I just came to check on you (Abigail)

I just came to check on you

Je pousse un petit soupir en scotchant le dernier carton de déménagement. Je ne pensais pas avoir pris ou entassé tant d’affaires depuis notre arrivée ici, mais j’en ai bien une quinzaine, et je me sens dépassé. Bon, ça aurait pu être pire, mais pour un simple chambre étudiante, ça commence à faire beaucoup. Je passe une main sur mon front et je me laisse retomber sur mon lit, le dos contre le matelas et le regard rivé sur le plafond. Paco se moquerait sans doute de moi si j’avouais ça à voix haute, mais ça me faire bizarre de partir d’ici. Certes, je suis content d’aller habiter dans un endroit bien plus beau et bien plus grand, mais on a quand même vécu de sacrés trucs ici, et j’ai l’impression que c’est la petite fin de quelque chose. Qui sait ce que les futurs mois vont nous réserver. Et puis, j’espère au moins que les futurs étudiants qui vont emménager ici sauront respecter cet endroit et en prendre soin comme on l’a fait.

Je reste comme ça pendant quelques minutes, en repensant aux longues conversations qu’on a pu avoir, et un petit sourire nostalgique prend place sur mon visage. Et puis, je me remémore la soirée de la veille, et ce sentiment de malaise me frappe à nouveau quand j’essaie de me mettre à la place d’Abby. Je ne l’avais jamais vu être aussi touchée par quelque chose. Si elle venait à apprendre que pire est arrivé… Non, il ne faut pas qu’elle l’apprenne. Je me redresse alors, et je fixe un point vide face à moi. Il faut que j’aille la voir. On dira que c’est ma dernière bonne action entre les murs de ces résidences. Et puis, ça ne sera pas forcément suspect : on est encore amis, et tout ami peut être inquiet et s’enquérir de son état après ce qui s’est passé.

L’éventualité de revoir Orel m’angoisse, mais je dois penser au-delà de mes intérêts cette fois. Je me redresse vite sur mes pieds, avant d’y penser trop et de me dégonfler. Je prends quand même une douche rapide, parce que tous ces exercices m’ont fait transpirer, et je n’ai pas très envie de suer comme un porc devant elle. Enfilant quelques vêtements parmi le tas que je me suis laissé hors des cartons, j’attrape mon téléphone et mes clés avant de me rendre dans le bâtiment des Undergraduate. Je sens mon cœur battre toujours un peu plus fort au fil de mes pas, et une fois devant la porte, je me demande bien par où commencer. Lui demander comment elle va me semble être une option plutôt valable, alors, les lèvres pincées, je frappe de petits coups à la porte, espérant que tout se passe pour le mieux.

I just came to check on you

J'attends pendant quelques secondes une réponse, nerveux à l’idée qu’Orel vienne ouvrir la porte. Notre discussion de ce matin m’a suffit, et maintenant, je veux aussi faire les choses bien en vérifiant comment se sent Abigail. Je ne sais pas si elle compte venir au Blood Night ce soir, mais je crois que ça lui ferait du bien. Si Orel vient aussi, je prie tous les Dieux de la Norvège pour que cette soirée ne tourne pas en fiasco comme la veille. J’ai tellement honte. Je crois que je vais passer le reste des vacances enfermé, je n’ose pas recroiser des habitants pour le moment. C’est sûr qu’on doit avoir une piètre réputation avec tous ces cris et cette bagarre. Je n’y suis pas pour grand-chose, mais je ne suis pas certain que monsieur et madame tout le monde aient fait la différence entre nous tous. Ils ont sans doute dû nous mettre tous dans le même panier, celui des emmerdeurs de première. Cool.

