Yep, that's a bully (Timothée)

@Timothée Martin

Yep, that's a bully

Samedi, début d’après-midi. C’est le moment de faire un dernier inventaire avant l’ouverture de ce soir, et je suis non loin du bar, occupé à vérifier si toutes les boissons sont présentes ou s’il faut aller en chercher d’autres en stock, lorsque l’une des serveuses relance la conversation. « - Ça fait un moment qu’on n’a pas vu ton mec. Est-ce qu’il a arrêté de traîner avec le peuple depuis qu’il passe à la télé ? » Je lève les yeux vers elle et j’esquisse un petit sourire, conscient que ce n’est qu’une plaisanterie, une manière de faire la conversation et pas juste une pique. Ça m’étonnerait que Paco ait laissé entendre à l’équipe ce qu’il pensait de Svein – ça ne regarde personne d’autre. « - Il est juste occupé tant qu’il est en compétition et je ne sais pas exactement quand il va rentrer, c’est pour ça. » Elle se contente de hocher la tête, puis la conversation s’arrête là, et j’avoue que ça me soulage un peu. De ne pas avouer ce qui se trame vraiment.

Il n’y a que Orel qui est au courant pour la pause dans mon couple, et encore, j’ai vite survolé la question, évidemment. Ce serait étrange de parler de ses déboires amoureux avec son ex, et je n’ai pas envie de remuer le couteau dans la plaie. Notre relation semble enfin s’être apaisée, alors autant tout faire pour ne pas l’abîmer à nouveau. Alors je préfère garder tout ça pour moi, ce manque. En manque d’affection, d’attention, et de sexe aussi. Mais je sais que je fais mieux de garder tout ça pour moi. D’une, mon entourage trouverait sûrement étrange que de tels mots passent la barrière de mes lèvres. Et de deux, dire tout ça à voix haute, ça me donnerait l’impression de m’apitoyer sur mon sort et je n’en ai pas envie, même si l’état de l’appartement indique clairement que quelque chose ne tourne pas rond.

Il y a pas mal d’agitation autour de nous, alors c’est vrai que je ne fais pas forcément au bruit des pas qui nous entourent, mais quand je remarque une silhouette de dos qui ne m’est pas familière, je comprends que c’est quelqu’un qui ne bosse pas ici. « - Oh euh désolé, on ouvre que ce soir. » Je m’apprête à m’avancer vers cette personne, mais elle se retourne, et je réalise que finalement si, son visage me dit quelque chose. Il me faut plusieurs secondes avant de comprendre que je me tiens devant l’un de mes anciens harceleurs, et même si d’un coup, j’ai l’impression d’avoir 15 ans à nouveau, pas question que je lui montre mon trouble. Est-ce que tout Paris s’est réuni à Bergen ? Stop. Est-ce qu’il est venu voir Paco ?

Le Blood Night, il y était. Il fallait dire que l'adresse était plutôt connue et que celui-ci n'était pas difficile d'accès. Et comme il se l'était promis, il était venu en dehors des horaires d'ouverture et sans se faire annoncer. Il n'aurait plus manqué que cela ! Et ça aurait surtout fait bien trop plaisir à Paco... Il préférait d'ailleurs ne pas s'attarder sur leurs différences de moyens financiers vu qu'il en était à galérer à payer le loyer de son studio alors qu'ici, c'était... Chic et luxueux. Il comprenait en tout cas que l'adresse soit connue.

Restait à trouver le propriétaire des lieux et ça, ça semblait tout de suite bien plus ardu. Il y avait certes des employés mais il n'avait aucune envie de s'adresser à l'un deux avec son Norvégien tâtonnant. Et puis s'il voulait être réellement honnête avec lui-même, il tenait à prouver à Paco qu'il pouvait débarquer comme bon lui semblait s'il le voulait. Et passer par un employé gâcherait son petit effet. Il visitait donc, au moins la partie accessible aux clients tout en cherchant la partie privée. Parce qu'il devait forcément y avoir quelque part une porte "Interdit au public" qui menait au bureau de Paco. Et il se voyait bien l'attendre, assis sur celui-ci tout en jetant un regard curieux sur les papiers qui traîneraient dessus... De quoi le surprendre à son tour donc, mais encore fallait-il pour cela qu'il y parvienne jusqu'à ce fameux bureau ! L'avantage était que si on lui lançait parfois des regards curieux, l'assurance dont il faisait preuve faisait que personne n'était encore venu lui demander ce qu'il faisait là. Ce qui lui convenait parfaitement.

Sauf que toute règle avait son exception, et il fallut qu'il tombe sur celle-ci. Ou plutôt sur celui-ci. Comme s'il ne le savait pas que l'établissement était fermé en début d'après-midi ! Il se retourna donc pour faire savoir à cet empêcheur de tourner en rond ce qu'il en pensait lorsqu'il se figea net. Décidément, ça commençait à devenir une habitude... Mais ça, Paco s'était bien gardé de lui en parler ! "Paco ne m'a pas tout dit, on dirait..." Parce que si cet abruti eu visiblement du mal à le remettre -comme quoi, il ne l'avait pas si traumatisé que cela- lui se rappelait par contre très bien de lui. Et on ne pouvait pas dire que sa chère victime attitrée avait énormément changée, si ce n'est qu'elle avait pris de l'âge... Rien à voir avec la transformation de Paco en tout cas. Et il ne lui fallut qu'une fraction de seconde pour effacer son regard dur pour quelque chose de plus... neutre. Parce que s'il n'avait rien à faire ici en pleine journée, ce n'était apparemment pas le cas de... Il ne savait plus son nom.

Bref... Il ne tenait pas non plus à être reconduit à l'extérieur par les vigiles de l'établissement. Il allait donc devoir temporiser, après tout il était surtout là pour Paco. Il supposait qu'il pouvait donc se montrer... affable ? Il ne fallait tout de même pas exagérer ! Correct serait déjà pas si mal. "Désolé de m'imposer..." Dieu, qu'est-ce qu'il ne fallait pas dire ! Voilà qu'il s'excusait maintenant... Et il dut prendre sur lui pour ne pas lever les yeux au ciel. "J'ai croisé Paco en début de semaine et comme il m'a parlé de son club, je lui avais dit que je passerais... Sauf qu'il semble plus difficile à trouver que prévu." Parce qu'il n'allait tout de même pas s'abaisser à lui demander s'il l'avait vu ! Il était cependant honnête et ce n'était déjà pas si mal. "Je comprends mieux pourquoi il m'a dit de venir l'esprit ouvert... Mais il aurait pu m'en parler, on a depuis longtemps dépassé l'âge des gamineries..." Parce que oui, il incluait... Il ne savait plus comment il s'appelait, comme partie prenante de son harcèlement transformées en simples "gamineries". Après tout, tout était toujours une question de point de vue, et de relativité. Pour preuve, il tentait une ombre de sourire quelque peu gênée... De devoir faire tant d'efforts !

@Timothée Martin

Yep, that's a bully

Voilà bien une rencontre à laquelle je ne m’attendais pas, et à en croire l’expression sur le visage de Timothée, je crois bien que cette rencontre imprévue nous inspire les mêmes sentiments. Enfin, l’espace d’un instant. Parce que j’ai l’impression qu’il met très vite une sorte de masque en place, et j’ai du mal à ne pas me dire que ça ne sent pas bon. Alors quoi, est-ce qu’il est venu jusqu’ici pour me causer du tort, maintenant ? Je doute que quelqu’un soit aussi déterminé à s’en prendre à quelqu’un juste pour le plaisir, et encore moins des années après. Il ne tarde pas à éclairer ma lanterne, et je comprends que sa présence ici s’explique plutôt par l’intermédiaire de Paco. Ça me fait bizarre de me dire qu’ils se parlent à nouveau, peut-être, comme si la situation m’échappait. Mais je n’ai pas vu le brun depuis un moment alors, c’est compliqué de lui en vouloir déjà. Ce n’est pas exactement le genre de nouvelles qu’on donne par messages, quand on sait dans quel état leur bande me mettait.

« - T’appelles ça des gamineries, toi ? » Je hausse les sourcils en continuant de le regarder alors que je fais de mon mieux pour éviter de me rappeler à ce moment-là cette période désastreuse de mon adolescence. Malheureusement, je ne peux rien faire contre les flashs des moqueries, ou la vision de mon casier tagué d’insultes. C’est finalement un rire sans joie qui s’échappe de mes lèvres.

« - Ouais, évidemment que tu le fais.  » En grandissant, j’ai bien compris que dans le cas d’un harcèlement, le harceleur était lui aussi en souffrance et j’enviais ces personnes qui, un beau jour, finissaient par parvenir à pardonner. Je me suis toujours demandé si j’en serais capable. On pourrait croire que oui, à cause de mon habitude à voir le bien chez tout le monde, mais on dirait bien que je ne suis pas prêt ou je me méfie encore bien trop pour agir comme si de rien n’était.

Mais je n’ai pas envie de me donner en spectacle ni d’imposer aux autres une scène à laquelle ils ne comprendraient rien, alors je me contente de hausser les épaules. « - T’as qu’à… repasser ce soir pour voir Paco et ce sera très bien.   » Je tourne les talons pour retourner près du bar, sans un mot de plus, et j’essaie de me concentrer à nouveau dans l’inventaire. Je fais de mon mieux pour ignorer les paires d’yeux curieux et inquisiteurs que je peux sentir, ou encore le silence qui s’est installé maintenant. Ce serait inutile de demander aux vigiles déjà présents de le conduire vers la sortie – ça mènerait peut-être à une scène que je n’ai pas envie de voir. Pour le moment, je reste persuadé que celui qui se trouvait face à moi il y a quelques secondes est toujours le même qui me mettait une boule au ventre toute la journée, alors évidemment que je ne tiens pas à m’attarder en sa compagnie.

Allons bon, voilà qu'il jouait à la princesse. Il n'y avait pas à chercher bien loin pourquoi il n'avait jamais pu le sentir ! En plus du fait que Paco s'était tout de suite posé en défenseur de la veuve et de l'orphelin. Il s'était d'ailleurs toujours demandé ce qu'il lui trouvait. Et la question se posait d'autant plus maintenant alors que dix ans après, il était toujours là... Comme un chewing-gum usagé collé à sa semelle dont on ne parvenait pas à se débarrasser. Bon sang, dix ans après, il y avait forcément un truc ! Restait à trouver quoi...

