Like cats & dogs (Nathaniel)

@Nathaniel O. Shepard

Like cats & dogs

Il paraît qu’on est pile poil en pleine saison des aurores boréales, et même si cela fait bientôt deux ans que je suis ici, je n’ai jamais pris le temps de les observer correctement. Une fois encore, j’ignore si c’est cette ville qui me ramollie (probablement), mais l’idée d’aller me poser sur la montagne la plus proche pour les observer me trottait dans la tête depuis un moment. J’avais déjà tout prévu si j’y croisais du monde que je côtoyais et qui aurait pu tourner ma présence en une blague : « On m’a forcée à venir et on m’a posée un lapin au dernier moment, mais comme j’étais déjà en chemin, j’allais pas rentrer bredouille… ». Peu importe si ça paraissait peu crédible, j’étais certaine que ça le deviendrait avec le bon ton de voix et surtout un regard convaincant.

Une fois sûre d’avoir mis tout l’essentiel dans un sac à dos pour tenir quelques heures, je me suis donc dirigée vers le funiculaire de Bryggen, en fin d’après-midi, pour rejoindre rapidement le haut de la montagne la plus proche. J’aurais pu tout simplement m’y rendre en voiture c’est vrai, mais il a encore neigé très récemment et je n’ai pas envie de finir tout de suite dans la rubrique « faits divers » du journal. Une fois entrée dans l’une des cabines du funiculaire, je constate que nous sommes assez peu nombreux, une dizaine tout au plus, puis je vais m’installer dans un coin tranquille.

Le nez sur mon téléphone, je me dis que la montée sera plutôt rapide, mais c’était sans compter une légère secousse au bout de quelques secondes, et un arrêt sur place immédiat. La raison ne manque pas de se faire entendre : une voix douce résonne à travers les haut-parleurs, nous invitant à garder notre calme pendant que l’équipe technique recherchait activement l’origine de la panne. Oh. Super, il manquait plus qu’un appareil soit bloqué de biais sur le flanc d’une montagne pile le jour où je suis dedans.

Est-ce que je vais finalement bien connaître mon heure de gloire chez les faits-divers ? Un peu blasée mais consciente que râler ne sert à rien, je relève à nouveau le nez vers mes compagnons de fortune, et mes yeux s’écarquillent un peu quand le visage d’un de mes voisins les plus proches s’avère familier. Oh, cette petite pause risque d’être drôle. « – Si on reste bloqués ici, tes copains pourraient pas nous aider ? Genre, Spider-Man qui appelle les Avengers à la rescousse ? » J’observe Nathaniel avec un sourire en coin, quasi sûre de l’agacer au moins un peu avec cette taquinerie. Parce qu’elle vient de moi. Au moins, je lui permets de se changer les idées.

@Nathaniel O. Shepard

Like cats & dogs

Bon, pour une fois que je sors de ma grotte, on dirait que l’univers veut me passer un message. Est-ce que cette vie plus tranquille n’est pas pour moi, finalement ? Pas que j’en ai douté, mais je n’avais rien contre un peu d’air frais en montagne. Faut croire que ça devra attendre. Cette solitude que je m’impose depuis quelques mois me pousse étrangement dans une phase de contemplation, mais ce n’est pas forcément désagréable, n’en déplaise aux soirées et à l’univers de la nuit que je déserte un peu. Je me suis surprise à me demander si ma vie allait ressembler à ça maintenant – à imaginer que la mafia pourrait peut-être ne jamais me retrouver, même si ce scénario ressemble beaucoup à un conte de fées. Un conte et des réflexions dans lesquels je ne peux pas me plonger tout de suite. Je pensais m’ennuyer avec cette histoire de panne, mais on dirait plutôt que j’ai trouvé un moyen de passer le temps.

Je suis chanceuse : ma « proie » du jour ne tarde pas à mordre à l’hameçon, mais je dois avouer que je ne suis pas surprise. Ce n’est pas la première fois que les hostilités ont été lancées entre nous, même s’il n’y a rien de méchant dans le fond. Ça m’amuse plutôt de lui courir sur les nerfs – probablement l’adrénaline liée au fait de jouer avec le feu. En temps normal, je devrais pourtant me tenir bien éloignée de toute personne liée à l’autorité, mais c’est plus fort que moi. Comme si quelque part, je voulais aussi voir ce que ça pourrait donner. Prenant une fausse moue choquée aux répliques de Nathaniel, je me tourne vers la première voisine que je trouve pour la prendre à parti.

