plastic hearts (ft. heidi)

— Sur les rives de Bergen, elle laisse son regard se perdre à l’horizon. Après cette séance de shopping en solitaire pour trouver quelques cadeaux à ses parents, elle s’offre un moment de répit bien mérité. Le plus souvent accompagnée de Jenna pour ce genre d’activités, cette fois-ci ce n’est pas le cas. A vrai dire, cette chasse pour Noël est bien plus personnelle que de chercher les dernières collections dans ses magasins préférés, alors elle suppose que son amie brune comprendra qu’elle y soit allée sans elle. Avec déjà quelques paquets aux bras, elle songe doucement à sa prochaine étape. Pourquoi ne pas faire une pause dans un café, ou simplement continuer de marcher par ici ? L’air glacial lui mord les joues, mais après une vie passée en Norvège, elle l’accueille comme un vieil ami plus que comme un assaillant. Ce n’est visiblement pas le cas de tout le monde. Quelques touristes pestent en tenant leurs manteaux pas assez chauds contre eux, et d’autres habitants se dépêchent pour ne pas subir plus de rougeurs que nécessaire. Elle sourit, presque amusée ou même bienveillante. La déesse des vents froids et des sommets enneigés a toujours été de son côté.
Mais soudain, son visage se fige quand elle croise en face d’elle un regard qu’elle aurait du tout faire pour éviter. Une meilleure amie, une ennemie, puis une amie à nouveau. Et maintenant, une traîtresse. Encore. A quel point a-t-elle pu être bête pour se laisser avoir de la même façon, une fois de plus ? Il n’a fallu que de quelques mots sur la description de ce malheureux crush et… et c’était terminé, Heidi lui avait mis le grappin dessus avant même qu’elle ne se décide à pousser les choses avec lui. Incapable de retenir la vague de colère qui crispe son visage délicat et fronce ses sourcils, elle avale sa salive difficilement en soutenant le regard de la blonde. Qu’elle passe son chemin, qu’elle se défile sans dire un mot. Sinon, elle ne garantit pas que personne ne soit blessé à l’issue de cette confrontation là. Aussi douloureuse que la révélation de Jenna à son égard ait été, maintenant, il n’y a plus que les ravages d’une énième déception pour animer la rage dans ses tripes.

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Noël. Voilà sans doute un mois que j’attends cela pour retrouver dans les rues de Bergen cette ambiance si particulière. La plupart des gens diraient certainement que c’est la même chose tous les ans, et si on reste objectif, ils ont raison. Pourtant, je me balade dans les rues de la ville avec le même sourire niais que je dois avoir depuis quelques heures maintenant. Bien emmitouflée sous un épais manteau, un bonnet et des gants, je ne frissonne que lorsque je quitte la chaleur des magasins ou des chalets pour retourner dans le froid. Le nez en l’air, je me surprends même à chantonner au détour de quelques installations, quand je repère également au loin un visage familier : Sól.

Je ne sais pas vraiment où on est est depuis la croisière. Tout s’est plutôt bien passé entre nous lors de ces vacances, et mon côté optimiste veut croire que c’est le début de quelque chose de bien. Je doute malgré tout qu’on puisse reprendre une amitié aussi complice et fusionnelle, mais si elle peut me compter malgré tout parmi ses amis, alors ça m’ira. J’ai longtemps tenté de me convaincre du contraire, mais la savoir dans les parages ou la côtoyer au quotidien m’ont fait réaliser que j’avais besoin d’elle dans ma vie. Nos retrouvailles forcées sont sûrement une deuxième chance, et maintenant que le plus gros de la tempête semble passé, je veux continuer à faire des efforts. Même si ça ne marche pas, je pourrais au moins me dire qu’on aura essayé.

Néanmoins, en me rapprochant d’elle, je réalise que son expression n’invite pas vraiment à la discussion. J’ai plutôt l’impression de me retrouver à la Sol d’il y a un an en arrière, quand tout allait encore mal. Pourtant, j’essaie de me dire que je ne suis peut-être pas la concerné. « – Hey ! » Il y a des magasins partout autour de nous : peut-être vient-elle de vivre une mauvaise expérience ? « – … Tu vas bien ? Qu’est-ce qui se passe ? »

— Passé l’effet de coup de poing dans le ventre d’avoir vu Heidi au milieu de la rue, elle sent son humeur s’effriter à mesure que la colère sourde prend place dans sa poitrine. Difficile de croire qu’il y a quelques semaines à peine, il y avait encore tant d’innocence et de sincérité dans leurs échanges, et que maintenant sa réaction en voyant son ancienne amie soit aussi viscérale. Ah, si seulement ça l’avait été – innocent et sincère. Quelle imbécile elle fait, pour être tombée dans le panneau une fois de plus. Elle s’en veut autant qu’elle en veut à la blonde qui a maintenant l’audace de s’approcher d’elle. Son ton enjoué et naturellement avenant la rend malade. La mâchoire crispée et les dents serrées, elle ne détache pas son regard noir de son interlocutrice. Et quand elle ose ouvrir la bouche pour lui demander si ça va, l’hypocrisie qui en sort pourrait la faire hurler. Mais à la place d’un cri de détresse, c’est un ricanement amer qui s’échappe d’entre ses lèvres. Levant les yeux au ciel, elle ne prend même pas la peine de cacher son ressentiment tandis que ses phalanges blanchissent de sa poigne qui se serre sur les hanses de ses sacs. « Tu as un sacré culot, je me vois obligée de l’admettre. » Clairement, la Heidi d’il y a des années n’existe plus – elle s’est bercée de douces illusions en pensant avoir retrouvé une amie. Qui est à blâmer ? Elle l’a façonnée à son image si longtemps, mais elle ne pensait pas en faire un monstre. Pas à ce point là. Réalisant à quel point le mur dans lequel elle s’est encastrée est douloureux, toutes les excuses, toutes les explications et les discussions à cœur ouvert lui semblent si vide de sens à présent. C’est ce qu’il se passe, quand on pardonne. On se fait avoir, encore et encore.