Donc Monsieur prenait ses grands airs... Ok, il avait été un peu chahuté mais on ne pouvait pas dire qu'il s'était beaucoup défendu non plus. Et le respect, ça se gagnait. "On était tous des gamins à l'époque, donc oui on peut dire que c'était des gamineries. Ca semble évident que j'ai passé l'âge de te faire de telles misères... On est tous passé à autre chose." Voilà, il allait la jouer maturité, ce qui ne ferait que renforcer le côté gamin à vouloir se raccrocher à un passé depuis longtemps révolu. Et il se moquait bien de savoir que c'était plutôt perfide comme stratagème. "Et je suis désolé, si ça a encore une quelconque importance dix ans après." Ca ne lui coûtait pas grand-chose de faire des excuses et si ça contentait la petite merveille, alors pourquoi pas ? "D'ailleurs, tu t'es jamais trop défendu non plus. Et dans un cas comme ça, il faut toujours rendre coups pour coups. Toujours." Même s'ils étaient plus nombreux et plus forts, ne pas se poser en victime aidait. Ne serait-ce qu'à se regarder ensuite dans le miroir. Et il en savait quelque chose ! "Et même maintenant, si ça t'arrive encore..." C'était donc un conseil qu'il lui donnait-là, en même temps qu'une question non formulée. Du moins si elle n'était pas formulée verbalement, le long regard qui le détaillait parlait pour lui. Parce que soyons honnête, il avait tout de même le profil de la victime idéale ! Et là aussi, son regard parlait pour lui.

Il se la jouait donc cool -malgré la surprise que ça avait été de le voir là- et il parvint même à lui sourire. Sauf qu'il lui tourna le dos en le plantant là tout en l'enjoignant de repasser le soir pour voir Paco... Et depuis quand il se laissait dicter sa conduite par la petite merveille ?! Ne tenant donc absolument pas compte de ce qu'il venait de lui dire, il alla le rejoindre au bar où il s'assit à côté de lui comme si de rien n'était. Avisant la jeune femme qui rangeait des verres derrière le bar, il lui fit un grand sourire alors qu'il lui demandait. "Je pourrais avoir un café s'il vous plait ? Et ce qu'il a l'habitude de boire..." Alors qu'il désignait Bastien tout en parlant.

Se tournant vers celui-ci, il en leva les mains devant lui en signe de reddition. "Pour une fois que je me montre sympa avec toi, tu devrais en profiter. Et promis, je ne te veux pas de mal..." Comme s'il avait que ça à faire de ses journées ! Mais là, il montrait réellement patte blanche...

@Timothée Martin

Yep, that's a bully

Je ne suis plus l’ado d’autrefois ; du moins je pense avoir suffisamment évolué et pris confiance en moi, mais me retrouver face à Timothée me met dans une situation inconfortable et j’ai l’impression de me retrouver plongé des années en arrière. Et ses propos ne m’inspirent aucune confiance. Ses excuses auraient peut-être pu avoir de l’importance si elles avaient été un minimum sincère, mais on dirait plutôt qu’elles sont faites pour ne pas me voir demander à un vigile de l’escorter jusqu’à la sortie. « - Vous m’avez harcelé pour ce que j’étais, pile au moment où on cherche justement qui on est, alors ouais, ça a eu de l’importance pour la suite. »

Et c’est terrible de me dire que je viens de lui avouer que ses actes avaient été suffisamment impactants pour influencer le reste de ma vie après le lycée. Il pourrait le prendre comme une victoire personnelle. « - Je savais très bien que si je me défendais, vous auriez pu m’attendre en bande à la sortie des cours, et j’avais pas franchement envie de me faire casser la gueule tous les jours. » Certes, le sport m’a permis d’être musclé aujourd’hui, mais à l’époque, j’étais un ado frêle et je n’aurais absolument pas fait le poids. Mieux valait changer de couloir pour les éviter ou se trouver un coin tranquille pour déjeuner à l’abri des moqueries. Même si au bout d’un moment, les moqueries ont finalement porté sur le fait que j’étais souvent seul – un cercle vicieux.

Je roule des yeux quand il sous-entend que ce que j’ai vécu pourrait se répéter ici, comme si c’était moi le problème. « - Figure-toi que tout va très bien pour moi ici, les gens sont bien plus tolérants qu’à Paris. Ça va te changer. » Je n’ai jamais cherché à me cacher en public avec Svein, et c’est vrai que j’ai pu remarquer deux ou trois regards trop insistants pour être sympathiques, mais ça reste rare. Ici, en général, les gens se fichent pas mal de votre vie privée et ne cherchent pas à savoir ce qui s’y passe. C’est sans doute pour ça qu’une personnalité aussi mystérieuse qu’étrange comme l’Œil de Lynx s’est ramenée. Il ou elle jugeait peut-être que c’était trop calme à son goût.

Je retourne au bar en pensant qu’on en a fini là, mais il me suit et je ne peux pas m’empêcher de lâcher un soupir agacé. Ma collègue me regarde avec un air hésitant, mais je n’ai pas envie de la mettre en porte-à-faux, alors je me contente de hocher la tête pour lui signifier qu’elle peut le servir.

S’il a ce qu’il veut, il pourra partir plus vite, non ? « - C’est pas offert par la maison », je précise quand même, lorsqu’elle dépose devant lui le café et le jus d’orange pressé. « - Pourquoi t’es à Bergen ? Je vais commencer à croire que la maire fait une offre spéciale à tous les Parisiens.   »

Il voulait quoi ? Qu'il se jette à ses pieds en faisant son mea culpa ? Qu'est-ce que cela pouvait bien lui apporter plus de dix ans après ? D'autant qu'il avait refait sa vie loin d'eux, non ? Il ne comprenait donc pas vraiment pourquoi il insistait tant là-dessus alors qu'il ne s'était jamais défendu à cette époque-là. Quant à sa peur de se faire passer à tabac, au moins il aurait réagi. Et suffisamment pour pouvoir ensuite se regarder dans un miroir... Lui avait toujours eu peur pour sa sœur, jamais des coups qu'il aurait pu recevoir. Et s'il avait pu répondre aux coups de son père quitte à être laissé pour mort à terre sans le risque que celui-ci se retourne contre Illyana par la suite, il n'aurait pas hésité un instant ! Il aurait donc certainement jeté le même regard interloqué si une étrange créature avait soudainement débarqué d'une autre planète... "Pourquoi t'avais peur de te battre ? T'as une maladie qui t'en empêche ?... Et peut-être même qu'on l'aurait pas fait, ou qu'on aurait fini par laisser tomber." Bon ça, c'était évident à son ton qu'il n'y croyait pas trop. Il lui en voulait quand même pas mal à l'époque -et toujours maintenant d'ailleurs !- de lui avoir volé Paco. Mais s'ils l'embêtaient et l'insultaient à foison, ça n'avait pourtant jamais été jusqu'aux coups. Du moins lui n'avait jamais levé la main sur lui. Il n'aimait de toute façon pas perdre le contrôle de lui-même, ça lui faisait trop ressembler à son père. Même s'il fallait pas se mentir, ça arrivait parfois. Mais ça lui laissait toujours un arrière goût amer en bouche.

C'est que la petite merveille avait presque pris du poil de la bête avec les années. Il répliquait. C'était nouveau, ça. Et plutôt plaisant. Haussant un sourcil à cette découverte, il le rejoignit rapidement au bar où il leur commanda des consommations. Et oui, apparemment il se permettait maintenant de lui faire des réflexions. Et c'était un net progrès ! "Oh, apparemment t'es comme le bon vin, tu te bonifies avec l'âge... Mais c'est moi qui te rend si grincheux ? Faut pas." Souriant à la serveuse qui déposait leur boisson devant eux, il reprit rapidement, espérant calmer les choses par une semi-vérité. "Et je t'invite, bien sûr ! Tu n'as qu'à te dire que j'ai fait dix ans de taule plus que mérités et que ça m'a calmé." Ce n'était un secret pour personne qu'il avait été arrêté du jour au lendemain pour être jeté en prison. Et si cette arrestation avait été largement commentée par les journaux, ils s'étaient surtout arrêtés à l'assassinat de son père en insistant sur les détails bien gores comme la violence de l'attaque mais sans élaborer davantage quant aux raisons réelles de celle-ci. Quant à l'avoir calmé... Ca l'avait fait mûrir, c'était sûr.

"Et je suis ici pour bosser figure-toi. Et si t'as besoin de te sentir vengé, tu peux te dire que c'est un véritable enfer pour moi. Je crois que ça s'appelle le karma ou un truc du genre." Mais bon, il n'en semblait pas plus traumatisé que ça même si travailler huit heures par jour sur un bateau alors qu'on avait le mal de mer avait tout de l'enfer ! Ce qui ne l'empêchait pas d'en sourire alors qu'il demandait à son tour. "Et toi, pourquoi t'es à Bergen ?... Ne me dis pas que t'as fuit ici pour le côté "plus tolérant qu’à Paris." Parce que c'est pas un scoop mais c'est pas en fuyant les problèmes qu'on les résout..." Ouais... C'était pas à lui qu'il allait apprendre ça ! Allez, il avait une chance sur deux pour qu'il lui réponde qu'il avait suivi Paco jusqu'ici, et l'autre moitié des chances de ne pas avoir de réponse du tout.

@Timothée Martin

Yep, that's a bully

Je n’ai jamais aimé ressasser tout ça, et c’est pour ça qu’en apprenant à accepter Paco à mes côtés, j’ai aussi appris peu à peu à laisser le lycée derrière moi. Mais aujourd’hui, on dirait bien que les fantômes du passé sont de retour, et ils semblent décidés à ne pas me lâcher pour le moment. « -  Je n’ai pas dit que j’avais peur de me battre, mais qu’être seul face à 5 ou 6 types, ça aurait été ridicule. Je n’avais pas envie de me retrouver avec les deux bras pétés pour avoir égratigné lé nez de l’un de vous. » Bon certes, j’exagère, mais au moins, je suis réaliste sur mes capacités à me défendre à l’époque. Et puis eux, laisser tomber ? Aujourd’hui encore, j’ai bien du mal à y croire.

