement gay non plus. » En effet, même si je n'avais d'yeux que pour mon bouclé, j'avais quand même aimé des femmes. Ma relation avec Abigail n'avait pas toujours été qu'une façade. « C'est un peu exagéré de dire ça. J'ai juste avoué ma sexualité à mon père pendant une altercation, je me suis retrouvé avec des cotes cassées et l'absence totale de nouvelles depuis, même de ma petite soeur. Il n'y a rien d'exceptionnel. » C'était amusant comme en un rien de temps nous étions passés d'un conflit à un échange tentant de comprendre la situation de chacun. J'abaissais la tête lorsqu'il se présenta pour accepter cette information. « Tu aurai peut-être moins de mal avec les lgbtq si tu leur laissait une chance. Si tu penses ne pas avoir de problème avec moi alors ça pourrait être le cas avec d'autres. C'est quoi qui te bloque ? »

Le chevalier blanc... Décidément ce surnom lui allait à merveille. Parce que le voilà qui en était à faire la part des torts de chacun dans l'apparente volonté de faire un match nul entre cette femme et lui. Et soyons honnête, il se fichait totalement d'avoir les pleins torts ou pas. Ca ne l'empêcherait certainement pas de dormir le soir. Par contre, il trouva très drôle sa répartie totalement hasardeuse mais si à-propos ! "Et qui te dit que je ne suis pas un criminel moi aussi ? Ca se trouve, j'en suis un..." Un sourire moqueur aux lèvres, il tentait surtout de contenir son rire. Lui qui avait le sang de son propre père sur les mains tout en sachant qu'il réagirait exactement de la même manière s'il devait revivre tout cela encore une fois. Et sans le moindre remord.

Il laissait en tout cas Orel délibérer tout seul sur ce qui était normal ou pas comme réaction socialement admissible, s'étant lui arrêté au fait que tout cela le touchait apparemment beaucoup trop. Était-ce vraiment le cas ? Il avait détesté la petite merveille dès qu'il l'avait vu et c'était bel et bien lui qui avait fait en sorte qu'il devienne leur victime attitrée. Mais c'était qu'il représentait juste tous les coups qu'il s'était reçus parce qu'il n'était pas question pour son père qu'il se transforme en "ça". Et alors même qu'il ne s'était jamais posé de question sur son identité sexuelle. Après, c'était juste devenu une sorte de rituel pour assurer au monde entier que jamais oh grand jamais, il ne franchirait la ligne rouge. Et pourtant, il l'avait fait. Il avait accepté d'être utilisé ainsi. Mais est-ce que ça faisait de lui un homo pour autant ? Il clamait haut et fort que non, ne voulant pas être associé à "ça". Mais quelle était la part du réflexe de Pavlov là-dedans ? Il n'en savait strictement rien.

"Ouais, j'ai habité Paris toute mon enfance. Et je connais aussi quelques Français ici..." Il avait donc repris le fil de la discussion préférant mettre de côté les questions auxquelles il n'était pas sûr de vouloir des réponses. Pourtant, ce n'était pas son genre de ne pas vouloir regarder les choses en face mais là, c'était... compliqué. L'image de sa "mère" lui tendant des flyers sur l'homosexualité l'avait choqué. Et il avait surréagi. Amenant Monsieur ouverture d'esprit à lui faire des leçons de morale, tout en cherchant apparemment à comprendre d'où provenait son problème... Pouvait-il lui souhaiter bon courage ?

"C'est pas que je l'appréciais pas, je ne le connaissais même pas à l'époque. Mais il m'agaçait à s'afficher comme gay assumé. Tout le lycée savait qu'il en était et on avait l'impression qu'il s'en fichait ! Alors que la moindre des choses aurait été qu'il le cache." Il n'avait jamais compris. Et puis, il lui avait volé Paco, ce qui n'avait fait qu'empirer les choses... S'afficher comme gay alors que lui se recevait des coups pour des suspicions totalement fausses était déjà difficilement acceptable mais là, ça avait de loin dépasser les limites de ce qu'il pouvait tolérer... Jusqu'à en arriver là aujourd'hui, avec toujours cette haine chevillée au corps. "Elle est peut-être là la différence ? Tu es bi, pas... Homo." Ce qui avait été dit avec une grimace, question d'habitude. Quant à Orel, ça ne l'avait visiblement pas empêché de prendre lui aussi des coups. Et s'il recueilli ses confidence avec sérieux et une certaine compréhension mutuelle, il ne fit par contre pas le moindre commentaire. Parce qu'effectivement, il n'y avait rien d'exceptionnel à ça. Quand il disait que c'était les paternels qu'il fallait éduquer ! "Désolé pour ta petite sœur... Tu auras peut-être une chance de la revoir lorsqu'elle sera majeure ? J'attends que ça pour pouvoir revoir la mienne. Elle est actuellement en famille d'accueil." Il le souhaitait pour lui en tout cas.

Quant au fait de vouloir améliorer son expérience avec cette population, il en haussa les épaules avec une certaine indifférence. Ah quoi bon de toute façon ? "Il m'a volé mon meilleur ami à l'époque alors lui laisser une chance... J'en ai pas vraiment envie, non. D'autant qu'ils sont toujours accrochés ensembles, plus de dix ans après... En fait, j'ai surtout envie de le détruire." Et là, il parlait bien plus pour lui-même que pour Orel. Parce qu'il savait qu'il aurait un moment ou à un autre la possibilité de le faire. Et là, il s'en donnerait à cœur joie.

