what’s left of this moment (ft. heidi)

|	what’s left of this moment ; ft. Heidi

— Ces dernières semaines ont été compliquées, c’est le moins qu’on puisse dire. Il se passe des choses avec tout le monde, et pas des bonnes choses. En quête d’une rédemption que je ne mérite probablement pas, ça fait quelques temps déjà que je réfléchis à aller m’excuser auprès d’Heidi. Mes propres peurs n’ont rien à voir avec ce qu’elle a vécu, je n’aurais jamais du lui faire ça. Et dans un coin de ma tête, je garde nos déjeuners et nos conversations légères pour que ça ne devienne pas un souvenir vague et distant qui n’aura jamais vraiment compté pour moi. Ça a été difficile à réaliser, mais je crois qu’elle me manque. Je pense que j’avais une amie, et que j’ai tout foutu en l’air pour me protéger sans penser une seconde à elle ; et je pense que c’est aussi ce que ma sœur me reproche.
Je pourrais me ronger les ongles encore longtemps et faire semblant que tout va bien, mais une fois n’est pas coutume, j’ai décidé de faire quelque chose. Étant donné qu’elle ne veut sûrement plus me parler, il faudra que je fasse preuve d’un peu d’imagination pour l’atteindre. Peut-être qu’elle ne va pas me pardonner et peut-être que je vais rater mon coup et m’enfoncer encore plus. C’est possible, probable même – vu mes compétences en ce qui concerne les gens.
A califourchon sur ma chaise, je ferme le livre de mathématiques et jette un coup d’œil discret à l’énorme boule de poils qui me sert de chaton. Je ne crois pas que ça soit toujours un chaton d’ailleurs, il faudrait peut-être que j’aille demander au refuge jusqu’à quel âge on peut dire que ce sont des bébés. Une moue songeuse sur le visage, je plisse les yeux et jauge un peu la situation. Doucement, j’attrape un post-it et un marqueur sur mon bureau. C’est une idée stupide que je viens d’avoir là. Je dirais même désespérée. Mais je n’en ai malheureusement pas d’autres.

Un instant plus tard, je quitte ma chambre étudiante avec Bali dans les bras, en direction du parking de la résidence. Au volant de ma voiture, j’ai du mal cacher l’appréhension qui me dévore de l’intérieur. Elle va sûrement me remballer, cette fois. Mais qui ne tente rien n’a rien, enfin il paraît. Sans trop y penser, je conduis jusqu’à la rive droite et me gare pas loin de l’immeuble où elle habite. Est-ce que c’est bizarre que j’ai retenu où elle a son appartement ? Oui, un peu. Peut-être aussi que c’est très glauque de me pointer chez elle sans y avoir été invité. Surtout à cette heure-là. J’aurais peut-être du y penser avant.
Arrivé devant la porte, je me dirige vers l’interphone et cherche son nom dans la liste. Une fois repéré, je prépare alors mon acolyte de la soirée pour son grand rôle dans mon plan bancal. Le post-it collé à son collier, j’appuie sur le bouton qui appellera Heidi et présente Bali devant la caméra du bout des bras. Sur le post-it, elle pourra lire mon message en lettres noires. « Kan vi snakke ? » J’espère juste que ça ne va pas se décoller avant qu’elle n’ait pu voir ce qu’il y avait marqué, mais heureusement, mon chat est suffisamment paresseux pour ne pas trop gigoter.

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— Il se passe de longues secondes, où avec Bali à bout de bras devant la caméra de l’interphone, je commence à me demander si je ne ferais pas mieux de juste abandonner. Il y a quand même peu de chances pour qu’elle m’ouvre, et j’ai l’engourdissement qui s’installe jusqu’au bout des doigts. Pourquoi elle m’autoriserait à monter, de toute façon ? Mais très vite, j’entends le bruit de la porte qui se déverrouille et j’ai un mouvement de tête réflexe vers l’entrée. Et tandis que je m’engouffre dans le bâtiment pour rejoindre l’appartement d’Heidi, un léger vent de panique commence à me traverser. Presque au ralenti, je sens Bali gigoter contre moi tant il est las de traîner dans le couloir, mais je dois réfléchir à la stratégie à adopter maintenant.