« - … Et j’ai jamais eu envie de blesser qui que ce soit. » J’y ai déjà pensé évidemment, et parfois ce scénario s’invitait même dans mon subconscient. Mais au réveil, je ne me sentais pas franchement soulagé d’avoir cassé la gueule à quelqu’un, bien au contraire. Pour moi, ça revenait à me rabaisser à leur niveau. Je ne suis pas tranquille face à Timothée et j’ai l’impression que ça se voit. Et pourtant, j’ai quand même envie de lui tenir tête, même si je n’ai rien à lui prouver. C’est peut-être pour rassurer le Bastien de 16 ans et lui montrer que j’ai réussi à passer à autre chose. Je roule des yeux quand il semble s’amuser de mes répliques, et je fais tourner le verre de jus d’orange entre mes doigts. Je suis étonné quand il me parle de prison, parce que même si j’avais bien entendu quelques rumeurs à ce sujet, je ne pensais pas que c’était autant d’années. Et pour le coup, je suis presque content que les autres employés ne parlent pas français, histoire de ne pas les faire paniquer.

« - Faut bien bosser pour manger ou se payer ce qu’on veut. » Une phrase d’une banalité affligeante, et j’espère qu’il me trouvera assez ennuyant pour partir par lui-même. Je prends une gorgée de mon jus quand il me retourne ma question, et je me crispe un peu, car sans le savoir, il touche dans le mile. Si je suis ici, c’était pour fuir une rupture amoureuse difficile, et les personnes concernées ont fini par être dans la même ville que moi. Est-ce que ça aussi, c’est le karma ? En tout cas, hors de question de me confier à lui comme s’il s’agissait d’un vieil ami. Je sais trop bien qu’il pourrait s’en servir contre moi, et je ne vois pas pourquoi je lui servirais ma vie privée sur un plateau d’argent. Mais je sais aussi que je suis un très mauvais menteur alors, je choisis de donner la deuxième raison, la plus évidente. « - Je faisais des études d’art et je veux évoluer là-dedans, sauf que je suis ni riche, ni « fils de », alors c’était mort à Paris. Il y a encore de quoi se faire une place ici. »

Mais qu'est-ce que Paco pouvait bien lui trouver ? Il balayait rapidement tous les sujets qui lui venaient à l'esprit et pour le moment rien ne ressortait du lot. Il trouvait même que le surnom qu'il lui avait donné était trop clinquant pour lui, presque trop blingbling. Parce qu'il en était toujours à chercher ce qui pouvait bien être merveilleux chez lui ! A moins que ce ne soit effectivement le côté princesse en détresse qui plaisait tant à Paco... Parce que là, il y avait de quoi faire en effet ! "T'as jamais eu envie de me refaire le portrait ?! De m'en coller une et de me voir m'écrouler par terre ? Ou de me voir à genoux pour implorer ton pardon ? Je te rassure tout de suite, je n'aurais jamais fait un truc pareil ! Mais juste dans ton imaginaire..." Il n'en revenait juste pas. Peut-être finalement qu'il ne l'avait pas assez harcelé ? Parce que comment pouvait-il n'avoir jamais eu envie de blesser qui que ce soit ? "Euh... T'es un Saint ? T'as des stigmates aux mains et aux pieds qui saignent sans raison à chaque jour saint du calendrier ?" Parce qu'à part ça, il ne voyait pas. Et ce fut plus fort que lui, avec un sourire moqueur il leva les yeux au-dessus de la tête de la petite merveille pour tenter de voir le reflet d'une quelconque auréole avant qu'il ne descende sur ses épaules pour tenter d'y voir quelques plumes d'un blanc immaculé. Foutue éducation religieuse !

Bien que c'était ridicule -Avait-on jamais vu un ange se préserver face au Mal ? Et cela quel que soit le nombre ?- il restait en tout cas sur ses positions, ils l'auraient bien plus respecté s'il s'était défendu envers et contre tous. Mais il n'avait même pas eu de bonne raison pour ne pas l'avoir fait, si ce n'est que c'était perdu d'avance... Et s'il avait retenu le Et alors ? qui avait failli sortir de sa bouche, il ne put rien faire cette fois-ci contre son expression ébahie face au Faut bien bosser pour manger ou se payer ce qu’on veut. "C'est pour ça que tu bosses ici ? Juste pour te payer à manger et pouvoir faire tes achats ?" Bon sang, même lui avait eu de meilleures raisons que cela lorsqu'il avait postulé pour cet emploi d'entretien en espaces verts... Ou même ici. Et il devait bien être le seul marin-pêcheur avec une nette propension au mal de mer ! "Remarque, je suppose que ce sont des raisons aussi valables que d'autres mais... Ca doit pas être folichon tous les jours." Au moins lui avait le mal de mer mais il savait pourquoi il bossait ! Et quoi qu'on lui ai donné à faire, que ce soit les tontes, le désherbage ou le tri et l'écaillage des poissons, il s'était toujours donné à fond et avec le sourire.

Mais il eut bien vite une explication, et peut-être même la raison de l'attrait de Paco pour lui. L'art... Même s'il ne comprenait pas trop le ni riche, ni « fils de ». Seul le talent comptait, du moins pour certains arts plus que d'autres. "Et c'est quoi ta branche ?" Parce que si c'était le cinéma, c'était tout de suite beaucoup plus compliqué à percer. Du coup, il était curieux alors qu'il attendait sa réponse tout en buvant une gorgée de son café, bien content d'avoir pu pour une fois éviter l'alcool.

@Timothée Martin

Yep, that's a bully

Les sourcils froncés, je l’écoute déblatérer tous les scénarios par lesquels j’aurais pu obtenir une quelconque vengeance, et je lâche un petit soupir en comprenant qu’il tombe à côté de la plaque. Évidemment que je m’en suis déjà pris à des objets en pensant à eux, par colère : par exemple, des coups de pied dans mon sac en rentrant des cours, claquer des portes chez moi quand il n’y avait pas de raison qui l’expliquait, ou un caractère de merde qui accompagnait tout ça, les jours où ça n’allait pas. La crise d’adolescence n’avait en plus rien arrangé à tout ça. Mais si je m’en étais pris à eux, je sais que le soulagement n’aurait été que de quelques secondes et que je n’aurais pas osé me regarder en face.

« - Ça t’avance à quoi si je te réponds que oui ? Je ne voulais pas être comme vous, c’est tout. » Et peu importe s’il prend une nouvelle fois ça comme une raison supplémentaire pour me dire que j’ai bien mérité tout ça, à refuser de me défendre. Je lâche un petit rire malgré moi à sa question, même si son sourire en coin tord quelque chose dans mon ventre, comme un souvenir du passé.

« -  Je suis très loin d’être un Saint, j’te rassure. » Cette fois où Paco s’est fait attraper par les flics et placé en détention pour une partie de la soirée, j’ai bien cru que j’allais entrer dans le commissariat pour en découdre avec ceux qui l’avaient fait tomber avec eux. Mais ce n’était pas franchement le lien idéal pour jouer des poings, n’est-ce pas ? Et puis, un Saint, ce n’est pas non plus quelqu’un qui vole le mec de sa meilleure amie, ni qui se retrouve aujourd’hui partagé entre deux hommes.

Évidemment, je veux éviter de lui expliquer les réelles raisons qui m’ont poussé à venir ici, mais je fronce les sourcils à ses questions. On n’est pas amis, et même si ça avait été le cas, dans une réalité alternative, il n’est là que depuis quelques minutes. Ça serait bizarre d’étaler sa vie si vite, même pour un ami de longue date. « - Tu m’as dit que tu bossais ici, ce sont donc pour les mêmes raisons, non ? Mais pourquoi la Norvège ? Je suis presque sûr qu’ils ont autant besoin de marins pêcheurs en Suède ou en Finlande. »

Parler de mon art, c’est déjà me livrer un peu, et c’est aussi prendre un risque face à quelqu’un qui n’a jamais manqué d’imagination pour se moquer de moi. Et pourtant, je sais que ça risque d’être pire si je n’y réponds pas. « - Je fais du dessin principalement, mais ça m’arrive aussi de faire de la photo.   » Je me souviens d’ailleurs de quelques croquis que lui et ses potes avaient pu déchirer en fouillant dans mon sac, mais je me doute bien que cet événement anecdotique est carrément sorti de sa mémoire, tant ça semblait être une routine pour eux.

Chercher à comprendre la petite merveille allait lui demander bien plus d'efforts qu'il ne l'aurait pensé. Parce qu'il pataugeait. Qu'est-ce qui chez lui pouvait intéresser Paco ? Il ne comprenait pas, et plus il lui parlait moins il comprenait. Mais il n'en était qu'au début, et il était déterminé à trouver ! Parce qu'il y avait forcément quelque chose. On ne restait pas dix ans avec une personne si on ne lui trouvait rien de particulier. Sauf si on se trouvait enfermé dans la même cellule avec elle, bien sûr...

Donc il cherchait. Et surtout, il galérait bien. Parce que de toute évidence la petite merveille ne comptait pas lui faciliter la tâche, ça serait évidemment trop lui demander ! Bien que c'était tout de même mieux comme réaction que le Je ne voulais pas être comme vous qu'il lui avait sorti. Comme quoi tout n'était peut-être pas à jeter chez lui. Et l'entendre dire qu'il n'était pas un Saint le rassurait, en effet. Même s'il se demandait bien ce qu'il avait pu faire pour que la Béatification lui soit refusée. "Et t'as fait quoi ? T'as volé des bonbons ?" Bon, il se foutait un peu de lui mais ce n'était pas réellement méchant, comme le prouvait son sourire amusé.

