I left my hand and my heart on the dancefloor (Sól)

|	I left my hand and my heart on the dancefloor ; ft. Heidi

— Bien trop sage depuis bien trop longtemps, c’est cette soirée qu’elle a choisie pour se vider la tête. D’une simple proposition au détour d’un couloir de l’université, elle s’est retrouvée à se déhancher en boîte de nuit comme si sa vie en dépendait. Déjà portée par suffisamment d’alcool pour avoir de mauvaises idées, elle ne cesse de penser à ces dernières semaines sans arriver à en tirer un sens. Tellement de choses lui sont revenues en pleine figure sans qu’elle ne s’y attende ; et si elle a d’abord voulu tout rejeter, elle s’est vite retrouvée écrasée par le poids de la culpabilité, de ses actes et de tous ces sentiments qu’elle avait enterrés si profondément. Alors, tout doucement, elle a apaisée sa colère – comme une façon de rendre justice aux excuses qu’elle a reçue sans même les avoir demandées. Prise de court par cette soudaine proximité avec Heidi, elle a eu la sensation bizarre, mais loin d’être désagréable, que quelque chose avait changé. Peut-être que c’est le cas, peut-être qu’elle se fait des idées.
Mais pour l’heure, c’est en quête d’oubli qu’elle est là. Parce que tout ça est trop lourd à porter, parce qu’elle se retrouve si rarement en situation de doute qu’elle ne sait pas quoi faire quand ça lui arrive. Et là encore, elle n’est là que pour boire et danser mais un trouble fête ne l’entend pas de cette oreille. Il a ses mains sans cesse en train d’effleurer sa robe dorée et elle pourrait presque sentir son souffle contre son cou tant il ne la lâche pas d’une semelle. Elle aurait pu lui hurler de dégager, mais la musique est bien trop forte pour que ça vaille la peine de s’égosiller. Elle aurait pu partir ailleurs, mais elle refuse de céder le terrain. Elle aurait pu faire une pause au bar, mais il l’aurait sans doute suivie. Alors elle est là, les méninges échauffées à la recherche d’un plan diabolique pour se débarrasser de cette sangsue.
Il y a un point rouge de l’autre côté de la piste de danse, elle brille comme un phare et son air perdu lui donne une excuse toute trouvée. En quelques pas enjoués, elle traverse la foule un peu envahissante sans vérifier si son ombre la suit toujours. Un grand sourire alcoolisé aux lèvres, elle a les joues rosées et son maquillage commence à peiner pour tenir en place. Perchée sur ses hauts talons, elle fait presque la même taille qu’Heidi. « Ah t’es déjà là, je t’attendais ! Viens, il faut que je passe aux toilettes. » La voix assurée d’une actrice imperturbable, elle s’empare de la main de son ancienne amie et la guide jusqu’au refuge tant convoité – sans se refuser un sourire mesquin à l'attention de l'intrus laissé sur le carreau. Quand la porte se referme derrière elles, la musique se fait plus lointaine et la crispation dans ses épaules se détend. Elle soupire doucement en lâchant Heidi et s’assoit sur le bord entre deux lavabos. Les jambes dans le vide, elle fait tomber ses escarpins vernis et grimace en guettant son reflet dans le miroir. « J’ai cru qu’il n’allait jamais me lâcher. »

|	I left my hand and my heart on the dancefloor ; ft. Heidi

— Sans vraiment se l’admettre, elle est quand même soulagée qu’Heidi comprenne vite la situation et ne rechigne pas à la suivre, ni à rentrer dans son jeu. Les choses auraient pu être vite compliquées si l’ancienne amie n’avait pas bien réagi, ou du moins pas comme ça. Peut-être qu’elle s’engouffre dans un autre guêpier pour se sortir de là, mais elle aura le temps d’y penser plus tard – chaque chose en son temps, et là, elle a un gros lourd à gérer. Une fois échappées vers les toilettes, l’ambiance est un peu étrange mais elle a du mal à s’en rendre compte à cause de ces nombreux verres qu’elle a pu enchaîner ce soir. Assise entre les lavabos, elle balance ses jambes dans le vide et étouffe un soupir amusé à la réaction de la blonde quand elle s’explique brièvement. « Mh. Ce n’est pas mon genre d’éviter la confrontation mais ma manucure est bien trop parfaite pour que je me salisse les mains. » Une moue sur le visage, elle fait mine d’observer ses ongles avec le nez en l’air.