Sa remarque était pertinente, qui me disait qu'il n'était pas un criminel lui aussi ? Mais que voulait vraiment dire ce terme en réalité ? Ça pouvait être tout et son contraire, quelque chose de complètement infime ou à l'inverse, d'extrême. Je haussais les épaules, ne m'inquiétant pas trop à ce sujet. J'avais déjà eu à faire à des personnes plus menaçantes que ça.
« On peu être catalogué criminel pour tellement de choses, alors peut-être. Qui te dit que j'en suis pas un non plus ? » On ne se connaissait pas après tout, alors il aurait très bien pu être le pire des arnaqueurs, ou des voleurs que je n'en savais rien. Mais je sentais pourtant que les choses n'étaient pas si difficiles entre nous, cette conversation que nous avions n'était pas si forcée et même si nos avis étaient complètement différents. Parler de ce jeune gay qu'il ne supportait pas m'irritais quand même un peu.
« Pourquoi ? Est-ce que le fait qu'il s'assume était quelque chose qui te touchais personnellement ? Est-ce que ça changeait quelque chose à ta vie ? » C'est quelque chose que j'avais toujours eu du mal à comprendre, les réelles raisons des persécuteurs face aux minorités. « Pour le coup je ne suis pas de ton avis, il a eu le courage de s'assumer tôt contrairement à beaucoup. C'est remarquable. »
J'ignorais que sa victime était Bastien, mais déjà à l'époque je trouvais ça incroyable qu'il puisse s'assumer en public et je culpabilisais de le contraindre à vivre notre histoire à l'abri de tous les regards. Mon comportement aurai certainement été plus agressif si j'aurai connu l'identité de ce jeune homme.
« Alors tu me déteste à moitié c'est ça ? » je ne pu réprimer un petit rire amusé face à ce commentaire. Que je sois complètement homosexuel ou simplement bisexuel, l'histoire était la même, j'avais des relations avec d'autres hommes. Ça pouvait choquer, je comprenais que certains n'arrivaient toujours pas à admettre ce genre de mœurs, et pourtant c'était comme ça. « Elle est majeure, mais mon père a toujours été très manipulateur et il a une emprise psychologique importante sur elle. Donc les choses sont plutôt compliquées. » Quant à ce qu'il s'était passé lorsqu'ils m'avaient rendu visite, les aveux et les coups assénés, je savais que j'avais signé la rupture totale de contact avec ma famille. « J'espère sincèrement que tu pourras revoir ta soeur pour le coup, les liens fraternels sont très importants. » Et s'il pouvait vivre ce que je ne vivrais certainement jamais, ses retrouvailles avec sa petite soeur, alors j'en étais vraiment heureux pour lui.
« C'est marrant comme en dix minutes j'ai pu changer d'avis à ton sujet. Tu ne semble plus si idiot finalement. » je remis mon sac sur mon épaule, sentant mes jambes s'engourdir à force de ne pas bouger. « On a peut-être bien plus de point communs que je ne le pensais à première vue. » Pour la première fois depuis le début de notre conversation, je regardais autour de nous pour remarquer qu'il n'y avait plus personne. « Si tu veux continuer cette discussion, on peu aller boire un verre quelque part. Je te rassure immédiatement, il n'y a aucunes ambiguïté la dessous. C'est juste pour aller boire une bière. »
Il était important de le préciser, je n'avais pas envie qu'il se braque ou qu'il soit dégouté de cette idée. Le but était de pouvoir continuer à parler sans rester planté sur nos jambes à ne rien faire. J'avais besoin d'un verre en plus de ça, donc c'était un bon prétexte.
« Du coup c'est une sorte de jalousie que tu n'as pas réussi à digérer ? Comment il te l'a volé ? Il est sorti avec ? » J'avais du mal à comprendre, s'ils s'étaient disputés avec son meilleur ami, si c'était plus complexe que ça, s'ils avaient toujours un contact positif aujourd'hui ou au contraire, s'ils s'étaient fait la guerre jusque là.

Le chevalier blanc... Un criminel en puissance ? Il pouvait rire là !? Parce qu'il savait ce qu'était un criminel. Le Viking en était un et il était sûr que le Russe aussi. Et lui, bien sûr...  Mais Orel ?! Même Aaron devait être plus crapule que lui, pour dire ! Même s'il avait tout de même un côté moralisateur assez lourd ! Parce que s'il pu éviter toute réponse aux questions bien-pensantes en se contentant d'un vague haussement d'épaules, il en roula des yeux à ce qui suivit. Une véritable ode au courage d'assumer son homosexualité, n'importe quoi ! Et pour un peu, il aurait presque eu l'impression de se trouver face à Paco parlant de la petite merveille... Encore.

"Remarquable..." Ce mot avait été craché comme on aurait jeté une serpillière à terre pour s'essuyer les pieds dessus. "Donc tu imposes au monde entier ta différence en attendant que tout le monde soit tout sourire avec toi et si tu as le malheur de te faire insulter ou frapper, tu vas pleurer dans les jupons de tout le monde en hurlant à l'injustice ? Tu parles d'un programme... Désolé mais je ne marche pas. Si tu assumes, tu le fais jusqu'au bout et tu viens pas pleurer à la moindre remarque ou au plus petit problème." Et c'était bien ce qu'il reprochait à la petite merveille. Se servir de son orientation sexuelle et des problèmes que son affichage lui posait pour aller ensuite se faire plaindre par Paco. Si facile... Comme pour une grande partie des homosexuels d'ailleurs, au point qu'ils aient même besoin d'avoir des gens qui distribuent des flyers pour eux !

Alors forcément, sa réponse fut toute trouvée lorsque Orel le questionna à son sujet. "Pourquoi ? Tu comptes chouiner à moitié ?" Parce que si c'était le cas, il n'allait certainement pas s'embêter à moitié avec ça ! Et son expression le laissait bien envisager. Expression qui pourtant s'adoucit à la mention d'Illyana, sans pour autant faire le moindre commentaire. Mais comme on disait, chacun sa merde... Alors ok, ils avaient peut-être quelques points communs, mais ce n'était pas pour autant qu'il ressemblait à un chevalier blanc lui ! Et surtout, ce n'était pas lui prendrait fait et cause pour les homosexuels. Il n'aurait plus manqué que cela...