Il lui concédait cependant un point, et pas des moindres. Il avait sut évincer ses questions pour les retourner contre lui. Et ça l'amusa alors que bon joueur, il répondait en toute franchise. "Bien sûr que non que je ne bosse pas pour ça. D'ailleurs j'achète le moins possible. J'ai bien mieux à faire de mon argent." Même si ce n'était pas tout à fait vrai parce que s'il habitait effectivement un appartement au loyer très modique et qu'il faisait avec ce qu'il pouvait pour ne pas trop dépenser, il n'en restait pas moins qu'il s'achetait tout de même ses bombes de peinture. Après avoir passé presque dix ans cerné de murs gris sans aucun moyen de leur donner vie, il voulait rattraper le temps perdu. Quant au pourquoi de la Norvège, là aussi il ne vit pas l'intérêt de lui mentir. "Parce que j'ai suivi un type qui m'assurait un emploi calme et tranquille ici. Et il me devait bien ça." Sauf qu'il n'avait pas prévu qu'il aurait le mal de mer alors question calme et tranquillité, il pouvait repasser. Sans compter que le Viking n'avait pas vraiment eu la même vision des choses que lui lorsqu'il l'avait fait venir jusqu'ici. Est-ce qu'il le regrettait ?... Il avait revu Paco. Et la petite merveille, bien que cela il s'en serait bien passé. Du moins de les voir encore ensemble ici. Mais est-ce que rester ici malgré ces deux-là était le mieux pour lui ? Ca, il était encore bien trop tôt pour le dire...

Pour finalement se dire qu'il était temps de lui poser une question importante. "Au fait, c'est quoi ton prénom ? Parce que la petite merveille, ça te va bien mais tu dois bien avoir un prénom comme tout le monde, non ?" Alors soyons clair, les dessins déchirés ne l'avaient absolument pas marqué. Du moins pas plus que les copies de devoirs à rendre. Ca avait les affaires de la petite merveille, et c'était bien suffisant pour avoir une raison de les vandaliser. Donc le dessin et la photo... "Et pourquoi tu dis qu'il faut de l'argent ou être "fils de" ? Là, c'est que le talent qui compte. Soit t'es bon, même vraiment bon et on vient te chercher, soit tu fais comme moi et tu te contentes des murs de la ville. Ou de tout les supports que tu veux. Du moment que tu y trouves de quoi vibrer." Quelle importance d'être reconnu pour son art... On le faisait avant tout pour soi, pas pour les autres ! "Attends rien des autres, fais les choses pour toi. Juste pour toi. Tu t'en fous des autres, c'est juste ton regard qui compte. C'est le seul moment où tu es réellement libre, où tu peux faire tout ce que tu veux. Où tu peux être toi-même... Gâche pas ça." Surtout pour une reconnaissance bien futile. A quoi ça rimait franchement d'être reconnu par des gens dont vous n'aviez strictement rien à faire ?!

@Timothée Martin

Yep, that's a bully

Pour une raison qui m’échappe, il ne semble pas décidé à partir et revenir uniquement pour Paco. Pourtant, on ne peut pas dire que je lui offre une discussion digne d’intérêt. Je ne lui envoie pas de signes comme pourraient l’être ceux d’un ancien ami, et cette distance que je m’emploie à mettre entre nous étonne peut-être les autres employés du Blood Night, mais j’ai bien l’impression qu’il n’en a rien à faire. Et apparemment, lui assurer que je ne suis pas ce petit être sans défense et irréprochable, ça ne lui suffit pas. Mais il est hors de question que je m’épanche sur tout ce qui m’est arrivé ces dernières années. Ça serait trop bizarre de me confier à lui sur ça. Et puis, je n’ai pas oublié ses réflexions sur mon orientation. Je n’ai pas envie d’en entendre d’autres, je sais très bien ce qu’il en pense. « - J’ai trahi la confiance de quelqu’un, et non, t’en sauras pas plus. » Je reprends une gorgée de ma boisson, comme mettre un terme à cette partie de la conversation.

« - Tu peux toujours venir dépenser ton argent ici, si ça ne te dérange plus de voir les gens être qui ils veulent sans avoir peur d’être jugés. » Bien sûr, je ne serais pas ravi de le voir ici tous les samedis soir, mais c’est une pique comme une autre pour lui rappeler pourquoi je me montrais si « grognon » en sa présence – comme s’il avait besoin que je le lui rappelle vraiment. En revanche, le surnom qu’il me donne me fait froncer les sourcils, parce que ce n’est pas franchement ceux à quoi Timothée et sa bande m’ont habitué. À vrai dire, c’était plutôt des insultes autrefois, et même si je me demande d’où peut sortir celui-là, une petite voix me souffle que ce n’est pas la peine de demander. Probablement ma conscience qui essaie de me protéger, ou un truc du genre. « - … Bastien. »

Un peu décontenancé, c’est lorsqu’il me questionne sur ma vocation que je me détends légèrement et que je me mets à parler comme un livre ouvert, comme à quelqu’un qui me poserait simplement une question sur ma passion. « - C’est un milieu hyper fermé, d’ailleurs, certains conservateurs de musée sont des bourges, et même quand c’est pas le cas, la plupart ont pour habitude de travailler avec des personnes de leur entourage ou alors, avec des personnes qu’on leur a directement recommandées. Et j’ai eu assez de culot pour faire un stage au Louvre, alors je sais de quoi je parle. Mais c’est différent ici, j’ai l’impression qu’ils sont plus ouverts sur le monde et donc, sur ce qu’on peut leur apporter. »

Je me racle un peu la gorge et je reprends une gorgée de jus d’orange pour reprendre contenance, alors que je hoche la tête en regardant face à moi. « - Je sais que je suis doué. » Pas que j’aie spécialement envie de me vanter, mais je n’ai jamais recueilli que des compliments, et je pense que mes professeurs et les professionnels croisés au cours de ma jeune vie m’auraient bien vite stoppé si mon niveau était catastrophique. « - Désolé, mais… Toi qui me conseilles de ne pas prêter attention aux autres, c’est assez lunaire. »

Trahi ?! Et c'était ça qui pesait sur la conscience de la petite merveille ? Trop drôle ! "Mais tout le monde fait ça ! Où est le problème ? Regarde... Paco a bien trahi notre amitié lorsqu'il t'a pris sous son aile, te privilégiant toi sur moi." Et on se demandait bien pourquoi. Mais enfin, bref ! "Et j'en ai pas fait une maladie." Quoique... Il fallait le dire vite parce qu'il n'arrivait toujours pas à le digérer. Et d'ailleurs, il comptait bien remettre les pendules à l'heure dans... un avenir plus ou moins proche. Ca faisait dix ans qu'il attendait, il pouvait bien le faire encore un peu, le temps de voir comment il pouvait agir là-dessus. Parce qu'il comptait bien agir ! D'ailleurs, il était là pour ça parce qu'on ne pouvait pas dire que la petite merveille était un boute-en-train à lui tout seul.

Bien qu'en dix ans, la petite merveille avait pris de la répartie ! C'est qu'il en était presque admiratif... Sauf que bien sûr, il n'hésita pas à le renvoyer dans les cordes à son tour. C'est qu'il n'allait certainement pas le laisser avoir l'avantage sur lui, il ne manquerait plus que ça... "Pour ta gouverne, j'ai passé ces dix dernières années à tester tous vos trucs homo. Donc on peut maintenant dire que je fais partie de la famille !" Le tout dit avec un grand sourire. Qui se fana cependant assez rapidement alors que les souvenirs affluaient dans son esprit.  

Il écoutait Bastien donc avec attention -même si la petite merveille lui allait décidément mieux- puisqu'il n'avait en réalité aucune idée de qui il était réellement, et encore moins de ses espoirs ou de ses rêves. Mais il commençait à entrevoir ce qui avait pu attirer Paco, qui dans sa jeunesse s'était attaché à leur groupe de gamins populaires alors qu'ils n'avaient pour eux que leur certitude d'être meilleurs que les autres. Parce qu'ils étaient bons dans leur domaine respectif et ne s'en cachaient pas. Pourquoi l'auraient-ils fait d'ailleurs ?... "Je te crois sur parole, tu dois forcément être bon." A la différence que lui avait toujours cherché la liberté, autant dans son art que lors de ses escapades loin de la maison familiale à l'atmosphère étouffante. Et plus encore aujourd'hui après avoir connu dix ans d'enfermement. Bastien recherchait lui la reconnaissance de l'élite... Sans doute une peu à la façon de Paco avec eux...

Et il en était là de sa psychologie de comptoir lorsque la petite merveille le qualifia de lunaire. Il n'en fallut pas plus pour le faire réagir ! "Ce qui est lunaire, c'est que tu n'aies pas dépassé ça depuis tout ce temps. Les gens changent, et s'il le font pas c'est la vie qui s'en charge pour eux. Je veux dire... Je vais avoir trente ans et j'ai passé les dix dernières années dans une cellule de 3 mètres par 3 que je partageais avec une sorte de colosse. T'as passé ces mêmes dix années à vivre ta vie comme tu l'entendais. Tu es de loin le gagnant de l'histoire ! Mais on a l'impression que t'as pas évolué, que t'es resté figé dans le passé..." Il s'attendait à quoi ? A ce qu'il vienne, qu'il l'insulte et déchire ses dessins ? En une décennie, on était censé changer et pas seulement de lieu de vie ! "Regarde... Paco a réussi avec son club. Il a fait quelque chose de ces dix ans. Et toi, t'es toujours là accroché à lui. Mais tu t'émancipes quand ? C'est toi qui est lunaire." Et on ne pouvait pas dire qu'il y allait avec des pincettes. Ni même que le "lunaire" était bien passé !