Il y a un moment de flottement, encore un. Elles ont à la fois tout à se dire et rien du tout, c’est frustrant. Heureusement qu’elle a bu, elle n’est pas certaine qu’elle aurait pu supporter ce silence sans ça. Elle ne sait pas où elle en est, elle ne sait pas non plus où elles en sont. Elle a l’impression de marcher sur des œufs, que ce soit avec ses propres sentiments qu’avec ceux d’Heidi. Contre toute attente, ce n’est pas elle qui brise la glace. Non, elle se contente de regarder ses chaussures abandonnées au sol et relève seulement la tête quand elle entend la question. Elle prend son temps pour répondre, elle observe son interlocutrice avec une certaine retenue. Pour la première fois de la soirée, elle la voit vraiment, avec son rouge à lèvres assorti à sa robe – ce détail aurait pu la faire sourire si seulement il n’y avait pas eu tout le reste. « Ça va, il m’a pas touchée de toute façon. » Comme un réflexe, elle répond avant de réfléchir mais se rend vite compte qu’elle a probablement compris de travers. « Oh tu voulais dire, de manière générale pas juste maintenant ? » Fronçant un peu les sourcils, elle sait que sa langue va se délier de plus en plus au fil de la soirée, avec l’alcool et la fatigue ; peut-être que c’est aussi ça qui lui fait peur. « Ça peut aller. » Alors, elle se contente de ces mots sans profondeur ni détails, comme si elle ne pensait pas constamment à ses projets et à ses études. Comme si rien d’autre que le moment présent ne pouvait l’attendre – quelle grande mascarade.
Et puis, un autre détail lui vient en tête, sans qu’elle ne puisse lui retourner la question pour autant. Trop de politesse hypocrite et de précautions inutiles, elle se fiche d’entretenir la conversation de cette manière ; elles sont allées bien trop loin toutes les deux pour qu’elle s’embarrasse de tout ça. Pas qu’elle n’en a rien à faire de savoir comment Heidi va, mais si l’intéressée veut en parler, alors elle n’aura qu’à le faire. Il y a bien d’autres choses qui l’interpellent maintenant. « Qu’est-ce que tu fais ici ? C’est pas vraiment le premier endroit où j’aurais pensé te trouver. » Dit comme ça, on dirait presque qu'elle essayerait de l'éviter. Est-ce que c'est le cas ?

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— Dans le calme relatif qu’offrent les toilettes de la boîte de nuit, elle sent l’euphorie de la fête retomber et l’adrénaline d’avoir échappé à un imbécile disparaître. Elle ne saurait vraiment dire si c’est la présence d’Heidi qui lui donne l’impression d’être en train de se rendre sobre, ou si c’est plutôt le fait que pour elle, la soirée va peut-être bientôt toucher à sa fin. Il y a tant de choses à penser et si peu d’idées rationnelles dans sa tête, elle a envie de faire les pires crasses et les meilleures retrouvailles en même temps. Mais Heidi n’a pas l’air éméchée malgré le verre dont elle prend quelques gorgées pour combler les moments de silence. Ça aurait été plus facile si elles avaient bu toutes les deux. Elle laisse échapper un ricanement disgracieux au commentaire de l’ancienne amie sur son ennemi de la soirée. Sans ignorer son regard qui peine à se poser quelque part, elle hoche doucement la tête. C’est vrai, ça aurait pu être pire. Il aurait pu la toucher, il aurait pu refuser de croire qu’elle et Heidi se connaissent, il aurait pu les suivre jusqu’ici.
Entre la nervosité qui émane de son ancienne amie et les banalités entrecoupées de silences, elle sent sa bonne humeur de la soirée s’échapper bien vite. Alors, à la place de lui retourner la question poliment pour savoir si elle aussi, va bien, elle se contente de lui demander ce qu’elle fait ici. Elle sait pertinemment que la réponse sera bien plus intéressante. Et finalement, Heidi en rit alors elle sait qu’elle a fait le bon choix – si ça en a été un, comme si elle n’avait pas simplement agi par instinct. Sa réponse n’est pas surprenante, alors elle hausse les épaules en l’observant. « Mh, je vois. » Étudiée de la tête aux pieds, elle regarde son ancienne amie comme si elle pouvait la transpercer rien qu’avec les yeux. « Au moins t’as le bon dresscode ! » Elle approuve finalement la tenue après une minute d’un examen minutieux. Mais bien vite, elle fronce le nez en repensant à où et comment elle l’a trouvée dans la salle. « Par contre pour la bonne attitude, on repassera. » Elle détourne les yeux, soupirant légèrement. Certaines choses ne changent pas, même malgré son application à vouloir essayer. « C’est une boîte de nuit, il faut danser et s’amuser. Pas rester plantée dans un coin. » Levant les yeux au ciel, son agacement presque faux n’a d’égal que le nombre de verres qu’elle a déjà avalés.