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La douloureuse impression d’être ramenée de longs mois en arrière. Face à Sól, je cligne des yeux plusieurs fois pour m’assurer que la situation est bien réelle et que je ne suis pas en plein milieu d’un cauchemar. J’ai l’impression de voir ma crainte reproduite sous mes yeux, mais rien d’étrange ne se déroule autour de nous, signe que mon subconscient n’est peut-être pas le fautif, pour une fois. Je pourrais peut-être me pincer le bras pour m’assurer une bonne fois pour toutes que c’est réel, mais elle ne m’en laisse pas le temps. Sa nouvelle réplique, combinée à son regard glacial, est l’équivalent d’une gifle.

Je fronce les sourcils sous l’incompréhension, tandis que je fais de mon mieux pour essayer de deviner ce que j’aurais pu faire de travers. Il me semblait pourtant que tout allait bien entre nous. Me serais-je trompée ? « – Quoi ? Qu'est-ce que tu veux dire ? » J’ai l’impression que sa colère lui permet de se tenir aussi stoïque et droite qu’un i, mais moi, je commence déjà à me balancer sur mes pieds, mal à l’aise.

« – Est-ce que tu m'en veux parce qu'on ne s'est pas vues depuis un moment ? Je suis désolée, j'ai mis du temps avant de trouver un cabinet d'avocats, et il a fallu qe je m'adapte, mais ça devrait aller, maintenant ! » J’essaie bien de garder un ton enthousiaste, même si une petite voix me souffle que la confrontation pourrait bien débuter à tout moment, désormais. Je ne connais que trop bien ce regard et l’ironie de Sól pour espérer m’en sortir indemne. Et pourtant, je ne vois pas ce qu’elle pourrait avoir à me reprocher, hormis ce silence radio involontaire. Je ne pensais pas qu’elle m’en tiendrait rigueur ou qu’elle s’attendait à recevoir plus de nouvelles de ma part, mais si tel est le cas, ça n’a pas l’air d’être le bon moment pour s’en réjouir.

— Les émotions qui se succèdent sur le visage d’ange en face d’elle pourraient presque lui donner la nausée. Pourquoi être allée en droit quand on a un tel don pour le mensonge ? Une carrière d’actrice lui aurait clairement rendu service. Elle toise sa camarade, la colère froide jusqu’au bout des cils. A moins qu’elle ne manipule sa surprise d’avoir été découverte en incompréhension ? Devant le son presque insoutenable de la voix d’Heidi et de ses fausses questions, elle lève le menton avec un rictus douloureux. « Donc c’est comme ça que tu vas la jouer ? » Elle détourne le regard et hoche légèrement la tête comme si elle venait de comprendre quelque chose. « … Comme la dernière fois, en fait, quand on y pense. » Reposant les yeux sur la traîtresse, il lui faut toute la force du monde pour pouvoir se contenir en public tant sa rage bouillonne à l’intérieur d’elle. « Je n’arrive pas à croire que j’ai pu me laisser avoir par ça une fois, alors deux. » Plissant les yeux, elle continue de scruter le visage de son ancienne amie – avec presque un peu d’admiration. Elle s’est crue intelligente, elle s’est pensée avisée ; mais en définitive, l’élève a battu le maître dans tous les domaines et surtout les pires. « Très bien. » Les lèvres pincées, elle ravale sa rancœur pour laisser parler sa fierté. « Je m’en fiche de passer pour la méchante, tu peux faire semblant d’être idiote et de ne pas comprendre si ça te chante. » Les mots sont secs, tranchants même. Comme si elle espérait faire mal – presque autant que ce qu’elle souffre. « Au moins, moi, je peux encore me regarder dans un miroir. » Elle ne sait pas s’il y a plus de dédain ou de haine dans sa voix, mais tant qu’elle peut vivre la tête haute, tant qu’elle ne s’écroule pas maintenant, alors tout ira bien. Peut-être que ça prendra du temps pour ramasser tous les morceaux d’elle, mais tout ira bien quand cette conversation sera terminée et qu’elle reprendra son chemin sans jamais se retourner. Laisser le passé au passé, elle en a plus besoin que ce qu’elle n’aurait cru, au final – après s’être tant bercée d’illusions.

