and i think to myself what a wonderful world (Sven)

and i think to myself what a wonderful world  

Le week-end a pris une tournure inattendue, mais je ne vais pas vraiment m’en plaindre. Je travaille bien assez la semaine, et il y a un petit côté triste à me retrouver seule dans mon appartement le week-end. Certes, ce n’est pas récurrent, mais j’ai pris l’habitude de voir défiler des centaines de gens quand je travaillais au Moro Center et à l’université. Là, c’est un autre mode de vie, et il faut que je m’y fasse tout doucement. Ça a commencé dès le matin, avec l’arrivée de ma petite cousine. Enfin, petite… Je ne sais pas si c’est le terme le plus adéquat, étant donné qu’elle s’approche des 12 ans mais qu’elle ne manquera pas de me dépasser d’ici les prochains mois. J’ai l’impression de ne pas l’avoir vue depuis une éternité, et même si je doute être la personne la plus appropriée pour la garder, je suis quand même contente de passer du temps avec elle.

D’ailleurs, tout se passe bien. J’ai dû passer une bonne partie de la matinée à gérer quelques détails pour le travail, mais Gaumont a su accaparer toute l’attention de l’adolescente. Je crois qu’elle n’a même pas remarqué que je n’étais pas dans la même pièce qu’elle. Quand arrive l’après-midi, je lui fais visiter la ville comme promis, et le zoo est un passage obligé. Je l’avais déjà programmé, mais c’était une évidence en remarquant la façon dont son regard s’est illuminé. Une fois que nous avons nos billets en main, je la laisse aller chercher une glace et je la surveille quand même du coin de l’œil, sortant mon téléphone pour prévenir Sven que nous sommes déjà arrivées.

— Après des jours dans mon appartement à enchaîner les nuits blanches pour ne dormir que quelques heures la journée, cette sortie est providentielle. Au début, je comptais simplement m’enfermer jusqu’aux partiels et improviser la suite, mais ma tête aurait explosé. Pas que mes chats soient de mauvaise compagnie, j’avais juste… vraiment besoin de respirer. Et peut-être aussi de voir quelqu’un – une amie. En chemin pour rejoindre Heidi et sa petite cousine au zoo, je reçois son message et souris doucement. En temps normal, je n’aurais probablement pas accepté une sortie impliquant du babysitting, mais là maintenant, tout est bon pour arrêter de me morfondre en pleurs sur mon canapé. Entre les dernières semaines passées à Oslo, puis à Séoul, la rupture avec Paco et l’impression que ma vie entière s’écroule… ce n’est pas évident à gérer.
Après un rapide salut de la main à Ana au guichet, je me dirige vers Heidi. Les cernes violacées et les yeux gonflés, je dois probablement faire un peu peur à voir. Passant une main dans mes cheveux décolorés dont les racines commencent un peu à se voir, je me donne du courage comme je peux avant d’aller m’asseoir à côté d’elle. Je lui adresse un pâle sourire. « Salut. » Et puis, je laisse mes yeux flotter dans le vide à la recherche d’une adolescente pour ne pas soutenir son regard trop longtemps. Je ne suis pas certain d’être capable d’affronter un quelconque jugement maintenant – même si je suis généralement le premier à juger les autres. « Tu vas bien ? » C’était une question stupide à poser, surtout quand on sait qu’elle va certainement me la retourner et que je n’ai pas du tout envie d’y répondre.

design ϟ vocivus // icons ϟ pando

and i think to myself what a wonderful world  

Passer un week-end à ne pas faire grand-chose me fera sûrement du bien. Depuis que je ne travaille plus au Moro Center, j’ai appris à profiter de soirées plus tranquilles et à ne plus culpabiliser à l’idée de me faire coucher tôt seulement pour profiter de Netflix sous la couette. C’est vrai que l’affluence des samedis soir me manque. Et les brunchs du dimanche étaient toujours l’occasion d’échanger des sourires complices avec mes collègues. Quelques habitués étaient fidèles à ces rendez-vous, ce qui donnait des tableaux plutôt drôles à voir en fin de matinée. Disons que je n’avais jamais vu autant de monde porter des lunettes de soleil alors qu’on était pourtant à l’intérieur.

Une fois que j’ai prévenu Sven de notre arrivée, je surveille ma cousine du coin de l’œil, tentant malgré tout d’être discrète. Elle a beau être calme et gentille, je sais bien à quel point les adolescents ont leur besoin de tranquillité et d’autonomie, même pour une sortie comme celle-ci. Je me suis si concentrée à tenter d’avoir l’air naturelle que l’arrivée de Sven me prend de court, et je sursaute un peu, avant de lui rendre son sourire. « – Salut ! »

Il me faut quelques secondes pour réaliser qu’il n’est pas dans son assiette, mais j’ignore si ça serait très poli de ma part de le lui faire remarquer. Probablement pas. On s’est vus il y a longtemps, et ça serait mal placé. Et puis surtout, il a déjà dû s’en rendre compte par lui-même. « – Ça va… Et toi ? Est-ce que ce sont les partiels qui te fatiguent autant ? » J’essaie malgré tout de lui poser la question sur ton détaché, un petit sourire aux lèvres. J’espère qu’il ne le prendra pas mal, mais une part de moi s’inquiète malgré tout de son état. D’ailleurs, pour m’assurer que je ne mets pas les pieds dans le plat trop longtemps, je me dépêche d’enchaîner : « – C’est gentil d’avoir accepté, je n’étais pas au courant de l’option babysitting jusqu’à hier soir. »

— Quand elle sursaute à mon arrivée, j'esquisse un sourire ironique pour moi-même. Est-ce que je l'ai interrompue dans ses pensées ou est-ce que je fais si peur à voir que ça ? Je ne m'en formalise pas, autant habitué qu'elle à être mal à l'aise en public. Ça ne fait rien, je ne lui en veux pas et je suis bien conscient de tellement tout garder à l'intérieur de moi que je dois être difficile à cerner quand je n'arrive plus à tout cacher. Je la sens hésitante, et la question tant redoutée arrive bien vite. J'aimerais bien que tous mes problèmes soient à cause de mes partiels - comme ça, une fois terminés, je n'aurais plus à m'en inquiéter. Mais ce n'est malheureusement pas le cas. Cherchant comment éluder la question, je lui adresse un petit air taquin pour faire diversion. « Ah, je pensais que t'étais surprise à cause de mes cheveux mais en fait c'était juste ma tête. » J'étouffe un petit soupir amusé, et finis par détourner un peu les yeux. Ça va paraître louche si je ne réponds pas du tout à sa question. « Je... oui et non, il y a pas que ça. C'est une longue histoire, il s'est passé pas mal de trucs ces dernières semaines. » Ces derniers mois, même. La vérité, c'est que tout me consomme de l'intérieur et que j'ai désespérément besoin de me confier, de me débarrasser de ce qui me pèse et de partager ce fardeau avec quelqu'un. Mais je n'ai jamais fait ça, je ne sais pas comment.
J'ai si peur. Qu'elle n'ait pas envie de m'écouter, que ça soit trop pour elle, qu'elle me trouve ridicule, qu'elle préfère parler de sujets plus légers ou qu'elle ne veuille pas avoir à écouter tout ça. J'ai l'impression de l'avoir piégée sans le vouloir, elle pourrait faire mille choses plus intéressantes que m'entendre me plaindre alors qu'elle a probablement un tas de problèmes de son côté aussi. Je ne l'espère pas, mais tout le monde a ses propres choses à régler et c'est égoïste de ma part d'espérer qu'elle veuille entendre les miennes. Arraché à mes pensées par sa voix, je souris poliment. « T'inquiète pas, je sais que j'ai un peu insisté aussi pour qu'on se voit alors c'est normal. » Dépassé par l'urgence de devoir me justifier, j'enchaîne vite avec mon excuse. « J'avais juste... besoin de me changer les idées, tu vois ? » Évidemment que non, comment pourrait-elle deviner quoi que ce soit si je ne lui dis rien. Et pourtant, je me surprends à espérer qu'elle me pose la question, même par pure politesse. Comme ça, je pourrais lui parler sans culpabiliser, au moins un minimum.

design ϟ vocivus // icons ϟ pando

and i think to myself what a wonderful world  

Une nouvelle fois, je redoute d’avoir mis les pieds dans le plat ou d’avoir posé une question qui ne me regarde pas. D’ailleurs, je la regrette pas plus tôt sortie de ma bouche, mais c’est trop tard pour rétropédaler. Si je sens que Sven est différent, il ne fait pourtant rien pour tourner la situation en dispute. Au contraire, j’ai plutôt l’impression que ma réaction… l’amuse ? Un peu intriguée, je hausse ensuite les sourcils avant de me mettre à rire, de soulagement, mais aussi pour écarter une légère gêne. « – Désolée ! Les cheveux c’est… original. »

Tu plisses ton nez avec amusement. Inutile de lui rappeler que sa couleur devrait sans doute être faite, il est déjà bien assez grand pour s’en rendre compte par lui-même. « – C’est plutôt joli ! C’est cool d’oser des choses, t’es plus courageux que moi de ce côté-là   », j’avoue avec un nouveau sourire, espérant me rattraper de la sorte. Je n’ai jamais touché à mes cheveux, sauf peut-être quand j’étais petite fille. Quelques mèches roses ou bleues de temps en temps, lors de rares occasions, mais rien qui ne parte pas en quelques shampoings.

J’ai l’impression que l’atmosphère s’alourdit à nouveau quand il me parle de ce qui s’est passé ces dernières semaines, et mon inquiétude commence doucement à poindre. Même si depuis notre dispute, je fais toujours attention au choix de mes mots ou aux frontières à ne pas franchir. Une petite voix me souffle que je devrais l’inviter à me parler davantage, mais il me devance er me laisse plus ou moins comprendre qu’il en aurait effectivement besoin. Du moins, c’est ce que je ressens, et c’est vrai qu’il est celui qui a demandé à ce qu’on se voit.

