Focus on communication (Sven)

|	focus on communication ; ft. Heidi

— Il y a beaucoup de problèmes qui me restent dans la tête depuis ce fameux séjour de saint Valentin. Alors que les choses se sont arrangées avec Paco, j’ai d’abord cru qu’elles allaient empirer avec Heidi. Pourtant, c’était avec la ferme intention qu’on s’amuse tous les deux ensemble que je l’avais invitée, et ça a quand même failli tourner au cauchemar. Je me doute qu’elle a du beaucoup prendre sur elle pour ne pas exiger des explications sur le champ – que ce soit pour cette stupide bagarre ou pour ce malaise palpable dans notre suite. Parfois je me dis que je ne mérite ni sa patience, ni sa gentillesse. Accroupi près de la porte de service réservée aux employés du Moro Center, je laisse ma cigarette se consumer sans en prendre une seule bouffée, trop préoccupé pour y penser. J’ai repoussé ce moment longtemps, par manque de courage et avec un petit espoir qu’elle oublierait de me redemander entre temps. Mais ce ne serait pas correct envers elle, je ne peux pas passer ma vie à esquiver ses questions si je veux rester ami avec elle. Alors aussi difficile que ça puisse être, j’ai décidé que ce soir, ce serait le soir. Il est temps de mettre les choses au clair. Petit coup de pouce inattendu de la part du destin, elle m’a dit qu’elle travaillait alors j’ai un peu de temps devant moi pour mettre mes pensées en ordre quand j’attends la fin de son service à l’extérieur – comme si ça allait suffire à rattraper des semaines à enterrer les choses bien profondément, quelle naïveté. Presque nerveux, je tourne la tête à chaque fois que quelqu’un passe la porte pour vérifier si ce n’est pas elle, mais je connais suffisamment bien ses horaires pour savoir qu’elle n’arrivera que dans quelques minutes.
Finalement, c’est enfin elle qui passe la porte et je passe immédiatement une main dans mes cheveux toujours teintés de bleu pour me recoiffer. Dans un geste presque précipité, j’écrase et jette ma cigarette en me relavant – pris d’une appréhension inhabituelle. « Hallo. » J’ajoute un petit sourire à ma brève salutation, même si je n’ai pas franchement le cœur à rire. Sans pouvoir la regarder dans les yeux, je sens ma voix devenir plus hésitante à mesure que les secondes passent, et l’envie de fuir se fait toujours plus pressante. « Tu vas bien ? Désolé de pas être rentré, c’est juste que je préférais t’attendre là. » C’est sûrement la pire façon d’engager la conversation, mais il faut bien commencer quelque part. J’espère qu’elle ne m’en tiendra pas rigueur, même si je suis de plus en plus incertain quant à sa réaction. Est-ce que je devrais me préparer à ce qu’elle ne me parle plus jamais, m’évite ou me hurle dessus ? Ce serait peu probable, depuis le temps que je la connais je commence à pouvoir anticiper ses réponses – mais ça reste coincé quelque part dans un coin de ma tête sans que je n’y puisse rien.

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— Je ne sais pas si c’est son sursaut ou ce que je m’apprête à lui dire qui m’angoisse le plus, mais la voir surprise comme ça remet une couche sur ma gêne du moment. Sans prendre la peine de lui fournir une réponse, je détourne un peu les yeux. J’imagine qu’elle se doute que ça ne va pas fort de mon côté, alors quelle importance si je mets des mots dessus ou non. Rassuré qu’elle comprenne ma décision de ne pas rentrer dans le bâtiment, je repose les yeux sur elle avec toujours un embarras évident flottant sur mon visage. « Ouais, je m’en suis un peu douté. Ça aurait été un peu bizarre. » Je grimace à la pensée que j’ai peut-être échappé à un public pour mes révélations, mais je me dis aussi que j’aurais sûrement dû la prévenir que je l’attendais à l’extérieur. Ça lui aurait évité la petite frayeur, et surtout de probablement poireauter à l’intérieur en guettant la porte pour apercevoir mon visage. Tant pis, c’est fait de toute façon.