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J’ai l’impression de me prendre une enclume sur la tête – un peu comme cette fois, dans la salle de pause du Moro Center, où Sól m’a avoué de but en blanc pourquoi notre amitié avait pris des tournures si dramatiques. Je me sens désarmée, incapable de dire si c’est une mauvaise blague ou non. Et j’ai beau essayer de me remémorer le fil de ces dernières semaines, je n’arrive pas à comprendre ce que j’ai pu faire de mal. Je ne l’ai pas croisée, ni parlé d’elle à qui que ce soit. Et... Je n’ai pas non plus oublié son anniversaire, puisque je l’ai fêté avec elle sur le bateau. Les sourcils froncés, j’accuse le coup quand elle fait elle aussi référence à notre précédente confrontation.

Je pensais que ce serait la dernière, et à mon sens, on avait tout fait pour, mais on dirait bien qu’une deuxième se profile, et en plus, en public cette fois. Je croise les bras, comme si ça pouvait mieux me protéger de ses mots, et je conserve mon regard fixé pour elle, comme si cette vision pouvait m’aider à comprendre ce qui se passe. Une expression, un mot susurré à elle-même sous la colère avant de repartir de plus belle. Or, je ne lis sur son visage que de l’exaspération et bientôt, c’est à nouveau ce venin qui ressort.

Piquée à la mention d’idiote, je cligne des yeux, et il y a un petit temps de latence. Cette fois, c'est la déception me gagne. « – C’est quoi ton problème ? » Ma voix est un peu plus haute que d’habitude, et elle va sûrement prendre ça pour un signe de culpabilité pour le je-ne-sais-quoi qu’elle me reproche, mais je n’en ai que faire sur le moment. « – Je sais pertinemment que je n'ai rien fait de mal, je passe mon temps à travailler bon sang, alors dis-moi ce que tu me reproches à la fin. » Mes premières semaines passées en cabinet d’avocat m’ont poussé à me mettre un coup de pied aux fesses et à gagner en assurance. Personne n’aurait envie de se faire défendre par quelqu’un qui n’ose pas lever la voix ou appuyer ses convictions. Et puis, le sentiment d’injustice qui m’étreint me pousse à aller plus loin.

— Piquée à vif par ce dédain dans la voix d’Heidi qu’elle est persuadée d’entendre, elle réplique presque immédiatement. « Mon problème ?! » Son visage se tord entre une amertume prévisible et un rictus cynique. « Et toi, c’est quoi le tien ? » Pourquoi son ancienne amie s’obstine-t-elle à ce point à prendre tout ce qui est censé lui revenir ? Est-ce une conséquence de l’avoir, pendant si longtemps, guidée et entraînée pour la sculpter à son image ? Mais maintenant, le fruit de son égo démesuré se retourne contre elle à nouveau. Ironique. « J’espère au moins que tu es payée pour ça, on dit qu’il ne faut jamais faire quelque chose qu’on fait bien gratuitement. » La colère brillante dans les yeux, elle découvre une assurance cachée qu’elle ne soupçonnait pas. Madame lui répond et continue à jouer à l’innocente ; Heidi doit sûrement désirer ardemment qu’elle avoue sa défaite pour s’en délecter. « Évidemment, tu n’as rien fait. Comme d’habitude. » Elle sourit, d’un sourire crispé et faux qui n’annonce rien de bon. « Combien de temps ça t’a pris ? Quelques jours, quelques semaines après que je t’en ai parlé ? » Plissant les yeux, elle s’avance sur un chemin dangereux quand elle tourne autour du pot – elle sait pertinemment que le moindre écart sera retourné contre elle. « Rien qu’avec une description vague, tu as réussi à le trouver et à le mettre dans ta poche. Exactement comme avant. Encore une fois. » Moon-jeong lui en soit témoin, elle n’a ni donné de nom ni montré de qui il s’agissait. Et pourtant, Heidi a réussi à trouver qui était le garçon sur qui elle avait des vues et à lui mettre le grappin dessus avant elle. Est-ce une leçon de la vie pour lui enseigner qu’elle n’aurait pas du prendre son temps, qu’elle n’aurait pas du refaire confiance ? Elle n’y croit pas trop, mais elle est forcée de constater que ça y ressemble. Elle soupire, et puis avale sa salive. « Je suis impressionnée, je n’ai même rien vu venir. » Secouant la tête de droite à gauche, elle transpire la déception et la désapprobation. Comme si, même à un instant pareil, elle sentait encore le pouvoir et l’emprise qu’elle a naturellement sur les autres. « Tu mérites un oscar pour cette performance. » Encore une fois, elle crache son venin sans ciller. A quoi bon, elle est tout autant fautive pour être tombée dans le panneau. Et elle s’en veut, vraiment. Comment a-t-elle pu être aussi bête ? Était-elle si désespérée de réparer les pots cassés pour accepter de se faire rouler dans la farine de cette façon ? Et maintenant, elle regarde une inconnue droit dans les yeux avec toute la rancœur du monde dans la poitrine. Cette fois, c’est terminé pour de bon – mais elle ne détournera pas le regard en premier. Il lui reste encore trop de fierté pour ça et elle ne lui fera pas se plaisir.

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Les yeux écarquillés, je fais même un pas en arrière quand Sól hausse le ton et me retourne ma question. Tout me paraît beaucoup trop grave pour une simple rancœur basée sur une absence de nouvelles de ma part, alors je mets définitivement cette théorie de côté. Les yeux froncés, j’essaie alors d’encaisser comme je peux les nouvelles répliques de celle que je pensais être redevenue mon amie, comme d’autant de morsures ancrées dans ma chair. Pourtant, je ne veux pas craquer, pas cette fois, plus devant elle. J’ignore si je me suis endurcie ou si je dois cela à l’air frais qui conserve mes yeux secs, mais je suis rassurée de ne pas me laisser emporter par mes émotions – pas comme lors de notre ancienne dispute, celle que je pensais être alors la dernière avant un bon moment.