« – Vous avez entendu ? Deux menaces en deux phrases… La police, c’est plus ce que c’était. » Je ne sais pas si ce sont des paroles en l’air ou si je pourrais bel et bien me retrouver menottée à une barre du funiculaire dans les secondes qui suivent, mais disons que c’est une expérience comme une autre. « – Tu lis quoi ? » Je demande sans plus de transition, la tête penchée sur le côté pour essayer de voir quelque chose à la couverture de son livre. Il faut bien s’occuper, non ?

@Nathaniel O. Shepard

Like cats & dogs

Depuis cette annonce, l’atmosphère a pris une tournure bien trop grave à mon goût, alors ajouter un peu d’action, c’est comme rendre service à tout le monde. C’est vrai que le fait d’avoir justement un petit public me pousse à titiller Nathaniel plus que nécessaire, mais j’ose espérer que je saurais m’arrêter avant qu’on ne me passe les menottes. Ça a toujours été le cas jusqu’à présent, et c’est aussi ce qui me pousse à chercher constamment la petite bête, je l’avoue, comme pour repousser toujours la limite.

Mais dans le fond, il n’y a rien de méchant, et on si on y réfléchit bien, je rends aussi service à Nathaniel en le divertissant. Certes il a son livre, mais disons que le temps qu’il passe à ne pas le lire, c’est du temps qu’il économise pour en profiter davantage une prochaine fois. Non ? Néanmoins, il me prend de court quand il me propose de lire le résumé sur la quatrième de couverture, et je fais la moue, la tête sur le côté, avant de tendre une main vers ledit livre.

« – Bon… Je veux bien. Ça a l’air pas trop mal. » Une fois l’objet en main, je prends quelques secondes pour regarder la couverture et en effet, lire le derrière, mais je me hasarde aussi à le feuilleter quelque peu. « – Alors, comment ça se passe le boulot en ce moment ? À part un gros chat qui aime parler de tout le monde apparemment, il n’y a pas ce genre d’individu à Bergen… Du moins je crois. » Je n’essaie même pas de me servir du livre pour cacher mon petit sourire, et je lève les yeux vers le policier avec un regard inquisiteur.  

@Nathaniel O. Shepard

Like cats & dogs

Qui l’eût cru : on dirait bien que pour la première fois depuis qu’on se connaît, on a pourtant réussi à trouver un terrain d’entente, du moins un attrait commun pour quelque chose. C’est vrai que son bouquin a l’air pas mal, et je me répète le nom deux ou trois fois pour espérer y penser plus tard, au cas où. Je n’ai jamais rien eu contre la lecture. Toutefois, l’avoir encore dans les mains devient vite un nouveau sujet pour le taquiner, et nous en revenons bien vite à son métier. C’est vrai que j’en profite pour essayer plus ou moins d’en apprendre plus sur l’Œil de Lynx, mais j’échoue bien vite et sa question me fait hausser les épaules.

« – Pourquoi pas. Ça ne me concerne pas vraiment pour le moment, et je trouve ça amusant : est-ce que c’est un psychopathe ? Est-ce que ce sont plusieurs habitants ? Des vieux ? Est-ce que c’est la maire qui mène une expérience sociale ? » Je lève un sourcil avec un sourire en coin. « – T’as pas envie au moins un peu de savoir ce qui pourrait se passer toi ?   »

Je doute qu’essayer de chercher à glaner des informations auprès de la police soit une très bonne idée – de toute façon, je n’y ai pas mis les formes et ça se voit comme le nez au milieu de la figure, mais je profite aussi du fait que toute une assistance soit présente pour savoir que je ne risque rien, du moins, à priori. Je fais une mini grimace lorsqu’il me confirme bien qu’il ne dira rien de plus, et je lui rends son livre avec un petit ricanement. « – Et te gâcher le bonheur de la surprise ? Enfin Nathaniel, je ne suis pas cruelle à ce point.   » Pour être franche, je n’ai pas encore eu le temps de semer la zizanie dans les rues de Bergen, mais ça ne devrait pas tarder. Et si l’inspiration manque, rien de tel que quelques tags pour agacer tout le monde