Quant à le trouver finalement plutôt sympa, il en sourit. "Dix minutes, t'es lent ! D'habitude, c'est moins que ça mais j'avoue, tu sais te faire pardonner. Va pour la bière..." Parce que oui, il pouvait être sympa, quand il le voulait. Surtout, quand il n'avait pas de vieilles rancunes à faire payer parce qu'il y mettait peut-être le temps, mais il se débrouillait toujours pour que les choses se paient... Et visiblement Orel avait compris le truc parce qu'il lui assura qu'il lui proposait un verre en tout bien tout honneur, chose qui l'amusa follement ! "T'as pas besoin de préciser, je sais dire non et cogner s'il le faut. Tant que c'est pas une montagne de muscles, bien sûr..." Parce que ça, il savait déjà comment ça se finissait...

Ce fut donc sous le feu des questions d'Orel qu'il se dirigea vers le bar se trouvant de l'autre côté de la rue. Et qu'était-il censé répondre à tout ça ? Qu'il avait été un abruti ? Et non pas pour avoir harcelé la petite merveille puisque celui-ci ne s'était jamais défendu, mais pour avoir cru à un autre scénario dix ans après... Oui pour le coup, il avait été un bel abruti. "Normal, j'ai perdu mon meilleur ami. Juste parce qu'il a joué les victimes... Le schéma habituel des gays où on est obligé de distribuer des flyers dans la rue pour ces pauvres petites choses..." Secouant la tête, il fit un vague geste de la main alors qu'il s'installait à une table en terrasse. "Laisse tomber, de toute façon on ne changera plus les choses dix ans après." A se demander d'ailleurs pourquoi il en faisait un tel drame. Foutu passé qui était revenu tel un boomerang dans sa nouvelle vie, chose dont il se serait bien passée !

Nous n'étions définitivement pas d'accord sur ce que vivait ce lycéen et tandis que je trouvais remarquable qu'il ai le courage d'assumer aussi tôt son orientation sexuelle, Timothée trouvait ça déplacé. Je me demandais quelles raisons avaient réellement poussé ce jeune homme à s'en prendre à sa victime, qu'il assume son homosexualité ne changeait rien à la vie de mon interlocuteur, il n'était pas concerné mais se sentait affecté tout de même.
« A mon avis, il n'imposait pas sa différence, il vivait simplement sa vie. Et pour ce qui est de la violence, qu'elle soit physique ou verbale, elle n'était surement pas justifiée. Est-ce qu'il avait au moins les moyens de se défendre face à tout ça ? »
Au lycée, ce n'était pas toujours évident de se défendre face aux autres et j'imaginais facilement sa victime se sentir persécuté et terrorisé. Pourquoi se donner tant de peine pour angoisser quelqu'un à cause d'une simple orientation sexuelle ? C'était quelque chose que je n'avais jamais compris, alors que je l'avais plus ou moins vécu toute ma vie.
« Bien joué. » dis-je à sa belle répartie. « Mais contrairement à ta victime du lycée, j'ai appris à me défendre et à rendre les coups qu'on me donne. » Peut-être pas à tout le monde, puisque j'avais été incapable de me défendre physiquement face à mon père qui s'était acharné sur moi après avoir lui avoir annoncé mon attirance pour un homme. Les mots avaient été ma seule défense et, pour être honnête, le laisser se défouler sur moi avait été une délivrance, lui rendre ses coups ne m'aurait pas aidé à aller mieux.
« Ouais désolé, mais j'ai tendance à me méfier des personnes qui gueulent après des bénévoles. Donc dix minutes, c'est même plutôt rapide. » Un sourire amusé sur les lèvres, je commençais à marcher en direction du bar à ses cotés. Il avait accepté d'aller boire un verre sans ambiguïté et avait précisé qu'il savait cogner si nécessaire. Je décidais de ne pas faire de commentaire, enregistrant simplement cette information supplémentaire à son propos : sait se battre mais évite tout de même les gros bras comme adversaire.
En prenant place sur la terrasse, il refait référence à un stéréotype homosexuel qui aurai tendance à m'irriter un peu. D'une personne à l'autres, les histoires diffèrent, aucunes ne sont identiques et pourtant, il continuait de penser qu'il y avait une base commune à chaque gay. Mais outre ce fait, le reste de ses paroles me suggérèrent un début de réponse.
« Alors c'est qu'il s'est rangé de son coté. » Son ancien meilleur ami aurait-il eu plus de bonté d'âme et d'esprit que lui pour aider cette victime d'harcèlement au lieu de l'enfoncer ? Si j'aurai su que son ancien meilleur ami était un de mes amis d'enfance et que leur victime était mon ex, cette conversation aurai prit une toute autre dimension et je n'aurai certainement pas pu garder mon calme. C'était déjà impressionnant que je sois encore là à parler avec lui après cette rencontre plutôt négative.
« Que ça fasse dix jours ou dix ans, les choses sont toujours réparables. » Une serveuse s'approcha pour prendre notre commande, une bière chacun pour commencer était une bonne chose même si je pensais déjà à en prendre une autre après. La jeune femme s'éloigna alors que je lui offrais un petit sourire, avant que je ne reporte mon attention sur Timothée pour reprendre mon explication. « Il n'est jamais trop tard pour agir. Tu devrais aller voir ton meilleur ami pour lui parler et en profiter pour lui demander sa vision des choses sur ce qu'il s'est passé. Vous n'avez peut-être pas la même. »