Ma surprise redouble quand un garçon semble entrer dans la conversation, et il me faut plusieurs secondes pour comprendre où elle veut en venir. Quand tous les liens se mettent en place, sa colère me semble plus compréhensible, mais pas légitime pour autant ; je n’ai strictement vu personne en dehors de mon groupe d’amis et de mes collègues de travail. Oh. Est-ce qu’il peut s’agir de l’un d’eux ? La description qu’elle m’a faite de ce garçon est plutôt vague, rien ne me fait penser aux gens que je côtoie, mais si c’est le cas, elle s’est sans doute fait de fausses idées.

« – Tout ça pour un... garçon ? Donc, tu penses toujours que je serais capable de faire ça volontairement ? » Je réalise que mon ton sonne plus attristé que je n’aurais voulu le montrer. Alors, je serre les poings et je secoue la tête à mon tour, décidée à me défendre, du moins, à essayer. La dernière fois, j’avais de quoi m’en vouloir. Aujourd’hui, je n’ai strictement rien fait de mal, alors évidemment, ça aide à prendre confiance. « – Je vois personne en dehors du travail, à part mon groupe d’amis, et encore, c’est rare. Aucun n’était venu en croisière alors je ne sais pas si tu parles d’un des garçons mais si c’est le cas, je te rassure : je ne pense pas du tout à eux de cette façon-là. »

Confuse, ça me fait bizarre de devoir me justifier à propos de personnes que je considère uniquement comme des amis, voire des frères. Le regard de Sól s’obscurcit de seconde en seconde, je crois même que c’est pire que lors de nos retrouvailles forcées en tout début d’année scolaire à Bergen. Et c’est en sentant mon téléphone vibrer dans la poche de mon manteau qu’une idée me vient : « – Si tu es si sûre de toi, appelle-le devant moi et demande-lui s’il me connaît, je suis curieuse d’entendre son étonnement. » Bon, il y a un infime pourcent de chance qu’il s’agisse de quelqu’un de ma promo, mais je ne faisais pas partie des étudiants les plus populaires à l’université, alors il y a vraiment très peu de chance qu’un scénario se produise. Et puis, même si c’était le cas, je n’ai même pas flirté avec un autre élève.

— Passée la seconde d’incompréhension peinte sur le visage d’Heidi, c’est autre chose qui s’installe. Alors, doucement mais sûrement, la colère sourde prend le pas dans ses entrailles retournées. Peu importe qu’elle passe pour la méchante ou qu’elle ait un public. La surprise feinte avec brio par cette ancienne amie d’un autre temps la dégoûte, surtout quand Heidi réduit encore ça à… une histoire de garçon. L’insulte suprême, comme si c’était ça le problème, et pas cette tromperie à répétition qu’elle est en train de subir à nouveau. Ça, et ce désespoir qui l’a poussée à se jeter à pieds-joints dans cette nouvelle amitié qui avait pourtant tout d’impossible. Maintenant, il faudrait qu’elle croit que ce n’était pas volontaire de sa part ? Quelle blague. Même le ton faussement attristé qu’elle prend ne parvient pas à l’émouvoir. « Et bien… tu as fait ce qu’il fallait pour me persuader du contraire et en profiter pour me doubler dans mon dos. C’est classe. » L’amertume sur ce faible sourire qu’elle étire se fait de plus en plus pesante. Elle hoche la tête lentement, sa fierté tout aussi blessée qu’elle d’admettre avoir été dupée. Et pourtant, Heidi n’en démord toujours pas. Elle étouffe un rire ironique, plus lassée qu’énervée. « C’est ça, tu as toujours été une sainte de toute façon. » Toutes ces excuses la fatiguent. Elle se sentirait probablement mieux si Heidi admettait tout ; au moins, elle pourrait faire son deuil correctement et passer à autre chose. Mais la blonde ne la laisserait même pas faire ça, sans qu’elle ne comprenne vraiment pourquoi. A-t-elle a ce point besoin de quelqu’un à torturer sous la main ?
Si elle n’avait pas eu autant de paquets, elle aurait probablement croisé les bras en guise de dernière défense. Un air incrédule sur le visage, l’indécence et le culot de la proposition qui lui est faite la dépassent. Le regard sombre et la voix légère en totale contradiction avec son humeur du moment, elle toise Heidi de haut en bas avec un mépris presque tangible. « Pour que vous puissiez tous les deux continuer votre petit jeu et me ridiculiser au passage ? » Faisant mine de hausser les épaules, elle détourne le regard avec toute la déception du monde dans les yeux. « Ce sera sans moi, j’ai déjà donné. » Pas une fois, mais deux ? Dire qu’elle se pensait intelligente et alerte – c’est une sacré claque qu’elle se prend là. Le retour à la réalité est difficile. Et puis, après plusieurs secondes d’un vide lourd au milieu de cette conversation à l’odeur terrifiante de défaite, elle finit par reposer son attention sur Heidi sans cacher son dédain manifeste. « Tu peux être fière de toi, tu sais. C’était une longue bataille mais tu as gagné. » L’élève a dépassé le maître, ça c’est clair. Pour en devenir une version encore pire qu’elle. Oh, elle sait bien qu’elle a ses torts – elle travaille dessus, parfois. Mais que faire quand une situation pareille ? Quand on a déjà essayé de pardonner, et que tout se retourne une fois de plus contre elle ? C’est si difficile, de faire face à un tel échec.