Si je dois être tout à fait honnête avec moi-même, je n'ai pas considéré la possibilité qu’elle puisse accepter de me parler, alors je n’ai tout simplement pas pensé le plan jusqu’ici. Mais rien ne vient, rien d’utile ou de convainquant. Il n’y a même pas une seule excuse potable qui me traverse l’esprit pour ce que je lui ai fait, c’est d’un pathétique. Elle m’ouvre la porte, en pyjama, et retourne rapidement dans le salon sans me jeter un seul coup d’oeil. Tant mieux, je ne suis pas certain que j’aurais pu la regarder dans les yeux. Sans un mot, je lui emboîte le pas et referme derrière moi avant de déposer mon chat au sol. Je pensais qu’il irait immédiatement essayer le canapé avec une sieste ou saluer l’habitant d’ici, mais il reste sagement caché entre mes jambes. A croire que même lui, il sait que ça va barder pour moi.
Bizarrement, c’est elle qui engage la conversation. Le ton est froid, réprobateur ; je m’attendais à pire alors je suis quasiment soulagé qu’elle n’en soit que là dans l’expression de sa colère ou de sa frustration. Mais c'est vrai que ça fait déjà quelques semaines depuis notre dernière conversation qui a tourné à la catastrophe, alors elle a déjà peut-être commencé à passer à autre chose. « Non, c’est pas… c’est pas ce que j’allais dire. » Réponse probablement pitoyable, mais quitte à être honnête, c'est la vérité.
Réflexe naturel, je me débarrasse de mes chaussures près de la porte avant de m’avancer un peu pour observer un peu la pièce à vivre. Je n’aurais pas imaginé Heidi vivre dans autre chose que cette ambiance là, c’est étrange comme la décoration colle avec l’idée que je me suis construite d’elle. Les yeux posés sur l’écran mis en pause, je remarque le film ou la série qu’elle était sûrement en train de regarder avant que je ne l’interrompe. « Est-ce que je te dérange ? » C’est stupide, comme question. Bien sûr que je la dérange, puisque je ne l’ai pas prévenue que je voulais passer. Mais c’est la seule chose qui me passe par la tête, malheureusement. Je soupire un peu, d’appréhension plus qu’autre chose. Il y a une délicate tension dans l’air, et j’essaye tant bien que mal de repousser le terrible moment où il va falloir que j’improvise pour m’excuser – j’aurais vraiment, vraiment du préparer quelque chose avant de me lancer là dedans.

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— Et pendant qu’elle repart s’installer, je sens bien la distance, physique autant que psychologique, qu’elle essaye de mettre en ne me proposant pas particulièrement de me mettre à l’aise – de toute façon, je ne l’aurais pas été. Son chaton bien loin de nos rapports compliqués vient saluer Bali et je me remémore ce qu’elle m’avait dit avant que tout ne dérape. C’est vrai, peut-être que ce n’est pas leur première rencontre. Les yeux rivés sur eux comme pour m’empêcher de la regarder, je ne vois pas le sourire qu’elle esquisse et qui ne m’était pas destiné. Quand mon attention est captée par l’écran sur pause que je vois près d’elle, c’est une énième façon de me dérober que j’entrevois. Mais elle ne me laisse pas cette occasion. Heureusement, ou malheureusement, je ne sais pas encore. Il y a quelque chose dans mon cœur qui se brise quand j’entends son rire jaune, une douleur aiguë qui vient me chercher comme un juste retour de bâton. « Mh. » Incapable de répondre autre chose qu’un murmure gêné, je me baisse un peu pour saluer sa boule de poil ; au moins lui, je n’ai pas l’air de le déranger.
Il y a encore un long silence, qu’elle ne brise qu’avec son soupir que je sens lourd de sens. Ce n’est pas très difficile à deviner, même lorsqu’elle lève les yeux vers moi, je sais déjà qu’elle n’a pas l’intention de me laisser m’échapper maintenant que je suis là. Et si on en est tous les deux là, elle semble avoir pris sa décision. Son ton n’est pas avenant ni doux comme il a pu l’être ces derniers mois, je me rends bien compte de tout ce que j’ai cassé pour mon propre intérêt sans penser une seule seconde à ce qu’elle pouvait ressentir. « Je voulais… » Le regard perdu ailleurs, il y a quelques mots hésitants sur le bout de ma langue mais ma voix se brise avant que je ne puisse les sortir. « Je sais pas. » L’abandon est si facile, elle n’entendra ni excuses ni piètres explications alors à quoi bon ? Je suis venu jusqu’ici et je n’ai vraiment rien à lui dire qui puisse prouver qu’elle me manque un peu, ou que je regrette parfois.