En dix ans de prison, il avait eu le temps d'y réfléchir. Il avait en vérité bien plus réfléchi à cela qu'au meurtre de son père. A comment il en était arrivé à perdre Paco, au pourquoi il avait été au départ si intéressé par la petite merveille, comment celui-ci l'avait déçu, et au fait qu'il en avait fini par en faire sa bête noire et par effet de mimétisme celle de tout le groupe. Et s'il en avait compris l'enchainement des choses, il en restait toujours perplexe sur le fait que Paco ait pu le choisir sur lui. Il y a dix ans comme encore aujourd'hui. Un second échec bien plus amer encore... Et alors qu'il restait malgré tout droit dans ses baskets. "Ce n'est pas une question de perdre ou de gagner, c'est juste une question de ne pas se laisser faire. Et se défendre, quitte à se rétamer au sol mais au moins essayer de faire quelque chose." Et ça, il savait de quoi il parlait vu le nombre de fois qu'il avait eu lui-même à le faire en prison. "C'était bien pour ça qu'il m'intéressait, parce qu'il s'assumait. Il n'avait pas peur d'être qui il était. Un gars voué aux Enfers et qui le clamait haut et fort aux yeux du monde... Tu parles que j'étais curieux ! Je pensais tomber sur une petite teigne qui se battait seule contre tous et c'était en fait l'archétype de la victime qui ployait sous une malédiction qui lui serait tombée dessus... De quoi donner raison à mon père. Et j'ai été sacrément déçu, ouais." Parce qu'il s'était attendu à autre chose, ou plutôt parce qu'il aurait voulu avoir dans sa bande d'amis quelqu'un qui sortait enfin du lot, à l'instar de Paco. Et il était tombé de haut, ça avait été peu de le dire... "Je voulais juste qu'il tente de me donner un coup, qu'il me pousse ou qu'il gueule, n'importe quoi mais quelque chose ! Bon sang, comment tu veux obtenir du respect si tu donnes raison à ceux qui te méprisent ?!" Il n'arrivait toujours pas à comprendre, de quelque façon qu'il pouvait tourner ça. En tout cas, il avait bien dû de ranger à l'avis de son père... Et puis ce n'était pas comme si à l'époque, il avait croisé des homos tous les jours.

Tout en parlant, ils s'étaient dirigés vers le café de l'autre côté de la rue alors qu'ils revenaient sur son "agression" envers la bénévole. Chose qui lui fit lever les yeux au ciel. "Pour rappel, je ne lui avais rien demandé. C'est elle qui m'a agressé avec son papier en supposant je ne sais quoi... Il faudrait arrêter de voir des homos partout." Parce que ce n'était vraiment pas dans son habitude d'hurler après les gens dans la rue, tant que ceux-ci ne venaient pas supposer des choses totalement fausses sur son compte. En fait, surtout ce genre de choses ! Et la suite ne fut guère plus agréable à entendre alors qu'il s'installait face à Orel. Parce que celui-ci appuyait là où ça faisait bien mal... Et alors qu'il ne pouvait que confirmer. "Oui, il s'est mis de son côté." Et que pouvait-il dire d'autre ? Si ce n'était pour enfoncer le clou... "Et dix ans après, il se range toujours de son côté." Et là aussi, il ne voyait pas ce qu'il pouvait rajouter. Mais il ne doutait pas qu'Orel trouverait lui à dire alors que celui-ci interrompait leur conversation pour leur commander des bières...

Et sans surprise, il se retrouva à grimacer au côté soi-disant réparable des choses. "Non pas là, et ce n'est pas faute d'avoir essayé. J'ai tenté, et il m'a claqué la porte au nez." De façon imagée bien sûr, mais ça revenait à ça. Une fin de non-recevoir... Et tout ça -encore une fois- pour la petite merveille. Alors s'il pouvait un jour l'écraser, le réduire en charpie et l'annihiler, il ne se gênerait certainement pas pour le faire ! "C'est ce que j'ai fait. Je suis allé le voir en me mettant à nu, me montrant totalement honnête et lui dévoilant ce qu'il y avait certainement de pire chez moi. Mais ça n'a pas suffit." Parce que ce service qu'il lui avait demandé ne lui aurait pas coûté grand-chose et il l'aurait sorti d'un sacré merdier. Mais alors que ça ne concernait qu'eux deux et leur ex-amitié du coup, il avait fallu que même là, Paco inclus la petite merveille comme condition sine qua non. A se demander d'ailleurs pourquoi il avait été persuadé que celui-ci aurait accepté. Il aurait dû savoir mieux... Mais une chose était sûre, c'est qu'on ne l'y reprendrait plus. "Et tu vas me dire que c'est mérité ?" Il pouvait l'entendre après tout, même s'il restait persuadé que la petite merveille avait accepté d'être harcelé. Tout comme lui-même avait choisi d'être "la femme" du Viking en prison. Et lorsqu'on acceptait son sort sans broncher, on ne pouvait pas venir s'en plaindre par la suite.

« Tout le monde ne réagit pas de la même manière. » Je tentais de comprendre pourquoi ce gars n'avait jamais répondu à ces attaques et c'était assez difficile d'imaginer une telle situation quand je savais que j'aurai rendu la pareille à sa place. Mais personne n'avait les mêmes idées et il devait avoir eu de bonnes raisons de ne rien faire, peut-être pensait-il que ça aurai cessé s'il ne se défendait pas.
« D'où l'importance de ne pas s'arrêter à des apparences. Ce que tu as pris pour un combattant était loin de l'être. » je haussais les épaules « Je vois ce que tu veux dire, mais tu as cette vision des choses parce que c'est la façon dont tu as été élevé. A la dure. Mais le respect peu se gagner différemment, ça prend juste plus de temps. » Mon père non plus ne m'avais pas épargné dans sa façon de m'apprendre les choses même si je m'estimais heureux de ne jamais avoir été trop blessé physiquement. Et si j'ai appris plus tard que ce n'était pas seulement avec la force qu'on apprenait le respect, certains n'avaient pas cette chance là. Quitter le foyer familial jeune avait été la meilleure décision que j'avais pu prendre.
Sur la terrasse, nous continuons de discuter de son ancien meilleur ami et je restais persuadé que les choses pouvaient toujours se réparer un jour où l'autre. Il m'étais déjà arrivé de le vivre, surtout avec Paco avec qui nous avions souvent eu des hauts et des bas -on se souviendra de la bagarre de la fin d'année 2019- et la communication avait toujours soigné ces maux.
« C'est que la rancune est encore bien présente. Tu es certain de savoir exactement ce qu'il te reproche ? Il n'y a peut-être pas seulement l'histoire de défendre ta victime. »
Ou c'est que ce gars était réellement borné et déterminé à lui en vouloir pour un rien. Finalement, après dix ans, tout le monde pouvait avoir une chance de se racheter d'une manière ou d'une autre. Ça devait être le cas pour lui aussi. « Je ne me le permettrai pas non, pas sans connaître toutes les versions. Mais ce n'est pas non plus mon but. » La serveuse s'approcha pour nous donner nos bières et j'en profitais pour régler le tout dans l'immédiat. « Rassure toi pour ton ami, la meilleure arme pour vous sortir de tout ça c'est la communication et l'honnêteté. Ne lâche rien, essaie de comprendre d'où vient le malaise pour mieux le réparer. »
En si peu de temps, nous avions réussi à passer d'un état de colère à une envie d'en apprendre un peu plus sur l'autre. S'il avait été capable de me faire changer d'avis en un rien de temps, pourquoi n'arriverait-il pas à le faire avec son ami d'enfance ?