@Timothée Martin

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Il marque un point : qu’on le veuille ou non, et même avec toutes les bonnes intentions du monde, on est toujours le méchant de l’histoire de quelqu’un en fonction des versions ou des ressentis des autres. On fait forcément souffrir les autres comme on nous a fait souffrir, alors je me contente de hausser les épaules quand il semble s’étonner de cette raison. En revanche, la suite m’étonne un peu. Bizarre pour quelqu’un qui me rapproche de m’attarder dix ans après sur ce harcèlement. Malgré ses propos, j’ai quand même l’impression que c’est quelque chose qui lui reste en travers de la gorge. « - Je lui ai jamais rien demandé, ni même de s’éloigner de toi. Au début, je pensais même que c’était une mauvaise blague pour que vous vous foutiez encore de ma gueule. »

Je l’avoue volontiers, je n’ai pas forcément été très tendre envers Paco au tout début, parce que je ne comprenais pas cet élan de sympathie après tous ces mois de moqueries pour des motifs stupides. Et puis, j’ai appris à m’habituer à sa présence, une complicité est née, et j’ai appris à l’aimer comme un frère. Aujourd’hui, je sais très bien qu’il représente l’un des piliers le plus important dans ma vie, si ce n’est le plus important. Certes, tout n’est pas toujours rose, mais je sais que je pourrai toujours compter sur lui, et j’espère que de son côté, il sait aussi que c’est réciproque. Je fronce les sourcils lorsqu’il me parle de « trucs d’homos », mais le sujet de la prison est suffisamment frais dans mon esprit pour faire le rapprochement.

« - Désolé que t’aies vécu ça. Je veux dire, la prison et ce qu’on t’a fait subir. » Côté insultes homophobes, j’ai eu ma dose avec Abby, mais aussi avec eux, alors, je suis assez aseptisé. Mais même si tout le monde a une idée de ce qui se passe en prison, je sais que je ne pourrais jamais vraiment imaginer ce que c’est, que de vivre pendant 10 ans dans de telles conditions. Je n’ai pas non plus besoin que Timothée me fasse un dessin pour comprendre alors, ça serait bizarre de ma part de relever seulement la partie sur les trucs d’homos. Évidemment que ça reste offensant, mais je comprends d’où ça vient.

En revanche, ce moment d’accalmie dans nos échanges semble assez court. Je reste silencieux à son commentaire sur mes capacités, parce que je ne vois pas bien là où il veut en venir, alors j’en profite pour terminer mon jus d’orange. En revanche, la suite me plaît moins, et je secoue la tête avec un sourire désabusé. « - Tu connais rien de ma vie, tu peux pas dire ça. C’est pas parce qu’on a une boîte et un appart ensemble que je lui colle aux basques toute la journée. » D’accord, les gens changent, mais je ne vois pas de différence dans sa manière de me rabaisser. Alors tant pis, comme si j’avais quelque chose à lui prouver, les mots quittent ma bouche plus vite que je ne le pense. « - Je compte monter mon centre d’art, t’auras qu’à prendre une carte d’abonnement à la rentrée. » Et je fais glisser mon verre désormais vide de l’autre côté du bar, avant de rejoindre celui-ci pour reprendre la feuille d’inventaire, estimant que la discussion s’arrêtait là. De toute façon, je sais qu’il ne partira pas si je l’invite à le faire.

Tout le monde aurait eu quelques doutes quant à ce changement soudain d'attitude, c'était donc presque rassurant de voir qu'il en avait été de même pour la petite merveille. Le contraire aurait été pour le moins inquiétant ! "En toute honnêteté, moi aussi je l'avais cru à ce moment-là." Et c'était bien ce qui avait fait si mal par la suite. Parce qu'il s'était rapidement rendu compte de la sincérité de la démarche de Paco. Parce que ça avait été la même sincérité que celui-ci avait eue avec lui avant l'arrivée de la petite merveille dans leur vie...

Alors voir celui-ci désolé pour lui, il s'en serait bien passé ! "Je suis un meurtrier et ex-taulard et je n'ai aucune honte à le dire. Et ce serait à refaire que je le referais exactement de la même façon." De quoi donc calmer ses grands élans de compassion absolument pas désirés. Quant à "ce qu’on t’a fait subir" là aussi, il recadra les choses. "On m'a rien fait subir du tout ! Ca va. Je ne suis pas une victime non plus, ou une pauvre petite chose fragile de ton genre... J'ai accepté de le faire et à ce que j'en sache, je suis toujours vivant." C'est qu'il était hors de question de se faire plaindre, et encore moins par la petite merveille ! Il ne manquerait plus que cela...

D'autant qu'il faisait des découvertes. Et le problème ne semblait pas être que dans les années écoulées mais aussi, et surtout, dans leur lien. Parce qu'un club ET un appart ensemble... Ensembles !? Il tombait des nues là et il n'aurait certainement pas pu le cacher même s'il l'avait voulu. En fait, il pourrait presque lui annoncer qu'ils partageaient aussi le même lit, au point où ils en étaient ! Mais est-ce qu'il avait vraiment envie d'en avoir la confirmation ? Paco lui avait dit qu'il était homo... Il ne posa en tout cas pas la question, préférant l'informer du pari qui avait été pris à son sujet. "Eh bien, je comprends mieux son pari sur le fait que je ne parviendrais jamais à te tenir la main ! Et t'inquiète pas, je ne l'aurais certainement pas fait. En tout cas, pas sans ton accord et après que tu aies pris connaissance de ce pari." C'est qu'il était tout de même un minimum honnête, lui. Contrairement à Paco qui avait décidément "oublié" de lui dire beaucoup de choses... Vraiment beaucoup de choses... Et alors qu'il y réfléchissait, un sourire amer vint prendre place sur ses traits. "Décidément, toujours aussi menteur celui-là." Alors qu'il le disait bien plus pour lui-même que pour la petite merveille.

Qui voulait ouvrir un centre d'art ? Son regard fit le tour du club appréhendant les lieux alors qu'il ne pouvait qu'admettre que c'était certainement du même niveau. Chic, classe et d'un niveau social "supérieur". Bien loin du bateau de pêche sur lequel il montait au petit matin alors que le jour n'était pas encore levé. Et c'était sûr que c'était pas dans un centre d'art que l'odeur du poisson allait vous coller à la peau ! Bon sang... Mais que quelqu'un lui dise ce qu'il foutait ici ! Parce qu'il ne savait même plus pourquoi il était venu et qu'il avait bien autre chose à faire que d'admirer leur petit bonheur rutilant. Soupirant, il sortit son portefeuille et paya les consommations avant de s'adresser à la petite merveille avec une folle envie de quitter au plus vite les lieux. "En tout cas, bonne chance pour ton centre d'art." C'était toujours mieux de lui souhaiter tout le bonheur du monde avec celui-ci plutôt qu'avec Paco. Parce qu'il y avait des choses dont il ne se sentait juste pas capable de faire...

@Timothée Martin

Yep, that's a bully

Je sais que je ne serais pas exactement la personne que je suis aujourd’hui sans la présence de Paco à mes côtés, et c’est assez étrange de le rappeler, parce que rien n’était gagné d’avance. Il y a des hauts et des bas, comme pour tout le monde quand on tient vraiment à quelqu’un, mais ça me paraît impossible d’envisager la suite sans lui désormais, même si je suis conscient qu’on sera sans doute moins proche qu’avant. Ce ne sera pas forcément de notre faute, c’est plutôt la vie qui veut ça, et ça a même un peu commencé, mais ça ne veut pas dire que c’est le début de la fin. Enfin j’espère. Je reste silencieux sur la partie prison, mais je fronce les sourcils à la nouvelle pique qui m’est lancée.

« - Je ne suis pas une victime, je me cache pas ici. » Pas que je l’aie réellement fait pour être honnête, mais j’avais quand même tendance à raser les murs pendant ma scolarité, et je savais qu’à Paris, mieux valait se montrer discret concernant sa sexualité. Malheureusement. Il n’y avait que lors de la Pride que je me sentais vraiment en sécurité, mais pour y aller et en partir, c’était toujours un peu l’angoisse, car tous les badauds n’étaient pas franchement bienveillants.

Lorsque je trouve que la discussion tourne en rond, je reste silencieux, pensant que Timothée va partir de lui-même. Je me remets alors à travailler comme si de rien n’était, mais tout s’enchaîne très vite, et il réussit à capter à nouveau mon attention. Sauf que je ne comprends pas tout, ni là où il veut en venir. Tout ce que je retiens, c’est le mot « pari » et j’ai l’impression d’une mauvaise blague, comme si on était de retour au lycée. C’est quoi cette histoire de me tenir la main ? « - Attends, un pari ? Comment ça, vous avez fait un pari sur moi ? » J’essaie de dissimuler comme je peux la déception dans ma voix, mais je crois que c’est peine perdue.

Son expression dubitative laissait à elle seule présager la teneur du discours qui allait suivre. "Euh... Si, tu étais une victime. Pourquoi crois-tu que Paco te protégeait comme ça ? Et qu'il est toujours là dix ans après ? Pourquoi tu n'as toujours pas pris ton indépendance vis-à-vis de lui et mené ta vie de ton côté ? Ca vous empêchait pas de vous voir... T'es peut-être plus une victime aujourd'hui mais tu agis toujours en tant que tel. T'as vraiment besoin d'un garde-chiourme ?" Et s'il semblait ne pas faire le moindre cadeau à Bastien, il était assez honnête pour ne pas s'en faire davantage à lui-même. "Et je sais de quoi je parle, je l'ai fait pendant dix ans moi aussi. Sauf que ce n'était pas par choix et que dans une prison, t'as pas vraiment les moyens de prendre ton indépendance." Il rajouta d'ailleurs tout en grimaçant. "Et j'ai été le premier à me pointer ici lorsque mon "protecteur" -on va dire ça comme ça- m'a proposé un boulot ici. Mais tu peux me croire que si j'avais su, je me serais abstenu !" Sauf qu'il y avait tout de même une différence de taille entre eux. "Mais moi, j'ai refusé d'habiter avec lui. Le boulot, c'est parce que j'avais pas le choix mais il n'était pas question que je me complaise là-dedans, non merci." Bref, il ne digérait pas l'appartement que Paco partageait avec lui, et le faisait savoir à sa façon !