Curieusement, c’est Heidi qui relance avec une phrase qu’elle entend comme un murmure. Il lui semble qu’elle se parle à elle-même, les yeux rivés vers le miroir ; alors il y a un instant de malaise qui flotte dans les airs avant qu’elle ne se décide à y répondre sans savoir où elle veut en venir. « On dirait une ville fantôme. Tout est resté au même endroit, et pourtant rien est pareil. » C’est effrayant, ce que quelques années ailleurs peuvent faire prendre comme recul, comme perspective et comme hauteur. Quand elle est rentrée, les bâtiments étaient à leur place et les gens aussi, et pourtant elle a eu cette impression de revenir après un siècle. Son souvenir s’était un peu effacé et peut-être que ce dont elle se rappelait n’était pas tout à fait exact non plus mais il y a eu cette sensation étrange que tout était recouvert d’une pellicule de poussière. Des choses qu’elle a abandonnées, des choses qu’elle aimerait retrouver, des détails importants qui semblent hors de sa portée maintenant. C’est comme une seconde chance, mais elle n’est pas sûre d’en vouloir.

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— Un sourcil un peu levé, elle jauge la tenue, la situation et le petit mot qu’Heidi ose lâcher pour la remercier. Comme un genre de validation dont personne n’avait besoin, elle a quand même daigné donner son approbation là dessus. Et l’attitude presque fière de l’ancienne amie qui lisse les pans de la robe rouge immaculée le lui confirme ; elle ne laisse pas de marbre. Toujours incisive, elle ne manque pas de faire remarquer la position dans laquelle elle a trouvé Heidi plus tôt – loin ce qu’on devrait voir dans une boîte de nuit. L’excuse lui est servie sur un plateau d’argent, mais elle reste perplexe. Haussant les épaules, elle se débarrasse de la logique et de la sagesse que la sobriété lui aurait imposées. « Je vois. » Ce n’est pas comme ça qu’elle, elle aurait procédé, mais pourquoi pas. Après tout, il est rare de la voir lâcher l’affaire mais elle a trop bu et elle s’est trop amusée pour gâcher sa soirée avec une dispute maintenant. Et malgré tout ce qu’elle peut penser, les gestes d’Heidi lui indiquent un certain malaise, une nervosité qu’elle ne peut pas vraiment blâmer.
Seulement portée jusqu’à Bergen pour le travail et quelques réunions de famille, elle avoue également son ressenti d’être là pour autre chose. Tout est si différent d’Oslo, elle s’y était habituée. Et maintenant qu’elle est de retour là où elle a grandi, elle a cette sensation de tout savoir par cœur sans rien reconnaître pour autant. Il y a une expression qu’elle ne saurait décrire sur son visage, sûrement la même qu’elle. Le regard dans le vide, elle se retient une énième remarque pour lui dire de ne pas les mettre dans le même sac ; qu’elles sont différentes et qu’elle, elle a changé contrairement à Heidi. La mâchoire crispée, elle reste silencieuse. Est-elle aveuglée par la rancune ou juste dans un déni phénoménal ? Ce serait difficile à dire. Tant qu’elle ne fera pas l’effort de voir les choses comme elles sont plutôt que comme elles ont été, rien n’évoluera et elle le sait pertinemment.
Interrompue dans ses pensées par le talon qui claque bruyamment au sol, elle lève un sourcil perplexe et esquisse un sourire surpris en entendant la raison. Et juste comme ça, Heidi se dirige vers la porte des toilettes en la laissant là assise entre deux lavabos. Sans pouvoir détacher son regard de son dos, elle a mille pensées à la seconde mais elle n’est pas forcément déçue pour autant. Il faut croire que sa petite pique de tout à l’heure a eu l’effet escompté. Un sourire énigmatique sur les lèvres, elle écoute la proposition en deux mots d’une oreille faussement distraite. « Bah, il faut bien que quelqu’un te serve de professeur. » Haussant les épaules encore une fois, elle se laisse tomber du rebord et remet ses chaussures avec la sensation du devoir accompli. La démarche féline et l’air fier, elle reprend le bras d’Heidi et les pousse toutes les deux vers la sortie en espérant que personne ne soit de l’autre côté à les attendre. Vu de l'extérieur, on ne pourrait pas soupçonner tout ce qui a pu se passer entre elles.