En me relevant, je prends une longue inspiration et ose enfin la regarder, elle attend et redoute probablement autant que moi ; j’ai beau être nul avec les gens, c’est quelque chose que je peux sentir. Les bras ballants, je ne sais déjà plus où me mettre. Alors, dans une tentative désespérée de ne pas passer pour plus con que je ne le suis réellement, j’essaye de justifier ma difficulté à commencer cette discussion de la pire des manières. « Je suis pas… très doué pour ça. » J’avoue une faiblesse avec la honte de ceux qui savent ce qu’ils ont fait et m’approche d’elle. Sans m’asseoir, sans avoir l’air plus pathétique que je ne le devrais, je hausse les épaules. Il y a une certaine nonchalance polie que j’applique pour ne pas m’écrouler devant elle, comme pour lui éviter de passer un moment encore pire que celui là. « Mais pour ce que ça vaut, je suis désolé. » C’est compliqué de soutenir son regard, j’aurais envie de fuir ou au moins de détourner les yeux – parce que sa colère et son incompréhension sont si visibles. De toutes les options que j’ai pour partir, je préfère rester là où elle ne m’attendait pas et où elle ne me voulait pas ; je ne sais pas si c’est à elle où à moi que j’impose ça. Mais il y a une petite pointe d’un optimiste inhabituel dans mes entrailles qui me pousse à croire qu’elle peut peut-être me pardonner – même si je n’ai pas l’impression de le mériter.

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— Il y a ses mots, pas rassurants ni emprunts d’un certain jugement, juste posés là comme une constatation. J’imagine que c’est sa façon de m’encourager à continuer, ou au moins de me prouver qu’elle m’écoute même si toute la difficulté que j’éprouve à m’exprimer s’entend probablement plus que je ne le voudrais. Quand j’ose enfin poser des yeux prudents sur elle, je scrute sa réaction à mes piètres excuses. Je me doute bien que ça ne va pas suffire, qu’elle attend un peu plus que ça.
Mais heureusement, elle finit par fermer son ordinateur et j’y vois un signe que j’ai peut-être enfin fait un pas dans la bonne direction. Comme pour compenser son accueil froid de tout à l’heure, elle m’offre poliment à boire en se levant. Même sans être un expert quand il s’agit de décrypter les autres, je sens bien qu’elle se donne surtout du temps pour réfléchir à ce qu’elle va me dire. Mais j’imagine que si j’avais tout raté, elle m’aurait déjà mis à la porte. « Mh, s’il te plait. » En fait, on ne peut pas dire que j’ai soif, ni même que mon estomac sera capable d’avaler quoi que ce soit sans que j’ai la sensation que je vais le rendre dans la seconde d’après. Mais si elle prend la peine de me proposer, c’est la moindre des choses d’accepter même si je n’en ferais rien.
Il y a un lourd silence, je la regarde avec mon verre dans les mains comme si c’était un objet précieux que je manquerais de faire tomber à chaque instant en le tenant du bout des doigts. Et puis soudain, son murmure me crispe un peu plus la mâchoire et je détourne les yeux. J’ai du mal à desserrer les dents pour dire quelque chose. Elle ne m’avait jamais vu comme ça, je l’ai repoussée si fort en ayant peur de ce qu’elle pourrait voir de moi si on devenait proches que j’ai fini par lui montrer accidentellement la vérité – quelle ironie. Je ne sais pas si c’est une chance ou non, mais elle finit par reprendre la parole en me prévenant de tout ce qu’elle ne veut pas entendre. Un soupir amer presque comme un rire s’échappe d’entre mes lèvres comme un aveu à demi-mots. « Non, je serais mal placé pour ça. Et j’aurais pas fait le déplacement jusqu’ici non plus. » J’entends ma voix se casser avant la fin de ma phrase. Elle n’est vraiment pas disposée à reparler de ça avec moi, je la comprends. De toute façon, je crois que je préférerais éviter aussi pour l'instant.
