trick or treat (ft. ari)

— Comme tous les ans, elle prépare la plus grosse fête de l’automne avec le soin qui lui est dû. Après tout, c’est elle la reine des soirées. Et elle n’a pas usurpé son titre, ça non. Alors pourquoi est-ce qu’elle est seule au milieu de son salon aménagé et décoré pour l’occasion ? Debout sur le paquet avec ses talons vernis, elle trône dans son costume de sorcière noir et orange comme une pauvre petite fille oubliée. Elle a pourtant envoyé toutes les invitations, elle se revoit même le faire. Ses doigts se serrent sur le balai quand la réalité la frappe en pleine face. Jenna, c’est forcément sa faute. Alors ça y est, la relève est là et c’est ainsi qu’elle donnera sa dernière performance ?
Sans toucher ni à son grand chapeau, ni à son déguisement, elle s’affale sur le canapé et pioche dans le seau de bonbons en forme de citrouille pour s’empêcher de pleurer. Qu’a-t-elle gagné, qu’a-t-elle perdu ? A-t-elle été trop dure, pour se prendre un tel revers de bâton ? Non. Elle n’a même pas encore enclenché sa vengeance contre la brune, alors celle-ci est encore la seule fautive. Fronçant les sourcils, une boule d’émotion se forme dans sa gorge. Plus on est au sommet, plus la chute est rude – apparemment. Est-ce que quelqu’un va venir la sauver de ce cauchemar ? D’ordinaire, elle se sauverait elle-même ; elle n’aurait jamais été dans cette situation, mais elle aurait quand même trouvé une pirouette pour retomber sur ses pattes de chat noir. Pas aujourd’hui. Elle est juste toute seule.

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— Toute seule sur le canapé à se lamenter, elle ne s’attendait pas à se faire surprendre par le bruit contre la porte. Sans pouvoir retenir un sursaut, elle fixe la porte d’entrée traîtresse un long moment. Qui oserait avoir entendu ses plaintes silencieuses pour venir la sortir de cet enfer ? A la fois méfiante et prudente, elle garde sa citrouille pleine de bonbons pour se lever et aller ouvrir la porte. Mais brusquement, son visage se décompose presque en voyant la personne sur le palier. Ce n’est pas Jenna, ni l’oeil de lynx qui seraient venues la narguer d’avoir fait tomber sa couronne – non, de la lui avoir volée. C’est Ari. Déguisé, en plus. Elle ne se souvient même pas l’avoir invité, juste qu’elle se serait évité ce genre d’embarras après leur dernière conversation. Visiblement, son subconscient n’était pas d’accord et lui a quand même fait parvenir son désir de le voir ici. Tandis que ce fichu félin aura bien évidemment oublié de le prévenir qu’il n’y aura pas de fête ce soir.
Prenant une longue inspiration, elle reste là dans l’encadrement de la porte. Trop fière pour le laisser rentrer, trop désespérée pour le laisser partir. La honte. Elle aurait aimé qu’il ne la voit jamais comme ça, dans cette situation. Et puis, elle fronce les sourcils. Joyeux halloween ? « Pas vraiment, non. » D’une voix presque aussi douce que déçue, elle se rattrape bien vite en réalisant pour une fois qu’il n’a pas à subir tout ça avec elle – à cause d’elle. « Qu’est-ce que… Qu’est-ce que tu fais là ? »

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— Consciente d’avoir brutalement assassiné toute tentative de légèreté en voyant sa réaction, elle trouve presque refuge dans sa question. Mais la réponse la prend de nouveau de court, si bien qu’elle esquisse un petit mouvement de recul en clignant des yeux plusieurs fois. « Euh… Oui, oui je t’ai invité. Probablement. Oui, évidemment que je t’ai invité. » Elle hoche doucement la tête en constatant d’elle-même le message sur son téléphone qu’il brandit. Ce n’est pas elle d’être pleine de doutes à ce point, pas du tout, mais toute cette situation a de quoi la déstabiliser. Elle fronce les sourcils, incertaine ; pas qu’elle soit une très bonne menteuse, mais à vrai dire, elle ne s’attendait pas à le voir ici.
Les lèvres entrouvertes, il lui faut un moment pour redescendre sur Terre quand elle le voit sourire comme ça. Pour capter la blague, si c’en est une. « Ah… Non, je sais. Ce n’est pas ta faute du tout, c’est… j’imagine que quelqu’un a désinvité tous les gens que j’avais invités sauf toi. Désolée. » Sa moue gênée se mue en pâle sourire quand elle baisse les yeux, elle le sait – elle est pathétique et elle espère de tout cœur ne pas trop le montrer. Même si ce n’est pas gagné. Après un moment de flottement, elle s’écarte un peu de la porte en évitant soigneusement de croiser le regard d’Ari. « Est-ce que tu veux… rentrer ? Même s’il y a pas de fête ? » Pourquoi le voudrait-il ? Pourquoi est-il même venu jusqu’ici ? Elle a beau être horriblement satisfaite de voir son visage comme un phare dans la nuit pour la sortir de ce cauchemar, elle n’est pas stupide pour autant. Les choses ne sont pas réglées entre eux et ça ne la surprendrait pas qu’il décide d’aller finir sa soirée dans un endroit avec plus d’ambiance.