Ce n'était pas comme s'il ne l'avait jamais entendue cette excuse, Paco avait utilisé la même à l'époque. Parce qu'ils avaient tenté d'en parler lorsqu'ils en avaient parlé, une ou deux fois avant que chacun finisse par camper sur ses positions. Et que par effet rebond, il ne s'acharne davantage sur sa victime et avec d'autant plus de virulence que Paco prenait fait et cause pour celui-ci. Pour en revenir dix ans après exactement au même point où ils en étaient au moment de son incarcération. A se demander ce qu'ils avaient foutus de ces dix ans ! Lui pas grand-chose forcément, mais eux ?! Soupirant en secouant la tête, il balaya une nouvelle fois cette notion de respect qu'il ne parvenait pas à trouver, et quel que soit l'angle sous lequel il regardait cette situation. "Où, et en quoi ? Il n'a même pas pris son indépendance, toujours collé à mon... ex meilleur ami comme si j'étais encore là prêt à lui tomber dessus au détour d'un couloir. En dix ans, ils auraient eu le temps de passer à autre chose, non ? Pour tout avouer... J'ai l'impression d'avoir fait un saut dans le temps et de me retrouver une nouvelle fois au lycée. Et c'est un peu dérangeant comme impression." Et d'autant plus avec un Paco qui ne ressemblait plus en rien au gamin qu'il avait connu à l'époque.

D'autant que lui voulait avancer. Il s'était trouvé un boulot stable -bien pourri mais stable- des collègues assez lourds et avec une sacrée descente lors des soirées bien arrosées mais où il était inclus d'office, et surtout Illyana était venue le rejoindre. Il n'avait pas besoin de plus. Ou peut-être d'autres amis avec qui parler d'autres choses que de pêche, de filles et d'alcool. Et ce serait visiblement sans Paco, alors qu'il acquiesçait aux reproches que ce dernier pouvait lui faire. "Mon harcèlement auprès de sa petite merveille et mes propos homophobes." Et pourtant, il serait le premier à ne pas se déclarer homophobe si on lui posait la question. Mais ce n'était quand même pas de sa faute s'ils avaient la sale manie de mettre en avant leur différence pour ensuite se plaindre de ne pas être perçu comme le reste de la population... "Alors qu'en soit, je m'en moque qu'il y ait des homos du moment qu'ils ne mous imposent pas leur façon de vivre. Je veux dire, est-ce qu'on fait des hétéro-pride, nous ?! Ou des handicap-pride ? C'est comme ces flyers, tu pourrais presque croire à une campagne nationale contre le cancer colorectal... Et après, ils s'étonnent qu'ils sont stigmatisés. Ils ont qu'à rester discrets et on ne saura même pas qu'ils sont là. S'ils veulent être acceptés, qu'ils commencent par se mélanger aux autres sans faire de drames à la plus petite remarque et on les oubliera." Donc pas homophobe, non mais juste de la fatigue d'entendre toujours parler des mêmes se posant essentiellement comme victimes alors que d'autres mériteraient certainement plus d'attention.

C'était en tout cas un sujet sérieux et abordé comme tel, un des sujets dont il ne pensait même pas évoquer avec l'équipage lors de leurs soirées. Un sujet qu'il aurait pu aborder avec Paco lors de leur virées graff qui dataient maintenant... Paco qui n'avait même pas été fichu de répondre présent alors qu'il était venu lui demander son aide ! "Qu'il aille se faire voir ! Je sais maintenant vers qui ne pas me tourner lorsque j'aurais besoin d'un ami..." Paco en premier lieu donc. Qui de toute façon conditionnerait encore les choses selon la petite merveille... Merci bien, il passait son tour ! "Et tu sauras que je ne fais pas dans la psychologie de comptoir. C'est pas mon boulot. Moi, je pêche. Mais Monsieur est sensible à l'odeur de poisson. Ca défrise son petit nez délicat..." Il était en vérité bien plus déçu qu'amer. Jamais et quoi qu'il puisse faire, il parviendrait à avoir gain de cause sur la petite merveille. Même dix ans après. Il allait devoir se faire une raison et surtout, passer à autre chose avant de se faire définitivement trop pitié et qu'il ne puisse plus se regarder dans un miroir.

Le remerciant d'un signe de tête pour la bière, il assura. "Je paierais la prochaine... Et donc, toi aussi tu as été élevé à la dure. Et pour ta sœur, tu vas tenter de la revoir malgré tout ? Tu sais, le truc que rien n'est irréparable. Et parce que les liens fraternels sont très importants." Parce que même s'ils avaient beaucoup parlé de lui, il savait aussi écouter. Et renvoyer à l'arroseur le jet d'eau ! Le tout avec un sourire particulièrement fier de lui, mais néanmoins un regard concerné. Il était après tout le premier à savoir ce qu'Orel devait vivre et le manque qui vous prenait aux tripes. De la même façon que lorsque vous perdiez votre meilleur ami, mais ça il allait vraiment falloir qu'il se fasse une raison.