Mal à l’aise, je sens mes doigts se resserrer sur le verre encore plein et je repose enfin les yeux sur elle après une longue inspiration. Elle veut des explications, elle veut la vérité – si compliquée soit-elle à admettre pour moi. « J’aurais aimé que tu vois pas ça, mais j’ai... » Je hausse les épaules, je ne sais pas. Est-ce que c’est vraiment explicable, ou pire, excusable ? Je n’ai pensé qu’à moi et je me suis défendu d’une menace qui n’existe que dans ma tête. « J’ai juste… j’ai juste flippé. C’est tout. » Il y a un pâle sourire sur mon visage fatigué, terrible reflet de la prise de conscience que j’ai eu. Je ferme les yeux, hochant tout doucement la tête de gauche à droite. « Et je suis désolé que ça soit tombé sur toi, et à ce moment là. » Et quand je rouvre les paupières, j’ai l’impression d’avoir avoué un truc énorme alors que je ne lui ai pas dit un dixième de ce qui a pu me passer par la tête quand je lui ai jeté mes mots à la figure sans ménagement. Est-ce qu’elle va chercher à en savoir plus ? Probablement. Peut-être que j’ai creusé ma propre tombe en venant ici, parce que maintenant elle va vraiment vouloir que je m’explique. Mais j’ai trop regretté de lui avoir fait du mal pour ne penser qu’à moi sur ce coup là, alors je vais devoir continuer à improviser.

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— Il y a de l’incompréhension dans sa voix suite à mon aveu, c’est difficile de lui en vouloir. C’est elle qui aurait du être terrifiée de me raconter des choses si intimes et personnelles, pas moi. Moi, je n’ai juste pensé qu'à moi et à me protéger. Je soupire doucement, une main sur mon visage comme pour reprendre une contenance ou peut-être cacher ce qui peut encore l’être. Bien sûr qu’elle a du en entendre des centaines, des phrases de compassion vides – peut-être même à chaque fois qu’elle en a parlé à quelqu’un. « Je me doute. » Les yeux sagement détournés ailleurs, je prends enfin une gorgée de mon verre au risque de tout recracher l’instant d’après.
Mes excuses sont bancales, comme tout le reste. Elle semble à peu près aussi à l’aise que moi, et ça en dit long sur le temps qu’aurait pu prendre cette conversation. Je la regarde jouer nerveusement avec ses doigts pendant un instant, sans savoir quoi dire – mais ne rien dire c’est probablement la meilleure façon de ne pas m’enfoncer encore plus. Alors je me tais, j’attends qu’elle prenne la parole. Je me doute qu’elle va vouloir des explications sur ce que je lui ai dit, sur ce dont j’ai eu peur, mais j’ai réussi à éluder jusqu’ici. Sans savoir si la fin de cette soirée me forcera à m’ouvrir et à lui parler comme je l’ai tant redouté, je sais que je dois quand même être honnête avec elle. Parce que je suis là pour ça, et aussi parce qu’elle le mérite. Elle n’a pas traversé tout ça et subit mon incapacité à gérer les situations humaines pour que je n’arrive même pas à lui faire dire que le problème ne vient pas d’elle.
Confronté encore une fois à son ressentiment, je peux comprendre ses réticences ; elle s’est pris ma condescendance de plein fouet déjà une fois, pas deux. « Je peux pas te promettre que ça arrivera plus jamais. » Brutalement honnête, un manque de tact et de délicatesse flagrant mais je ne me laisse pas aller. Je ne peux pas lui mentir, pas droit dans les yeux, pas alors qu’elle a tant pris sur elle pour m’accepter chez elle après ça, pas quand je suis un si terrible acteur. La voix plus basse, le ton plus doux, je m’autorise une lueur d’espoir entre toutes les appréhensions qui voilent mon visage. « Mais je ferais de mon mieux. » Loin d’être suffisamment assuré pour sourire, je sens quand même mes traits se détendre en sentant un des millions de poids sur ma conscience se lever. « Ça me manque, les choses comme elles étaient. » Un soupir amusé s’échappe d’entre mes lèvres après avoir admis l’évidence et je jurerais presque avoir rougi de honte tant ma phrase sonnait pathétique et désespérée, mais c’est le mieux que je puisse faire. Mon regard flotte jusqu’à nos chatons qui sont bien trop calmes, j’ai l’air songeur un instant. Je crois aussi que je viens de m’engager pour quelque chose que je ne suis pas prêt d’assumer ; tout ce que j’ai fait pour la repousser vient d’être réduit à néant par la culpabilité et l’envie très paradoxale de la vouloir dans mon quotidien.