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— Le moment de flottement s’éternise, mais c’est elle qui prend l’initiative de le briser avec ce faux engouement que l’alcool lui a créé. Et pendant quelques secondes, c’est comme si les dernières années n’avaient jamais existé. Elle ignore les sentiments contradictoires dans sa poitrine, des regrets qui la dégoûtent et une nostalgie qu’elle ne contrôle plus. Heidi ne bouge pas, alors dans un coin de sa tête, elle a cette image d’un lapin au milieu de la route paralysé par les phares d’une voiture. Elle étouffe une envie de ricaner pour la prendre par le bras et l’emmener là où la soirée continue, loin de cet endroit devenu quasiment silencieux, non sans glisser au passage encore une façon de se prouver qu’elle maîtrise la situation. Le sourire dessiné sur ses lèvres s’étire à la réponse qu’elle entend.
Un peu crispée sur le bras d’Heidi, elle jette des regards inquiets autour d’elle sans trouver la source de ses ennuis. Rassurée pour l’heure, elle s’imprègne de l’ambiance de la pièce, des lumières et des sons comme si elle venait d’entrer dans son bain. C’est un monde qu’elle connaît, dans lequel elle se sent à l’aise ; elle ne permettrait pas que quelqu’un vienne y semer le trouble. Avec un air presque béat, elle tourne légèrement la tête vers son ancienne amie quand elle entend enfin sa question. Elle prend le temps de jauger – peut-être est-ce une technique pour éviter la piste de danse trop vite. Et puis, elle hausse les épaules. Après tout, on se déhanche toujours mieux avec un petit coup de pouce et Heidi ne fait pas exception. « Bah, si tu veux. Il n’y a jamais trop d’alcool de toute façon. » Un sourire satisfait en coin, elle prend les devants vers le bar et interpelle une des serveuses. « Bonsoir ! Deux Cuba Libre s’il vous plaît. » Les habitudes ont la vie dure quand elle commande la même chose pour elle deux, sans même consulter sa partenaire de la soirée ni réaliser ce qu’elle vient de faire malgré elle. Elle a un peu de difficultés à ouvrir sa pochette pour en sortir un billet, mais une fois chose faite, elle dépose les couronnes sur le comptoir et s’empare des deux verres. Collant le premier dans les mains d’Heidi, elle lève le sien pour les faire tinter l’un contre l’autre. « Cul seeeeeeec ! » Avec un petit rire stupide, elle porte la boisson jusqu’à ses lèvres et vide son alcool d’une traite – gorgées après gorgées, sans s’arrêter pour respirer. Une fois terminé, elle prend une longue inspiration comme si elle avait été en apnée juste assez longtemps pour être essoufflée. Elle a une sensation de chaleur, de libération aussi. C’est comme si d’un coup, son esprit était assez embrouillé pour réussi à oublier tous ses tracas. Un glaçon coincé sur sa langue, elle se décide enfin à poser les yeux sur Heidi pour vérifier si elle a suivi ou non.

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— A nouveau dans le bruit, la chaleur et l’alcool, elle est bien plus dans son élément que quand le silence pesant des toilettes lui pendait encore au dessus de la tête. Elle aurait pu être surprise qu’Heidi n’ait pas encore fuit, ou trouvé une excuse pour rejoindre ses amis, mais elle est bien trop absorbée par ses idées pour se rendre compte de ce qu’elle fait. Bizarrement, elle ne saurait pas dire si ce qu’elle est en train de tenter est dangereux ou un simple pas dans la bonne direction. Même quand c’est l’autre qui propose, c’est toujours elle qui guide le mouvement ; elle a le dernier mot sans même le réaliser. Elle commande pour elles deux, entendant d’une oreille distraite les plaintes de son ancienne amie. En attendant les boissons, elle hausse les épaules nonchalamment – elle voulait boire et elle va boire, alors où est le problème ?
Chacune avec son verre à la main, elle ne laisse pas sa bonne humeur lui échapper et propose directement de boire cul sec ; de toute façon, elle n’est déjà plus très fraîche. D’un œil critique, d’un sourire provocateur, elle observe Heidi suivre le mouvement en croquant périodiquement dans le glaçon qu’elle a gardé dans la bouche. Entre le feu qui lui remonte le long de la gorge et le froid qui lui envahit la tête, elle se contente d’apprécier le spectacle. Son verre vide claque sur le comptoir, et elle l’imite pour pouvoir taper dans ses mains avec enthousiasme. Sûrement portée par tout l’alcool qu’elle a ingéré, elle se risque à des félicitations tout en retenue. « Je ne pensais pas que tu le ferais. Étonnée mais pas déçue. » Un sourire satisfait au coin des lèvres, elle garde les yeux posés sur sa partenaire en ayant l’impression que les années et la distance entre elles n’existent plus.