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Même si j’ai la désagréable impression que les choses se répètent, cette fois, on dirait bien qu’on atteint un point de non-retour. La dernière fois, on s’est un minimum écoutées toutes les deux pour que d’anciennes vérités puissent éclater au grand jour. Cette fois, j’ai du mal à comprendre ce qu’elle me reproche, et plus ma confusion grandit, plus la colère le fait de son côté. C’est ça, tu as toujours été une sainte de toute façon. Je déglutis avec peine ma salive, accusant le coup comme je peux. C’était petit, on le sait toutes les deux. Inutile de lui faire remarquer à voix haute, je n’ai pas envie de l’entendre s’en réjouir. Et puis, ça pourrait peut-être lui donner un indice quelconque pour prouver je-ne-sais-quoi. J’essaie d’y mettre autant de bonne foi que je peux, mais son regard et son ton me surprennent assez pour que je me surprenne à lever la voix à mon tour, jusqu’à proposer qu’elle appelle ce fameux garçon devant moi. Je sais bien que je ne risquerais rien, puisque je n’ai rien à me reprocher.

Pourtant, Sól ne se jette pas sur son téléphone : est-ce qu’elle le fera chez elle, plus tard, toute seule ? Aucune idée, mais si elle veut commencer à avoir des réponses, c’est pourtant la bonne solution. Je pousse un soupir et je ferme mes yeux, comme pour oublier ce regard accusateur pointé sur moi, même si je le sens toujours me transpercer. « – Écoute, honnêtement je n’ai rien fait du tout et j’ignore de quoi tu me parles. Si tu ne veux pas me croire, appelle-le, aujourd’hui, demain, la salle prochaine, peu importe, je ne sais même pas qui c’est. » Je lâche l’un de mes sacs pour passer une main dans ms cheveux, contrariée. Et j’ai l’impression de tomber de plusieurs étages quand elle compare notre relation à une lutte que l’une ou l’autre aurait dû remporter.

On dirait qu’elle parle d’une fin, et mes sourcils se froncent à nouveau quand je repose mes yeux sur elle. « – Je n’ai rien gagné du tout, et je n’ai pas non plus cherché à le faire.  » Est-ce que ça va vraiment se terminer comme ça, sur un énième malentendu ? Ce serait quand même bizarre que le destin nous ait réuni des années après pour nous lâcher si tôt, on dirait presque que ce n’était pas lui finalement, mais que ce n’était qu’une malheureuse coïncidence. Est-ce que j’aurais dû poursuivre ma route et ne pas chercher à comprendre les raisons de son silence ?  Mais si elle décide que ça doit se terminer ici ou maintenant, alors je devrais essayer de me défendre jusqu’au bout, d’autant plus que je sais que cette fois, je suis blanche comme neige. « – J'imagine que tu as des preuves de ce que tu avances. Où est-ce que tu m'as vu avec lui ? Si c'était une fille blonde de dos, c'est difficile de te donner raison. »

— Ravie de constater que sa pique fait son petit effet, elle sent un plaisir malsain se mêler à la colère quand elle comprend qu’elle a réussi à appuyer là où ça fait mal. Les jours de compromis ou de tentatives de réconciliations sont derrière elle ; il ne reste plus de place que pour sa colère et son dédain. Et malgré le ton qui hausse de la part d’Heidi, rien ne parvient à l’apaiser. Secouant la tête de droite à gauche avec un désintérêt à peine feint, elle ne comprend pas pourquoi elle devrait se jeter aux pieds d’un garçon qui préférerait de toute façon être avec une autre. « Peu importe. Je ne suis pas désespérée à ce point, merci. » Elle lève les yeux au ciel, sincèrement agacée par toute cette histoire – et encore plus par ce jeu d’actrice qui n’en finit pas. « Ne t’inquiète pas, le goût de la victoire ne va pas tarder. Et il restera longtemps. » La rage froide dans les yeux, elle porte tout son mépris dans chaque syllabe. Parce que d’habitude, c’est elle qui gagne. Elle en connaît un rayon, sur la sensation de jubiler de l’intérieur quand on fait un score parfait. Et c’est un peu ce qu’Heidi est en train de faire.
Parfaitement consciente d’être en train d’enfoncer la situation, elle n’a de toute façon plus rien à perdre ou à sauver dans cette relation. Contre toute attente, l’apprentie avocate devant elle continue pourtant à plaider son cas. Un rictus au coin des lèvres, elle se retrouve un peu désabusée. Évidemment, elle sait de quoi elle parle et elle ne se fera pas avoir par ce petit numéro. « En fait, puisque tu en parles, oui. J’en ai, des preuves. » Pinçant les lèvres, elle ménage son suspens, sondant le regard d’Heidi au passage pour tenter d’y déceler des doutes, de la panique, une pointe d’assurance qui s’effrite. « Quelqu’un t’as vue, avec lui. Et elle était plutôt sûre d’elle. cette personne ne mentirait jamais, ne trahirait jamais ma confiance. » Clignant des paupières tout doucement, elle dodeline de la tête avec les mots au bord de la langue. « Cette personne ne me mentirait jamais et ne trahirait jamais ma confiance. » Levant un sourcil déçu, elle s’apprête à porter le coup fatal avec toute sa grâce et toute sa hargne. « Contrairement à toi. » Il y a peut-être un peu d'enrobage autour de cet aveu – elle ne connait pas Jenna si bien que ça, ni depuis longtemps. Mais la brune sait à peu près ce qu'il s'est passé, des années plus tôt. Et elle s'est prouvée une véritable amie en lui disant la vérité à laquelle elle a assisté plutôt que de se taire pour la protéger.