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— C’était un risque à prendre, d’être parfaitement honnête avec elle. Mais je ne peux pas décemment venir m’excuser et essayer d’arranger les choses avec seulement des demi-vérités ou des silences. Je ne suis peut-être pas encore capable de lui parler à cœur ouvert, mais je me fais la promesse d’essayer quand j’en aurais l’occasion. Ça n’arrivera pas tout de suite, pas maintenant ; mais c’est une fille à qui je peux faire confiance et je commence doucement à me convaincre qu’elle ne me jugera peut-être pas si je lui parle. Elle a un pâle sourire mais ma réponse semble lui convenir malgré une certaine retenue, elle a l’air résolue à s’en tenir à ce qu’elle dit. Je grimace légèrement et regarde ailleurs – c’est déjà difficile de communiquer, alors le faire les yeux dans les yeux me paraît insurmontable. « Je suis pas… très à l’aise avec ça. » J’admets qu’elle a raison dans un souffle incertain, mais je sens qu’il faut que je nuance la situation si je ne veux pas aller droit dans le mur. « C’est pas que je veux pas que tu me parles de choses qui te concernent personnellement. Si tu veux te confier, je ferais de mon mieux pour t’écouter. » Reposant les yeux sur elle, je hoche doucement la tête pour appuyer mes propos. J’aimerais qu’elle comprenne que ce n’est pas elle le problème, que ça n’a jamais été elle. « Mais il vaut mieux pas que tu t’attendes à ce que je fasse la même chose. » C’est compliqué, de jongler entre ce que j’arrive à lui dire et ce que je voudrais qu’elle sache. Je baisse les yeux vers mon verre, presque honteux.
Rapprochés par nos attitudes similaires, le début de notre amitié était un peu bancal mais à force d’habitude et temps passé ensemble, on a réussi à construire quelque chose. Alors bizarrement, je n’ai pas trop de mal à lui avouer qu’elle me manque. J’ai beau faire semblant de rien, le ton plus léger qu’elle emploie pour me répondre me rassure jusqu’à m’arracher un soupir amusé. « Ça va dans les deux sens, ça. » Et ça, je n’en doute pas : ça m’étonnerait qu’elle soit plus difficile à supporter que moi. Loin d’avoir subi un calvaire, ces semaines à la côtoyer ont été suffisamment agréable pour que je n’ai pas envie de lâcher l’affaire à la moindre difficulté. Et quand le petit silence suit, je réalise soudainement qu’elle a sûrement beaucoup pris sur elle pour me laisser une chance. « Merci de pas m’avoir laissé en bas. »

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— Le silence pesant et la gêne omniprésente semblent doucement laisser place à la parole, tout n’est pas dit mais on peut considérer qu’il y a du mieux malgré les hésitations. Je me doute que mes explications n’ont pas été suffisantes mais je lui suis infiniment reconnaissant de ne pas poser plus de questions – de laisser ça à plus tard. Comment lui avouer que j’ai flippé parce que je n’ai eu que très peu d’amis, que je suis terrorisé par l’idée d’être proche de quelqu’un, de devoir m’ouvrir ? Elle hoche la tête sagement et m’assure qu’elle n’a pas de problème avec ça, mais une petite voix dans un coin de ma tête me souffle que c’est une fausse bonne idée de la laisser accepter ça. Mais je lui rends son air entendu, incapable de sortir autre chose pour le moment. Alors quand elle va jusqu’à me dire qu’elle peut arrêter de parler de choses personnelles si ça me gêne, j’ai un pincement au cœur. Je pince un peu les lèvres, c’est compliqué de lui répondre honnêtement – parce qu’en réalité, ça me gêne vraiment, mais c’est un peu tard pour faire marche arrière. Ce serait injuste, même avec toute cette bonne volonté de sa part, je ne peux pas la laisser tout porter sur ses épaules quand je suis le seul problème. « Je sais bien qu’après ça… ça va être compliqué pour toi, mais c’est comme tu le sens, vraiment. » Elle a abordé le sujet avec un peu d’humour, mais moi, je prends ça très au sérieux. Je ne veux pas lui faire subir une relation où elle ne peut rien dire, par peur ou par obligation – où elle ne se sent pas écoutée. « Mais je peux pas te garantir d’être de bon conseil si tu le fais, de toute façon. » J’esquisse un sourire timide, si j’ai déjà autant de mal à m’occuper de moi sur le plan social, ce serait audacieux de ma part de prétendre aider quelqu’un.