D’autres de ses collègues passent la porte, et il me semble qu’il ne reste plus que nous deux dehors. Elle n’a pas l’air de mauvaise humeur malgré le fait que ça soit sa fin de journée, alors c’est déjà ça de mon côté. A côté de moi, elle sourit encore alors que je sens mon visage se décomposer de seconde en seconde. J’ai beau essayer de garder la face, je ne sais même pas par où commencer pour lui expliquer tout ça. « Euh, non on peut rester ici. Enfin, c’est comme tu veux. » Haussant un peu les épaules, je constate qu’elle n’a pas forcément l’air d’avoir envie de bouger mais je comprendrais qu’elle veuille se mettre en route pour chez elle ou ailleurs – avoir une conversation sérieuse quasiment sur son lieu de travail, c’est un peu étrange. « Du moment qu’on peut être tranquilles ça me va, je tiens pas à ce que toute la ville soit au courant. » J’ai un petit rire nerveux ; je fais en sorte de garder un ton léger pour me forcer à dédramatiser, mais la vérité, c’est juste que je gagne du temps. Est-ce que je devrais vraiment tout lui dire ? Une petite pensée me traverse, la situation est quand même moins pire qu’elle n’aurait pu l’être. Lui et moi, on aurait pu ne jamais se réconcilier, et alors j’aurais du faire face à Heidi en étant une épave. Au moins, ça va à peu près de ce côté là – c’est un souci en moins. A chaque minute qui passe, je sens mes résolutions silencieuses envers elle s’effriter tout doucement, et ma volonté de bien faire s’éloigner.

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— Il m’a fallu tant de temps pour me décider à lui parler, et même maintenant je ne sais pas par où commencer. Sa patience est décidément à toute épreuve, ça frôle l’admirable à ce niveau là. J’aurais pu être impressionné si je n’étais pas si angoissé à l’idée de ce que je vais lui dire. Ça ne la dérange pas de rester ici, tant pis ou tant mieux, ça me fait une excuse en moins pour me dérober et fuir encore. Elle est appuyée contre le mur à côté de moi, son sourire ne la quitte pas – ah, si elle savait. J’ai presque de la peine pour elle, comment elle va réagir quand elle va réaliser que je lui ai caché quelque chose d’aussi important que mon orientation sexuelle et tous les problèmes qui en découlent ? Égoïstement, je continue d'espérer qu'elle ne me détestera pas.
Il y a un long silence, je sais bien que c’est à mon tour de parler. J’ouvre et referme la bouche plusieurs fois de suite, mais aucun mot ne sort. Son encouragement me tire un sourire crispé, je crois que c’est encore pire que si elle n’avait rien dit ; maintenant, j’ai l’impression qu’elle attend vraiment. Je finis par prendre une longue inspiration, comme pour m’insuffler le courage nécessaire. « Mh, à propos de… de la bagarre, pendant le séjour. »  Pourquoi pas commencer par le plus grave, après tout. De toute façon, quand je lui aurais dit le fin mot de l’histoire, tout prendra un sens. Le ton grave et la voix hésitante, je me lance enfin. « Je sais toujours pas pourquoi il voulait me parler absolument, j’ai pas vraiment cherché à savoir non plus. » Une bien jolie façon de tourner autour du pot, je m’efforce de ne pas la regarder dans les yeux – ma honte est suffisante, je n’ai pas besoin de voir l’air compatissant que je sens déjà transpercer ma peau. A présent, c’est comme si les mots chatouillaient ma langue ; j’ai eu tant de difficultés à commencer tout ça pour ne pas pouvoir m’arrêter de digresser. « Mais je voulais te dire, si j’ai porté le premier coup c’est parce qu’il m’a menacé. Il sait un truc sur moi et j’ai pas trop envie que ça se sache. » Je n’ai pas froid, mais jouer avec les bords de mes manches me donne une raison d’occuper mes mains. Les yeux rivés vers le sol, je continue. « Il allait le dire à tout le monde, j’ai juste… agi par instinct. » Sacré réflexe, maintenant, elle risque de croire que je suis violent. Alors, avec le ton plus pressé, je rajoute une ou deux précisions. « C’est pas vraiment dans mes habitudes de me battre, enfin ça m’est arrivé deux ou trois fois mais c’est pas comme si c’était ma solution à tout. » Je soupire, parce que j’aurais vraiment du préparer ma défense. Ou même juste penser à ce que j’allais lui dire, au lieu de me laisser dévorer par l’appréhension dès qu’il n’est plus là pour me la faire oublier. « J’essayais juste de me protéger. » Ça aussi, c’est une piètre excuse. La vérité, c’est qu’il y avait mille et une autres façon de gérer la situation avec mon calme et ma logique habituelle plutôt que de s’abandonner à la panique. Peut-être que c’est ça dont j’ai le plus honte dans l’histoire, j’ai perdu mon sang froid à cause de cet abruti. Les lèvres pincées et la mine confuse, je regarde loin comme si ça allait m’apporter des réponses ou m’aider de quelque façon que ce soit. « Je suis désolé si je t’ai fait peur ou… je sais pas. »

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— Comme toujours, elle est sage et sensible. Elle me laisse prendre mon temps pour m’exprimer, elle m’assure même que je ne suis pas obligé de lui dire ce que je cache si je ne suis pas à l’aise. Et je ne le suis pas. Mine de rien, je sens un poids en moins dans ma poitrine même si je dois quand même lui dire. Je hoche la tête doucement comme simple réponse et continue ; si je m’arrête maintenant, je ne pourrais probablement pas repartir. Les yeux un peu suppliants, je finis par regarder le sol avec une certaine honte quand elle m’avoue ne pas m’avoir reconnu ce soir là. C’est vrai, moi non plus je ne me suis pas reconnu. Mais je suppose que quand elle dit que je ne l’effraye pas, elle ne ment pas. Pourquoi est-ce qu’elle le ferait alors qu’on essaye tant bien que mal d’avoir une conversation ouverte ? En tout cas, je l'espère.