Plus il me parlait de cette histoire et plus je trouvais ça louche aussi. En effet, qui reste en colocation avec son meilleur ami autant d'années ? Avec un peu de réflexion, je savais très bien qui, mais l'exemple ne me semblait pas être vraiment le même. Pour moi, Paco passait son temps à aller et venir dans plusieurs de ses propriétés quant il ne passait pas son temps avec Sven, alors je ne le voyait pas collé en permanence à Bastien. Si ça se trouve, je me trompais complètement.
« Oui bon ça, je te l'accorde. Bien qu'on dirait qu'ils partagent plus qu'une simple amitié vu comme tu en parles. »
Même si l'exemple Bastien/Paco m'avais quand même traversé l'esprit, je me disais que c'était une trop grosse coïncidence pour que ce soit le cas et, de toute façon, à entendre Timothée parler, ils avaient plutôt l'air de s'aimer plus qu'amicalement voir même plus que fraternellement.
« De ce que je comprends, ton harcèlement est terminé, donc normalement tu n'aurai pas à travailler sur ça. Par contre, tes propos sont encore bien présent. » une grimace déforma mon visage un vif instant parce qu'il fallait bien avouer que ses propos restaient bien encrés. « Ce n'est pas évident de changer des habitudes. »
Je haussais les épaules, même ceux qui avaient une volonté de fer ne pouvait pas grand chose face à des habitudes profondément incrustées. Portant le verre de bière à mes lèvres, je continuer d'écouter le jeune homme et m'étonnais des paroles qu'il pouvait avoir à propos de la communauté lgbt. Mais j'ignorais si j'étais plus désolé que ce soit ses propres pensées ou que ce soit encore des idées bien d'actualité avec toute l'ouverture d'esprit que la société essayait de proposer.
« Vraiment ? Mais est-ce que tu sais au moins pourquoi ils ont besoin de se montrer à ce point ? La différence à toujours intrigué ou fait peur, et pour certaines personnes, la violence est la seule manière de faire comprendre aux autres qu'il faut rester dans un moule bien défini. Il n'y a rien de pire que de ne pas se sentir à sa place. En montrant leur différence, ils se sentent moins seuls, ils n'ont plus ce sentiment d'être anormal ou cette impression d'être jugés en permanence. S'assumer, c'est comme se libérer de lourdes chaînes qu'on a trop longtemps trainés. Ils n'imposent rien, personne ne te met un couteau sous la gorge pour voir ces personnes s'aimer librement. »
J'ai peut-être un peu trop parlé pour une fois, mais depuis peu, cette cause me semble juste à défendre. Avoir avoué que l'amour de ma vie était un homme à mon père était surement pour beaucoup dans ce changement de tempérament. Et si avant je me serait simplement tue aujourd'hui j'avais envie de parler.
« Imagine toi à l'inverse. Si dans cette société, les couples gay étaient la norme et les hétéro les exclus. Comment vivrais-tu le fait d'être mis à part, détesté et violenté parce que tu aimes une femme ? Est-ce que tu choisirai de vivre caché ou de te battre pour être toi-même sans faire semblant ? »
Je haussais de nouveau les épaules à ses paroles lorsqu'il me parlait de son ancien meilleur ami, restant sur mes positions et pensant que s'il tenait réellement à lui il ne perdrait pas espoir. L'ombre d'un sourire se dessina sur mes lèvres alors qu'il me parlait de l'odeur du poisson, j'avais presqu'envie de lever les yeux au ciel parce qu'il ne s'agissait là que d'une histoire d'habitude. Cette odeur était forte évidemment, mais il fallait se dire qu'il y avait toujours pire ailleurs.
La conversation prit un autre chemin et il me questionna alors sur ma famille. Je pris une nouvelle longue gorgée de bière comme si ça allait m'aider à me confier davantage à mon sujet, je pris une inspiration et répondis enfin.
« Je viens d'une famille très conservatrice, chez nous le père c'est le chef de famille et donc celui qui dicte tout. Un vrai petit roi. Donc oui, on peu dire que mon éducation n'a pas été des plus douces. » Aucunes familles de ce genre ne pouvait se vanter d'être parfaite de nos jours et certainement pas dans ces conditions. « Je pense que ma soeur souffre autant que moi de cette prison familiale alors la sortir de là serai la meilleure chose à faire. Et maintenant que tu m'en parles, peut-être que je ferai mieux d'aller la chercher moi-même là-bas. » J'aurai été capable de prendre l'avion et de profiter de l'absence de mon géniteur pour rentrer chez nous et lui faire ses valises, déterminé à l'emmener loin de lui et loin de toute cette douleur, mais elle n'était certainement pas la seule à souffrir encore de la toxicité de mon père.
« Ce qui m'ennui, c'est que si ma soeur vient vivre ici, ma mère se retrouvera seule avec mon père et j'ai peur qu'il lui fasse payer tout ça. »

Est-ce que Paco et la petite merveille partageait plus qu'une simple amitié ? D'après les principaux concernés, non. Lui aurait tendance à se montrer plus mesuré dans sa réponse. "Je ne dirait pas que c'est un couple dans le sens habituel du terme mais il y a un peu de ça. C'est clairement de la dépendance en tout cas. Comme s'ils ne pouvaient pas vivre l'un sans l'autre." Quant à savoir lequel des deux était le plus dépendant de cette relation qu'il considérait comme toxique, il préférait ne pas trop fouiller dès fois que la réponse ne lui plairait pas...