« – J’espère que ça va s’arranger, et que tu sais que tu peux m’en parler dans tous les cas, si tu en as envie. Je ne dis pas qu’on risque de rester assis là bien longtemps, mais ça m’étonnerait qu’elle m demande de partir dans les prochaines minutes », j’avoue avec un nouveau petit sourire, surveillant l’adolescente du coin de l’œil.

— Ma tentative pour désamorcer la gêne et la tension qui s’installent entre nous sans que je ne sache trop pourquoi s’avère étonnamment fructueuse. Vu tout ce que j’ai déjà sur le coeur et les épaules, je ne tiens pas à me disputer avec une de mes plus proches amies ici. Et même sans ça… je crois qu’il est temps d’arrêter d’être autant sur la défensive en permanence.
Je lui souris, attendri par sa version du courage. S’il y a bien quelque chose que je ne suis pas, c’est courageux. « C’est une idée de ma sœur, elle a fait la même chose. J’avais déjà essayé les mèches bleues juste… rien d’aussi radical. » Dodelinant de la tête, je me perds en explications sans même lui dire la raison de ce changement comme si c’était pour ça que j’avais demandé à la voir aujourd’hui. « Mais je vais les reteindre en noir bientôt. Non seulement j’ai déjà des racines, mais en plus, c’est plus fatigant que prévu de faire une mini crise cardiaque tous les matins quand je croise mon reflet dans le miroir. » Je lâche un soupir amusé à cette idée ; parce que c’est vrai, il m’a fallu un paquet de sursauts avant de finir par m’y habituer.
Ni subtil, ni explicite dans mes allusions, elle finit quand même par comprendre où je veux en venir. Je l’observe, l’air plus grave. C’était plus facile de cracher le morceau pendant les scénarios que j’ai répété dans ma tête en venant. Comme une énième façon de fuir ou de gagner du temps, je rebondis sur ce qu’elle dit en suivant son regard. « Mh, je mangerais bien une glace moi aussi. Genre… menthe et pamplemousse, un truc dégueulasse qui a le goût de dentifrice, juste parce que je peux. » Certainement pas quelque chose que j'aurais fait d'habitude, je me serais cantonné à des parfums classiques – ou à retenir mes pulsions et envies de sucre, plutôt. Les yeux rivés sur l’adolescente au loin près du stand de glace, je réfléchis à la meilleure façon de lui dire ce qu’il se passe – ou alors, à la moins pire.
Et puis, une longue minute de silence gênant s’écoule et je finis par grimacer. De toute façon, j’ai déjà perdu un être cher parce que je n’ai pas réussi à parler, autant que ça sorte peu importe la forme que ça aura. Je me lance, d’une traite, d’un seul souffle, croisant les doigts pour que ma voix ne me trahisse pas et pour que la boule dans ma gorge ne m’en empêche pas. « Mes parents de qui j’ai fugué il y a un an et demi sont morts, le reste de ma famille super riche qui vit à Séoul m’a fiancé à une fille que je connais pas sans me demander mon avis et mon mec m’a quitté. » J’espère aussi que tout ça va s’arranger, bien sûr. Je prie chaque matin pour que quelqu’un m’apporte une solution magique à laquelle je n’ai pas pensé pour me libérer de tout ça pour de bon, mais il faut voir la réalité en face. Ça ne va pas arriver, et je ne sais pas quoi faire. « J’ai connu des jours meilleurs. »
Je déglutis, conscient de ce que je viens de lui balancer au visage sans pincette. Ce n’est pas juste ce qui ne va pas, c’est aussi tout ce que j’ai tant bien que mal réussi à cacher en venant m’installer ici qui ressort et qui va probablement la déstabiliser. Personne n’aime apprendre autant de choses d’un coup sur un ami, surtout après plus d’un an. Je me sens bizarre ; à moitié soulagé parce que c’est dit, j’en suis débarrassé, et à moitié anxieux parce que sa réaction me fait peur.

design ϟ vocivus // icons ϟ pando

and i think to myself what a wonderful world  

Maintenant qu’on en parle, je relève les yeux vers ses cheveux pour mieux regarder le résultat, et c’est quand même moins catastrophique que ce qu’il peut penser. Certes, on devine bien que sa coloration date, mais au moins ses cheveux paraissent en bonne santé. « – Plusieurs couleurs différentes ça pourrait être cool, mais je suis quasi sûre que tu pourrais ramasser tes cheveux à la pelle après ça », je confie avec un petit rire. On voit parfois ce genre de coiffures sur les réseaux sociaux, et c’est plutôt joli, mais risqué ; mieux vaut encore investir dans une bonne perruque et faire de petites expériences sur des cheveux synthétiques ou d’autres qui ne sont pas les siens.

Rassurée par cette atmosphère plutôt légère, je commence de mon côté à réfléchir à quelques parfums de glace, avant de pouffer un peu à la confession de Sven. « – De toute façon, tu ne risques pas d’être jugé ici. Je pourrais parier 10 couronnes qu’elle va se laisser tenter par du chocolat/menthe… ou pistache. » Je plisse le nez avec un nouveau sourire. Pour ma part, je crois que fraise ou pêche me conviendrait parfaitement.

En revanche, je ne m’attendais pas à ce qui allait arriver. Mes yeux s’écarquillent quand j’entends le début de sa phrase, mais je n’ai pas le temps d’ajouter quoi que ce soit, que j’ai l’impression que tout ce qu’il m’annonce s’empire de seconde en seconde. D’abord figée, de longues secondes s’écoulent avant que je ne réalise que c’est maintenant à mon tour de parler. Mais parler pour dire quoi ? Par où commencer ? « – Tu… Tu mérites carrément de manger toutes les glaces que tu veux. » Un peu troublée, je secoue la tête, parce que ma première réaction est quand même débile. J’ai l’impression que tout avouer lui a fait du bien, mais j’ignore comment il pourrait réagir maintenant.

Alors, j’évite de m’approcher pour le prendre dans mes bras : d’une, le moment est peut-être mal choisi et de deux, je garde en tête de ne rien faire pour rendre les choses étranges entre nous. Après quelques mini-secondes de débat intérieur, je pousse un petit soupir, à la fois désolée et dépassée par la situation. « – Merde Sven, je… Je suis vraiment désolée. Toutes mes condoléances. » Il ne m’a jamais vraiment parlé de sa relation avec ses parents, plutôt avec sa sœur, mais ça me paraît être la chose la plus naturelle à dire. « – Je… C’est peut-être bête, mais si tu essayais d’entrer en contact avec cette fille ? Vous… pourriez essayer de vous rebeller ? »

Je n’ai pas beaucoup de connaissance de la culture coréenne, et encore moins de tout ce qui touche de près ou de loin aux mariages arrangés, mais même moi j’entends à quel point ma question peut paraître naïve ou déconnectée. Avec un peu de chance, il y a quand même une part de vrai dans ce que j’avance. Apprendre que Sven vient d’une famille très aisée est la dernière chose qui me frappe, et même si c’est étonnant, je ne crois pas que relever ce point serait vraiment judicieux. Il n’a besoin d’entendre ça ou de répondre aux questions qui me viennent en tête. « – C’est peut-être pas… définitif pour Paco. » Je grimace un peu, incertaine de ce que j’avance, mais j’espère que ça pourra permettre à son cœur d’être un peu moins lourd.