La main sur mon épaule me fait presque sursauter, et quand je repose les yeux sur elle, je vois bien qu’elle me regarde avec ces yeux qu’elle a souvent. Je ne sais pas si elle me comprend – comment le pourrait-elle alors que j’ai à peine parlé de ce qu’il se passe. Je vois la compassion ingénue partout sur son visage, c’est à la fois profondément terrifiant et réconfortant ; tant de contradiction pour un seul homme. Je ne la perdrais pas, c’est ce qu’elle me dit doucement avec son sourire. J’aimerais en être aussi sûr qu’elle, mais maintenant il n’y a plus que l’appréhension pour me tordre le ventre. Il y a un moment de silence, je la regarde droit dans les yeux sans comprendre.
Quand elle pose ses lèvres sur les miennes, je sens mon cœur et ma tête s’arrêter brutalement. Quoi ? Qu’est-ce qu’elle fait ? Incapable de faire quoi que ce soit, je reste interdit ; sans lui rendre son baiser, ni avoir la force de la repousser. Il n’y a plus rien qui fonctionne dans mon cerveau, je ne sais même pas comment j’ai pu me retrouver dans cette situation. Elle est jolie, elle est gentille, elle est toujours attentionnée. Elle ferait une petite amie parfaite. Mais ses lèvres n’ont pas le goût ni l’amour qu’il y a sur celles de Paco, elle n’a pas sa chaleur, elle n’a pas ses sourires en coin, elle ne fait pas fondre mes entrailles comme lui le fait, elle n'a pas son ombre tellement noire que je caresse du bout des doigts. C’est horrible, j’ai si peur de la décevoir en la rejetant, et pourtant c’est la seule chose qui me vient à l’esprit tant il est le seul qui compte pour moi sur ce plan là. Elle a les yeux grands ouverts, j’ai presque l’impression que c’est moi qui ai fait une bêtise. Je ne suis pas certain de pouvoir encore respirer, je suis encore perdu et dépassé par les événements quand elle se confond en excuses – je ne suis même pas certain de bien les avoir entendues.
Il y a eu de nombreux moments de flottement et de gêne entre nous depuis qu'on se connait, mais je crois que celui là écrase tous les autres. Je vois bien qu’elle est crispée et un peu hagarde elle aussi, mais je n’ose même plus cligner des yeux. Soudainement, j’entends un rire profondément nerveux et je mets quelques secondes à réaliser qu’il vient de moi. Je déglutis difficilement, le sourire extrêmement crispé sur le visage – c’est raté pour essayer de ne pas trop lui faire peur je crois, je ne contrôle plus rien depuis longtemps. Après une longue inspiration, je me laisse glisser contre le mur jusqu’à arriver accroupi la tête dans les mains. Passe encore un temps, je ne sais même pas comment réagir maintenant. « Euh… bah… » La voix rendue rauque par la boule que j’ai en travers de la gorge, j’essaye de la retenir comme je peux pendant que je cherche quoi lui dire. « En fait… » Je m’efforce de garder les yeux rivés sur mes doigts moites posés sur mes genoux ; je sais qu’à la seconde où je vais la regarder, je vais sûrement m’écrouler. « Je suis a-a-amoureux de quelqu’un. » Le mot est si simple, pourtant il m’arrache la langue autant qu’il me réchauffe le cœur et les joues – je suis probablement écarlate rien qu'à l'avoir pensé. Et puis soudain, je me rends compte que ce que j’ai dit est potentiellement équivoque. « De quelqu’un d’autre. » Les lèvres pincées, je me remets de cette précipitation soudaine et régule ma respiration doucement. « Je… j’ai quelqu’un, je sors avec quelqu’un quoi. » Au cas où elle n’avait pas compris du premier coup, c’est stupide de ma part d’enfoncer le clou. Mais quelque part, c’est la première fois que je le dis à quelqu’un et je crois que derrière toute cette angoisse, ça me fait un peu de bien. Maintenant, il reste à lui annoncer l’autre détail. « Et, euh… le truc c’est que… en fait, c’est pas une f-f-fille. » Là non plus, je ne peux pas la regarder en face. C’est le moment où je vais savoir si j’ai vraiment perdu une amie, si je la dégoûte ou si elle m’en veut – ou peut-être même les trois, qui sait. « Désolé de pas… de pas t’en avoir parlé. » J’enchaîne avec des excuses qu’elle mérite, peu importe ce qu’elle choisira de