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— Sans trop comprendre à quoi pensait sa version du passé qui a invité Ari ici, elle bat des cils et constate d’elle-même l’existence du message. « Oui… » Elle l’a fait, même si elle ne s’en est pas rendue compte – ou n’a pas voulu l’assumer. Et lui, il est venu jusqu’ici. Toujours un peu perdue, elle s’explique pourtant et il n’a pas l’air de trop gober son excuse. Pourtant, ce n’en est même pas une. Soudain, son expression de solitude désemparée se mue en un rictus revanchard. Elle ne détecte pas d’inquiétude dans le ton qu’il prend et se sent quand même obligée de le rassurer, à sa manière. « Ça va. Ou… ça ira. Je sais qui a fait ça et je sais aussi que je ne vais pas laisser passer. » Elle ne sait pas comment l’œil de lynx s’est débrouillé, ni si Jenna est impliquée là-dedans. Mais elle s’en doute, elle sait très bien qu’ils sont tous les deux responsables de son échec social de ce soir. Et elle va se venger.
Hochant doucement la tête, elle s’écarte du palier sans trop de cérémonie de la porte pour le laisser rentrer. « D’accord. » Une fois qu’il est au chaud, elle l’observe se diriger vers la cuisine avec sa bouteille. Les yeux rivés sur son dos, sur sa nuque, sur lui tout entier, elle prend le temps de savourer le silence qu’elle s’imagine bientôt brisé par ses propres mots. Elle n’a rien oublié de la promesse qu’il a faite, elle n’est juste pas certaine d’y arriver. Le voudrait-elle seulement ? S’excuser, ça ne fait pas partie des choses qu’elle a souvent faites dans sa vie – son égo en ressortirait meurtri et elle aussi. Les lèvres entrouvertes, un petit souffle lui échappe tandis qu’elle essaye de rassembler son courage. « Tu sais, j’ai toujours cru que j’étais le plus brillant soleil qu’il soit. Mais on dirait que je tiens plus de l’étoile filante. Juste un joli caillou enflammé en chute libre, prêt à s’écraser dans un gros… boom. » Ses mots terriblement personnels en suspension dans l’air, un autre sourire en coin se dessine sur les lèvres – de l’amertume pour cacher le doute, cette fois. « Alors, pourquoi est-ce que tu es là ? Pour profiter du spectacle ou… autre chose ? » Dans une seconde d’introspection un poil trop lucide, elle réalise que c’est lui qu’elle va détruire sur son passage ; elle a même déjà commencé.

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— Du coin de l’œil, elle l’observe s’agiter sans même s’étonner qu’il sache où trouver un tire-bouchon chez elle. Sans avoir l’alcool particulièrement mauvais, elle y est quand même sujette et sait que ce n’est peut-être pas une bonne idée. Pourtant, elle ne fait rien, pas un seul geste, pour l’en empêcher. Sur son visage, elle cherche une réaction – n’importe laquelle – à son introspection dramatique. Mais comme toujours, il reste insaisissable. Alors elle pousse à la faute, elle pose la question à laquelle on ne peut pas se dérober. Ce ton ne lui va pas, ça ne lui ressemble pas. A moins qu’elle se soit fait des idées ? Non, il est quand même là. Même après l’ultimatum dont elle ne se souvient que trop bien. Les lèvres pincées, les yeux intensément posé sur lui, elle reste muette. Le silence en devient assourdissant et il ne soutient pas son regard enflammé pendant bien longtemps. « Non, tu ne te trompes pas. » C’est mal et elle le sait, elle doit s’excuser. C’est à elle de le faire, cette fois-ci et il n’y a rien de logique ou de pertinent à ajouter pour l’en dédouaner. Et malgré tout ça, les mots serrent sa gorge et brûlent sa langue sans jamais vouloir sortir. Pourquoi est-ce si difficile de simplement avouer qu’elle est désolée ? Parce qu’elle l’est, vraiment. Elle l’est.
Le bruit du bouchon sautant de la bouteille la tire de ses sombres pensées, suffisamment pour qu’elle reste en suspens sur ses lèvres à attendre la suite de sa phrase. Quitté quoi, où, pourquoi ? Sa fierté ne lui permettra pas de demander à ce qu’il répète ; elle a bien trop peur de la réponse. Finalement, il reprend. Presque soulagée qu’il décide de lui-même de calmer les hostilités qu’elle serait la première à raviver, elle finit par détourner son regard avec un petit sourire amusé – à moins qu’il ne soit ironique, elle ne sait plus. « Très bien. Je n’aurais pas apprécié que tu sois là par pitié, de toute façon. Ce n’est pas ce dont j’ai besoin maintenant. » Non, ça aurait été plus que trop pour l’ardent feu dans sa poitrine de devoir encaisser une énième trahison, qu’elle soit véritable ou non. Son faible sourire s’estompe un peu plus à chaque seconde, la dernière phrase qu’il prononce vient se ficher dans son cœur comme une flèche empoisonnée. Même son déguisement ne parvient plus à empêcher l’escalade de sensation violentes qui déferlent en elle. Prudemment, elle prend le verre entre ses doigts et le fait tinter contre le sien. Le visage grave et le regard amer, elle l’observe à nouveau comme si elle attendait que quelque chose se passe à chaque instant. « Tu peux rester ici. » L’ironie étant qu’elle lui en donne l’autorisation plutôt que de le supplier mais on ne se refait pas, après tout. « Je sais que tu ne l’as pas fait. » Prenant une longue inspiration, elle détourne le regard. Si elle se sait impressionnante et en contrôle, il y a toujours des choses qu’on ne peut pas dire droit dans les yeux sans menacer de vaciller. Et elle ne peut pas vaciller, pas maintenant. « Et tu avais raison. A défaut de faire confiance à Heidi, j’aurais du te croire toi. » N’importe qui plutôt que Jenna, en somme. Mais comment aurait-elle pu savoir ? La brune a joué toutes les cartes les plus efficaces sur elle, comment aurait-elle pu ne pas se jeter à pieds joints dedans ? Elle a beau tourner le problème dans tous les sens, elle en revient toujours au même point : elle a été stupide et elle doit s’excuser. Pourquoi est-ce que c’est si difficile ?

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