Je sursaute quand j’entends quelqu’un appeler mon prénom dans le couloir, puis je réalise qu’il s 'agit d’Abby. Les sourcils froncés, mes yeux refont un aller-retour entre la porte et elle, comme pour mieux analyser la situation. Est-ce qu’elle cherche à tout prix à éviter cet endroit, elle aussi ? Ça va mal à ce point-là ? Qu’est-ce qu’ils ont pu se dire ? Je sens mon cœur se pincer en repensant à cette épée de Damoclès au-dessus de nos têtes, mais elle n’a pas l’air énervée, du moins, pas contre moi. Je ne décèle aucune animosité dans le ton de sa voix. À moins que cela ne soit qu’une ruse avant de me mettre au pied du mur ? Se peut-il qu’elle soit au courant de tout ? « – Salut, Abby. »

Je me décale pour la laisser ouvrir sa chambre, et je me sens soulagé quand elle m’annonce qu’Orel n’est pas là. Au moins, on pourra discuter tous les deux. C’est une bonne chose, même si lui montrer mon soutien ne suffira pas à me convaincre que je ne suis pas un ami minable pour elle. « – C'est toi que je venais voir, en fait. Ça fait un petit moment qu'on n'a pas parlé tous les deux, et je voulais voir comment tu allais après... tout ça. » Je referme la porte derrière moi, et je me tourne vers elle pour afficher un petit sourire, à la fois sincère et désolé. Être dans cette chambre ne me met pas spécialement à l’aise, mais il faut que j’en fasse abstraction. Quand elle me retourne la question, je hausse les épaules avec un petit soupir, restant debout face à elle, parce que je n’ose pas prendre place à ses côtés sur le lit. Elle est loin de s’en douter, mais la symbolique serait vraiment trop bizarre. « – Ça peut aller... Je t'avoue que si je pouvais me jeter dans un trou de souris, je le ferais sans hésitation. Espérons que ça passe et que tout le monde aura oublié d'ici ce soir. » Je lâche un petit rire désabusé, parce que non, même si les gens vont faire semblant, personne n'aura oublié.

I just came to check on you

Abby m'informe qu'elle n'a pas dormi à la résidence, et je grimace en guise de réponse. La raison ne me regarde pas, même si je peux la deviner. Ils se sont peut-être disputés, ou alors, peut-être qu'elle avait juste besoin de prendre du recul sur les choses. Certainement un mélange des deux.  « – Je suis désolé... » Je me contente alors de dire, tandis que j'entre dans la chambre, les lèvres pincées. Venir ici me semblait être une bonne idée quand j'y pensais en faisant mes cartons, mais maintenant face à elle, je me fais facilement submerger par ces sentiments que je ne connais que trop bien. La culpabilité en ligne de mire. Je lui demande comment elle se sent après cette soirée, parce que je sais bien que ce qu'elle a vu, ce n'est pas facile à digérer. Je pense que l'alcool et le coup qu'il s'est pris à la tête ont grandement joué leur part dans les actes d'Orel, mais une petite partie de moi me souffle aussi que ce n'était qu'une réponse à la provocation de Paco - ou une tentative de me blesser, comme il l'a peut-être été par ce geste.

Abby laisse une de ses phrases en suspens, et même si je meurs d'envie d'entendre le fond de sa pensée, je crois que je préfère autant qu'elle s'arrête là, de peur de la voir frôler de trop près la vérité. « – Je crois qu'il est sous tension en ce moment, avec les cours et le reste. Tu sais aussi bien que moi comment son père lui met la pression, et il a peut-être peur de perdre sa bourse. Je ne dis pas que ça explique tout, mais ça pourrait le faire en partie. » Je ne cherche pas à prendre parti, mais à essayer de trouver ce qui a provoqué ce pétage de plomb, même si je suis parfaitement conscient de la raison principale. Quand elle me propose de m'asseoir, je sens ma bulle de nervosité éclater un petit instant, et je pouffe un peu avant de venir prendre place sur la chaise de bureau. « – Carrément, excuse-moi. »