dire ou comment elle réagira, c’est important pour moi qu’elle les entende même si elle décide qu'on a plus rien à faire ensemble. « C’est ça, le truc. » Comme toujours, le poids dans ma poitrine ne faiblit pas, la boule dans ma gorge ne s’en va pas. Les gens disent toujours que ça fait du bien de parler, pour moi c’est systématiquement l’inverse ; je me sens anéanti et j’ai juste envie d’aller pleurer avec mes chats en souhaitant que tout ça ne se soit jamais passé. Mais je ne peux pas craquer devant elle, pas comme ça. Il faut juste que je tienne, encore quelques minutes et ça sera terminé. Je n’ai pas le droit de fuir maintenant, pas tout de suite – il me reste encore une chose à dire. « Et aussi désolé si je t’ai… fait croire quelque chose, c’était pas mon intention. »

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— Les yeux rivés sur le sol devant moi et les mains moites encore posées sur mes genoux, je dois digérer son geste et ses excuses autant que ce que je viens de lui dire. Sans avoir à la regarder, je sens qu’elle s’installe près de moi ; je ne sais pas si je devrais être rassuré qu’elle ne parte pas en courant ou anxieux qu’elle reste. Cette fois-ci, ses mots atteignent mes oreilles de façon moins lointaine, moins étouffée que tout à l’heure. Pourquoi est-ce qu’elle continue à s’excuser ? Elle, elle a tout fait pour le mieux – mis à part pour le baiser mais ça, elle ne pouvait pas savoir. Moi, je lui ai servi des milliers de mensonges par omission et même maintenant j’ai du mal à assumer suffisamment pour pouvoir tout lui dire sans bégayer.
Ce qui suit me surprend un peu, et me met dans l’incompréhension. Les sourcils froncés et l’air perplexe, j’essaye de comprendre pourquoi elle m’aurait embrassé si ce n’était pas parce qu’elle est au moins un peu intéressée. Est-ce que c’est une excuse parce qu’elle n’assume pas non plus ? Ou alors, elle veut dire qu’elle aurait aimé que ça ne se produise pas maintenant qu’elle sait ? Finalement la réponse ne se fait pas attendre plus que ça, elle me confirme ce qu’il se passait plus ou moins au début entre nous. Je hoche doucement la tête pour lui donner raison. « Ouais, je… je comprends. C’était pareil pour moi mais… il y a quelqu’un d’autre que j’arrivais pas à sortir de ma tête. » Ça aurait été bizarre, même venant de moi, de tenter quelque chose avec elle alors que je savais très bien que mon cœur voulait déjà quelqu’un d’autre ; c’est au moins ça que je n’ai pas fait de travers. Mais ça n’explique pas pourquoi là maintenant, elle a fait ça. Visiblement, c’est confus dans sa tête aussi. Peut-être que je devrais lui reposer la question dans quelques jours – ou alors, oublier tout ça très vite et faire comme si rien ne s’était passé. « C’est pas grave, c’est juste que je m’attendais pas à ça. » La voix calmée, j’essaye de souffler un peu. En essayant de mettre de côté l’étrange sensation d’inconfort que je n’arrive pas à décrire, je peux affirmer que si elle est sincère avec moi et honnête avec elle-même, ça ne devrait pas ruiner les choses entre nous. Sûrement qu’il y aura de la gêne au début, mais j’espère qu’un jour on pourra en rire. Les signes de sa nervosité sont nombreux, je m’autorise un soupir amusé pour conclure sur ce qu’elle dit à propos d’avoir des gens à qui on tient. « J’ai pas franchement l’habitude d’avoir des amis non plus. » C’est vrai, c’est probablement la première vraie amie que j’ai depuis longtemps, j’ai la sensation de pouvoir compter sur elle même si parfois je m’imagine qu’elle ne doit pas être persuadée de l’inverse. Elle enchaîne sur mon pseudo coming-out, et je réalise à quel point j’ai été bête de croire que quelqu’un d’aussi bienveillant qu’elle puisse m’abandonner pour ce genre de chose. « Mh. » Ce n’est un secret pour personne, je n’ai jamais été à l’aise ni pour parler de ma sexualité ni pour parler de ma vie privée. Alors j’approuve silencieusement ses mots, mais je n’en rajoute pas – oui, ses doutes sont fondés. J’ai un million de raisons de ne rien dire à personne, mais je sais qu’elles ne sont pas toutes bonnes.