Par contre, il ne savait pas qu'il avait des choses à travailler ! Visiblement pas sur ce qui était du harcèlement scolaire parce que oui, l'eau avait coulé sous les ponts. Sans compter qu'il avait des choses bien plus intéressantes à faire maintenant. Mais pour ses... habitudes ? "Ce ne sont pas des habitudes mais des prises de positions vis-à-vis d'un sujet de société. Comme ceux qui sont contre le mariage pour tous ou la PMA et GPA..." Parce que s'il entendait le discours d'Orel, fait une nouvelle fois de plaintes aussi diverses que variées, il en avait un tout autre à lui opposer. Et un plein de bon sens. "Imagine si tout le monde faisait comme eux ? Les handicapés moteurs, les handicapés mentaux, les malades du SIDA, les cancéreux, les dyslexiques, les angoissés de la vie et j'en passe... Mais on ne s'en sortirait plus. Et pourquoi plus eux qu'une autre catégorie de la population ? C'est ça que je leur reproche. Cette perpétuelle mise en avant faite de revendications et de pleurnicheries. Et les autres alors, tous ceux qu'on entend jamais, ils font comment ?" Et heureusement qu'on ne faisait pas une gay-pride pour tout parce qu'on ne pourrait plus circuler dans les rues !

Quant à ne rien imposer, il n'était pas d'accord. Parce qu'ils imposaient leur différence justement, que vous vouliez ou non la voir. Et quel était le problème à juste vivre normalement au milieu des autres ? Surtout depuis qu'ils en avaient la possibilité ! "Je vivrais ma vie dans mon coin sans spécialement me cacher mais sans en faire l'étalage non plus... Parce qu'on n'est pas non plus obligé de s'embrasser en pleine bouche dans la rue. Et je t'arrête tout de suite, je parle autant pour les hétéros que les homo. J'ai jamais eu envie d'embrasser une femme au point de ne pas savoir me contenir dans la rue, il ne faut pas exagérer quand même." Surtout face à d'autres personnes, c'était une question de respect. Mais il soupçonnait que ces "marques d'affection" était surtout un affichage pour marquer sa "propriété" devant les autres. Un truc de mâle alpha bien dominant, et généralement hétéro d'ailleurs ! Et après, on viendra le taxer d'homophobie...

Malgré leur différence de point de vue sur ce qu'était ou non l'homophobie, Orel était quelqu'un avec qui il prenait plaisir à discuter, le feeling étant passé tout de suite. Sans doute que leur éducation assez similaire y était pour beaucoup dans leur compréhension de l'autre. Quant à ses craintes, il y réfléchit le temps d'avaler une bonne gorgée de sa bière... "Tu ne t'es jamais dit que ta mère restait peut-être pour ta sœur justement ? La mienne s'est barrée en nous laissant aux "bons soins" de notre père mais j'imagine que l'instinct maternel dont on vante tant les mérites doit bien exister chez certaines mères..." Mais ça, il n'y avait qu'Orel qui pouvait le dire. Mais peut-être qu'en délivrant une du joug de son paternel, il en délivrerait au final deux ?

« En dix ans, oui, il y a clairement de la dépendance affective là. »
En effet, après autant de temps, s'ils n'étaient pas en couple, ils avaient forcément quelque chose qui les retenaient. S'ils avaient traversés les pays ensemble pour se retrouver aussi loin aujourd'hui, c'est qu'ils avaient besoin l'un de l'autre.
Je fis un petit grimace en l'écoutant me dire que c'était une prise de position. Il avait ses idées arrêtées, aucuns soucis pour moi, je connaissais suffisamment le cas pour ne pas me battre contre ça. Et après tout, chacun a sa propre opinion. Un simple haussement d'épaule suffit à passer à autre chose, c'était peut-être une façon de fuir le conflit ou le débat mais de toute façon, je sentais que ça ne servait à rien de continuer à confronter ses avis de cette manière.
« Cette communauté a décidé d'organiser des prides, ils ont fait la démarche et je pense que chacun pourrait le faire s'il le souhaitait. Ce n'est pas exclusif. Quant aux autres, on célèbre bien des choses tout au long de l'année avec la journée du handicap, la journée de l'autisme, celle des personnes âgées, des femmes, de la tolérance, et j'en passe. »
Je ne pensais pas que le problème était vraiment par rapport à la gay pride, parce que tout le monde pouvait faire ce genre de choses, c'est juste qu'ils ne l'avaient jamais fait.
« On sera au moins d'accord sur le fait de ne pas être d'accord. » je fronçais les sourcils. « Jusqu'à récemment, c'était impensable pour moi de montrer de l'affection à un autre homme en public, et au fond ça me met toujours un peu mal à l'aise de l'imaginer. Mais par contre, quant j'étais avec ma petite amie, ce n'était pas un problème. Et c'était même l'enfer pour moi si elle n'avait pas un temps soit peu d'attention. Alors franchement, ça ne me dérange pas. Au contraire, des personnes qui s'aiment, c'est beau à voir. » Alors forcément pour ceux qui ont de la pudeur, ça peu déranger, je comprenais parfaitement. Pourtant, ce n'était pas mon cas, et je laissais volontiers ces personnes s'aimer au grand jour si c'était leur choix. Je pouvais bien respecter ça.
Quand le sujet changea pour se focaliser sur ma famille, la bière fut mon meilleur allié pour trouver mes mots et réfléchir à ce qu'il pouvait ou pourrait se passer si je venais à éloigner ma soeur loin de mon père. Mes premières pensées allèrent immédiatement à ma mère qui allait surement pâtir de cette décision. « Ce serai possible oui, elles sont très proches toutes les deux. Mais je ne sais pas comment m'y prendre et j'ignore même si elle voudrait me suivre. Si mon père a autant d'emprise sur elle qu'il en avait sur moi, elle va être difficile à convaincre. »
J'avais bien continué à avoir peur de lui en vivant aussi loin et en lui accordant juste un message pour la nouvelle année en guise de contact. « Mais qui ne tente rien n'a rien, alors je risquerai bien d'aller faire un tour à Londres dans l'été... En espérant qu'elle accepte de me revoir. » Je finissais mon verre, pensif. J'ignorais ce que mon père avait bien pu leur dire lorsqu'il les avait fait quitter ma maison dans la précipitation mais j'étais persuadé que ce n'était pas bon pour moi et si je n'avais jamais reçu de message ou d'appel de leur part depuis, c'était bien pour ça. « Je n'aurai pas le temps pour une deuxième, mais cette conversation était vraiment intéressante. Ça fait du bien de débattre un peu, ça change. » J'annonçais clairement mon départ, mais l'heure filait et je devais encore finir de travailler -parce que je n'avais pas tout à fait terminé lorsque nous avions eu cette petite altercation à la sortie du stade-. « Si j'ai bien compris, si jamais je tiens à prendre cette deuxième bière, je dois me pointer au port c'est bien ça ? » Juste pour rappel, et accessoirement pour lui dire que ça ne me gênerai pas de le revoir.