Tournant le dossier pour qu'il soit contre mon torse, j'y croise mes bras tout en reprenant le fil de notre conversation. J'affiche un petit sourire quand elle semble inquiète pour ma relation avec Paco. C'est vrai qu'elle n'est pas tombée sur nous au bon moment, nos yeux se lançaient des éclairs quand elle est arrivée dans les toilettes. « – On en est pas à notre première friction, tu sais. Mais ce n'était rien de grave. Je suis sûr que ce soir, tout sera oublié, et que notre amitié va reprendre comme si de rien n'était. Je sais qu'il n'était pas exactement dans son état normal non plus, je ne lui en veux pas. » Je hausse les épaules avec un petit sourire, plus léger à ce sujet. Je sais que j'ai autant besoin de Paco qu'il a besoin de Paco, alors je ne pense pas qu'on aura un jour une immense dispute, où aucun retour en arrière ne sera possible. Du moins, je l'espère.

Mon visage s'illumine un peu plus quand elle parle du déménagement. C'est une petite ère qui se termine, mais mine de rien, j'ai hâte d'y être. Le Palasset est un très beau quartier ; je n'aurais jamais pensé habiter dans ce genre d'endroit, et notre penthouse alors, n'en parlons pas. « – J'étais justement en train d'emballer mes derniers cartons ! Si tu veux venir, c'est avec plaisir. Mais tu es sûre de pouvoir porter quelque chose, avec tes petits bras ?  » Je lui demande avec un petit air taquin. Et l'espace d'une seconde, j'ai l'impression d'être de retour en arrière, transporté à l'époque où il n'y avait pas encore toute cette situation étrange entre nous.

I just came to check on you

Je sens mon cœur se serrer un peu plus quand elle me confie son espoir. Son espoir de voir la situation s’arranger entre Orel et elle. J’affiche un léger sourire quand elle tente de me rassurer en me disant que je ny suis pour rien dans cette histoire. En apparence, oui, mais officieusement, c’est beaucoup plus compliqué que ça. « – Je te souhaite que ce soit arrangé, en tout cas.  » Je lui réponds avec un nouveau sourire, avant de prendre place sur une chaise de bureau. Et si Orel crachait le morceau ? S’il se décidait à tout lui dire pour se libérer de ce poids ? Nul doute, elle va me détester. Me détester d’être venu la voir après tout ce fiasco, de lui avoir menti, même si c’était à contre cœur, pendant toutes ces années. On dit bien qu’on ne contrôle pas ses sentiments, et dans mon cas, c’est on ne peut plus vrai, mais je doute qu’elle puisse me pardonner un jour si elle apprend toute cette histoire.

« – Ça, je suis d’accord pour l’alcool. Il a sûrement besoin d’aide de ce côté-là. » Je commente à mon tour, avec une petite moue, alors que je croise mes bras par-dessus le dossier de la chaise pour y déposer mon menton. Je ne suis pas sûr d’être l’unique raison pour laquelle il a autant bu. Je pense à son père, à sa relation avec Abby, aussi, peut-être. À son amitié avec Paco qui s’est dégradée de mois en mois, à cause de cette histoire de triangle amoureux et de notre rupture. Les voir se battre a été douloureux. Je me doutais que ça risquait d’arriver à un moment ou à un autre, mais je pensais pas que ça arriverait si vite. Que ce serait si violent.

« – Je ne me fais pas de soucis pour ma relation avec Paco, tu sais. Je m’inquiète plutôt pour celle entre Orel et lui. Ça me fait de la peine qu’ils se soient éloignés.   » Et encore, c’est un euphémisme, mais je me retiens de m’étendre davantage sur ce sujet, parce que je sens qu’elle va me demander si je sais quelque chose sur leur froid, et je préfère ne pas m’engager sur ce terrain-là. La fatigue de toute cette situation pourrait bien me conduire à dire des choses qui risquent de me porter préjudice, à un moment ou à un autre. Elle met finalement le sujet du déménagement sur la table, et je m’y mêle avec plus d’aisance. Je me permets même de faire un peu d’humour, histoire d’apaiser la scène, et je me mets à rire de bon cœur quand elle entre dans mon jeu.