Soudain, je relève la tête brusquement vers elle. Les yeux un peu écarquillés, je me demande vite comment elle a pu faire le lien entre Paco et moi si facilement. Et puis, le malaise à notre arrivée et la soirée où je lui ai dit que j’avais besoin de la chambre me reviennent en tête. Évidemment, elle n’est pas bête, elle devait déjà se douter qu’il y avait quelque chose qui clochait. Mais le dernier mot qu’elle prononce m’interpelle. « Quoi ? Non, je te jure que non. Je savais même pas qu’il serait là, alors de là à imaginer qu’on finirait dans la même suite. » Je hoche vivement la tête de droite à gauche, il ne manquerait plus qu’elle croit que je me suis servi d’elle et ça serait le pompon. Après un moment d’hésitation, je me décide à lui donner l’intégralité des détails. « En plus, à ce moment là on était... » Je déglutis difficilement en repensant à cette nuit, ces semaines sans lui. « On était séparés. » En me faisant violence pour garder mes yeux dans les siens, j’espère de tout cœur qu’elle me fera confiance là-dessus. « Et puis, je t’aurais pas fait ça. Je t’ai vraiment invitée pour qu’on s’amuse, même si ça a failli tourner au carnage. » Je grimace légèrement quand tout ce week-end me revient en tête, tout ce que j’ai raté et tout ce que j’ai foutu en l’air alors que je n’avais pour objectif que de lui faire passer un bon séjour. Je soupire doucement, et lui adresse un sourire résigné. « Je suis désolé d’avoir rendu les choses compliquées. »

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— Même en essayant de me persuader qu’elle est sincère avec moi, il reste dans ma tête ce petit doute qui me pousse à me dire que même si elle n’a pas réfléchi en faisant ça, elle pourrait quand même avoir des sentiments ou quelque chose dans le genre. Je décide de lui faire confiance pour l’instant, je suppose que ce n’est pas la peine que j’en rajoute à sa confusion. Et avec cette révélation réciproque du début de notre relation, ça ne simplifie pas la situation non plus ; alors autant laisser couler pour le moment. Après tout ce que j’ai fait pour tenter de ne pas la perdre malgré mes erreurs, il aurait été malvenu de lui reprocher ce baiser inattendu.
Pour la première fois depuis le début de la soirée, je m’autorise un soupir amusé quand elle m’avoue que j’ai été son premier ami ici. C’est l’une des choses qu’on a en commun, j’imagine. Je lui adresse un sourire léger, en la regardant du coin de l’œil. Si elle savait à quel point ça me soulage qu’elle ne soit pas partie en courant ; je hoche doucement la tête, pas sûr de mériter sa confiance non plus. Moi, j’ai profité de la première occasion que j’ai eue pour fuir quand elle a voulu parler d’elle.
Cette fois ci, j’essaye de vite dissiper ses doutes quant à ce qu’il a pu se passer à Geilo. Il ne manquerait plus que ça ; qu’après être arrivé jusqu’ici si difficilement, elle croit que je me suis servie d’elle pour rendre Paco jaloux. Ça me surprend un peu qu’elle ait assemblé les pièces du puzzle aussi vite, mais on ne peut pas dire que j’ai été extrêmement discret pendant le séjour. « Ouais, c’était… » Il se passe un temps, je cherche mes mots et avale ma salive en repensant à l’ambiance qu’il y a eu dans la suite avant que lui et moi ne nous parlions – à tout ce qu’elle a du supporter juste parce que j’ai eu le malheur de l’inviter. « Pas évident. » C’est le moins qu’on puisse dire. Je lui adresse un petit sourire désolé, et elle me le rend en haussant les épaules. Il faut croire qu’elle n’est vraiment pas rancunière, surtout après un coup pareil. J’imagine comment elle a du se sentir, peut-être encore pire que Paco. Dans tous les cas, elle ne me pose pas plus de questions que ça alors je me permets de souffler quelques secondes – je ne sais pas si j’aurais été capable de répondre à un interrogatoire maintenant, ou même à un autre moment.