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Difficile de plaider sa bonne foi ou son innocence quand tout semble nous accuser. J'écarquille les yeux quand elle m’explique qu’elle a bel et bien des preuves. Ma curiosité et ma surprise me pousseraient bien à exiger de les voir tout de suite moi aussi, mais je sais que c’est un souhait qu’elle n’exaucerait pas, et ce même si je me mettais à la supplier. J’imagine que voir mon expression changer doit être d’une grande satisfaction pour elle, voire même une superbe preuve.

Cependant, de mon côté, j’ai du mal à comprendre de quoi ou de qui elle veut parler, et surtout, comment est-ce qu’elle peut être aussi sûre d’elle, alors que je suis quasi certaine de ne voir personne en dehors de mes collègues de travail ou mon cercle d’amis. « – Plutôt sûre, ce n’est pas sûre à 100 % », je rebondis tout de même sur ce point, quitte à ce que ce soit vu comme de la mauvaise foi mal placée, comme une solution de dernier recours pour une personne qui se sentirait prise au piège.J’accuse la nouvelle pique, sourcils froncés, mettant plusieurs secondes pour analyser la situation et surtout essayer de comprendre comment ça a pu arriver. « – Cette personne m’a vraiment vue de face ? Est-ce que c’est quelqu’un qu’on connaît toutes les deux ? »

Je ne sais pas à quoi me servirait cette information, à part peut-être me méfier de toutes les personnes présentes dans ma vie, mais je veux vraiment m’assurer qu’il ne s’agit pas là d’une invention de sa part pour couper plus facilement les ponts avec moi, pour je ne sais quelle raison. « – Sauf si c’est quelqu’un qui ne m’aime pas et qui essaie de me faire du tort ? C’est bien d’avoir les deux versions d’une histoire avant de se faire une opinion », je commente, la voix plus tremblante que je n’aurais aimé. Me cacher derrière un bon sens juridique peut me rendre plus irritante à ses yeux, mais je sais que j’ai raison, mais je crois que c’est la dernière chose à laquelle je peux me raccrocher.  « – Je crois que le fait que tu ne m'aies rien demandé à ce sujet dit déjà beaucoup. Si tu as déjà pris ta décision de toute façon, j'imagine que je ne peux rien ajouter pour te convaincre, n'est-ce pas ? »

— Levant les yeux au ciel, elle retient un énième soupir. Le culot d’Heidi est sans limite, il faut croire. Une telle obstination à maintenir sa pathétique illusion de fille sympathique et innocente est admirable, elle doit bien l’admettre. Mais c’est quand on n’a plus aucun argument ni plus aucune défense qu’on commence à parler de la forme d’un discours plutôt que du fond. « Joue sur les mots, si ça peut te faire plaisir. » Elle hausse les épaules, partagée entre cette rage insatiable qui la dévore de l’intérieur et cette apathie grandissante qui s’impose de plus en plus. A quoi bon continuer cette conversation ? Des yeux blasés posés sur la blonde en face d’elle, elle daigne quand même répondre à cette question. « Oui, elle t’a vue et oui, elle l’a vu aussi. C’est une amie, tu ne dois pas la connaître. » Jenna n’est pas du genre à traîner avec quelqu’un comme Heidi, l’inverse est vrai également. A moins qu’elles se soient vues en secret, c’est peu probable qu’elles se fréquentent. Et puis, elle lâche un soupir ironique. Secouant doucement la tête de gauche à droite, elle regarde son ancienne amie se débattre dans des histoires plus farfelues les unes que les autres sans comprendre pourquoi elle se donne cette peine au lieu d’admettre la vérité. « Qu’est-ce que ça peut bien te faire, de toute façon ? T’as déjà eu ce que tu voulais. » Elle hausse les épaules, fatiguée. « Je me fiche complètement des deux versions de l’histoire, les faits sont là. » Maintenant, elle veut juste rentrer chez elle, passer les fêtes tranquille et oublier à quel point elle a été bête de donner une chance à quelqu’un comme elle.
Est-ce que c’est de la panique, qu’elle entend dans la voix d’Heidi ? Ça y est, elle sent les choses lui échapper. Mais il faudra plus que ça pour la consoler. Les bras croisés contre sa poitrine, elle fronce les sourcils et prend un ton autoritaire dont elle a le secret. « Non, tu ne peux rien ajouter. En fait, je ne comprends même pas pourquoi tu voudrais le faire. » Pourquoi vouloir à ce point la convaincre d’une fausse innocence ? Pas une seule seconde, elle ne doute de ce qu’elle sait. Parce que tout colle affreusement bien avec la réalité qu’elle a déjà du mal à avaler. « Tout ce temps, tu m’as prise pour une conne, et j’ai marché. Je n’ai plus rien à entendre de la part d’une menteuse et d’une manipulatrice comme toi. » La voix teintée d’un détachement douloureux, elle fait ce qu’elle peut pour ne pas craquer – pour ne pas se trahir et laisser entrevoir ses émotions incontrôlables qui se déchainent dans sa poitrine. « C’est quoi ton problème ? Ta personne préférée à torturer va te manquer, alors tu cherches à tout prix à me faire retomber dans tes filets ? » Incisive, elle penche la tête sur le côté et continue en gardant ses yeux dans les siens, comme on gronderait calmement une enfant ayant fait une bêtise. « Ça n’arrivera pas et il faut que tu t’y fasses. Trouve quelqu’un d’autre à trahir pour tes prochains coups. » Les doigts crispés sur ses sacs, elle n’a qu’une envie, c’est de voir Heidi partir loin d’ici – hors de question qu’elle cède le terrain elle-même, elle ne lui concédera pas cette victoire-là.