— Doucement, je souris et hoche un peu la tête. C’est vrai qu’abuser des décolorations et des produits chimiques, ça pourrait me rendre chauve. « Ouais, je vais éviter parce que ça serait un désastre. Mais je peux t’imaginer avec des mèches multicolores, comme t’es blonde je suis certain que ça t’irait bien. » C’est vrai, les petites touches c’est moins dangereux – enfin je crois, je n’y connais pas grand-chose en fait. J’étouffe un soupir amusé quand elle essaye de deviner les parfums de glace que sa cousine va choisir. « Ugh, pistache. Même moi, j’oserais pas. » Fronçant le nez, je fais mine d’être dégoûté alors qu’il y a en réalité très peu de choses que je ne mange pas. Je ne suis pas difficile, question nourriture, tant que ce n’est pas trop gras.
C’était prévisible, mais je suis quand même gêné face à son silence. Est-ce que j’aurais du garder tout ça pour moi ? Est-ce qu’on n’est en fait pas assez proches pour que je lui dise tout ça ? Les doutes m’assaillent quand je scrute son air choqué. Je me sens un peu vide, à ce moment là. J’aurais pensé avoir à lutter contre l’émotion, mais passé la boule dans ma gorge, en fait j’ai l’impression d’avoir déjà pleuré toutes les larmes que j’avais. Sans pouvoir retenir un rire nerveux, je détourne le regard en m’imaginant m’enfiler des pots de glace sur mon canapé. J’aurais pu faire ça, plutôt que de travailler jusqu’à l’épuisement.
Je pensais que c’était fini, j’en étais presque soulagé. Mais visiblement, je me suis trompé. Je repose les yeux sur elle, une légère grimace embarrassée sur le visage. J’ai déjà eu beaucoup de condoléances de la part de gens qui n’en avaient rien à faire et de parfaits inconnus, et ça me touche de savoir que celles-ci sont sincères, mais la situation est loin d’être simple. « C’est rien, on s’entendait pas du tout alors c’est pas comme s’ils allaient me manquer. Mais c’est dur de… devoir quand même faire le deuil de... personne qu'on portait pas spécialement dans son cœur. » Je me rends bien compte que je dois ressembler à un sociopathe à cet instant, mais je n’ai pas spécialement envie d’élaborer sur le fait que j’ai une famille complètement dysfonctionnelle.
Souriant à sa proposition, je me rends bien compte qu’elle est tout aussi dépassée que moi par les événements. « T’inquiète, je sais que ça a l’air dingue ce que je te raconte. Ça l’est un peu pour moi aussi, quand je suis arrivé à Bergen, je croyais que tout était derrière moi. » Je souffle légèrement, repensant à ce premier rendez-vous arrangé par nos deux familles avec cette fille censée être ma fiancée. « Je l’ai rencontrée, en fait. Et le pire dans tout ça, c’est qu’elle est… sympa, normale quoi. Elle m’a dit qu’elle avait un mec alors je lui ai dit que moi aussi. » Je hausse les épaules ; ça valait bien le coup de risquer les remarques homophobes ou qu’elle le dise tout à ma famille alors ce n’est plus le cas, maintenant. « Ça aurait été plus facile de la détester. » A voix basse, je conclus avant de me renfrogne un peu plus.
Les yeux fermés, je respire doucement l’air frais. Est-ce que c’est vraiment la fin, avec Paco… Mon apathie s’effrite de secondes en secondes. De tout ce qui m’est arrivé ces dernières semaines, c’est bien ça le pire. Bien sûr, on a déjà eu des disputes – des grosses, même. On le sait tous les deux, notre relation est bien loin d’être un long fleuve tranquille. « Je sais pas. On s’est tous les deux dit des trucs horribles. » Mais ces derniers mots qu’il m’a balancé au visage restent gravés dans ma mémoire ; il ne veut plus ni me voir, ni me parler. Le ton hésitant, je laisse ma main plonger dans la poche de ma veste pour en sortir l’anneau en or, le plus simple possible. Je n’ai toujours pas réussi à m’en débarrasser – d’ailleurs je ne vais même nulle part sans l’avoir sur moi. C’est d’un pathétique assez magistral. « Mon plan, c’était de… de revenir ici en douce et de l’épouser lui. Parce que je peux pas être marié à deux personnes à la fois et puis… je suis amoureux de lui, alors ça a du sens quoi. » Je lâche un long soupir avant de rouvrir les yeux. « Mais j’imagine que c’est mort maintenant. » Avec un pâle sourire plein de douleur, je la regarde comme si elle avait toutes les réponses ou tous les espoirs. Moi, je ne sais pas si j’en ai encore.

design ϟ vocivus // icons ϟ pando

and i think to myself what a wonderful world  

« – On verra peut-être pour la fête nationale ou à une autre occasion ! » Ce serait probablement mieux de le faire sur mon temps libre en tout cas, mon secteur ne permettant pas vraiment ce type de fantaisie, du moins d’après ce que j’ai pu comprendre. Ce serait trop facile d’être disqualifié par l’autre partie à cause de simples attributs physiques, alors je préfère rester neutre pour le moment. La Norvège a beau être un pays assez progressiste, le métier d’avocat est quand même majoritairement détenu par des personnes d’un certain âge ici, et il est bien facile pour elles de tourner en dérision ce qu’elles ne comprennent. Je ne suis encore qu’une interne alors autant leur montrer que je peux être sérieuse, même si objectivement, un peu de couleur dans les cheveux ou non ne changerait rien à cela.

J’affiche un petit sourire amusé à sa remarque sur les glaces mais je n’insiste pas plus ; faire une blague lourde serait probablement mal venu après toutes les révélations dont il me fait part. C’est même trop pour les encaisser d’un coup, mais je comprends qu’il avait besoin de les sortir de son système. Au début, je ne trouve rien à répondre que de simples banalités, ce qu’on dit d’usage dans ces cas-là, et je hoche lentement la tête, espérant qu’il comprenne qu’il n’y a pas de jugement de ma part. « – On a tous notre histoire, personne peut te dire quelque chose sur la manière dont tu vis ça. » Je sais bien que c’est compliqué dans toutes les familles, mais ça l’est d’autant plus dans certaines. Là aussi, je n’ai pas envie de l’attirer vers ce terrain-là s’il n’a pas envie d’en parler.

J’ai l’impression que je ne mets pas trop les pieds dans le plat avec mes réponses, et je suis contente de lui prêter au moins une oreille attentive, à défaut de pouvoir vraiment l’aider. « – Je « comprends » qu’ils pourraient t’imposer des trucs si t’étais encore mineur… Mais tu es majeur et vacciné depuis belle lurette. Ils ne peuvent pas trouver quelqu’un d’autre dans ta famille pour… se fiancer comme ils veulent et perpétuer l’empire ? Enfin, c’est cool pour personne d’être obligé de se marier à quelqu’un d’inconnu, mais peut-être qu’il y a un cousin éloigné qui voudrait bien de cette vie-là ? » J’ai bien fait attention de mettre des guillemets, et j’espère ne pas être trop horrible dans mes paroles non plus. Je sais seulement que parfois, en grandissant avec une idée de ce que devrait être sa vie, on a parfois du mal à s’en détacher.

Tout ça me paraît bien appartenir à un autre siècle, mais je réfléchis plutôt à comment mon ami pourrait sortir de cette situation. Et même si c’est vrai que Paco ne me porte pas spécialement dans son cœur, je n’ai objectivement rien contre lui, et leur situation me peine aussi. « – Tu devrais peut-être lui écrire s’il ne veut pas parler… Une lettre ? Ou un mail peut-être. Ou les deux. » Certes, il peut aussi bien se débarrasser facilement de l’un comme de l’autre, mais au moins, il pourrait trouver un moyen de lui dire ce qu’il a sur le cœur d’une façon ou d’une autre.

Je ne suis pas au bout de mes surprises lorsqu’il sort l’anneau de sa poche, et j’écarquille les yeux avant de poser une main devant ma bouche. « – Non mais Sven, il faut vraiment qu’on t’aide, là ! » Je ne sais pas qui est ce « on », mais j’ai l’impression d’assister à une version revisitée de Roméo & Juliette, et je n’ai pas envie de poursuivre ma vie tranquillement sans essayer de faire quelque chose. « – Où est-ce que c’est prévu ? Je connais pleins d’avocats, même si c’est pas en Norvège, je peux peut-être aider ? »

— Hochant doucement la tête, je suis assommé par mes propres révélations. Je ne peux pas vraiment lui en vouloir de ne pas savoir tout de suite comment réagir, je ne m’attendais à rien d’autre que de la gêne et je n’aurais de toute façon pas fait mieux. « Ouais, c’est juste bizarre. » L’amertume dans ma bouche ne me quitte pas, comme si la seule raison qui me poussait à regretter la mort de mes parents, c’est que je ne pourrais plus jamais leur dire en face à quel point je les détestais. J’aurais aimé leur cracher mon bonheur loin d’eux à la figure, mais ce n’est plus possible. Je n’ai plus de revanche à prendre.
Réalisant qu’elle essaye de comprendre la logique derrière tout ce merdier, je prends une inspiration difficile. « Le truc c’est qu’à la mort de mes parents, c’est moi qui ai hérité de la majorité des parts de l’entreprise même s’ils étaient pas directement impliqués dedans. Donc… ouais, c’est sur moi que ça tombe. Parce que j’ai ce qu’ils veulent. » Moi aussi, j’aurais bien relégué ce devoir à un cousin éloigné dont je ne connais à peine le nom, mais malheureusement, ce n’est pas comme ça que ça marche.
Pinçant les lèvres, je baisse un peu la voix – oubliant presque un instant que je m’adresse à quelqu’un d’autre que moi. « Je suis même pas intéressé par l’héritage, je veux dire… c’est pas le grand luxe mais j’ai des économies et un petit boulot, je peux me débrouiller sans. Si ça tenait qu’à moi, j’aurais refusé et j’aurais fait les démarches pour officiellement quitter cette famille. » Les mots me brûlent le bout de la langue quand je les crache, si bien que je marque une pause avant de soupirer. « Mais si je fais ça, tout retombe sur ma sœur. Et je peux pas lui faire ça. » Reposant les yeux sur Heidi, j’ai un petit sourire résigné qui flotte sur les lèvres. « Le pire c’est que je sais très bien qu’elle le ferait avec moi, si je lui demandais. Quitter la famille, couper les ponts d’un point de vue administratif. Mais elle a plus d’affection que moi pour ces gens, je me pardonnerais pas de l’obliger à en passer par là pour que je puisse vivre ma vie. » Et je détourne le regard à nouveau, la voix un peu cassée par la pensée de lui tendre un tel piège – ou de l’envoyer tout droit dans la gueule du loup en essayant de m’en échapper. « Donc… ouais. J’ai des solutions, je suis juste pas certain qu’elles soient mieux que le problème. » Une bien terrible conclusion.
Dodelinant de la tête quand elle évoque un email ou une lettre, je me remémore ses derniers mots avant qu’il ne disparaisse de ma vie. « Je sais pas, il m’a dit de pas essayer de le contacter. Il m’a même renvoyé mes affaires par la poste, celles que j’avais laissées chez lui. » Et même si je le faisais… je ne saurais sûrement pas quoi lui dire ou lui écrire. Qu’est-ce qu’il reste à évoquer après une dispute de cette ampleur ? « Je lui en veux pour un tas de trucs, mais je pensais pas que… ça se finirait comme ça. » J’avoue avec une pointe de tristesse dans la voix, pas certain de pouvoir m’en remettre un jour. Lui qui semblait avoir si peur que je cesse de l’aimer pendant qu’il m’aimerait pour le restant de ses jours, voilà que c’est l’inverse maintenant.
Lâchant un petit rire nerveux incontrôlé, je souris quand même à sa réaction. « M'aider à récupérer mon ex pour pouvoir me marier avec lui ou m'aider à empêcher de devenir le prochain repas d’une famille de vautour ? » Serrant la bague entre mes doigts, je la remets dans ma poche avant que quelqu’un ne nous voit et se fasse des idées. C’est étrange, mais aussi difficile cette conversation soit-elle, je crois que je me sens un peu plus léger maintenant. « C’est gentil mais… c’est moins pire que ça en a l’air, en fait. » Je sais que j’ai du lui faire peur avec tout ça, en réalité, je ne suis plus en danger imminent de perdre tout contrôle sur ma vie. « On est fiancés, mais il y a pas encore de date. Et le principal, c’est que j’ai réussi à quitter la Corée du Sud. C’est plus facile d’esquiver les choses d’ici. Évidemment, ça règle rien, mais ça me donne du temps. » Je hausse les épaules. Il va falloir que j’ai des idées de génie ou que je prenne une décision difficile, mais au moins, je ne suis plus à leur portée quand je suis à Bergen.
Adossé au dossier du banc, je me détends légèrement. « Alors t’es mon avocate super-héroine attitrée ? Je t’engagerais si tu te proposais. » Je ne crois pas que ce soit possible d’exercer ce métier à l’international sans une licence spéciale, mais je suis quand même certain que malgré le fait que ce soit une blague, elle ferait un bon boulot pour me sortir de toute cette situation rocambolesque.