@Nathaniel O. Shepard

Like cats & dogs

Allez savoir pourquoi, la conversation dérive sur l’Œil de Lynx. L’occasion aurait presque été trop belle pour tenter d’en apprendre plus à ce sujet, mais Nathaniel ne semble pas aussi ouvert que son livre quelques secondes plus tôt. Finalement, on retombe bien vite sur mes petits délits, et même si je sais que je ferais mieux de prendre ses propos comme une menace plutôt sérieuse, je choisis plutôt d’en sourire encore une fois. Peut-être parce que je me dis que rien, dans cette ville, ne pourrait être pire que ce que j’ai déjà connu par le passé. Ou peut-être que mon expérience dans la mafia m’a rendu complètement irresponsable face à toute notion de danger. « – Pour le moment tout ce que je peux risquer à la limite, ce sont des amendes, non ? Je veux dire, je n’agresse personne et je fais que redonner un peu de couleur à des murs ternes, c’est pas comme si j’étais la seule. »

Je m’arrête là avant qu’il ne me demande de lâcher des noms, chose que bien sûr, je ne me risquerais jamais à faire. Rien de pire que les balances. Je garde encore les secrets de personnes avec qui je n’ai plus aucun contact –et d’ailleurs, j’espère qu’on fait de même me concernant–. Lorsqu’il lève un peu plus haut le livre, comme pour le garder hors de ma portée, je fronce les sourcils pour la forme, parce qu’il me suffirait juste de me mettre debout et d’être assez debout pour le récupérer.

« – Mais sans moi et mes idées tu t’ennuierais. C’est hyper calme ici, tu serais payé à faire quoi ? » Bon d’accord, on n’est pas au paradis et il doit sûrement y avoir quelques contraventions et autres procès de temps en temps. Après tout, si l’être humain était exempt de tout pêché, ça se saurait. Mais on s’en sort pas trop mal par rapport aux autres villes, et quelque part, semer la zizanie en ville, c’est presque ajouter un peu de piment en rendant la vie des habitants moins fade.

Voilà pourquoi cet Œil de Lynx me paraît moins antipathique que pour les autres. Un petit rire m’échappe quand il sous-entend que je pourrais bien être l’Œil de Lynx, et l’espace d’un moment, j’ai presque envie de jouer ce rôle, mais il a parlé de menottes et je ne suis pas sûre de vouloir prendre ce risque tout de suite. On est toujours à l’arrêt, et il n’y a aucune issue pour s’échapper. « – Ça pourrait aussi être toi ou un de tes collègues. Les flics ont accès à pleins d’infos s’ils le veulent, non ? »

J’ignore si on est vraiment écoutés ou si les autres passagers vaguent à leurs occupations en prenant leur mal en patience, mais le moins qu’on puisse dire, c’est qu’on s’occupe au moins de l’animation. Sa réplique fait résonner une partie de mon passé – je sais bien que quelque chose de mauvais m’attend à un moment ou à un autre, et je crois bien que je m’y suis préparée depuis des années, sans qu’il puisse s’en douter. Me retrouver en prison, ce serait sans doute le scénario le moins pire. Mais je n’ai pas envie de rester silencieuse trop longtemps ; ça lui donnerait peut-être l’occasion de réaliser qu’il a bien touché une corde sensible, alors je me contente de hausser les épaules avant de m’appuyer contre mon fauteuil, la tête légèrement penchée en arrière. « – Je suis ici pour tout voir de toute façon, on verra bien si tu y arrives. »