Je sais bien qu’elle essaye de me rassurer, mais je ne peux pas m’empêcher de penser que j’ai quand même ma part de responsabilités dans tout ça. « J’aurais pu faire beaucoup de choses beaucoup mieux que ça. » Grimaçant légèrement, je détourne les yeux à nouveau en repensant à cette bagarre que je n’aurais jamais du commencer. Mais elle me rattrape vite en me disant qu’elle s’est bien amusée au final. C’est vrai, moi aussi. Je ne regrette pas d’y être allé avec elle. « Mh, c’était cool. » Les yeux posés sur elle, je lui souris doucement. « J’ai… passé un bon moment avec une amie et je me suis réconcilié avec mon amoureux là-bas alors on peut dire que que ça valait le coup. » Les joues un peu rougies, je me crispe un peu en regardant à nouveau devant moi.

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— Sans savoir si l’amitié que je partage avec elle sera un jour ce qu’elle a été après tout ça, je ne peux pas m’empêcher de me raccrocher aux moindres détails pour essayer d’apaiser la gêne et la tension qui se sont installées. Et malgré tout ça, Heidi sourit quand même quand j’évoque la bagarre à nouveau – un sujet devenu bizarrement bien plus facile qu’il ne devrait l’être. « Probablement. » C’est vrai, il se passe toujours quelque chose avec les gens dans cette ville ; alors c’était moi ou un autre de toute façon. Je lui rends son timide sourire et hoche la tête quand elle avoue qu’elle n’aurait sûrement pas tenté la luge si je ne lui avais pas fait les yeux doux pour qu’on s’y essaye. C’est comme si sans m’en rendre compte, je voulais absolument repousser le moment où il me faudrait à moi aussi des explications pour ce baiser. J’ai peur qu’il ne veuille dire quelque chose, que tout soit pire maintenant que c’est arrivé alors que j’ai fait tant d’efforts pour rattraper ce que j’ai brisé entre nous.
Dépassé par mes mots, c’est une gêne d’un autre genre qui m’envahit pour recouvrir mes joues. Et puis, je la regarde avec un visage rarement vu aussi ingénu, une surprise innocente dans les traits et les yeux un peu plus ouverts quand elle me dit qu’elle est contente pour moi. « … Merci. » A vrai dire, c’est bien la première fois qu’on me dit quelque chose comme ça. On a rarement été content pour moi, peu importe ce que je pouvais bien essayer d’accomplir. Je cligne des yeux plusieurs fois avant de lui sourire doucement, il y a une légèreté nouvelle sur mes épaules à savoir qu’elle s’en fiche de savoir que je suis avec un homme.
Il y a encore un moment de silence et un malaise palpable entre nous, je crois que ni elle ni moi ne sommes très à l’aise avec le sujet alors ça devient compliqué de continuer la conversation. Je pourrais bien sûr lui donner des détails, lui dire depuis quand on est ensemble, pourquoi on ne l’était plus, qu’on est partis en voyage ensemble, la façon totalement improbable dont on s’est rencontrés. Est-ce qu’elle a vraiment envie de savoir tout ça ? Pas sûr. En même temps, je ne saurais même pas comment lui en parler sans que ça ait l’air forcé, je n’ai pas franchement l’habitude de me confier à qui que ce soit. Alors, sa conclusion ne me surprend pas mais me prend un peu de court quand même. « Oh, euh ouais c’était… c’était à peu près tout. » A toute vitesse, j’essaye de repasser point par point ce que je devais lui dire mais rien ne me vient. Je suis bien trop poli pour la retenir de toute façon, et j’imagine sans mal qu’après une journée de travail et ce qu’il vient de se passer, elle doit vouloir s’enterrer dans son canapé avec son chat – exactement comme moi, en fait. En me relevant, j’hésite un instant. « Est-ce que tu veux que je te dépose ? » Ma voiture n’est pas très loin, mais peut-être qu’elle voudrait juste souffler un peu et rentrer seule. Quelque part, je crois que ça me soulagerait aussi de me retrouver avec mes pensées après ça – j'ai l'impression d'être vidé de mon énergie.