Et parce qu'il ne le digérait vraiment pas, il fit un baroud d'honneur. Parce que ce n'était ni plus ni moins que cela. Et alors qu'il allait partir, se moquant éperdument -du moins pour l'instant- du résultat de la bombe qu'il venait de lâcher, il eut la surprise de voir la petite merveille réagir. Et visiblement, pas de la meilleure façon qui soit ! Alors qu'il se faisait un plaisir de lui répondre... "Ouais... Paco faisait genre "Il me mange dans la main" et pour le prouver il a parié que je ne réussirais pas à te tenir la main. Mais perso, je m'en fiche et je tiens pas spécialement non plus à te tenir la main..." Et surtout, il ne tenait pas spécialement non plus à être vu à tenir la main d'un autre mec ! Parce qu'il n'oubliait pas qu'il y avait toujours le personnel qui leur jetait de fréquents coups d'œil aussi discrets que curieux. "Pourquoi crois-tu que je te dis tout ça depuis tout à l'heure ? Pour t'embêter ?... Dix ans après, ce serait franchement nul, tu crois pas ?" Parce que bien sûr qu'il était de son côté ! Ca semblait évident, non ?

D'ailleurs, il lui fit face alors qu'il l'informait très sérieusement. "Je sais que Paco est cool mais il ne faut pas oublier non plus que c'est un menteur. Et un bon menteur en plus. Même moi, je me suis fait avoir... Prends de la distance ou vois ça avec lui, ou je sais pas... Trouve quelque chose qui le fasse enrager. Ca lui fera les pieds !" Et son sourire était pour le coup tout à fait sincère ! Et il n'avait qu'un regret, c'est qu'il ne serait pas là pour assister à tout ça. Mais il ne doutait pas que Paco allait tomber de haut et il n'en demandait pas davantage pour le moment.

@Timothée Martin

Yep, that's a bully

Évidemment, il rebondit sur le statut de victime, et bientôt, je fronce les sourcils, plus par confusion que par réel énervement, et je me surprends bientôt à me justifier de la situation. Pourtant, je ne devrais même pas en avoir quelque chose à faire de son opinion, mais soyons honnête, l’image qu’il dépeint de moi n’est pas flatteuse, et c’est peut-être pour le Bastien de 15 ans que je reprends la parole. « - C’est pas… comme ça. Quand on est arrivés ici, on était tous les deux dans une chambre étudiante et puis déménager ensemble, ça nous a semblé logique. On n’est pas collés h24 non plus, Paco a d’autres logements et ça m’arrive aussi d’aller chez mon copain de temps en temps. » Je me fige d’un coup, parce qu’évidemment que j’en ai trop dit dans mes explications, et il est hors de question de mêler Svein à tout ni, tout comme d’entraîner Timothée sur ce terrain-là. « - Je crois que ça nous fait juste plaisir d’avoir cette bulle de temps en temps. C’est pas un crime. »

Ma relation avec Paco, c’est comme un fil qui peut se détendre, longtemps ou non, mais qui ne casse jamais vraiment. Je crois qu’on a vécu trop de choses importantes pour qu’on finisse par se perdre de vue pour de bon. Néanmoins, ce que m’annonce Timothée retient désormais toute mon attention, et c’est difficile d’y voir clair parmi toute la horde de pensées et d’émotions qui me submerge. Un sacré point d’interrogation pourrait apparaître au-dessus de ma tête à ce moment-là, mais je reste tout de même méfiant. Bien sûr que ça pourrait lui ressembler (et c’est ce qui est le plus dérangeant), mais je n’oublie pas de qui ça vient et de l’intérêt qu’il aurait à inventer ça de toute pièce. Il a bien dit il y a quelques instants que je lui avais piqué Paco.

« - Pourquoi vous en êtes venus à parler de moi ? C’est bizarre, et qu’est-ce qui me dit que c’est la vérité ? » C’est difficile d’y voir clair, de ne pas se laisser submerger par le sentiment d’injustice du passé qui aimerait bien remonter à la surface. L’impression d’être le dindon d’une farce un peu trop grosse. « - Vous y gagnez quoi tous les deux ? Non attends, pourquoi t’es venu me le dire alors ? » Je ne sais pas franchement ce qu’il cherche à faire, mais si c’était me faire des nœuds au cerveau et me déstabiliser, il a réussi son coup. Malheureusement. Je ne sais pas franchement comment je pourrais aborder la chose avec Paco, mais je n’ai pas envie de laisser ça traîner. Et c’est bizarre qu’il ne m’ait pas dit de lui-même que Timothée était de retour. Ça me semble quand même être une info importante compte tenu de notre passé, non ?

Eh bien, il ne pensait pas en apprendre autant en lançant sa diatribe ! Que Paco ait réussi n'était en rien une surprise -et il préférait d'ailleurs ne pas comparer sa situation à la sienne, il n'était après tout pas encore masochiste- mais que la petite merveille puisse avoir un petit-ami tout en préférant habiter avec Paco, là il ne comprenait plus ! Quoique, il n'était pas sûr d'être parvenu un jour à comprendre quoi que ce soit chez lui. Mais là tout de même, il fallait le faire... "Mais... Pourquoi t'habites pas avec ton mec ?! Ce serait plus logique de faire l'inverse, tu sais ! Aller de temps en temps chez Paco et vivre ta vie avec ton mec." Au moins il avait un mec, ce qui était quelque part rassurant. Ce qui ne l'empêchait pas de tomber des nues alors que des explications commençaient à se faire jour dans son esprit. Tout en sautant à la plus évidente même si à sa décharge, on ne pouvait pas dire que Bastien se montrait explicite ! "A moins que... Il soit déjà avec quelqu'un et que tu sois l'amant dans le placard ? Genre un hétéro avec femme et enfants qui se tape un homo pour le fun... Bien qu'il faudra qu'on m'explique où est le fun là-dedans. Mais qu'est-ce que tu fous avec un type pareil ?!" Et il n'hésita d'ailleurs pas à recadrer les choses. "De temps en temps... Tu vis quand même avec Paco ! J'appelle plus ça de temps en temps." Parce qu'il ne fallait pas non plus le prendre pour un lapin de six semaines !

Et puis, il lâcha sa petite bombe juste parce qu'il n'avait plus rien à perdre et après moi, le déluge... Pour ce qu'il s'en moquait ! Il ne s'était juste pas attendu à ce qu'elle fonctionne si bien. Mais si ces deux-là pouvaient s'écharper, il serait le premier à vouloir profiter du spectacle ! "Est-ce que je t'ai déjà menti ? C'est pas moi le menteur... Et même par omission, parce qu'il est très doué à ce niveau-là, un mensonge reste un mensonge." Haussant les épaules avec indifférence, il lui conseilla la chose la plus logique à faire. "Tu n'as qu'à aller le lui demander. Normalement, à toi il ne te mentira pas. Moi, je ne peux pas en dire autant..." Et il ne cachait clairement pas son amertume à cet état de fait. Quant à la suite de ses questions, il y répondit avec la même franchise sans la moindre trace de culpabilité ou même seulement la moindre gêne. "Ce que Paco y gagne ? Rien du tout, il risque même d'y perdre. Et c'est juste un peu ce que je recherche... En fait et je suis désolé de te le dire, mais tu n'as été qu'un pion entre nous. Une façon détournée de savoir qui aura gain de cause sur l'autre. Et je pensais sincèrement avoir perdu, mais apparemment peut-être pas !" Et pour le coup, il en souriait plutôt satisfait de sa petite manœuvre. Finalement il n'aurait pas perdu son temps à venir jusqu'ici...

Pour trouver finalement dommage de s'arrêter là. Il réfléchit donc à toute vitesse au coup d'estoc qu'il pourrait lui porter et trouver l'argument parfait. Celui en tout cas qui pourrait longuement le faire cogiter sur sa relation avec Paco. Son ton s'était en tout cas fait plus songeur, et presque sympathique comme s'il prenait soudainement conscience d'un nouvel élément. "En fait, je te mets tout sur le dos mais peut-être que ce n'est pas toi finalement qui t'accroche à Paco mais l'inverse. Et que ce serait lui qui te vampirise au point de t'empêcher de vivre ta propre vie. Et je sais, tu vas me dire que non mais au lycée il me collait aussi bien à l'école qu'en dehors... Toujours à me suivre partout où j'allais... D'abord dans notre groupe, puis moi plus personnellement et ensuite du jour au lendemain, toi..." Il aurait bien voulu rajouter qu'un jour, celui-ci lui fera ce qu'il lui avait fait, il le lâcherait pour quelqu'un d'autre mais après dix ans, ça aurait juste semblé ridicule.

@Timothée Martin

Yep, that's a bully

Évidemment que j’en ai trop dit, mais je pensais que son dégoût serait suffisant pour qu’il fasse comme s’il n’avait rien entendu au sujet de mon petit ami. Sauf qu’évidemment, il en profite pour rebondir sur le sujet. Je sens mes joues rougir quand il me parle d’un amant caché dans le placard, et je me racle la gorge pour reprendre contenance. Il est bien loin de s’en douter, mais il a plutôt vu juste pour une autre de mes histoires. Pas en totalité, mais il y a du vrai. Espérons qu’il n’ait rien remarqué ou que les lumières du Blood Night soient suffisamment allumées pour qu’il ne remarque pas ce changement de couleur. « - C’est pas du tout ça, il est bi mais il m’accepte parfaitement. C’est juste que… Il s’est passé plusieurs choses qui ont fait que je ne me sentais pas de laisser Paco tout seul, c’est tout, et puis ça a traîné. » Bien sûr qu’il a été question d’emménager chez Svein plusieurs mois, et bien sûr que mon indécision a aussi donné lieu à quelques tensions, pas loin de la dispute même.

J’ai bien les clés de son appartement, mais tant qu’il n’est pas rentré à Bergen, ça me ferait bizarre d’y être, ça me donnerait simplement l’impression d’être un profiteur. « - J’ai quand même été pas mal seul ces dernières semaines, et ça peut aussi être le cas de son côté. Et puis euh, on a un chien en commun. » Les sourcils froncés, je doute que cette explication soit assez plausible pour le convaincre du pourquoi de notre colocation. Il y a sans doute des choses à prendre et d’autres à laisser dans ce qu’il me raconte sur Paco et cette histoire de pari, mais c’est malheureusement assez vraisemblable pour que ça prenne toute mon attention. Je veux dire, ça expliquerait en partie pourquoi Paco est resté silencieux sur ce retour surprise.

