Go ahead and bark after dark (Ari)

@Ari Ciller

Go ahead and bark after dark

Ces quelques jours de pause m’ont fait du bien c’est vrai, comme si observer la ville d’en haut pouvait suffire à me faire oublier les problèmes qui m’y attendaient. La solitude en tête de gondole. C’est faux évidemment, mais au moins ça m’a changé de mon quotidien. Je suis persuadée que le zoo me garde comme guichetière car ils manquent de candidats, parce que soyons honnête : je ne suis pas franchement la personne la plus aimable à mettre à l’accueil, et être enfermée dans cette petite boîte métallique commence sincèrement à être lassant depuis plus de deux ans. C’est toujours mieux que d’être pourchassée sans cesse par la mafia russe évidemment, mais ce n’est pas parce que je suis en semi-cavale que je ne peux pas aspirer à mieux tant que je le peux, n’est-ce pas ?

Je me suis toujours sentie mieux la nuit, et contre toute attente, je n’ai pas eu trop de mal à trouver quelques compères pour m’accompagner dans mes escapades nocturnes, et ce même après peu de temps mon arrivée à Bergen. Au début, on ne faisait que traîner ensemble, et puis les petites bêtises se sont installées au fur et à mesure. C’est vrai que je me sens bien quand je suis avec eux, mais je reste malgré tout prudente. Quand on me questionne sur mon passé, je trouve toujours une parade pour détourner la conversation. Mais cette nuit, je suis sortie seule. Une envie de poser quelques collages m’a tenue motivée tout au long de la matinée, et sur le chemin de la maison, je me suis hasardée à m’aventurer dans quelques ruelles pour déterminer quel serait le meilleur lieu où me rendre.

Quelque part où je n’aurais jamais été, évidemment. Et c’est le quartier Bryggen qui a retenu mon attention. Le fait qu’il soit la première chose qu’on voit en arrivant, et l’idée que les pêcheurs reviennent dès les premières lueurs de l’aube ajoute un côté piquant. L’idée de pouvoir se faire surprendre à tout moment ajoute bien sûr l’adrénaline qu’il me faut pour que je retourne me fondre dans l’ombre avec le sentiment de ne pas avoir vraiment gâché ma journée. Ainsi, à quelques mètres du lieu du crime, je suis reconnaissante à la nuit d’être assez fraîche ; pas ou peu de monde dans les environs. Si cette envie m’avait prise deux mois plus tard, cette mission aurait été bien impossible avec les marchés de Noël qui fleurissent de partout.

J’enfile la capuche de mon sweat comme si elle avait un superpouvoir qui me permettait de devenir invisible, et j’observe quelques instants les lieux pour trouver la façade la plus à mon goût.  Quand c’est fait, je m’en approche et je commence à sortir mon matériel aussi discrètement que possible avant de me mettre au travail. Sauf que j’entends du bruit peu de temps après, et même si j’ai tendance à me dépêcher pour disparaître le plus vite possible, ce son répété me fait froncer les sourcils et je me tourne pour observer les environs, incertaine. « – Y'a quelqu'un ? »

@Ari Ciller

Go ahead and bark after dark

J’ai l’impression que le froid se fait plus mordant que d’ordinaire ce soir, mais ce n’est pas ce qui va m’arrêter. C’est peut-être mon subconscient qui me souffle d’aller me mettre au chaud, comme s’il redoutait une mauvaise rencontre ce soir. Or, depuis que je suis arrivée ici, je n’ai franchement rien entendu de suspect, hormis cet Œil de lynx qui semble fasciner autant qu’il agace. Sans compter un message laissé sur mon Sammen, je ne suis pas franchement concernée pour le moment, et je dois dire que c’est plutôt amusant d’observer toute cette agitation d’un œil extérieur. Pour moi, c’est simplement quelqu’un qui s’ennuie et qui essaie d’apporter un peu de dynamisme dans une ville trop calme à son goût, et qui peut vraiment l’en blâmer ?

