CroisièreCher journal,C’est la merde. La. Grosse. Merde. La dernière fois que les choses ont aussi mal tourné, c’était à Paris. Et cette fois, j’ai l’impression que c’est pire. Je ne sais même pas pourquoi je me suis embarqué dans cette croisière, finalement. Surtout que dès que je le peux, je m’isole pour aller ruminer en observant l’océan. C’est sans doute mon envie de fuite qui m’a repris, mais je me demande si je n’aurais pas mieux fait de rester à la maison. Au moins, Taiyo ne serait pas tout seul. Enfin, je sais qu’il est gardé avec d’autres chiens, alors il va forcément se faire des copains, mais un mois, c’est long. J’espère qu’il ne va pas nous oublier. Est-ce que ça a vraiment conscience du temps, un chien ?
Enfin bref. Tu t’en doutes bien, ce n’est pas la merde uniquement à cause de mes états d’âme de maître. Abby et Orel ont rompu. Je m’attendais à un truc cataclysmique, mais je crois que c’est plus que ça. On a été sans nouvelles d’Orel pendant un long moment, et Abby est venue se réfugier à la maison. Alors que j’avais invité Svein pour plusieurs jours, vu qu’il travaille à Fredelig et que Paco est absent. C’était pratique, et ça nous permettait de nous retrouver. Mais tu t’en doutes, la colocation à trois est devenue bizarre.
J’ai essayé d’avoir des nouvelles d’Orel, sans résultat. Abby s’est enfoncée de plus en plus dans l’alcool – je l’ai parfois suivie, mais j’ai aussi passé plusieurs soirées à vider ce qui nous restait d’alcool dans l’évier de la cuisine. Elle s’en est vite rendu compte, si j’en crois les nouvelles bouteilles qui apparaissaient toujours miraculeusement aux quatre coins de l’appart. Je n’ai jamais accepté son homophobie, évidemment. Mais c’est mon amie. Et je sais qu’elle n’est pas mauvaise, dans le fond. Elle a grandi avec l’idée que l’homophobie était quelque chose de mauvais. Personne ne lui a prouvé le contraire. Évidemment que ça me fait de la peine quand j’entends ses propos (et ils sont bien pires une fois alcoolisée), mais une part de moi me rassure en me disant qu’ils ne me sont pas vraiment adressés. Une autre me souffle d’encaisser le tout, parce qu’après ce que je lui ai fait, c’est bien ce que je mérité.
Ce que je lui ai fait. J’ai bien failli cracher le morceau à plusieurs reprises, quand je n’étais plus très clair moi non plus. D’ailleurs, il y a quelques-unes de nos soirées dont je n’ai pas vraiment de souvenir. Je sais que ça devrait m’inquiéter, mais je suis résigné à l’idée que tout va exploser un jour ou l’autre. Paco n’est encore au courant de rien (je crois ?), mais il a assez de soucis comme ça. Et puis de toute façon, il faut bien que je grandisse. Paco a sa vie lui aussi, il ne peut pas constamment couvrir mes arrières. Par contre, ça risque bien de lui faire un choc quand il va tout apprendre d’un coup, et je m’en veux un peu pour ça aussi.
Oh, et puis je crois que Svein me fait la gueule. Enfin, non. Je
préfèrerais qu’il me fasse la gueule. La cohabitation avec Abby ne s’est
vraiment pas bien passée. Il n’a pas d’attache avec elle, alors il ne s’est pas gêné pour la reprendre quand elle allait trop loin, ou me faire comprendre que mon manque de réaction le révoltait. Je m’en veux aussi d’avoir été un peu distant avec lui quand elle était dans les parages. Ce n’était pas de gaieté de cœur évidemment, c’était pour le protéger. Je ne voulais pas qu’il se mange de telles réactions lui aussi. Il dit que je mérite mieux, mais honnêtement, je n’en suis pas sûr — venant d’Abby, je ne récolte que ce que j’ai semé, non ? Enfin, le pire m’attend encore, le jour où elle apprendra que ce mystérieux français qui lui a volé son mec n’est autre que le même mec qui a aussi séché ses larmes.
Il y a comme un « silence confortable » entre Svein et moi, mais je ne sais pas si ça engage quelque chose de bon. J’ai l’impression qu’il y a une petite tension, et même s’il m’a dit que c’était à cause de toute cette situation et pas de moi, ça ne m’aide pas vraiment à me sentir mieux non plus. Ça m’angoisse, en fait. Je n’ai pas envie de gâcher quelque chose d’autre. Je devrais probablement souffler un coup et retourner à Paris pendant quelques jours, en septembre, histoire de m’aérer. Ce n’est pas comme si j’avais des obligations qui m’attendaient à la maison, de toute façon, puisque le combo « Gérer une relation amoureuse et en être distrait + l’histoire avec Orel et Abby » a eu raison de mon mémoire. Une merveilleuse nouvelle que je vais devoir —aussi— annoncer à tout le monde, incessamment sous peu.
Bon. Je vais essayer de dormir, ça m’évitera d’aller me chercher une piña colada au bar. J’espère que tout ira un peu mieux quand je t’ouvrirai à nouveau.
Bastien
À suivre...