Je fais de mon mieux pour rester silencieux et/ou contrôler mes émotions, histoire de ne pas lui donner de nouvelle matière pour m’atteindre ou se moquer de moi. Toutefois, je sens mes doigts se crisper au mot « pion ». Ça ne ressemble pas au Paco que je connais, mais une fois encore, je n’étais pas là pour assister à ce qui s’est dit ou ce qui s’est passé entre eux. « - C’est toi qui disais que de l’eau était passée sous les ponts, mais ça ressemble à une mauvaise blague que vous auriez pu me faire. » Si Paco tenait à gagner, pourquoi est-ce qu’il ne m’en a pas parlé à l’avance ? Ça m’aurait presque rassuré, s’il m’avait expliqué que ce n’était rien qu’une mauvaise blague entre eux.

Être dans la confidence aurait sans doute rendu la chose moins bizarre et déconcertante. Là, j’ai l’impression de n’être que le dindon de la farce, tandis que mon côté le plus rationnel me souffle qu’il y a sûrement une bonne explication à tout ça. Mais je tombe quand même de quelques étages, et si tout ce qu’il m’a dit s’avère vrai, c’est carrément une enclume que je risque de me prendre en pleine tête. « - Je vais lui en parler et je verrai bien si tu me mènes en bateau pour foutre la merde ou si vous me prenez pour un imbécile tous les deux. Et c’était quoi, les récompenses du pari ? »

Pas de hauts cris ? Ou de dénégations outragées ? Il avait donc visiblement tapé juste. Ce qui ne serait de toute façon guère étonnant. La petite merveille était bien du genre à se faire avoir, et sans broncher en plus ! C'est que pour un peu, il aurait presque pu comprendre la propension de Paco à vouloir le protéger tant il faisait petit oiseau tombé du nid. Pas de chance pour celui-ci, les animaux tout doux aux grands yeux larmoyants n'étaient pas vraiment son truc. Même si c'était visiblement le truc de Paco... Et plus il parlait avec lui et plus il se demandait lequel entre Paco et la petite merveille s'appuyait réellement sur l'autre... D'une certaine façon, il dérangeait un couple. Bizarre et au fonctionnement certainement pathologique, mais un couple tout de même. Jusqu'à même avoir adopté un "bébé". "Ces dernières semaines... Un chien en commun... Et la bague de fiançailles, c'est pour quand ?" Dieu ! Est-ce qu'il pouvait vomir ? Parce que là il pensait avoir atteint le summum de ce qu'il pouvait entendre...

Et pour arranger le tout, la petite merveille se plaignait encore ! Mais qu'est-ce qu'il devrait dire, lui ?! "Si tu pouvais arrêter de tout ramener à toi, ça nous ferait des vacances... Tu sauras que la situation me déplait autant qu'à toi. A la base, je graffais tranquillement sous mon pont ferroviaire sans rien demander à personne quand Paco s'est pointé. Et il n'était pas là par hasard, j'étais attendu. Et tu me croiras si tu veux mais il a juste un peu "oublié" de me parler de toi..." Libre à la petite merveille de le croire ou non, il s'en moquait. Il avait déjà bien assez à faire avec le sentiment de s'être fait avoir lui aussi. Au même titre que la petite merveille... Et ça, ça lui plaisait clairement pas. "Ce n'est pas moi la mauvaise blague ici. Qu'est-ce que Paco fout ?! Parce que j'ai juste l'impression qu'il se fout bien de notre gueule à tous les deux. Alors toi, je m'en fiche mais moi non, ça passe clairement pas." Et s'il suivait son raisonnement, c'était à peu près là que les deux ennemis héréditaires étaient censés se liguer ensembles contre le troisième larron. Sauf que posant le regard sur celui-ci, il bloqua et... Joker ?

Et s'il hausa les épaules avec indifférence à sa volonté d'aller chercher la "vérité" auprès de Paco -plus menteur, tu meurs !- il lui accorda cependant un bon point lorsqu'il lui demanda l'enjeu du pari. Finalement, il savait tout de même réfléchir un minimum... "Si je perds, je dois être son esclave pour 24 h." Ca n'avait pas été les termes exacts mais le résultat revenait de toute façon à ça. Souriant, et de façon presque aussi sympathique qu'amusée, il se retrouva à avouer à la petite merveille ce qu'il n'avait pas dit à Paco. "Tu ne me croiras sans doute pas mais j'ai rien demandé en contrepartie... Je trouvais ça suffisant de pouvoir prouver à Paco que je pouvais gagner, même si à la réflexion je préfère perdre. Je suis plutôt intrigué de savoir ce qu'il veut me faire faire dans ces 24 h... Quitte à être un pion moi aussi, je voudrais bien savoir ce qui l'anime." Et dire que la petite merveille avait des doutes quant à sa sincérité... Finalement, il revenait sur toute l'intelligence qu'il lui accordait !

@Timothée Martin

Yep, that's a bully

J’essaie de faire comme si de rien n’était, mais j’ai eu chaud, et même très chaud. Timothée est loin de s’en douter, mais il a bien failli mettre le doigt sur mon plus gros secret. Certes, il n’avait pas toutes les cartes en main, mais suffisamment pour me déstabiliser. C’est bien la preuve que je dois faire attention aux émotions que je laisse entrevoir en sa présence, et même aux informations que je fais fuiter malgré moi. J’essaie tant bien que mal de retomber sur mes pieds et de justifier le pourquoi du comment, Paco et moi habitons toujours ensemble. C’est vrai que ça nous semble tellement naturel que je ne me pose plus vraiment la question. C’est comme un repère habituel et réconfortant – on sait tous les deux qu’on finira bien par faire notre vie et déménager à un moment ou un autre, mais j’ai l’impression qu’on se rattache encore à ce cocon quand on a besoin.

« - Jamais, on s’est jamais vus comme tels », les sourcils froncés, je lui réponds presque automatiquement tant ça me paraît évident. Mais sa question ne m’étonne pas vraiment. Quand on était encore à la résidence étudiante de Bergen, on a dû répéter un nombre incalculable de fois que nous n’étions pas ensemble – même Sven y a cru, ce qui a donné une scène assez cocasse pour une première rencontre entre lui et moi. Enfin bref.  Si je veux essayer d’en savoir plus ou du moins, de comprendre un mieux ce qui se passe, je suis obligé de prendre sur moi et de continuer de l’écouter. C’est difficile de démêler le vrai du faux, de garder assez de sang-froid pour ne pas alarmer les autres autour ou pour que ne lui donner raison et passer à ses yeux pour ce gamin qui n’est jamais passé à autre chose.

C’est pourtant normal de s’énerver contre lui. Mais au lieu de ça, j’encaisse les piques, la mâchoire un peu crispée, et je trouve l’astuce de regarder le zinc pour me concentrer sur quelque chose et réfléchir à ma guise, sans me sentir piqué par des yeux qui roulent ou un sourire moqueur. « - T’insinues qu’il aurait pu te voir à l’avance ou connaître les gens qui devaient te rejoindre ? Ça veut forcément dire que t’es ici depuis un moment, non ? » C’est compliqué d’essayer de relier tous les points, surtout sans le troisième intéressé. J’ai l’impression d’avoir des énormes points d’interrogation au-dessus de la table, et j’esquisse un soupir presque amusé en l’entendant s’offusquer lui aussi de la situation.

« - Qu’est-ce que tu proposes, une confrontation à trois ? Vous seriez incapables de garder votre calme l’un comme l’autre. » Ça me paraît être une très mauvaise idée en effet, et pourtant la situation ne peut pas rester si emmêlée indéfiniment. Je m’imagine mal revoir Paco dans les prochaines semaines et agir comme si rien ne s’était passé aujourd’hui. Le mot « pion » résonne pendant de longues secondes dans ma tête, et bien sûr que ça me blesse, mais je veux de mon mieux pour me répéter que ce n’est pas si facile et qu’il y a sûrement une bonne explication à tout ça. Si Paco m’a caché la présence de Timothée c’était uniquement pour me protéger, quoi d’autre ? Oui mais alors, pourquoi ce pari ? Pourquoi prendre le risque qu’il me révèle tout ?

C’est comme si Paco n’avait pas du tout pris en considération ce que j’aurais pu dire ou penser de tout ça, ni même ce qui aurait pu m’arriver, et cette pensée est suffisante pour faire tordre mon ventre. Je prends malgré tout sur moi pour tenter de découvrir l’enjeu du pari, du moins ce que Paco aurait à y gagner, et ça me rend plus confus qu’autre chose. « -  Ça n’a pas de sens… C’est quoi, un jeu entre vous pour savoir qui pourrait prendre le dessus l’un sur l’autre ? »

Une nouvelle fois, il en leva les yeux au ciel. Parce qu'il commençait à connaitre la chanson, ils n'étaient pas ensembles à la façon d'un couple amoureux mais vivaient tout de même sous le même toit depuis plus de dix ans, avec un chien adopté en commun... Et n'importe qui face à une telle situation dans une série télé trouverait ça louche, non ? Bah, il en était exactement là ! Mais sachant qu'il n'en tirerait rien de plus, il finit par laisser tomber le sujet. Il fallait dire que le coup du chien adopté ensemble avait été le coup de massue dont il se serait bien passé.

Alors forcément, il eut beaucoup à dire pour la suite. Pourquoi devrait-il être le seul à s'en prendre plein la figure alors qu'il n'avait rien demandé ? "Ah mais moi, j'insinue rien du tout. Je dis. Et ce que je dis, c'est qu'il m'attendait sous ce pont et il savait très bien que personne m'y rejoindrait, je tague toujours tout seul... Enfin, sauf lorsque Paco m'accompagnait, ça a toujours été la seule exception. En tout cas, il a fait exprès de ne pas me parler de toi. Et apparemment, il n'a pas jugé bon de te parler de moi non plus..." Est-ce que c'était plus clair comme ça ? Et pour rendre les choses encore plus claires, il poursuivit avec un petit sourire moqueur au coin des lèvres. "Mais t'es sûr qu'il te fait vraiment confiance ? Parce que... Enfin, c'est pas moi qui vit avec lui donc jusque-là, c'est presque normal qu'il ne m'ait rien dit à moi mais... Toi ? C'est bizarre qu'il ne t'ai rien dit, non ?" Et là, il insinuait bel et bien !