Lorsque je trouve l’endroit qui me semble le plus adapté pour mon œuvre nocturne, je ne perds pas de temps avant de me mettre à la tâche. J’essaie de travailler aussi vite que possible, prenant garde au fait que le moindre de mes faits et gestes ne résonne pas trop fort dans la rue pour ne pas attirer l’attention d’une patrouille de police qui passerait par là. Sait-on jamais. Je commence alors à tracer des formes abstraites contre le mur frais, sans d’idée précise en tête. Je fais de simples efforts au niveau de l’harmonie des couleurs, et je laisse mes yeux suivre la moindre courbe, laissant au passage la moindre de mes pensées disparaître. S’il doit y avoir un message dans celui-ci, alors il s’imposera sûrement à la fin.

Quelque chose sur la liberté, peut-être. Je n’ai pas le temps d’y réfléchir davantage ; un bruit me tire de mes rêveries et tout de suite, tout mon corps et mon esprit se remettent sur leur garde. Le bras encore en suspens, j’observe les environs obscurs autour de moi, faiblement illuminés par l’éclairage urbain, présent mais avant tout écolo pour préserver la planète. Comme si tout était pensé ici pour tomber pile poil dans les standards de la bienséance. Cette pensée m’amuserait presque si je ne me demandais pas quel tour je ne sais qui pourrait me jouer.

Or, au bout de quelques secondes, l’inconnu sort de sa cachette et il ne me paraît pas vraiment dangereux. À vrai dire, on ne dirait pas non plus qu’il est dans son état normal, et ce ne serait pas étonnant compte tenu de l’heure. Aujourd’hui, il n’y a pas vraiment d’heure ni de jour pour sortir. Même si cette révélation me permet d’effacer quelques scénarios de mon esprit, je reste malgré tout prudente, et je glisse lentement une main dans ma poche pour en tirer un briquet avant de le tendre vers lui. « – Si je te le passe, tu ne m’as jamais vue ici. »

@Ari Ciller

Go ahead and bark after dark

Je n’étais pas encore vraiment concentrée dans ce que je faisais – encore à l’étape de la recherche. C’est d’ailleurs ce qui m’a permis de sortir un peu vite de ma création. Ça aurait pu être un sacré avantage s’il s’agissait de la police : au moins, je n’aurais pas traîné avant de décamper, mais il n’y a pas de sirènes et encore moins de gyrophare bleu pour éclairer les alentours. Au lieu de ça, c’est un jeune homme qui sort de l’ombre. À vue d’œil, je dirais qu’il doit être moins âgé que moi, mais peut-être d’à peine quelques années. Même si je suis rassurée à l’idée de ne pas fuir des menottes, je n’en reste pas moins méfiante, bien que j’ai l’impression qu’il ne cherche pas à m’emmerder plus que ça.

Une fois que j’ai mis la main sur mon briquet, je tente malgré tout quelque chose pour m’assurer de ses intentions, et je fronce les sourcils à sa phrase que je trouve… Énigmatique. L’œil de lynx m’intrigue plus qu’il en m’agace, personnellement, et je constate qu’on était deux à penser à la même chose sur le moment. Avant que je ne puisse ouvrir la bouche, je l’observe s’emmêler les pinceaux, signe qu’il n’est pas très frais. Je ricane un peu et je m’avance alors pour lui tendre le fameux briquet, comme si c’était la preuve que j’attendais pour être sûre que je ne risquais rien.

« – Mince alors, moi qui pensais tenir un scoop. J’aurais pu te demander une sacrée somme pour tenir ma langue et éviter de dire à toute la ville qui se cache derrière la commère de service. » Tout compte fait, c’est peut-être aussi une ruse. Peut-être que le réel Œil de Lynx se cache là devant moi, mais même si c’était le cas, je doute qu’il ait réellement quelque chose sur moi, alors ça ne m’affole pas plus que ça. Alors, je me contenterai de la cigarette. Je me retourne vers le mur pour l’observer quelques instants, et je reste silencieuse avant de hausser les épaules.