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— Même si elle est vraiment contente pour moi, même si elle ne lui en tient pas rigueur alors que sa rencontre avec Paco n’a pas du être agréable, je ne peux pas m’empêcher de me dire que je ne devrais pas m’étendre sur le sujet. On ne peut pas dire que j’en ai très envie de toute façon ; aussi bancale et sincère notre relation soit-elle, il y a encore beaucoup de choses dont je n’ai pas l’habitude. Dans le silence qui suit, l’idée qu’elle ait peut-être voulu plus que ça ne quitte pas mon esprit. Ça serait stupide d’insister là-dessus alors que ce que je lui ai avoué pourrait avoir effacé tout ça, alors je me tais en espérant que les choses ne soient pas encore plus bizarres entre nous à présent.
Quand elle se relève en m’indiquant qu’elle va y aller, je fais pareil avec une gêne non dissimulée. Sans savoir si je devrais lui proposer de la raccompagner chez elle ou non, je finis par le faire. Je suis trop poli pour ne pas au moins lui demander, et elle est trop polie pour se permettre de refuser si elle n’en avait pas envie. Alors voilà, elle se retrouve à mes côtés et je fais un vague geste de la main pour lui indiquer la direction de ma voiture avec un sourire approximatif. « Je suis garé par là. J’habite sur la rive gauche maintenant, c’est plus loin que la résidence universitaire. » Bizarre sensation de devoir se justifier, je ne sais même plus si je lui ai déjà dit que j’avais déménagé ou non – il s’est passé trop de choses ce soir et je suis un peu embrouillé. J’aurais aimé parler à Paco tout de suite comme pour me guérir de cette angoisse qui persiste, mais il faut croire que ça va devoir attendre un peu.

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— Finalement, même si la gêne domine, les choses ne redeviendront pas normales si on ne fait pas tous les deux un effort. Faire la conversation, c’est loin d’être mon fort, mais outre l’envie de me justifier pour être venu en voiture, je me dis que ça peut faire un bon point de départ ; parce que si habituellement j’apprécie le silence, là il commence à me mettre mal à l’aise. En route pour rejoindre l’endroit où je suis garé, elle me confirme que j’ai probablement déjà du lui parler de mon déménagement – et de Salem au passage. Avant que tout ne dérape lors du dîner au resort, oui ça je m’en souviens bien maintenant. Je souris doucement quand elle parle de son chaton qui n’en est plus vraiment un et enchaîne sur le sujet. « Ouais, Bali aussi est encore plus gros qu’avant. Et euh… j’ai aussi une lapine maintenant, c’est Paco qui me l’a rapportée. » Tournant un peu la tête vers elle, j’ose la regarder avec un sourire plus doux qu’il n’aurait du l’être. « Il a dit que deux lapins iraient bien ensemble. » J’étouffe un soupir amusé, surtout en me souvenant de la conversation qui a suivi quand j’ai découvert Ponpon sur le pallier de ma porte.
Quand on arrive enfin à la voiture, je la laisse s’installer et prends place du côté conducteur. Malgré les maigres tentatives pour essayer de maintenir une conversation fluide, on dirait que c’est encore plus difficile qu’à nos débuts, quand on s’est rencontrés. Je démarre tandis qu’elle m’interroge à propos de la rive gauche – cette fois c’est elle qui sauve les meubles. « Ah… ouais c’est un peu loin de tout, mais je m’y plais. C’est tranquille et c’est joli. » Les yeux rivés sur la route, j’évite de la regarder en lui répondant et ça m’arrange bien pour le moment. « Enfin moi ça me dérange pas tellement qu’il s’y passe pas grand-chose, je peux me déplacer ailleurs. » Je conclus en hochant légèrement la tête, mais c’est vrai que j’imagine bien que ça doit être moins agréable quand on a pas de moyen de transport.

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— C'était un truc stupide à dire, cette histoire de lapin. Je lui suis reconnaissant de ne pas rebondir dessus, parce que ça aurait été vraiment embarrassant. Alors je hoche doucement la tête avec un sourire, confirmant ses propos au passage. « Ça commence à y ressembler. » C'est vrai qu'avec deux chats et un lapin - enfin, deux lapins - ça commence à faire une sacré famille. Heureusement que les chiens sont plutôt du côté de chez Paco.
C'est un peu délicat dans la voiture, mais heureusement la discussion finit par revenir. Je lui dresse un sobre portrait de l'endroit où j'habite maintenant, pas le plus poétique ni le plus inspiré malgré son enthousiasme. Je hoche la tête légèrement, les yeux toujours rivés sur la route. « Mh, tu peux venir quand tu veux. Enfin préviens-moi quand même avant, on sait jamais. » Une grimace gênée se peint sur mon visage, ça me fait bizarre d'assumer d'être en couple et de la mettre en garde sur le fait qu'elle pourrait venir au mauvais moment.