design ϟ vocivus // icons ϟ pando

and i think to myself what a wonderful world  

Outre la surprise qu’il vient apparemment d’une famille pleine aux as, cette information passe pourtant largement au second voire au troisième plan parmi toute la bribe de renseignements qu’il me fournit. Je m’en fiche bien, et je ne suis de toute façon pas le genre de personne qui a des amis par simple intérêt. Respectueuse, j’écoute quand même la suite de son récit pour être sûre de bien tout comprendre, même si je pensais que ce genre de situation n’arrivait encore que dans les films à notre époque. Je comprends qu’il ne veuille pas faire subir ça à sa sœur, et c’est tout à son honneur, mais il y a bien sûr quelque chose de cruel à cet autosacrifice. « – Est-ce qu’elle est au courant de toute cette situation ? Qu’est-ce qu’elle en pense ? Elle.. .Elle pourrait peut-être revoir leur opinion sur eux quand elle réalisera ce par quoi ils te font passer, non ? » J’espère ne pas remuer le couteau dans la plaie avec toutes mes questions, mais je veux être sûre de comprendre le plus gros de sa situation pour ne pas dire de bêtise.

« – Vous pourrez tout aussi bien… Fonder votre propre famille de votre côté vous aussi, et ça m’étonnerait que tu fasses grandir tes enfants ou tes neveux dans un tel climat. » Je hausse les épaules, et je le remercie silencieusement quand je le vois remettre malgré tout la bague à son emplacement initial. Je jette un coup d’œil à ma nièce au cas où, mais elle n’a heureusement rien vu de la scène, toute occupée qu’elle est à admirer les premiers animaux qui croisent son chemin. C’est bien mieux comme ça : je ne me vois pas expliquer à ma cousine que non, on ne m’a demandé en mariage sur un banc public dans le zoo. C’est le genre de nouvelles qui prend bien trop vite de l’ampleur, et après de telles révélations aujourd’hui, je n’aurais pas eu assez d’énergie pour nier longtemps un tel scénario.

« – Je le connais pas beaucoup, mais d’après ce que j’ai vu, il a l’air assez impulsif… Il a sûrement agi sous le coup des émotions. Peut-être qu’il ne pensait même pas ce qu’il t’a dit et qu’il est dans le même état que toi ? » Je sais qu’avec des si, il est facile de se rassurer (ou de se torturer, au choix), mais tout n’est peut-être pas soit tout blanc, soit tout noir. Après tout, il y a de nombreuses nuances de gris. Je fais la moue en osant à peine m’imaginer me mettre à sa place, et j’affiche un sourire mi-désolé mi-sincère à sa demande. « – Les deux ? » Je comprends que venir ici était déjà toute une épreuve en soi, et je hoche doucement la tête pour confirmer ses propos.

« – J’imagine que si tu peux trouver des excuses pour toujours repousser la date, c’est déjà ça, ça pourrait nous aider à gagner du temps. » Sans que je ne m’en rende vraiment compte, je me suis inclue dans ce problème. De toute façon, maintenant qu’il m’a mise au courant, ce serait difficile pour moi de faire comme si de rien n’était. Sa proposition me prête à sourire, mais je secoue doucement la tête.

« – Je peux carrément être ton avocate super-héroïne, mais je le fais gratuitement. On est amis et je n’ai pas envie de te laisser dans une situation aussi injuste. » C’est difficile de ne pas savoir par où attaquer, ni comment, mais apparemment, rien n’est impossible. « – Je peux déjà commencer par me renseigner ou demander l'air de rien si l'un des avocats a déjà eu une affaire du genre ? Ou peut-être que d'expérience, ils pourraient savoir faire quelques tours de passe-passe pour noyer le poisson. »

— Cette situation entière est une catastrophe, et même si ça ne va rien arranger, je suis un peu soulagé d’avoir pu partager ça avec quelqu’un de confiance. Elle est clairement dépassée, et je n’attends de toute façon pas d’elle qu’elle trouve les solutions à ma place, alors je me contente de répondre à ses questions. « En grande partie, oui. C’est pas qu’elle sait pas que la plupart des gens de cette famille sont des ordures, c’est plutôt qu’il y en a qui n’ont juste pas leur mot à dire dans les affaires. Comme… nous deux, en fait. Et même si moi je m’en fiche, quitter la famille ça veut aussi dire qu’on les reverra peut-être jamais. » Je pince les lèvres, incertain. La culpabilité de demander ça à ma sœur pour pouvoir être libre sans risquer que ça lui retombe dessus serait bien trop grande. En remettant l’anneau dans ma poche, je laisse échapper un soupir ironique à sa prochaine remarque. « On en a jamais trop parlé mais je crois qu’aucun de nous deux ne veut fonder une famille, ça devrait s’arrêter avec nous de toute façon. » Haussant les épaules, j’ai conscience de sonner peut-être un peu pessimiste. Mais l’idée de fonder une famille alors que je viens de perdre la personne que je considérais comme ça… disons que l’idée reste douloureuse. « Mais c’est pas un environnement dans lequel vivre non plus. » Je conclus avec un demi-sourire ; je ne me vois vraiment pas rester dans cette ambiance pour le restant de mes jours. C’est pour ça que je suis parti – deux fois.
Quand le sujet de ma rupture revient sur le tapis, je sens tout le poids de ces dernières semaines me retomber dessus. C’est difficile d’admettre que je le vis très mal, que l’amertume et la sensation d’inachevé sont bien là. « Je sais pas… je sais même pas s’il y a quoi que ce soit à faire. C’est un con égoïste et je suis un salaud sans cœur alors peut-être que c’était juste pas destiné à durer. » Même alors qu’il est revenu me voir, malgré l’alcool, j’ai cru pouvoir apaiser les choses entre nous si on se disait la vérité. Pour qu’au moins, on ne finisse pas avec un terrible souvenir l’un de l’autre. Mais même ça, c’est un échec – on est tous les deux encore plus blessés qu’avant. Je ne peux pas penser au passé sans me mettre à pleurer, je ne peux pas envisager l’avenir sans lui, il ne me reste qu’à accepter le présent et m’occuper l’esprit avec autre chose. Je finis par sourire sincèrement, amusé par sa réponse. Heureusement qu’il me reste des amis.
Je hoche la tête distraitement, le regard perdu dans le vide devant moi. La façon dont elle parle de nous plutôt que de moi a tendance à m’inquiéter plus qu’à me rassurer. Est-ce que je suis en train de l’embarquer dans un problème qui ne la concerne pas du tout ? « Ouais, c’est déjà un miracle que j’ai réussi à revenir ici. Je pense pas qu’il m’arrivera quoi que ce soit dans les prochains mois. » Mais brusquement, je fronce un peu les sourcils et me rappelle d’une sensation étrange que j’ai eue – parfois le soir, parfois seulement à un entraînement à la patinoire. « Ceci dit… j’ai un peu l’impression d’être suivi, des fois. » Dodelinant de la tête, je me surprends à penser qu’il faudrait peut-être que je fasse un peu plus attention. A moins que ça ne soit de la paranoïa, ce qui n'est pas moins inquiétant.
Sa réponse à ma blague lancée l’air de rien m’arrache un petit rire. Épaulé comme ça, il n’y a pas moyen que ça se passe mal. Plus sérieusement, j’approuve ce qu’elle me dit avec un petit signe de tête en reposant les yeux sur elle. « En fait… je crois que oui, ça pourrait m’être utile. » Je n’ai jamais été du genre revanchard, mais à vrai dire, la perspective de m’en sortir en les ennuyant un maximum au passage me paraît de plus en plus séduisante. C’est dangereux, une lueur d’espoir, mais ça fait aussi un bien fou que je n’aurais pas imaginé.

design ϟ vocivus // icons ϟ pando

and i think to myself what a wonderful world  

« – Et si… Vous vous rassembliez entre personnes qui n’ont rien à dire, est-ce que ça ne pourrait pas provoquer quelque chose ? » Les sourcils froncés, j’essaie de trouver le minimum de lumière dans ce qui me semble être un sombre scénario. C’est peut-être naïf, utopiste, ou trop inspiré d’histoires vues dans des films ou des séries, mais je fais de mon mieux pour essayer de comprendre. D’ailleurs, je suis plutôt rassurée en voyant que Sven ne me tient pas rigueur de mon hésitation ou de ma difficulté à trouver les mots les plus justes – ça, il y est habitué depuis quelques temps déjà. Heureusement, j’ai l’impression qu’il a plutôt envie de vider son sac, et je suis malgré tout contente qu’il me fasse assez confiance pour se confier sur ce sujet.  