Enfin ! Orel lui accordait enfin un point. Et un tellement évident qu'il n'avait de toute façon pas pu faire autrement que de le lui accorder. Parce que l'imbécile là-dedans, c'était bel et bien lui. Comment pouvait-il croire qu'il pouvait débarquer du jour au lendemain et foutre en l'air dix ans de vie commune entre Paco et la petite merveille... Dépendance affective... Il n'aimait ni les termes, ni l'idée qui en découlait mais c'était pourtant exactement de cela qu'il s'agissait. "Mouais. Je ferais mieux de laisser tomber et de faire une croix sur mon ex-meilleur ami. Il a visiblement trouvé chaussure à son pied." Parce qu'il n'était évidemment pas question de dire que Paco ait pu trouver mieux que lui !

Mais pour tout le reste, Orel soutenait mordicus le mouvement LGBT sans chercher à rien remettre en question. Ou même seulement à réfléchir au bien-fondé de ces démarches censées émanciper mais qui dans les faits, marginalisaient plus qu'autre chose. "Si toutes les causes faisaient leur pride, on ne s'en sortirait plus. Et je suis sûr qu'ils seraient les premiers à hurler à la spoliation." Mais ce n'était pas cela qui le gênait le plus. En vérité, il était facile de taxer d'homophobie une réflexion qui valait pour bien d'autres "communautés". Parce que rien que l'emploi du mot n'était pas anodin. "J'aurais détesté être une femme. Imagine, on te donne un jour par an pour pouvoir t'exprimer sur "ta cause". A savoir celle de toutes les femmes, comme on le fait pour des maladies tel le SIDA ou l'autisme... Sympa d'être considéré comme une maladie ! Et à quand la journée pour les hommes hétérosexuels ? Ah non, c'est vrai, il n'y a pas besoin, c'est eux la norme..." Et dire que les féministes -Becca en premier- s'enorgueillissaient de cette journée. Alors qu'elle n'était en réalité qu'un petit bout de chiffon qu'on leur jetait pour leur assurer qu'on s'occupait de leur cause, comme pour toutes les autres... LGBT compris. "Désolé mais si tu veux être considéré comme un citoyen lambda, ça doit commencer par se comporter comme eux et ne pas jeter sa différence aux yeux des autres pour ensuite réclamer des droits au vu de cette même différence. Sinon, tu seras toujours vu comme une communauté à part... Rien que par le nom d'ailleurs, une simple communauté." Mais il pouvait bien en penser ce qu'il voulait, les choses n'étaient pas prêtes de changer vu la façon dont les principaux concernés prenaient la chose.

D'ailleurs la suite le fit doucement sourire. Orel qui admettait avoir eu du mal à faire avec un homme en public ce qu'il faisait sans souci avec une femme... Et pire encore, qu'il vivait mal que ça ne se fasse pas avec une femme ! Là aussi, les féministes auraient de quoi faire leur chou gras. Mais il allait épargner Orel, ayant déjà bien eu assez de considérations philosophiques sur lesquelles il doutait que celui-ci s'appesantisse. Et pourtant, il y aurait eu beaucoup à dire sur ces "marques d'affection" qui n'étaient généralement qu'un marqueur social de mâle dominants cherchant à prouver leur valeur de "bon chasseur" aux autres mâles de leur espèce... "J'ai pas besoin de ça, et ça peut passer par d'autres gestes, plus anodins." Il n'y avait après tout pas besoin de s'embrasser à pleine bouche devant les autres pour prouver son appartenance à quelqu'un. Que ce soit avec une femme ou un homme.

Il l'écouta cependant sérieusement lorsque Orel évoqua sa sœur. La situation n'était visiblement pas simple et il comprenait que celui-ci y regarde à deux fois avant d'agir. "Pourquoi tu lui glisses juste pas l'idée dans l'oreille ? Comme une petite graine à qui il faudrait laisser le temps de germer... Tu lui dis juste qu'elle peut si elle veut." De quoi lui permettre à elle aussi de prendre ses dispositions envers leur mère ?... Mais apparemment Orel était décidé à agir, d'une façon ou d'une autre. Et c'était là l'essentiel alors qu'il acquiesçait au fait que celui-ci allait devoir partir. "Oui, tu me trouveras au port. J'y passe tout mon temps, je fais des heures supplémentaires depuis que ma petite sœur m'a rejoint ici. J'ai ses études à payer." Et loin de s'en plaindre, il avait un sourire extrêmement fier plaqué sur le visage. "Sinon, tiens... Mon numéro." Il lui tendait le ticket des consommations où il avait inscrit son numéro de portable dessus. "Hésite pas à m'appeler quand tu auras le temps. Après tout, je suis plutôt sympa pour un homophobe !" Il en plaisantait, surtout parce qu'il se considérait pas vraiment de la sorte. "Et rentre bien !"