Et puis le silence se réinstalle entre nous, pour ne seulement laisser entendre que les ronronnements du moteur et le bruit discret des pneus dans les virages. Pendant une seconde, je cherche rapidement comment briser cet instant de flottement mais j'ai la bonne excuse d'être en train de conduire et de ne pas avoir à trop m'en préoccuper. Alors qu'on s'approche de chez elle, sa voix s'élève à nouveau pour me surprendre. Est-ce que je n'étais vraiment pas obligé de lui dire tout ça ? « Je sais pas. » Après les promesses et les attentes, tout ce dans quoi je l'ai embarquée, c'était la moindre des choses. Je prends une longue inspiration, autant pour me donner du courage que pour me laisser le temps de réfléchir à ma réponse. « Si je t’avais rien dit, si j’avais continué à repousser… Ça aurait été compliqué. » Les lèvres pincées, je me dis que j'ai suffisamment fait d'erreurs et de mauvais choix ; cette fois ci, il fallait faire les choses bien peu importe le prix que j'ai payé pour ça. Elle mérite qu'on soit honnête avec elle. « Je veux dire, on aurait probablement fini par s’éloigner si je t’avais rien dit. » Je soupire légèrement à mon propre euphémisme - je ne doute pas qu'elle n'aurait probablement plus eu envie de me parler si j'avais esquivé ses questions pour la énième fois, c'est déjà incroyable qu'elle ait eu la patience d'attendre jusqu'à maintenant. C'est étrange de me dire que c'est seulement maintenant que j'apprends qu'être ami, ça va dans les deux sens. À vrai dire, elle aurait fini par croire que je la prenais pour une conne à lui servir des excuses à chaque fois.  « Donc c'était pas une obligation mais... je devais quand même le faire. » Ou alors, j'aurais perdue une amie et une occasion de faire un pas en avant. Avec un peu d'effort, j'arrive à être sincère avec elle et à oublier momentanément le baiser qui vient d'avoir lieu. Les yeux perdus dans le vide, je ne réalise pas tout de suite qu'on est déjà devant chez elle.

|	focus on communication ; ft. Heidi

— Heureusement, elle est compréhensive sur la proposition que je lui fais. Je sais bien qu’on a tous les deux cette même politesse qui nous pousse à tout accepter et tout prévoir, mais ce serait quand même bien que les choses reviennent à la normale un jour. On dirait qu’on est toujours dans un équilibre précaire, toujours à deux doigts de basculer dans le vide. Je fronce légèrement les sourcils à sa réponse, parce que sa patience me sidère. Pour moi, ça n’était pas un choix ; je n’aurais jamais pu la regarder en face si j’avais continuer à lui promettre de tout lui expliquer un jour, sans jamais vraiment le faire. Est-ce que je lui fais confiance ? Je ne sais pas, sûrement. Je l’ai autant fait parce qu’elle méritait des explications, que pour ma conscience et pour prouver quelque chose à Paco au passage. Je m’étais préparé à ce qu’elle me rejette, alors peut-être que maintenant que je lui ai dit, la confiance s’est installée discrètement. « Mh, je comprends. » Si elle aurait pu attendre un an pour que je lui parle, je pense que c’est plutôt elle qui ne mérite pas quelqu’un comme moi.
Une fois arrivé en bas de son immeuble, elle me remercie sobrement et ajoute avec une sincérité visible quelques mots concernant ce qu’il s’est passé. « Pas de souci. Et euh… d’accord, j’essayerais. » Je détourne les yeux pudiquement, pas certain d’arriver à la croire malgré ça. Je suppose qu’après tout ce que je lui ai dit ce soir, elle ne tentera plus rien même si ce baiser voulait finalement dire quelque chose pour elle – du moins, pour l’instant. C’est un sentiment étrange, et je crois que je n’en tirerais rien ce soir. Il y a un moment de flottement quand elle s’apprête à s’en aller, mais elle finit par sortir simplement avec un petit signe de la main. « Toi aussi. Enfin je veux dire, bonne soirée. » Je secoue la tête doucement, comme pour me maudire de m’être trompé – il faut dire qu’il ne risque pas de lui arriver grand-chose sur le chemin de son appartement. Pendant qu’elle s’éloigne, je cherche mon téléphone dans ma poche. Maintenant, il va falloir que je parle à Paco.