Je m’appuie contre le dossier du banc, comme si ça suffisait pour me donner assez de recul et comprendre ainsi la situation dans sa totalité. « – Dans ce cas, ça n’a pas beaucoup de sens qu’ils se donnent tant de mal pour perpétuer les traditions familiales… Mais j’imagine qu’ils ignorent aussi ce détail ? » Je retrousse mon nez avec un léger sourire, mi-compatissante mi-désolée de ne pouvoir que me sentir impuissante pour le moment. Quand la question de Paco revient, je me sens un peu plus mal à l’aise – non pas parce qu’il y a une quelconque trace de jalousie de ma part, loin de là. Seulement, j’ai l’impression de m’immiscer dans leurs problèmes de couple, et c’est un point toujours délicat. Il est difficile de se faire une idée de quelque chose quand on en a seulement une version, et puis, étant principalement l’amie de Sven, j’ai naturellement tendance à me placer de son côté.

« – T’es pas un con égoïste. » J’essaie d’avoir un ton autoritaire, comme si ça allait suffire pour le convaincre, mais je pense bien qu’il s’attendait à ce genre de réponse de ma part de toute façon. « –Je ne vous ai pas beaucoup vus ensemble, mais vous aviez quand même l’air… bien. » Loin de moi l’idée de vouloir remuer le couteau dans la plaie, alors je me reprends bien vite : « –Je veux juste dire que c’est peut-être pas fini, car vous semblez quand même vous correspondre. Je n’ai pas beaucoup d’expérience en amour, mais je crois que c’est pas censé être facile de toute façon. » Je pouffe un peu à mon tour, histoire de dédramatiser un peu la situation.

Mes yeux s’écarquillent un peu, en revanche, quand il me dit qu’il a l’impression d’être suivi, et je fronce les sourcils. Je me redresse aussi discrètement que je le peux pour regarder autour de nous, mais ce sont plutôt des familles autour de nous – difficile de savoir si des espions travaillent en groupe ou sont capables d’engager d’autres personnes pour donner l’image de la famille parfaite. « – T’as rencontré des gens bizarres ? Faudrait peut-être en parler à la police… » Je susurre du bout des lèvres, déjà prête à me méfier de la moindre personne qu’on pourrait croiser. Je lui adresse un petit sourire quand il me confirme qu’il pourrait être intéressé par mon carnet d’adresses, et je hoche doucement la tête.

« – Je peux commencer par me renseigner sur ceux qui sont spécialisés sur les histoires de mariage ou de divorce. Comme ça, je te donne leur identité et leurs coordonnées, tu peux te faire une idée, et tu me donnes ton feu vert pour savoir à qui en parler. Ou si tu veux leur parler tout seul en précisant simplement qu’on se connaît. » Mes regards alentour se posent bien sûr à nouveau sur ma cousine, et je crois deviner ce qu’elle veut me faire comprendre au loin. « – Ça ne te dérange pas si on s’avance un peu dans le zoo ? J’ai l’impression qu’elle veut bouger. »

— Dans un autre contexte, j’aurais presque été impressionné par le bon qu’elle voit en chacun. Haussant les épaules, je lui réponds ce qui me semble évident. « Ils ont aucune raison de faire ça, ils vivent dans le luxe. » J’imagine qu’à partir d’un certain moment, on finit par accepter de troquer son libre arbitre contre le confort financier et professionnel – surtout quand une société comme celle qu’entretient la Corée du Sud. Avec un petit sourire, je hoche la tête doucement au paradoxe qu’elle souligne. « Ouais… J’ai arrêté d’y réfléchir. » Il y aura toujours quelqu’un pour prendre ma place, pour hériter, pour perpétuer la dynastie. Seulement, pour l’instant, c’est moi le premier sur la liste et je ne peux rien y faire.
Stupéfait un instant, il me faut quelques secondes pour me remettre de ce ton autoritaire qu’elle prend avant d’étouffer un rire amusé. « Non, c’est vrai. C’est lui. Moi je suis le salaud sans cœur. » Souriant doucement, je réalise que je lui ai dit tellement de choses en même temps que j’ai réussi à la perdre en cours de route. Quand elle évoque les vestiges de cette relation, je sens une vague de remords et de tristesse me submerger à nouveau. « Mh, c’était bien. Peut-être même que j’ai jamais été aussi heureux qu’avec lui. Mais c’était ni facile, ni sans douleur. » Je soupire, le regard à nouveau droit devant moi. « Je sais pas quoi faire, je sais même pas s’il y a quelque chose à faire. Je peux pas… tout arranger tout seul et il veut pas m’aider. » C’est trop facile. Peu importe si je m’excuse auprès de lui, si lui ne le fait pas auprès de moi et ne s’engage pas à faire mieux – ou au moins, différemment – alors ça ne servira à rien d’essayer de recoller les morceaux. Et il m’a bien fait comprendre qu’il n’allait ni me reparler, ni prendre aucune responsabilité pour ses erreurs, même si moi je venais à le faire. « Il veut plus de moi. » Et quel intérêt de faire tant d’efforts pour une cause perdue ? Je ne sais pas. Je n’y arrive pas et pourtant c’est la seule chose que je pourrais faire.
L’air de rien, j’évoque la sensation d’être suivi qui me colle à la peau. Dodelinant de la tête, je ne me rappelle pas avoir fait face à qui que ce soit de louche. « Non, pas pour l’instant, j’ai juste… Je sais pas. Tu sais, l’impression qu’on m’observe de loin ? » Songeur, je finis par hausser les épaules. « Mais ça pourrait être mon imagination. Le stress, tout ça. » Prévenir la police alors que je ne sais même pas si c’est vrai ou non et que je n’ai pas de preuves, ça me semble un peu précipité.
J’encaisse toutes les informations qu’elle me donne avec un brusque regain d’espoir. On dirait bien que je vais peut-être avoir quelques recours légaux, après tout. « Mh… tu fais déjà beaucoup rien qu’en me donnant des noms, t’es pas obligée d’aller jusque là. » Je lui souris. Pas qu’un peu de compagnie dans cet enfer me ferait du mal, mais je m’en voudrais de l’embarquer dans une situation pareille.
Quand elle guette sa cousine des yeux et me propose d’avancer, je me redresse soudain. « Non, on peut y aller. » J’ai parlé beaucoup plus que je ne pensais. Une fois debout, je la regarde avec un rictus au coin des lèvres. « Mais je veux quand même ma glace improbable avant. T’en veux aussi ? » Tandis qu’on se dirige tous les deux vers le stand de glaces, je réalise que j’ai vidé mon sac sans même prendre de ses nouvelles avant. Il faut dire que tout m’est vraiment tombé dessus en peu de temps, c’est dur à gérer. « Au fait, tu… est-ce que les choses se sont arrangées pour toi ? Ton amie qui t’en voulait pour rien. » Fronçant un peu les sourcils, mon ton se fait hésitant. J’espère ne pas avoir rouvert de vieilles plaies ou fait preuve d’indélicatesse – ou pire, d’indiscrétion.

design ϟ vocivus // icons ϟ pando

and i think to myself what a wonderful world  

« – Justement… Ça va sûrement te paraître niais et sorti d’une mauvaise comédie romantique, mais si vous vous êtes donné tant de mal aussi bien l’un que l’autre pour que ça marche, pourquoi est-ce que ça se finirait de façon aussi abrupte ? » Je retrousse mon nez, moins parce que cette situation me paraît peu probable que parce que j’ai peur d’avoir franchi une limite. C’est difficile d’essayer de le conseiller du mieux que je peux sans pour autant paraître trop intrusive. Je fais la moue quand il me raconte plus précisément comment il se sent, et je secoue doucement la tête, comme si pouvait suffire à le convaincre du contraire ou à lui remonter le moral. « – C’était peut-être uniquement la colère ou la fierté qui parlait. »

Je n’ai pas envie de le pousser la tête la première dans une situation où tout semble perdu d’avance, mais j’ai du mal à croire que ça puisse se terminer ainsi. C’est comme ces couples ou ces amitiés où l’un attend que l’autre fasse le premier pas pour que la situation s’arrange ; ça peut durer longtemps, ou même ne jamais arriver sans un coup de pouce. Je ne prétends pas avoir toutes les réponses, mais si je peux faire partie des personnes prêtes à l’aider, alors je veux bien en être. On pourrait croire que je pourrais me retourner mon propre conseil concernant ma relation avec Sol, mais les choses semblent définitivement terminées entre nous. Jusqu’à preuve du contraire… En tout cas, je ne tiens pas à retourner vers elle pour le moment.

J’estime que j’ai bien assez essayé de sauver cette amitié en trouvant tous les arguments possibles pour me défendre et tenter de comprendre ce qui se passait. Ma dernière humiliation m’a bien suffi, et nous n’en étions pas à notre première chance. C’est triste à dire, mais plus les jours passent, plus j’espère de moins en moins recevoir un message de sa part. Je sors un instant de mes pensées pour me reconcentrer sur la discussion, et je hoche lentement la tête, incertaine. « – J’espère que c’est qu’une impression. Tu devrais essayer de sortir avec plusieurs personnes pour voir si ça continue même quand tu es distrait ou diverti. Puis les autres autour de toi pourraient aussi le remarquer, ce n’est pas franchement habituel par ici. »

Je me note mentalement de parler alors de sa situation à mes collègues, et je hausse les épaules avec un léger sourire. « – Je m’en voudrais si un tel ou une telle ne se bougerait pas sans un petit coup de pied aux fesses. » Les dossiers ont tendance à s’accumuler, mais j’ai bien l’impression que la situation de Sven est assez urgente, alors un petit rappel de temps en temps ne sera sans doute pas du luxe. « – C’est parti pour les glaces ! » Je pouffe un peu et je me redresse à mon tour, réfléchissant au parfum que je vais choisir. Ce sera sûrement quelque chose de plus simple, comme pêche-vanille.