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C’est clairement une bataille que je ne gagnerai pas. À chaque fois, le moindre contre-argument est balayé d’un revers de main, comme un rien. Elle y met tellement d’énergie que je me surprends à me demander si sa version peut paraître véridique aux oreilles des passants – pour un peu qu’ils nous écoutent. Sans doute que oui. Quand on ne connaît pas une situation ou les gens qui y sont mêlés, c’est toujours plus facile de se placer du côté de la personne qui dit avoir été trahie. Le mot trahison, ça fait peur à beaucoup de monde, et je parie que mes arguments, terrassés par la fougue et la fureur de Sól, doivent avoir bien pauvre allure d’un œil extérieur. Alors, je me dis que le mieux serait sans doute de la laisser finir, puisque la moindre de mes tentatives pour la raisonner se solde par un échec. Et pourtant, l’une de ses dernières piques me donne encore envie d’ouvrir la bouche.

« – Oh oui, c’est vrai que je fais les mêmes erreurs en boucle, parce que j’adore m’auto-saboter et faire du mal aux autres. C’est même un miracle que j’aie encore des amis. Soit un miracle, soit il s’agit des personnes les plus naïves du monde. À moins qu’on ne soit tous et toutes qu’une bande d’ordures, mh ? » Recourir au sarcasme comme moyen d’auto-défense ; il n’y a bien qu’en face de Sol que j’en suis capable. Sans doute parce que malgré tout, elle est toujours la personne qui me connaît le mieux. Elle sait me pousser dans mes retranchements et inconsciemment, me voilà à reproduire sous son nez les quelques conseils qu’elle m’avait autrefois donné pour affronter une situation déplaisante.

Je doute qu’elle fasse le rapprochement et cherche à y voir de la bonne foi ; plutôt une façon désespérée d’essayer de reprendre le dessus, même si ce n’est pas mon intention. « – Ça implique plus d’une personne mais tu te contentes d’une version inventée. Logique. » Je soupire à mon tour, la lassitude prenant le pas sur la colère et l’incompréhension. Et je sais que bientôt, c’est la tristesse qui va venir frapper à ma porte, mais pas maintenant, je ne veux pas lui donner cette satisfaction. Du moins, c’est ce que j’essaie de me faire croire, mais les tremblements dans ma gorge ne me disent rien de bon. « – Si tout ce cinéma autour du « On essaie de redevenir amies » l’année dernière c’était qu’une vengeance de ta part, alors bravo à toi aussi, tu m’as bien eue. »

Quand Paco annonçait sans aucune preuve que je pouvais être une mauvaise personne, ça m’a touché, mais venant d’un inconnu, ça m’est rapidement passé par-dessus la tête. Probablement grâce aux mots rassurants de Sven, aussi. Or, l’entendre de la bouche de Sól me laissera sûrement moins indifférente. Il est probablement temps pour moi de la laisser là, d’ailleurs, avant que tout n’empire encore ou qu’on se retrouve à se battre avec nos sacs. « – Je suis curieuse de la tête que tu feras quand tu réaliseras que tu t’es trompée, mais je ne suis plus certaine de vouloir être dans les parages pour le voir quand ce sera le cas. » Je fais quelques pas en arrière, et je hausse les épaules avec un air dépité. « – Bonne continuation quand même, j'imagine. » Et avec un nouveau soupir, je me retourne, serrant les sangles de mes sacs entre mes mains pour éviter de craquer sur le chemin, ou de me repasser les phrases de mon ancienne amie en boucle.