La petite merveille n'avait en tout cas pas tort quant au résultat fort probable d'une telle confrontation. Ca allait forcément en finir en dispute, voire même aux mains, entre Paco et lui. En vérité, ça ne lui faisait pas peur mais pas devant la petite merveille qui risquait de bien trop se satisfaire de la situation. Après tout, ce serait exactement ainsi qu'il réagirait à sa place. Il préférait donc passer son tour. "Tu n'auras qu'à lui dire qu'il a gagné son pari et qu'il peut donc venir réclamer son prix quand il le veut. Je suis à sa disposition." La seule chose qu'il regrettait était qu'il ne serait pas là pour assister à cela. Parce que s'il n'y aurait pas confrontation à trois, il n'y avait pas à douter qu'il y aurait confrontation à deux, entre Paco et la petite merveille. Et rien que cela le faisait doucement sourire de contentement. Après tout, il fallait savoir se satisfaire de ce qu'on pouvait avoir... Quant à l'enjeu du pari, il en haussa les épaules d'indifférence non feinte. "Bien sûr que c'est de ça qu'il s'agit ! Et en t'utilisant comme objet du pari... Mais il aurait quand même pu t'en parler, ça te concerne après tout. Mais je suppose qu'il n'est pas à un mensonge près, même envers toi..." Chose qu'il n'aurait pourtant pas pensé possible...

Posant un long regard songeur sur lui, débattant le pour et le contre, il finit par l'informer. "En fait, c'est ça depuis qu'il m'a rejoint sous le pont. Et je dois admette... qu'il gagne. A chaque fois. Que ce soit lorsqu'on s'est battu dans les toilettes ou... Lorsque je suis venu lui demander un service... Quelque chose d'important pour moi et qui te concernait en rien mais... Il s'est servi de toi, indirectement, pour refuser. Parce qu'il ne pouvait que savoir que sa condition ne passerait pas... Et franchement, j'aurais préféré qu'il refuse sans se servir de toi comme excuse. Ca aurait été plus cool. Et je sais bien que c'est pas de ta faute mais..." Il se passa dans un geste nerveux les mains dans les cheveux, tentant d'endiguer la colère qui montait en lui. "Mais merde, j'en ai marre que tu sois toujours là dans mes pattes. Ca fait dix ans ! Et t'es encore là... Quand est-ce que tu vas dégager ?!" Jamais. Il l'avait sa réponse, elle lui était venue aussitôt sa question posée. Alors qu'une autre réponse lui venait elle aussi à l'esprit. Ce sera à lui de dégager, la place était déjà prise. Depuis dix ans.

@Timothée Martin

Yep, that's a bully

C’est difficile de savoir ce qui s’est passé dans la tête de Paco, c’est vrai. Et il est bien facile de se dire que les absents ont toujours tort. Je fais de mon mieux pour rester impartial, mais ça devient difficile de l’être entre ces émotions refoulées d’un ancien moi encore blessé, et ce que Timothée aimerait bien me mettre en tête pour m’effacer complètement du tableau. Je me doute bien que c’est la chose qu’il souhaite le plus au monde, comme si je lui avais gardé la place chaude toutes ces années, pour partir sagement une fois qu’ils sont réunis tous les deux. Est-ce que ça va être ça, maintenant ? Garder des non-dits et ne pas réussir à savoir ce qui se passe ? Est-ce que tous les deux me laisseront m’effacer par dépit au lieu d’avoir des explications claires ? « - C’était peut-être pour éviter qu’on finisse par se croiser, mais Bergen c’est quand même petit. » Plus petit que Paris en tout cas. Et c’est difficile de croire que Paoo n’a pas pensé un seul instant qu’on pourrait se croiser, que ce soit à l’appartement ou même au Blood Night.

Il y a tellement d’occasions pour le faire, et voilà que c’est arrivé même bien vite. Les sourcils froncés, je n’ai même pas envie de remettre en cause la confiance de Paco, parce que c’est trop douloureux, évidemment. « - C’est la première fois qu’il ne me dit pas quelque chose, et je lui ai toujours prouvé qu’il pouvait compter sur moi. Je ne vois pas pourquoi il n’aurait pas ou plus confiance en moi. » Bien sûr, il y a des choses dont je ne suis pas au courant, mais je n’en ai même pas conscience. Et puis si je dois être totalement honnête, il y a aussi des choses dont Paco n’est pas (encore) au courant, comme mon rapprochement avec Orel, qui, je le sais, n’est pas anodin, même s’il ne s’est rien passé de grave pour le moment. Mais être son meilleur ami ne veut pas dire ne pas avoir de jardin secret, pas vrai ? On n’est pas obligés de tout se dire – je pensais seulement qu’on se dirait le plus important, le plus grave, mais je me suis trompé apparemment.

J’ai l’impression de me retrouver dans une situation cul-de-sac une nouvelle fois, sans trop savoir quoi faire. Forcer une confrontation me semble être une très mauvaise idée, et honnêtement, c’est la seule chose sur laquelle on semble se mettre d’accord. « - Vous êtes quand même sacrément tordus », je finis par lâcher, plus pour moi-même qu’autre chose, même si je me doute que ça ne manquera pas de tomber dans ses oreilles. Évidemment que c’est loin d’être agréable de découvrir qu’un pari a été fait sur vous, mais ça l’est encore plus de l’apprendre par Timothée. En fait, Paco ne m’a pas du tout pris en compte dans cette histoire, et j’ignore ce que j’ai bien pu faire ou dire pour avoir si peu d’importance tout à coup.

La réponse est simple : rien, mais j’imagine que c’est sa fierté qui a parlé. Dans les secondes qui suivent, Timothée reprend son attaque avec tout un dégueulis de mots. Il aborde encore des situations dont je n’ai aucune idée, parle d’une bagarre, d’un service rendu. Ça ne fait que multiplier les points d’interrogation au-dessus de ma tête, et mes sourcils se froncent en même temps que mes poings se serrent sur la surface du bar. C’est trop d’un coup à encaisser en une seule soirée. « - J’y suis pour rien s’il se sert de moi comme excuse, je compte pas m’excuser pour ça. En revanche toi tu peux dégager de ma boîte. »

Même là, avec tout ce qu'il pouvait lui présenter sous les yeux, il fallait que la petite merveille trouve des justifications aux actes de Paco. Excuses qui en plus ne tenaient absolument pas la route ! Parce que oui effectivement, Bergen était petit. Et oui, ils se seraient forcément croisés à un moment ou à un autre. "Peut-être qu'il comptait te faire croire que t'avais des visions le jour où tu m'aurais vu faire la queue au supermarché ?" Ca aurait encore pu être son plan, après tout c'est de Paco qu'on parlait et il n'était plus à un mensonge près. En tout cas, ce n'était certainement pas lui qui irait lui chercher des excuses ! Il ne fallait pas le prendre pour un lapin de six semaines non plus... D'ailleurs la suite, lui fit cette fois-ci lever les yeux au ciel alors que la remarque suintante de raillerie tombait de ses lèvres. "Oh, pauvre petite chose... Tu veux un mouchoir pour pleurer ? C'est surtout que ça doit pas être la première fois, réveille-toi un peu !" Il ne pouvait quand même pas être si naïf, n'est-ce pas ? Quoique... C'était de la petite merveille qu'on parlait ! "Et quand je te harcelais, tu te disais que je ne le faisais pas exprès et que je cherchais surtout à devenir ton ami ?" Non, parce que c'était à peu près du même acabit.

En fait, peut-être qu'on devrait le secouer un peu plus souvent parce qu'il parvint à sortir par la suite quelque chose de tout à fait intéressant. Et d'ailleurs son ton se fit tout de suite beaucoup plus sérieux et nettement plus conciliant. "Pour le coup, t'as pas tort. Que moi je réagisse comme ça, c'est normal mais lui ? Pourquoi être venu me chercher sous mon pont ? Surtout si c'est pour en arriver à ça..." Sauf que l'accalmie ne dura pas bien longtemps et qu'il se retrouva bien vite à déverser tout son agacement quant à l'existence même de la petite merveille. Du moins son existence auprès de Paco, parce que pour le reste du monde, il s'en moquait totalement. Les représailles ne se firent elles non plus, pas attendre et il l'enjoignit de quitter SA boite, toujours sympa pour Paco ça... Il ne chercha cependant pas à s'imposer davantage et ce fut sur un signe de tête qu'il accueillit ce renvoi avant de se détourner sans un mot vers la sortie. Et il dût bien avouer que le bon bol d'air frais lui fit le plus grand bien.

@Timothée Martin

Yep, that's a bully

Plus j’essaie de trouver une raison valable pour laquelle Paco ne m’a pas parlé de Timothée, moins j’arrive à me convaincre. Et évidemment, avoir les réactions du concerné en direct en face de moi ne m’aide pas à voir les choses plus clairement. Sûrement qu’il le fait exprès pour me déstabiliser davantage, et je dois avouer bien malgré moi que ça marche. « - Ou il pourrait me faire croire qu’il ne le savait pas non plus. » Je conclus avec un soupir. Une petite voix me souffle que ce serait uniquement pour me protéger, mais d’un autre côté, il  y a une fine limite entre protéger et prendre l’autre pour un imbécile, non ?

« - Au moins tu reconnais que tu m’as harcelé et pas juste "embêté", on avance. » Je relève avec ironie. Ça devient difficile de ne pas céder à la pulsion de lui crier dessus à mon tour, et si je dois être tout à fait honnête, c’est la présence du personnel autour qui m’aide à garder un minimum de sang-froid, même si je sens qu’il peut s’effriter de seconde en seconde, et ça se voit sans doute sur mon visage. « - J’ai pas l’impression d’être la personne qui le connaît le mieux apparemment alors, va donc lui demander toi-même. »

Je ne sais pas si c’est mon temps ou la situation, mais j’aperçois un léger mouvement de la part de la sécurité avant que Timothée ne commence à se diriger vers la sortie. Une fois seul, je pousse un énième soupir, et face au silence et aux regards lourds sur moi, probablement en quête de réponses, je souffle simplement à tout le monde de prendre une pause s’ils le souhaitent, et je me dirige vers le bureau sans un mot.