« – Oh, euh, non pas vraiment. On ne s’est plus reparlées depuis notre dispute en fait, et je crois que je ne comprends toujours pas ce qui s’est passé. Je crois que tu avais raison, elle a trouvé le premier argument plausible et elle l’a utilisé pour me sortir de sa vie pour de bon. J’ai eu beau me triturer les méninges objectivement, je n’ai vraiment aucune idée de ce que j’ai pu faire ou de qui est ce garçon dont elle me parlait. » Dire que la situation ne m’attriste plus serait mentir, mais en parler librement et surtout à voix haute m’aidera peut-être à tourner la page moi aussi.

— Elle n’a pas tort avec ses questions qui me tiennent aussi éveillé la nuit. Pour moi, tout est parti en vrille en quelques secondes alors oui, ça pour être abrupte ça l’a été. Bien sûr, ça faisait bien plus longtemps mais j’avais l’esprit tellement occupé que je n’ai pas vu grand-chose venir. Peut-être que c’est aussi ça, le problème. « Je sais pas… ça serait plus facile s’il faisait un pas vers moi. Mais ça arrivera pas. » Adossé contre le dossier du banc, je regarde le ciel pour m’empêcher de vaciller et soupire doucement. Je crois que j’aimerais que les choses s’arrangent, parce que tout ça me laisse un goût amer dans la bouche.
Hochant la tête, je fronce un peu les sourcils. C’est vrai qu’elle a raison, cette sensation d’être suivi est à la fois bizarre et inquiétante. Si c’était ma famille, ou cet œil de lynx qui s’amuse à retourner la ville dans tous les sens… « Mh, je suis pas vraiment d’humeur à sortir ces derniers temps. » Je grimace un sourire gêné avant de me rattraper – rien ne sert de miner ses efforts pour m’aider. « Mais j’essayerais de faire plus attention. Et de demander aux autres. » Dodelinant de la tête, je regarde discrètement par dessus mon épaule avant de reposer les yeux sur elle avec une petite moue. « Tu… t’as rien remarqué ? »
Je ne sais pas si je devrais l’être si tôt, mais je crois que je suis un peu soulagé de me dire qu’on va m’aider à trouver une solution à tout ça. Je finis par me reprendre et sourire doucement quand elle accepte de prendre une glace avec moi. Quand on se dirige vers le stand, je me permets de m’intéresser un peu à ses affaires – assez parlé de moi, après tout. Mais on dirait que de son côté non plus, rien ne s’est arrangé. « C’est bizarre. Je veux dire… j’ai dit ça comme ça, je pensais pas que c’était vraiment en train d’arriver. » Je hausse les épaules, dépassé par la situation. « Je suis pas tout à fait un exemple de personne qui communique mais… même pour moi ça a l’air carrément lunaire. » Je détourne le regard pour commander ma glace, menthe et pamplemousse comme prévu, et prépare de quoi payer pour nous deux.

design ϟ vocivus // icons ϟ pando

and i think to myself what a wonderful world  

Je fais la moue, parce qu’il a l’air à la fois abattu et résigné par sa situation avec Paco. Je sais bien que se montrer trop positif n’est pas toujours une bonne chose, et je n’ai pas envie de nourrir de faux espoirs qui ne pourraient que le décevoir ensuite. « – C’est cliché, mais tout le monde dit qu’on se rend compte de ce qu’on avait quand on le perd. Quelqu’un va peut-être lui donner un coup de pied aux fesses. » Je souris doucement, pour essayer de lui arracher un petit sourire ou même un rire. Je n’ai jamais vraiment eu l’occasion d’écouter et de conseiller quelqu’un après une peine de cœur, alors j’espère que je me débrouille ou que je ne mets pas les pieds dans le plat. Il n’a pas l’air trop fâché, alors je crois que je m’en sors.

Je sors un instant de mon questionnement intérieur lorsqu’il me demande si je n’ai rien remarqué d’étrange, et je marque une pause, observant en même temps les environs. Je n’ai pas franchement l’habitude de vérifier si les gens sont étranges ou non, alors c’est plutôt difficile à dire. Mais hormis quelques visiteurs au téléphone, d’autres qui se reposent sur des bancs, se débattent avec le plan du parc ou tentent de calmer leurs enfants… « – Non… » Je fais la moue, et je me redresse avant de me souvenir d’un détail qui m’arrache un petit sourire. « – Mais si je suis ton avocate, tu devrais sûrement embaucher Ana comme garde du corps, au cas où on te suive vraiment. Ça pourrait en décourager plus d’un, elle a toujours l’air de vouloir se battre.   »

Je pouffe un peu, et une fois à proximité du camion de glace, je le laisse d’abord prendre sa glace avant de passer commande moi aussi. Si on en vient à aborder le sujet Sól, j’ai bien besoin de sucre pour ressasser tout ça. Je souris un peu tristement quand il m’explique que la situation lui paraît aussi étrange, et je me contente de hausse les épaules. « – Elle pensait peut-être que ça allait être marrant de me manipuler pour se venger. Si c’est le cas, je dois reconnaître que son plan a été une vraie réussite.  » Je remercie le marchand quand il me tend ma glace, et je remercie aussi Sven quand je le vois payer pour nous deux. Je me tourne vers ma petite cousine et je capte son regard timide, mais elle fait quand même un petit salut en direction de Sven avant de m’indiquer un chemin du doigt, et je hoche la tête avec un doux sourire. « – En avant pour les chimpanzés. Ça nous remontera peut-être le moral ! »

— Le plus gros problème avec mes problèmes de cœur, c’est que je ne sais pas quoi en faire. Je ne sais pas si je veux que Paco sorte de ma vie, passer à autre chose et l’oublier pour de bon, ou arranger les choses avec lui et enfin retrouver ce qu’on avait. Parce que c’était bien. Malgré toutes les fois où j’ai pu en souffrir, il y a toujours une place dans ma poitrine pour lui et la relation qu’on avait. Esquissant un sourire, je lâche un petit soupir amusé à sa remarque. « Peut-être que ça devrait être moi, mais j’ai juste… tellement peur que ça empire encore plus la situation. » Je souffle doucement, fatigué par tout ça. Paco, je commence à le connaître et à pouvoir anticiper ses réactions ; peu importe ce que je décide de faire, ce ne sera pas facile.
Elle se met à observer autour de nous après que je lui demande si elle n’a rien remarqué. Plein d’attente, je me retrouve à être quasiment déçu quand elle se réinstalle sagement sur le banc. Mais heureusement, sa proposition m’arrache un sourire. C’est vrai qu’elles se sont rencontrées à un moment où la tension était à son maximum, mais au final, ma voisine pourrait s’avérer être un grand atout. « Ouais, elle accepterait juste pour pouvoir s’attirer des ennuis mais au moins je serais tranquille. » Le bras sur le dossier du banc, je la guette à son poste de guichetière au loin avec un petit sourire, avant de reposer les yeux sur Heidi – plus sérieux. « Il va bien falloir que je fasse quelque chose de toute façon. » Que ce soit ça ou quelque chose d’autre, je ne peux pas rester comme ça avec l’impression d’être suivi ou surveillé.

Une fois nos glaces en main, je paye pour nous deux et vois non loin la cousine d’Heidi me faire signe autant qu’à elle. Répondant avec un petit mouvement de tête, j’approuve la direction dans laquelle on va et les animaux vers lesquels on se dirige. Allons donc voir les chimpanzés alors. « Ça me va ! J’espère qu’ils seront à la hauteur de la tâche. » Quand on marche sur le chemin, elle a à l’air à la fois triste et résigné. Mais moi, je n’arrive pas vraiment à additionner toutes les informations. « Mais… c’est quoi la vengeance dans tout ça ? Couper les ponts avec toi ? Parce que si c’était juste te faire souffrir… enfin, elle l’a déjà fait quoi. » Oubliant qu’elle n’a peut-être pas envie d’en parler, je cherche à tout prix à en retirer une logique que je ne parviens pas à toucher du doigt. C’est vraiment étrange, cette histoire.

design ϟ vocivus // icons ϟ pando

and i think to myself what a wonderful world  

« – Je pense que le temps peut être votre meilleur allié dans tous les cas. » Je fais la moue, consciente que c’est un conseil passe-partout qui ne risque pas vraiment de l’aider, mais ça me semble être la chose la plus raisonnable à faire. Au moins, leurs esprits auront l’occasion de s’apaiser un minimum. Prendre du recul sur une situation est aussi le meilleur moyen de savoir quoi faire par la suite. Je ne suis pas franchement la mieux placée pour savoir comment gérer une rupture amoureuse, mais j’espère que le simple fait de pouvoir vider son sac le soulage. En tout cas, tout ce qu’il me dit restera bien sûr entre nous. Je suis même contente qu’il me fasse apparemment assez confiance pour se confier sans inquiétude.

Nous ne sommes pas les deux mieux placés pour tenir une conversation, mais j’essaie quand même de faire de l’humour pour alléger les choses. Je pouffe encore un peu quand je constate que ça a au moins le mérite de fonctionner, et je hoche la tête avant de reprendre un air grave un instant. J’espère bien qu’il se fait des idées, mais il n’en reste pas moins mon ami, et évidemment, l’idée que quelqu’un le piste ou lui veuille du mal ne m’enchante vraiment pas. « – Si t’as un gardien ou un concierge chez toi, ça pourrait peut-être aussi aider. » Je ne dis pas ça pour qu’il devienne parano au point de ne pas dormir de la nuit évidemment. Je ne sais même pas si une surveillance policière serait nécessaire. Commencer par se renseigner auprès d’avocats, ce serait déjà un bon début.