Soudainement sortie de ses rêveries par un doigt inquisiteur pointé vers elle, elle lève un sourcil avec un air faussement outré. « Des trucs chelous ? » Pas certaine d’avoir bien entendu l’avertissement, elle répète – un peu incrédule. Le nez en l’air, elle croise les bras contre sa poitrine avec un sourire énigmatique. « Si je me souviens bien, c’est quand même toi la spécialiste. » Même bourrée, hors de question de perdre le nord. Elle se souvient bien de cet échange de messages qui l’ont surprise par l’audace chaotique dont Heidi a fait preuve. Taquine et persuadée que rien de tout ça n’était anodin ou aussi innocent que son ancienne amie essaye de le faire croire, elle se rapproche dangereusement d’elle avec ce genre de lueur défiante dans le regard. « Alors, est-ce que moi aussi tu vas m’embrasser ou on peut aller danser ? »

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— Il y a de la surprise et peut-être aussi de la gêne dans les yeux grands ouverts juste en face d’elle. De tout l’effet qu’elle fait et dont elle se délecte, elle reste si proche d’Heidi pendant de très longues secondes, le visage inquisiteur et les pupilles brillantes. Et l’alcool reprend le dessus si vite qu’elle éclate de rire, profondément amusée par le malaise qu’elle a provoqué avec sa minuscule remarque. « Faut pas me le dire deux fois ! » Son petit cri d’enthousiasme est couvert par la musique bien trop forte et les visages sont éclairés par les lumières de la boîte de nuit quand elle sent une pression dans sa main et son corps se diriger presque tout seul vers la piste de danse.
Déjà déhanchée comme si l’endroit lui appartenait, elle se rend bien compte que celle à l’autre bout de ses doigts ne suit pas tout à fait le mouvement. Et au milieu des corps où la sueur perle déjà, elle doit s’arrêter un instant, peut-être pour faire une remarque, peut-être pour soupirer, ou peut-être juste pour abandonner – comment est-ce que tout ça, tout ce qu’il se passe ce soir, aurait pu être une bonne idée de toute façon ? Mais avant même que l’intégralité de ses pensées ne puissent tourner dans sa tête toute embrouillée, Heidi se met à danser.
A son tour d’être au ralenti quand elle s’arrête pour la juger d’un œil critique. C’est évident que l’ancienne amie n’est à l’aise que grâce à l’alcool, qu’elle n’a pas l’habitude. Mais elle sourit béatement comme s’il n’y avait plus qu’elles deux dans la lumière, une façon comme une autre d’oublier tout ce qui a pu ce passer – tout ce qui la préoccupe encore. Pour un moment si long qui n’a semblé durer qu’une seconde, elle ne la lâche pas des yeux même si Heidi garde les siens fermés. Et quand son sourire vient terminer sa démonstration autant que ses mots, elle reste silencieuse un instant avant de retrouver son rictus satisfait. « Tu peux faire mieux que ça. » L’attitude provocatrice et les sourcils un peu froncés, elle s’empare de l’autre main de sa partenaire de la soirée pour lever leurs deux bras en l’air et l’entraîner au rythme de la musique ambiante. Les paroles d’Heidi qui s’étaient échouées contre sa rancune et sa colère quelques mois plus tôt lui reviennent en tête sans qu’elle ne puisse rien faire pour les en empêcher. « Est-ce qu’on est assez adultes ? Est-ce que c’est une suffisamment bonne base sur laquelle repartir ? » De ces mots qui s’échappent de sa gorge en même temps qu’un rire clair avec l’infime espoir d’être oubliés et noyés dans les souvenirs alcoolisés le lendemain, la solitude tenace s’efface tout doucement du même coup.