Après avoir terminé mon verre, je l’abandonne dans son évier. J’essaye d’être sincère quand je la remercie de m’avoir laissé une chance, de parler avec mon cœur ; mais même pour trois mots et demi, c’est compliqué. Il n’y a pas eu la moitié d’une explication dans mes mots difficilement prononcés, et pourtant elle accepte quand même – je ne la mérite tellement pas. Je lâche un soupir amusé à sa remarque sur mon stratagème et jette un coup d’œil en direction de Bali. « Ouais c’est vrai que vu la couche de poil qu’il a, c’était un risque. » Je tente un trait d’humour pour la suivre quand l’ambiance a l’air de se détendre un peu, pas trop sûr de moi non plus. Il y a un long moment de silence où je l’observe laver les verres, je ne sais pas si je devrais juste me faire tout petit ou lui proposer mon aide. Mais en même temps, pour deux verres, elle ne risque pas d’en avoir besoin. Je soupire légèrement, tout était si simple avant que je ne déraille. Quand elle termine, elle me demande si je veux rester regarder quelque chose avec elle en désignant son ordinateur et son canapé du regard. Il y a un instant de flottement où je ne sais pas vraiment quoi répondre ; ce serait impoli de rester aussi tard, mais en même temps elle m’offre une possibilité de commencer à reconstruire dès maintenant ce que j’ai brisé il y a des semaines de ça. « Okay. » D’abord hésitant, je finis par accepter docilement l’invitation. « Qu’est-ce que t’étais en train de regarder ? » En la suivant vers le canapé, Bali m’emboîte le pas et vient s’installer près de nous – visiblement il n’avait pas trop envie de partir non plus.

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— Ça n’était pas gagné d’avance, mais je crois que contre toute attente, je suis sur la bonne voie. J’ai voulu jouer la carte de l’honnêteté à fond, je suppose qu’aussi brutal que ça puisse être c’est ce qu’elle a apprécié. Il y a encore un long chemin devant nous pour que les choses redevienne comme avant ces semaines de froid, mais ça me semble moins désespéré que quand j’ai mis les pieds dans son appartement. Ce n’est pas terminé, j’ai encore beaucoup à faire pour la convaincre que je mettrais le moins de murs possibles entre elle et moi ; et de m’en persuader également au passage. Parce que malgré ses sourires et sa compréhension, je me doute bien qu’elle aurait attendu plus de la part d’un véritable ami. Ça me fait un peu mal au cœur qu’elle considère le fait de s’ouvrir à quelqu’un comme se lamenter sur son sort, mais je suppose qu’elle dit ça pour me rassurer. Je hoche la tête poliment, sans savoir quoi répondre d’autre. J’aurais pu la rassurer, lui dire que ce n’est pas le cas, mais rien ne vient. Elle finit par rire à mon commentaire sur le fait que je serais de toute façon probablement pas de bon conseil, et ça me rassure un peu.
Finalement, elle me propose de rester un moment pour regarder une série avec elle, et après avoir hésité un instant, j’accepte sans faire d’histoire. Ça me semblait peut-être inapproprié, j’aurais du faire profil bas vu la situation, mais étant donné la perche qu’elle me tendait… j’imagine que ça aurait été impoli de refuser. Alors, on s'installe sur son canapé avec nos chats respectifs qui semblent tous deux préférer sa compagnie à la mienne – mais comment leur en vouloir. L’air faussement boudeur, je la laisse rouvrir son ordinateur et Netflix au passage. Elle me parle de la série qu’elle était en train de regarder quand je suis arrivé, et je hoche doucement la tête. « Mh, ça me va t’inquiète pas. J’en ai entendu parler, mais j’ai pas pris le temps de regarder alors c’est l’occasion. » Et puis, je ne devrais pas être trop perdu si elle n’en est qu’au début, ça me semble être la meilleure solution plutôt que de lui proposer autre chose qu’elle n’aimerait peut-être pas. Quand j’ai fini de me poser des questions existentielles, je m’adosse au canapé en laissant mes doigts courir entre les poils de Bali. Je ne peux pas m’empêcher de lui jeter quelques regards incertains tandis qu’elle relance la série, je ne vais sûrement pas suivre grand-chose à l’histoire mais peu importe.