Je remercie Sven lorsqu’il paie également pour ma glace, et je me lance donc dans les pas de ma petite cousine avant de faire la moue tout en écoutant les propos de mon ami. Il marque un point, mais c’est difficile de comprendre ce qui s’est passé dans la tête de Sol à ce moment-là. « – J’en sais rien… Me faire croire qu’on pouvait être amies et finalement, me laisser m’écraser toute seule, je suppose. » Je pouffe un peu, nerveusement, même s’il n’y a rien de drôle. C’est même triste quand on y pense. Avant cette dispute, notre dernière vraie discussion était cette soirée filles lors de la croisière, l’été dernier, et je me souviens encore très bien comment je me sentais.

J’avais l’impression que tout était enfin rentré dans l’ordre entre nous, mais apparemment, je me suis trompée sur toute la ligne. Prévoyait-elle déjà à ce moment-là de me sortir ces horreurs ? Je me suis déjà posé la question à de nombreuses reprises, mais je n’ai pas franchement envie de savoir la réponse. « – Je veux dire… Si elle m’avait présenté ce fameux garçon et que j’avais eu un comportement qui lui semblait inapproprié, je peux comprendre. Mais… Je te jure au nom de tout que je ne sais même pas de qui elle me parle. Tous les garçons que je côtoie ont soit le double ou le triple de nos âges, soit sont déjà mariés. » Je pousse un petit soupir, et je hausse les épaules avant de reprendre une bouchée de ma glace. « – Ou alors, elle l’a vu de dos avec une blonde qui avait à peu près le même gabarit que moi, et elle en a tout de suite tiré des conclusions. Si elle ne me fait pas tout à fait confiance, ça se pourrait…   »

— Hochant la tête vaguement, je sais qu’elle a raison. Il n’y aura que le temps pour faire retomber la passion et la colère, pour panser les plaies et nous permettre, à Paco et moi, de peut-être nous reparler. Même si je suis encore loin de pouvoir prendre du recul, c’est déjà un soulagement certain d’avoir pu me débarrasser de ce poids secret qui commençait à me peser. Après un petit échange de rires assez bienvenu pour alléger la conversation, on retourne tous les deux au sérieux quand il s’agit de savoir quoi faire à propos de ma sensation d’être suivi. Je suis d’accord avec ce qu’elle me dit sur un gardien ou un concierge, mais malheureusement, je vis dans une maison divisée en deux appartements alors il n’y en a pas. « Mh, non je crois pas… Sauf si mes chats comptent. » Souriant doucement, j’imagine que mes boules de poils pourraient arrêter de dormir pour me défendre, si l’occasion se présentait.

Un peu soulagé qu’on en ait fini de parler de moi et de mes innombrables problèmes, je m’en veux quand même de lui refiler la patate chaude entre deux bouchées de glace. Et clairement, elle n’a pas l’air sortie de l’auberge non plus avec ses histoires. Une grimace perplexe se dessine sur mon visage quand j’entends sa supposition. « Il y a vraiment des gens qui font ça… ? Ça a l’air de demander beaucoup d’énergie et d’implication pour au final pas grand-chose. » On n’est pas dans une série américaine, je n’arrive pas à croire qu’on puisse mettre tant d’effort et donner de sa personne à ce point juste pour se venger de quelqu’un.
Son rire triste m’arrache un petit pincement au cœur ; même quelqu’un d’aussi peu empathique que moi peut se rendre compte que ça l’affecte plus qu’elle ne voudrait le laisser penser. Gêné quand elle me jure qu’elle n’est pas comme ça, je m’empresse d’essayer de la rassurer. « Ouais, je te crois. Enfin, je te connais et t’es pas vraiment du genre à draguer le premier venu ou… » Brusquement interrompu dans mes pensées, je me rends compte que ce n’est pas forcément ce qu’elle a envie d’entendre – ni à propos d’elle, ni à propos d’aucune fille. « Ça sonnait moins nul dans ma tête. Désolé. Je voulais dire… que je t’imaginais pas vraiment en train d’essayer de piquer le mec d’une autre ou de draguer quelqu’un en sachant qu’il y a une chance pour qu’une de tes amies l’ait déjà en vue. » Même ce soir où elle m’a embrassé, elle ne se doutait pas que j’avais quelqu’un et sentiments ou non, je suis persuadé qu’elle ne l’aurait pas fait si elle avait su.
Face à son autre possibilité, je dodeline de la tête d’un air songeur. « Est-ce que ça me foutrait en rogne si je voyais une blonde qui te ressemble en train de draguer Paco, au point de couper les ponts sans même prendre le temps d’avoir des explications… ? » Peut-être ? Peut-être pas ? Probablement pas. « Uh, je sais pas trop. Je suis pas du genre jaloux et puis, c’est franchement difficile de vous imaginer ensemble alors… j’ai du mal à la comprendre. » Je grimace légèrement, conscient que je ne devrais pas me prendre en exemple vu comment je réagis aux relations humaines. « Et toi, si tu pensais me voir en train de draguer la personne que t’aimes ? »

design ϟ vocivus // icons ϟ pando

and i think to myself what a wonderful world  

Je réponds à son sourire amusé quand il mentionne ses chats dans la discussion, et je hoche la tête comme s’il s’agissait d’une confidence tout à fait plausible. « – Gaumont a pris un peu de poids, mais je ne doute pas qu’il pourrait se remettre en forme s’ils ont besoin de lui. » Je prends quand même soin de regarder autour de nous avant de nous mettre en route pour une autre partie du zoo, et mon attention se reporte malgré moi sur cette dispute, survenue pas avant Noël. Certains jours, l’absence de Sol m’attriste, et je me surprends à espérer qu’elle aille bien malgré tout ; d’autres jours, je me dis que tenter de faire revivre notre amitié était une mauvaise idée, et je m’en veux d’avoir pu y croire.

C’est difficile de savoir ce qui s’est passé dans sa tête à ce moment-là. Je suis tellement dans l’incompréhension que je ne peux que me faire des scénarios qui ne sont pas à son avantage. Si j’avais adressé la parole à quelqu’un de son entourage, j’aurais pu comprendre. Elle aurait pu se méfier de mon attitude, ou la trouver trop amicale à son goût. Et peu importe, j’aurais pu corriger ça. Or, difficile de savoir ce qu’on a pu faire de mal quand absolument rien ne s’est produit. Je suis sûre de ne pas souffrir d’amnésie ou de crise de somnambulisme, alors c’est bien difficile pour moi de croire que je suis en tort. « – J’en sais rien. Elle prend peut-être Regina George en modèle. »

Je réalise rapidement que ma tentative d’humour me met plutôt mal à l’aise, alors je secoue la tête, les yeux rivés sur ma glace. « – C’est pas drôle, mais ça me soulage un peu de la faire passer pour la méchante. C’est plus facile », j’avoue avec gêne, même si dans le fond, je n’ai réellement rien à me reprocher. Sauf peut-être le fait d’avoir fait confiance trop facilement. Je ne suis pas la seule à me reprendre dans mes paroles, et j’affiche un léger sourire aux précisions de Sven. « – C’est rien. La première fois qu’on s’est intéressées au même garçon, je me suis vraiment rendu compte de rien, alors… Après les révélations qu’elle m’a faites, j’aurais carrément fait gaffe, oui. J’ai retenu la leçon. » Je ne sais même pas si intéressée était le mot le plus approprié pour me décrire lors de cet épisode adolescent.

Mais le regard fuyant, je me souviens de la dispute qu’avait engendrée la narration de ce moment de ma vie, et j’espère silencieusement que la discussion va prendre une autre tournure. Comme s’il entendait mes prières, Sven embraye en s’imaginant à la place de mon ancienne meilleure amie. Sa supposition me soulage et m’arrache un léger rire. « – Et au cas où, je peux t’assurer que tu ne risques absolument rien avec moi », je m’autorise à répondre avec un éclat de malice. Tout ce que Paco peut m’inspirer est un malaise ou de l’incompréhension ; que ce soit par ses suppositions sur Sven et moi, ou bien par sa posture, que j’ai toujours trouvée imposante, intimidante. J’ai bien compris qu’il serait difficile pour nous d’être amis, alors amoureux, c’est carrément impossible.

Lorsqu’il me retourne la question, je marque une petite pause, le nez retroussé, comme si ça pouvait m’aider à mieux réfléchir. Ma cousine s’arrête près de l’enclos des chimpanzés, et je me stoppe aussi à proximité, pensive. « – J’organiserais une sortie ou un truc du genre avec vous pour voir comment vous réagiriez à l’idée d’être ensemble. Et si je trouve ça trop bizarre, j’en parlerais à chacun de vous en privé ? » Incertaine, je ne sais pas franchement s’il y a de bonne ou de mauvaise réponse à cette question, mais je lâche un petit rire nerveux. « – Je crois que j’essaierais d’abord de comprendre avant de trancher aussi vite en tout cas. »