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— A deux sur la piste au milieu de dizaines de corps déjà oubliés, elle s'efface sans avoir trop conscience de ses mots ou de ses gestes. Comme on danse avec une vieille amie, elle a l’euphorie au bout des doigts et une légère pellicule de sueur un peu brillante sur son visage. Elle est là depuis quelques temps déjà, même si Heidi vient d’arriver ; elle a eu le temps de se fatiguer et s’amuser. Il y a des sourires et des silences, une complicité éphémère comme elle n’en a plus eu depuis longtemps. Elle s’étonne et se réjouit que sa camarade de la soirée suive le mouvement aussi facilement – mais elle ne s’attendait pas elle-même à poser une telle question sans honte. Il faut croire que l’alcool lui est définitivement monté à la tête. Il se passe un temps avant que la réponse ne lui arrive jusqu’au cerveau, mais bien vite, elle la rejoint avec son rire stupide plus proche du gloussement disgracieux que du délicat soupir. « Ouaaaais, ça faisait un bail que j’avais pas autant bu. » Ce n’est pas pour lui déplaire, que sa question ait été tournée en dérision comme ça, ça lui prouve beaucoup de choses dont elle se doutait déjà à propos d’Heidi. Mais perdue dans ses propres pensées, elle hausse les sourcils presque sérieusement comme une préparation à ce qui va suivre. « Même euh… au nouvel an, à la soirée dans la boîte de nuit du Palasset. » Elle ne se souvient pas l’avoir vu là-bas, d’ailleurs – mais peut-être qu’elle y était aussi. Peut-être qu’elle dansait, à la fois maladroitement et sans inhibitions comme maintenant. Elle l’espère, au fond d’elle. « J’ai dansé sur le bar avec d’autres filles, et il y en a une qui est tombée ! » Un ricanement s’échappe de sa gorge quand elle y repense ; c’était une idée stupide, mais qu’est-ce que c’était marrant. « Mais moi j’étais pas assez torchée pour tomber aussi. » Elle secoue la tête de droite à gauche, comme pour la convaincre – comme si c’était nécessaire. Elle ne sait pas pourquoi elle a raconté ça maintenant, ni pourquoi à elle en particulier. Le Cuba Libre de trop, sans doute – c’est juste sorti tout seul. Quand elle sent la pression dans sa main pour tourner sur elle-même, elle s’exécute fièrement avec une grâce approximative, partageant un moment de déséquilibre étrange ensemble.
Et si Heidi libère son corps, elle c’est sa langue qui se délie tout doucement. Son regard pèse sur elle, elle le sent et s’en délecte. C’est comme si ça lui avait manqué, cette ombre toujours derrière elle, cette présence par dessus son épaule. Elle le sait, elle n’a pas toujours été l’amie idéale, et ça n’a pas été l’amitié idéale non plus. Malgré l’attachement, le recul et les années de solitude et de rancœur le lui ont fait comprendre – elle n’est pas exactement innocente dans son propre malheur. Heidi lui accorde un sourire, mais elle, elle perd le sien. « Ça dure depuis trop longtemps pour que ça soit encore un début. » Un éclair de lucidité dans tout cet alcool, toute cette musique assourdissante, toutes ses lumières éblouissantes. Soudainement déphasée dans un monde qui ne bat plus au même rythme qu’elle, elle laisse son regard flotter partout autour d’elle sans rien voir ; les mains encore désespérément accrochées à celles de son ancienne amie. « Tu sais, j’étais… tellement en colère, tout le temps. » La voix hésitante, elle ne sait déjà plus ce qu’elle dit et sa langue parle avant même qu’elle ne puisse penser à l’arrêter avant. Des choses qu’elle n’a pas su pardonner et dont elle a compris il y a peu la teneur et la vérité, de la rancune à laquelle elle s’accroche en sachant très bien que l’autre n’est plus responsable. « Et puis, il y avait des jours où je me sentais surtout vide. » Oh, elle a eu d’autres amies, bien sûr. Mais ça n’a jamais été la même chose – et ça ne le sera plus jamais. Et si elle, elle était dans cet état là, alors comment a pu être Heidi, abandonnée au pire moment par la personne la plus proche d’elle ? Ce n'est que maintenant qu'elle se pose enfin la question. Un sourire amer sur le visage, c’est plus difficile de s’en tenir à la raison et aux décisions prises sous le coup de la colère quand plus rien n’a de sens. « Je me suis rendue importante pour tout le monde, mais finalement, je n’ai été indispensable pour personne. » Elle soupire, sentant l’euphorie retomber autant que son enthousiasme. Les traits soudainement tirés, c’est comme si la fatigue de la fin de soirée l’avait embrassée toute entière en quelques secondes.

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— Elle rit de bon cœur, comme elle l’aurait fait avec une bonne amie retrouvée après des années de séparation. Peut-être que l’alcool lui fait perdre la raison et la notion du temps, elle n’a plus vraiment de prise avec la réalité à ce moment là. « Mais non, je pourrais encore boire plein de verres et rester super fraîche ! » Hilare assez facilement, elle ne se rend plus vraiment compte de ce qu’elle dit, et encore moins qu’elle est en train de prouver à Heidi qu’elle est exactement ce qu’elle prétend ne pas être. Mais quel mal y a-t-il à ça, s’oublier et lâcher prise de temps en temps ? Virevoltant avec un équilibre précaire, perchée sur ses hauts talons, elle relate avec ses souvenirs embrouillés la soirée du nouvel an. « Toujours. » Un grand sourire, ses paroles contrastent encore avec ses gestes erratiques et son sang qui bouillonne au Cuba Libre. Alors que sa partenaire de danse se déhanche encore en apportant sa propre version de l’histoire, elle continue de rire de plus belle comme si c’était la meilleure soirée de sa vie. Elle hausse les épaules, l’évidence au bord des lèvres. « Bah, on a le temps de s’entraîner pour l’année prochaine de toute façon. » A mille lieux de réaliser ce qu’elle vient de dire, de promettre et d’annoncer, elle se contente de glousser bêtement et de raconter tout ce qui lui passe par la tête.