@Nathaniel O. Shepard

Like cats & dogs

« – Et quel dommage que tu n’aies rien sur toi pour enregistrer mes aveux. » Enfin, du moins, c’est ce que je pense. Je vais peut-être déchanter d’ici quelques secondes mais pour le moment, je ne peux m’empêcher de le narguer un peu avec ce sourire en coin. Rien de bien méchant en soi, mais je sais que c’est aussi suffisant pour l’agacer de son côté. Je hausse les sourcils quand il finit par admettre que l’Œil de Lynx pourrait bien être dans ses rangs. C’est que ça commence à devenir intéressant. « – …Pour de vrai ? Tu pourrais te mettre à enquêter sur tes collègues pour t’en assurer ? Enfin je veux dire, les ragots de quartier ça amuse tout le monde, mais on ne sait pas encore ce qu’il ou elle a derrière la tête. »

Je jette un regard autour de nous, parce que c’est bien à toutes ces personnes que je dois apparemment mon salut. « – Quand on sera enfin arrivés là haut, je remercierai les techniciens alors, encore un jour de plus à échapper aux barreaux. » J’espère quand même qu’on ne va pas rester bloqués ici très longtemps : on sait tous et toutes que l’humain manque bien vite de patience, et je redoute qu’il soit difficile de se supporter les uns les autres si tout le monde se décide à râler ou se plaindre en même temps.

Apparemment, nous ne sommes pas si discrets que ça, et je regarde quelques personnes tomber sur Nathaniel avec un petit sourire amusé. C’est assez distrayant en soi, et mon attention est bien vite attirée par un petit garçon qui prend part à la conversation. Je lâche un petit rire à sa question, mais je remarque bien que les regards de ses parents sont plutôt incertains. « – Mh… Disons des choses qu’il ne faut pas que tu fasses si tu veux que le père Noël continue de t’apporter des cadeaux.   » J’ignore s’il y croit encore, mais c’est la première chose qui m’est venue en tête pour formuler une réponse un tant soit peu soft. Cette réponse va peut-être étonner Nathanaël, mais les enfants représentent une telle innocence que je n’ai pas cœur à briser. Pas même moi.

Et puis finalement, je fais signe au petit garçon de s’approcher avant de masquer le bas de mon visage d’une main, lui chuchotant ensuite, comme un secret : « –Je traîne dehors la nuit, un peu comme Batman tu vois. En tout cas, toi, t’en prends jamais aux méchants, ils sont assez bêtes pour se faire piéger tout seuls.   » Je sursaute un peu quand je sens quelques secousses, et bientôt, un léger grincement se fait entendre alors que la machine qui nous transporte semble reprendre vie.

@Nathaniel O. Shepard

Like cats & dogs

Certes, dans la vie rien n’est tout blanc ou tout noir, et pour ma part je suis loin d’être un ange tombé du ciel, mais s’il y a bien quelque chose que je respecte encore, c’est l’innocence des enfants. Probablement parce que la mienne me manque et qu’elle s’est envolée trop vite. Alors, au lieu de me vanter de manière un peu bizarre aux yeux de cet enfant et de lui coller des cauchemars pour les prochains mois, je préfère jouer le jeu et parler son langage pour qu’il s’en contente, sans non plus révéler ce que je fais. Et puis, manquerait plus que ses parents à lui aussi soient des flics, je serais beaucoup plus dans la merde que je ne le suis déjà. Un gosse, ça se souvient beaucoup plus d’un visage qu’on ne veut bien le penser.

Je m’en sors plutôt bien avec Nathaniel, à fuir entre ses mains comme un poisson hors de l’eau, mais rien ne dit que ça pourrait toujours être la même chose si quelqu’un d’autre décide de s’intéresser de plus près à mon cas. Après un dernier clin d’œil au petit garçon, le funiculaire semble reprendre vie, et je tourne la tête vers le policier avant de pouffer un peu. « – Fuir en courant comme si j’avais peur ? Jamais de la vie. » Bon, ça m’est déjà bien arrivé de prendre les jambes à mon cou en reconnaissant les lumières des voitures de police, au détour d’une ruelle la nuit, mais ça, il n’est pas obligé de le savoir. Je me penche pour récupérer mes affaires et je remets mon sac à dos, pour voir que Nathaniel est le premier à se diriger vers la sortie. « – C’est toujours un plaisir ! » J’esquisse un sourire amusé et je ne tarde pas à lui emboîter le pas, à la recherche d’un coin enfin tranquille pour me poser un peu.