Je lève même mes sourcils devant son petit numéro, et je secoue la tête avec un sourire amusé avant de me mettre à l’applaudit. Je fais même une petite courbette lorsqu’elle m’ouvre la porte, et je sors dans le couloir avec un petit sourire. Je marche à ses côtés pendant quelques minutes, pour rejoindre ma chambre, et j’ouvre ma porte avant de la laisser entrer à l’intérieur. Plusieurs cartons jonchent déjà le sol et mon lit. J’ai bientôt terminé d’ailleurs, mais je ne dirais pas non à un peu d’aide. « –Ça va quand même me faire bizarre de partir d'ici, c'est la fin d'une petite ère », je confie avec un léger sourire, avant de fermer la porte derrière nous.  

I just came to check on you

Abigail est loin d’être bête, et quand elle me confie qu’elle sait que quelque chose se trame dans son dos, le petit ange sur mon épaule me souffle de lui dire la vérité. Mais je ne peux pas faire ça. Je ne peux pas être le seul à lui annoncer. Et puis, ça ne se dit pas. Ça la détruirait probablement, et je ne tiens pas à la voir sombrer comme  j’ai pu le faire il y a quelques mois. Je préfère largement vivre avec ce secret et m’en vouloir jusqu’à la fin de mes jours plutôt que de la voir se prendre ce mur. On a déjà eu affaire à quelques situations risquées depuis qu’on s’est tous retrouvé en Norvège, mais pour l’instant, la lourde et triste vérité n’a pas été prononcée. Pourvu que ça reste ainsi. Je ne peux pas lui faire de fausses promesses, essayer de la rassurer en lui disant qu'il va se confier à elle et à lui dire ce qui se passe dans sa tête. Je sais que ça n'arrivera pas. Orel n'est pas quelqu'un de cruel. Et même s'il y mettait toutes les formes possibles, il n'y a pas de bonne manière d'annoncer qu'il n'est pas amoureux d'elle, ou qu'il n'a jamais voulu de cette vie dessinée par son père.

« = Tu dois peut-être essayer de lui laisser du temps. Je sais que c'est facile à dire, mais... Ouais. On connait Orel, je crois que c'est une mauvaise idée si on essaie de le forcer à faire quoi que ce soit.  », C'est horrible, cette sensation de tourner autour du pot, de parler pour ne rien dire de concret. Et c'est aussi étrange de le faire dans cet endroit. Leur chambre. Mais j'ai toujours été le confident du groupe. Les choses deviendraient bien trop suspicieuses si je me détachais de ce rôle d'un seul coup. Quand on arrive au sujet de Paco et Orel, j’acquiesce avec un petit sourire triste. « = Ils se connaissent depuis qu'ils sont gosses, alors je pense qu'ils se manquent mutuellement, même s'ils ne le diront pas à voix haute. J'essaierai de tâter le terrain avec Paco quand les choses se seront un peu tassées. »

Une fois dans ma chambre universitaire, je mets quelques cartons sur mon lit, histoire qu’on puisse quand même se déplacer sans trop de difficulté dans la pièce, et je lâche un petit rire en entendant la brune. « = On sera pas si loin que ça, et puis, tu peux venir à la maison quand tu veux. » Inutile d’être égoïste, de toute façon. Elle s’est aussi toujours bien entendu avec Paco, alors évidemment qu’elle a tous les droits de venir au penthouse quand ça lui chante. Quand elle me questionne sur ce qu'elle peut faire pour m'aider, j'hésite un petit moment, réfléchissant, avant de me diriger vers mon armoire, où il ne reste plus beaucoup de vêtements.  « = Tu veux bien me dire quoi porter pour la soirée du Blood Night, ce soir ? On aura plus qu'à ranger le reste, après. »