Alors que l’euphorie s’effrite et que la bonne humeur s’évapore du même coup, elle a les yeux dans le vide et les pensées sombres. Tout doucement, l’alcool s’est transformé en poison dans ses veines ; toute l’énergie qu’elle a pu en tirer dans les secondes précédentes devient lourde et les mots sortent sans qu’elle n’arrive à l’empêcher. Il n’y a plus rien qui atteint ses oreilles ou ses yeux, juste la voix et l’image d’une Heidi si peu désinhibée par cette ambiance. Le moment de flottement qui s’installe quand elles se regardent, les yeux dans les yeux, a l’air de durer des années. Sa réponse résonne dans sa tête – elle ne saurait dire si les échos qu’elle entend sont des regrets ou du soulagement. Elle finit par rompre le contact, baissant les yeux presque sagement, pour enfin lui rendre son faible sourire. C’est vrai, elle n’a pas été la meilleure amie qu’elle aurait pu être, plus une artiste aveugle sculptant quelqu’un selon ses moindres désirs qu’une réelle personne sur qui compter. « Toi… même vide, tu as… des gens pour essayer de combler ce qui manque. » Il aurait pu y avoir une teinte de jalousie ou de rancœur derrière tout ça, mais la seule chose qui reste quand l’alcool a tout balayé sur son chemin, ce sont les faits. « J'imagine que ce sont eux qui t'aident à te coiffer, maintenant. » Heidi, elle a sa bande d’amis à présent – elle a eu l’occasion de les croiser, de les voir de loin sur le campus et ailleurs. Rien à voir avec les connaissances éphémères qui avaient l’habitude de passer du temps et des soirées en sa précieuse compagnie à Oslo ; du moins c’est ce dont elle est persuadée. Elle ne peut pas décemment se plaindre d’avoir été remplacée quand c’est elle-même qui a abandonné le navire, aussi vite et aussi facilement – mais l’amertume qu’elle ressent une fois sobre est bien réelle.

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— Elle ne sait pas trop si elle se souviendra de tout ça demain, ça fait longtemps qu’elle n’a pas autant bu alors elle n’a plus vraiment l’habitude même si elle ne se l’avouerait pas. Heidi finit son verre, et elle, commence déjà à décuver les siens. Heureusement qu’elle ne propose pas de retourner en chercher, parce que si elle est encore capable de danser, elle n’est pas bien sûre que ça dure encore longtemps. Sans réfléchir à ce qu’elle dit, elle en arrive à proposer à son ancienne amie de fêter le prochain nouvel an ensemble. Est-ce une bonne chose, n’est-ce pas un peu précipité ? Elle n’en a aucune idée, elle n’a plus le recul nécessaire pour se rendre compte que se rapprochement inespéré n’a rien d’anodin. Son sourire s’étire, innocent et enthousiaste comme elle l’a rarement été ces derniers jours. Hochant vivement la tête, elle encourage Heidi silencieusement. Elles doivent avoir l’air bête, à danser approximativement en se tenant les mains, à s’échanger des sourires jusqu’aux oreilles au milieu de la foule.
Loin de réaliser tout de suite les changements dans la musique, dans l’ambiance et dans l’humeur, elle commence à laisser l’alcool triste parler quand toute l’euphorie a terminé son discours. Depuis combien de temps ne s’était-elle pas confiée à quelqu’un comme ça, vraiment, sans faux semblants, en exprimant ses émotions aussi brutales et vraies soient-elles ? Elle n’a plus personne de proche, à cause de la peur de se perdre, de se faire doubler ou de s’abandonner à la mauvaise personne. Des milliers de followers, des centaines d’amis, et pourtant personne à qui se confier. Est-ce de la jalousie ou du regret qui la submerge ? C’est difficile de se rendre compte qu’Heidi n’a plus besoin d’elle, même en étant complètement bourrée. Bien loin de la rancœur belliqueuse qui la contrôlait lors de leur rencontre au Moro Center, c’est plus la résignation qui domine quand elle accueille les mots et les vérités ce soir. « Tout est cassé, on ne peut plus recoller les morceaux comme ça. Ce ne sera plus jamais comme avant entre nous. » Elle soupire doucement, étrangement lucide sur la situation. « Peut-être que ça vaut mieux. » L’amertume d’avoir été remplacée est toujours là, mais elle ne peut pas nier qu’aujourd’hui, si elle pouvait, elle ne referait plus les mêmes choix. Elle a conscience de la façon dont elle a traité la personne la plus importante de sa vie – et maintenant c’est trop tard. Maintenant, Heidi a des vrais amis sur qui elle peut compter et peut-être même une copie d’elle-même en plus facile à vivre. Elle ne serait pas à sa place dans ce groupe là, elle le sait pertinemment, ils ont leur histoire et elle a la sienne – elles ne sont pas supposées se croiser.