— J’esquisse un sourire timide à sa comparaison – heureusement que ma sœur m’a fait regarder le film, sinon j’aurais carrément raté la référence. Je sens qu’elle n’est pas très à l’aise avec la conversation, mais égoïstement, ça me soulage et m’arrange qu’on ne parle plus de moi. Et puis, après cette mise en perspective, son souci dure depuis bien plus longtemps que les miens. Quand elle m’avoue faire passer son ancienne amie pour la méchante parce qu’elle n’a pas assez d’informations pour envisager autre chose, je hoche doucement la tête. « Je comprends, c’est dur d’envisager que quelqu’un puisse être méchant gratuitement. Je veux dire, tout le monde n’est pas gentil par nature, mais même pour faire du mal il faut gagner quelque chose à la fin, sinon ça n’a aucun intérêt. » Et là, je ne vois vraiment pas ce qu’elle a bien pu gagner à se débarrasser d’elle aussi violemment. Prudent vu la direction que la conversation prend, je ne compte pas refaire la même erreur qu’à nos débuts. « Ouais, en plus. » Ce serait stupide de sa part de commettre deux fois la même bêtise et je suis sûr que l’autre le sait également.
Avec un pâle sourire, je termine ma glace et jette nonchalamment le pot dans une poubelle proche. « Il y a plus rien à risquer de toute façon, c’est pas comme si j’avais le droit d’avoir quelque chose à redire sur ses fréquentations. » Et même si des amis ou amies venaient à se rapprocher de lui… ça me ferait sûrement de la peine, mais je n’aurais rien le droit de dire non plus. Je ne peux pas être jaloux, je ne peux rien interdire, je ne peux rien contrôler ni espérer. Même si ça ne risque pas d’arriver avec Heidi, si j’ai bien compris ce qu’elle essaye de me dire, ils ne s’entendent toujours pas très bien.
Quand je lui retourne la question, je ne suis pas surpris de sa réponse même si moi je ne procéderais pas comme ça. Affronter une situation de face comme ça, ça ne me ressemble pas. « Mh, ça m’a l’air d’être… la façon la plus logique ou normale de gérer le problème. » Je lui adresse un regard entendu et me mets à réfléchir un instant. Et puis soudain, je suis frappé par une réalisation. Son ancienne amie ne gagne rien et son comportement est incompréhensible. Il nous manque des données et des informations, peut-être qu’il y a une autre personne dans l’équation. « Est-ce que quelqu’un aurait intérêt à ce que vous restiez en mauvais termes ? » Loin de moi l’idée de la faire passer pour un ange, mais j’ai comme un besoin viscéral de régler les problèmes des autres pour ne pas penser aux miens. Et peut-être qu’il y a dehors un mec qui est en train de jouer avec le cœur de deux amies qui ont déjà suffisamment souffert. Parce qu'au final, c'est bien lui le gros point d'interrogation dans l'histoire.

design ϟ vocivus // icons ϟ pando

and i think to myself what a wonderful world  

J’aurais pu penser que réfléchir à deux à mon problème amical aurait pu avoir le mérite de m’aider, mais on dirait bien que c’est un vrai casse-tête. Je hoche la tête avec une petite moue pour appuyer ses propos, et je continue de manger ma glace tandis que malgré moi, je me remets à songer en quoi Sol avait tout de même été ma meilleure amie. « – Le truc, c’est que je sais qu’elle n’a pas un mauvais fond… Elle était un peu dure quand on était ados, mais comme peuvent l’être pleins de filles populaires et adulées. Je pensais qu’on avait tourné la page et qu’on s’était mis implicitement d’accord pour faire des efforts chacune de notre côté. »

J’essaie quand même de lui donner autant de conseils que je peux le faire par rapport à sa situation avec Paco, même si c’est compliqué de le faire sans passer pour quelqu’un de trop intrusif. Il tente de m’aider autant qu’il peut le faire, et je lui suis reconnaissante pour ça. Or, je n’ai jamais été vraiment avec quelqu’un non plus, alors c’est d’autant plus délicat aussi pour moi de m’imaginer dans un tel contexte. Est-ce que je pourrais être jalouse ? Probablement un peu, à condition que des éléments soient suffisamment troubles pour qu’un contexte en particulier ne m’inspire pas confiance. « – Ça, c’est si je parviens à être rationnelle et suffisamment calme. Je pourrais peut-être aussi me prendre la tête toute seule avant de me décider à agir… Ou ruminer dans mon coin », j’avoue dans un petit rire.

Je jette aussi ma glace quand je l’ai terminée, et je continue ma route à ses côtés quand la question de Sven m’interpelle. « – Je ne sais pas trop… Il y a quelques années en arrière j’aurais pu dire oui, elle avait toute une cour à ses pieds, et toutes se battaient plus ou moins pour avoir un peu de son attention. » Je pouffe un peu, parce que de le dire à voix haute, j’ai l’impression qu’on dirait que ça sort tout droit d’une série pour ados, mais je dois avouer que j’ai déjà fait part de ces filles-là, c’est vrai.  

Et tandis que nous arrivons près des chimpanzés, je m’appuie contre l’une des rambardes, regardant les animaux sans trop les voir, mais plutôt plongée dans mes pensées. Et soudain, un épisode récent mais assez étrange me revient en tête. « – Attends… Quelqu’un m’a parlé de Sol il n’y a pas longtemps, et elle s’est un peu étonnée que je ne sois pas avec elle. Tu crois qu’il peut y avoir un lien quelconque, ou je deviens parano ? »

— Je ne sais pas qui de nous deux a la situation la plus complexe à régler, mais je crois qu’on pourrait presque organiser une compétition. Grimaçant légèrement, j’imagine très bien ce qu’elle veut dire quand elle évoque l’adolescence avec une fille pareille. Malgré tous les préjugés et les mauvaises expériences à l’école que je peux avoir, je finis quand même par hocher la tête. « Mh, c’est habituellement ce que font les adultes, oui. » Les querelles d’enfants ne restent pas, en général. Et même quand on ne se supporte pas, on finit par s’ignorer une fois le diplôme en poche. Sauf dans de rares cas dont celui-ci semble faire parti.
A coup de conseils timides, on est tous les deux dans la retenue et dans la volonté d’aider en même temps. Ce n’est pas simple. Je souris légèrement et lâche un petit soupir amusé à sa réponse pleine de lucidité. « Ah, ruminer dans ton coin… c’est aussi ce que je ferais. Jusqu’à ce que ça me dévore de l’intérieur, même si au final il n’y avait rien. » Tout plutôt que d’affronter le problème en cas de souci avec son partenaire, on dirait qu’on s’est bien trouvés tous les deux.
Elle en rit, mais moi, je ne peux m’empêcher de grimacer encore une fois. J’ai du mal à comprendre comment elles ont pu être amies un jour, le portrait qu’elle me dépeint n’est franchement pas flatteur de mon point de vue. « Décidément, je crois qu’on aurait pas été très amis elle et moi. » Complètement obnubilé par ses aventures, je ne regarde même plus les pauvres animaux pour qui on s’est pourtant déplacés jusqu’ici.
Brusquement, un détail m’interpelle tandis que j’analyse ce qu’elle me dit. « Elle… ? Je pensais plutôt au mec qui vous… enfin le mec entre vous deux quoi. Mais, okay. » Dodelinant de la tête, je remets tout en ordre pour reconstruire le puzzle mais je n’arrive toujours pas à voir l’image entière. « Alors quoi, une de tes amies déteste ton autre amie et voudrait que tu restes éloignée d’elle… ? C’est… un peu puéril mais je crois c’est aussi la seule chose qui aurait du sens dans cette histoire. Peut-être que t’es parano, peut-être pas mais… je dirais que ça vaut le coup d’essayer de vérifier. » Le nez froncé, je ne suis moi-même pas convaincu par cette théorie. Peut-être que je suis en train de l’envoyer sur une enquête alors que la réalité est bien plus simple : son amie est une conne et ne veut pas d’elle. Peut-être qu’elle risque plus de se blesser qu’autre chose en partant à la recherche de la vérité.

design ϟ vocivus // icons ϟ pando

and i think to myself what a wonderful world  

J’ai maintenant l’impression d’accaparer toute la conversation avec mes histoires, mais je ne suis pas contre quelques conseils pour m’aider à y voir plus clair dans toute cette histoire. J’ai aussi l’impression que ça permet au moins à Sven de penser à autre chose, alors je le laisse essayer de trouver des explications plausibles à tout ce bazar aussi. De toute façon, je sais qu’il est capable de garder tout ça pour lui. Je réponds à son sourire lorsqu’il avoue se reconnaître dans l’image de la personne qui se morfond sur elle-même au lieu de confronter directement quelqu’un. Mettre carte sur table est bien quelque chose que je ferais en dernier recours aussi, à condition d’avoir reçu un bon coup de pied aux fesses avant. « – C’est tellement plus agréable de se passer en boucle tous les scénarios en passant ses nerfs sur une boîte de chocolats… »

Je retrousse mon nez quand il me dit qu’il ne se voyait pas ami avec Sól, et je dois admettre que leurs deux personnalités pourraient bien faire des étincelles une fois ensemble. « – Ce n’était pas vraiment la peste clichée des films pour ados… Je crois qu’elle s’est toujours préoccupée des autres, plus que ce qu’elle voulait bien montrer en tout cas. » Je ne sais pas trop à quoi m’attendre, en lui trouvant encore des excuses pour expliquer son comportement, et je me retrouve à hausser les épaules quand Sven s’étonne de ce retournement de situation. « – Ça serait bête de sa part de m’inventer une vie alors que je ne le connais ni d’Ève ni d’Adam… Et tout ça pour essayer de la rendre jalouse ? » Je fais la moue en observant les chimpanzés, avant d’incliner la tête sur le côté.

« – Quoi que… Ça ressemble bien aux trucs débiles que pourrait faire un garçon pour flatter son égo. » Je m’aperçois bien vite que ma nervosité m’a encore poussée à réfléchir à voix haute, alors je me tourne vers Sven avec un sourire mi-amusé mi-désolée. « – Mais toi ce n'est pas la même chose, t’es mon ami ! »

L’idée que tout partirait d’une jalousie amicale me soulage un peu tant ça me paraît évident, mais ça ressemble aussi à une solution de facilité, alors je préfère ne pas m’emballer et rester prudente. Continuer à me dire que Sól ne voulait plus de moi dans sa vie, un point c’est tout. « – Si c’est la vraie raison, je vais avoir l’impression d’être retournée au collège… Mais je te tiendrai au courant ! Enfin, si ça ne t’embête pas. »