— Ce ton sarcastique a le don de réveiller sa colère sourde pourtant endormie par sa lassitude. L’attitude revêche en face d’elle ne lui plaît pas, pas du tout. Elle sent la rage lui remonter à la tête, et malgré le public discret qu’elles ont depuis le début de cette conversation sans queue ni tête, elle ne retiendra pas ses mots. Étouffant un soupir à la fois ironique et plein de dédain, elle pose des yeux désabusé sur son ancienne amie. « Ne confonds pas tes choix avec des erreurs, tu savais parfaitement ce que tu faisais. » Et pire, elle l’a refait. Après tout ce cirque lorsqu’elles se sont parlé – il lui semble soudain que c’était dans une autre vie. Encore une fois, un rictus amer se dessine sur son visage. Est-ce que ses amis sont naïfs ou simplement comme elle ? « Qu’est-ce que j’y peux ? Qui se ressemble s’assemble. » Elle hausse les épaules, plus du tout dérangée par l’idée de passer pour la méchante ou de la blesser. D’elles deux, elle sait déjà pertinemment qui l’est le plus.
Secouant la tête de gauche à droite à ses piètres arguments, elle finit par balayer ces mots d’un vague geste de la main. « Donc ta dernière défense, c’est d’essayer de me faire croire que j’ai tout inventé ? C’est pathétique, même pour quelqu’un comme toi. » La voix d’Heidi n’est même plus stable, elle sent très bien qu’elle gagne du terrain face à son ennemie et elle ne va pas se stopper maintenant. Même si cette traîtresse a porté le premier coup, c’est quand même elle qui assénera le dernier. « Arrête d’essayer de me faire porter le chapeau pour tes manipulations et commence à assumer tes actes. » Parce qu’il y a des conséquences à jouer avec son cœur et avec ses émotions, même si la blonde ne semble pas encore s’en rendre compte. Elle ignore ce qui a bien pu pousser celle qui était autrefois si proche d’elle à la traiter comme ça, mais elle ne la laissera pas recommencer une troisième fois. Et elle refuse de croire que tout est de sa faute, qu’elle a donné le mauvais exemple ou qu’elle l’a poussée à tout faire pour lui nuire. Non, ce genre de choses ne s’apprend pas – c’est inné.
Et puis, elle sent comme un signe de retraite. Comme si les derniers mots d’Heidi ne pouvaient pas être ceux qui resteront gravés dans sa mémoire comme la fin de cette amitié qui n’en a apparemment jamais été une. Le regard sombre, elle ne recule pas. « Tu te fourres le doigt dans l’œil si tu crois que je veux te revoir. » Et ses vaines menaces ou ces regrets hypothétiques qu’elle agite comme une carte d’immunité ne la font que bouillonner d’avantage. Alors, elle crache ce mot sans précaution et avec tout le mépris du monde dans la voix. « Disparais. » Plus jamais, elle ne veut tomber sur quelqu’un comme elle. Et heureusement, il lui semble qu’elle est bien mieux entourée maintenant. On ne lui ment pas, on ne l'utilise pas. Dans un autre contexte, cette phrase d’adieu aurait presque pu la faire rire, mais là, elle se contente de lever le menton et de laisser cette lueur de rage illuminer ses yeux. « Dommage que je ne puisse pas t’en souhaiter autant. » La vengeance, c’est la seule chose à laquelle elle pense maintenant. Contre elle, contre lui aussi, contre tout le monde. Et même après avoir réalisé qu’Heidi n’était qu’une fausse amie qui se fichait bien d’elle dans son dos depuis le début, cette séparation laisse un goût d’inachevé dans sa bouche. A la fois profondément triste et sauvagement en colère, elle observe son ancienne amie lui tourner le dos – et cette fois, ce n’est pas métaphorique.

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Tu savais parfaitement ce que tu faisais. Les yeux écarquillés, j’essaie de me convaincre qu’elle n’a pas vraiment dit ça, mais son venin fait déjà effet dans mes veines. Je peux sentir mon sang battre furieusement dans celles-ci, et pourtant, quand je reprends la parole, ce n’est pas la colère qui prend le dessus, mais plutôt la déception, signe que malgré ce qu’elle peut penser, l’élève ne parvient pas à dépasser la maître. Mes émotions me font toujours défaut, mais c’est bien le cadet de mes soucis. La discussion ressemble bien à notre dernière, alors je ne me préoccupe pas vraiment de ce qu’elle pourrait en penser. « – J’en avais aucune idée, non. Apparemment, t’as rien compris depuis le début. » Tout ce que j’espérais, naïvement, c’était de rattraper mon retard qui n’en était pas un, et rester toujours ‘cool’ aux yeux des autres, mais surtout à ceux de Sol. J’ignorais bien qu’il était ce garçon qui lui plaisait tant, ou encore à quel point cette erreur allait me coûter cher.

Sól est fermée comme une huître, et je sens bien que ça ne sert à rien d’essayer de la raisonner. Ce serait probablement me ridiculiser davantage, et je ne tiens pas à me donner en spectacle ou lui donner nouvelle matière à se moquer de moi. D’ailleurs, ses réactions à mes dernières phrases me confortent dans cette idée, et même si je trouve trop facile, trop victorieuse, sa manière de sonner la fin de la dispute, je n’en réponds pas. Je me sentirais humiliée d’ici quelques heures, mais pour le moment, ma conscience me souffle de battre en retraite pour le simple besoin d’être tranquille et au calme. Alors, j’accuse sa dernière pique, et tandis que je peux sentir encore son regard froid sur mon dos, je déglutis ma salive avant de commencer à m’éloigner sans un mot ni me retourner. C’est théâtral et ça ressemble au cliché d’une scène de film, mais j’ai bien compris que m’entêter me ferait plus de mal qu’autre chose.