« – Moi non plus à vrai dire. En général, l’inspiration me vient après. Là, j’avais juste envie de me défouler un peu. Je vais mélanger des couleurs genre, du rouge et du orange, et je verrais bien ce que ça donne. » En ce moment tout vogue entre le gris des bâtiments et le blanc de la neige alors, des couleurs chaudes, ça détonne toujours dans le paysage, c’est pas mal. « – Et toi, qu’est-ce que tu fais dehors ? Est-ce que t’essaies de tenir le record du monde du mec qui peut tenir le plus long en hypothermie ? »

@Ari Ciller

Go ahead and bark after dark

« – Trente balles de gagné, c’est toujours trente balles. » Je réponds avec un sourire en coin, même si effectivement, je ne serais pas allé bien loin avec une telle somme. Je devrais probablement essayer de m’en souvenir pour plus tard : ne pas essayer d’arnaquer des journalistes, ça ne sert à rien. Pour le moment, je n’en connais pas, mais ça pourrait servir – à vrai dire, j’évite malgré tout de m’en approcher. Qui sait ce qu’ils s’amuseraient à débusquer à mon sujet pour je ne sais quelle raison. Je suis arrivée ici avec la meilleure intention du monde : me cacher sans emmerder personne, mais dans ma précipitation, évidemment, je n’ai pas songé à me fabriquer de faux papiers ni même à changer mon nom. Ça ne m’a jamais été utile pour le moment – je doute que je pourrais trouver quelqu’un capable de me faire ça dans les environs, alors espérons que ça reste ainsi.

Et puis l’Œil de Lynx ne m’inspire pas vraiment confiance. J’ai été plutôt épargnée pour le moment, même si ce message faussement alarmant m’a bien inquiétée durant une paire de secondes. Je me suis dit que c’était surtout ma parano qui jouait. Ce n’était qu’un message bateau, dicté par les clichés russes, sinon quoi d’autre ? Une fois la cigarette enfin allumée entre mes lèvres, j’observe à nouveau le mur et j’inspire profondément pour prendre une première taffe, comme si l’inspiration allait soudainement me frapper en même temps que celle-ci. J’essaie de visualiser d’autres rubans de couleur, histoire de m’assurer que le tout soit un minimum harmonieux pour les quelques chanceux qui auront la joie de découvrir l’œuvre demain matin. En espérant que les tous premiers ne soient justement pas les agents chargés de la propreté. Mais je n’ai pas franchement l’habitude d’avoir un spectateur, et je me surprends à relancer la conversation, comme si c’était une excuse toute trouvée pour ne pas mettre de mot sur ce qui me bloque ce soir.

Je regarde malgré moi vers la direction qu’il m’indique et je fronce les sourcils. Même si je suis assez nulle question sens de l’observation, je suis quasiment sûre que le nord ne se trouve pas là. « – Euh… J’suis pas sûre que ce soit pas par là, du coup. Essaie de te repérer par rapport aux montagnes ? » L’avantage, c’est qu’elles dominent toute la ville alors ça peut être un moyen comme un autre de se repérer, même si c’est aussi vrai que la nuit et l’obscurité représentent une difficulté en plus. Je pouffe un peu à sa question, et je secoue la tête en jetant un regard vers mon propre pull. « – J’ai que ça sur moi, désolée. Mais tu peux garder le briquet encore un peu ! »

Pas sûre que ça le réchauffe vraiment, mais c’est déjà mieux que rien. Et tandis que je regarde à nouveau le mur, j’hésite une seconde, avant de me pencher pour prendre une bombe de peinture et lui tendre. « – Tu veux essayer ? Ça t’aidera pas à retrouver ton chemin, mais en bougeant un peu t’aurais peut-être moins froid. »