Ce n’est pas difficile de voir que les deux blondes s’accrochent à un espoir qui semblait encore vain il y a quelques jours, même si ce n’est pas le même. Elle voudrait ne pas disparaître, pouvoir recommencer sans rien effacer et faire mieux ; mais elle comprend qu’Heidi souhaiterait plutôt tourner la page d’une autre façon. Un sourcil levé, elle ne comprend pas. De quel choix est-ce qu’elle parle ? Il n’y a jamais eu de choix à faire, elle n’est qu’un fragment du passé qui refuse de mourir en silence et dont le karma ne se calme pas – rien à voir avec le stable groupe dont son ancienne amie fait partie maintenant. Secouant la tête de gauche à droite, elle lâche les mains d’Heidi plus brusquement qu’elle ne l’aurait voulu – un semblant de panique, de fuite ou quelque chose comme ça. Ce n’est pas son genre d’essayer de s’échapper de la sorte, pourtant. « Je ne sais pas, je suis bourrée et j’ai besoin de respirer. » Qu’est-ce que tout ça veut dire, pourquoi maintenant et pourquoi est-ce qu’elle insiste tant ? Qu’est-ce qu’elle veut essayer, et pourquoi ça a l’air de lui faire plus de mal que de bien ? Le visage fermé, elle se faufile doucement dans la foule en se balançant d’un pied à l’autre de manière un peu erratique jusqu’à la sortie. Avec l’infime et terriblement dévastateur espoir qu’Heidi la suivra, elle doit gérer des centaines d’émotions contradictoires dans son ventre sans savoir quoi en faire.

|	I left my hand and my heart on the dancefloor ; ft. Heidi

— Il y a beaucoup d’émotions et de sentiments contradictoires qui s’entrechoquent dans son ventre sans qu’elle ne réussisse à les comprendre. Et soudain, le besoin de respirer se fait si pressant qu’elle a l’impression d’avoir retenu son souffle pendant tout ce temps. Le regard partout sauf sur Heidi, elle s’applique à l’éviter comme si elle en avait encore le droit. Elle n’est pas sûre de comprendre pourquoi elle fuit au lieu de faire face la tête la première, comme elle le fait habituellement avec tout. Il faut dire que quand il est question d’elles deux, ce n’est jamais facile.
Comme une anguille à travers la foule d’inconnus, elle glisse entre les gens sans jouer des coudes pour trouver la sortie le plus vite possible. Les pas mal-assurés et la vision un peu floue, elle atteint enfin l’air frais qui la fait frissonner. Peut-être qu’elle aurait du récupérer son manteau au vestiaire ; ça lui aurait évité de trembloter comme une feuille sur le trottoir. Avec un claquement de langue agacé, elle observe les fumeurs à sa droite et à sa gauche – c’est dans ces moments là qu’elle regrette de ne jamais avoir accroché avec la nicotine, ça lui aurait permis de faire quelque chose de ses mains au lieu de rester plantée là à ne rien faire.
Comme une réponse divine à ses silencieuses prières, le bruit de la porte attire son attention et elle tourne la tête juste assez pour apercevoir le visage d’Heidi qu’elle dévisage encore comme si c’était la première fois qu’elle la voyait. Elle soupire, incapable de déterminer si elle est heureuse ou non d’entendre cette excuse. Lâchant quand même un soupir amusé, elle s’autorise un peu d’ironie malgré tout l’alcool qui lui coule dans les veines. « C’est dingue, on n’est même pas encore en été. » Elle détourne poliment le regard, acceptant cette explication bidon sans discuter – jouant le jeu, même.
Heidi s’installe contre le mur près d’elle, et elle sent les picotements dans son bras remonter jusqu’à son épaule. Du manque d’aise, de l’angoisse de deviner la suite peut-être aussi, l’engourdissement dû au froid surtout. Le silence est à la fois réconfortant et terrifiant, parce qu’elle est bien consciente qu’il ne durera pas éternellement. Est-ce qu’elle le voudrait ? Probablement pas, mais ce serait, à défaut d’être confortable, au moins plus facile. Elle s’y attendait un peu, mais la voix de son ancienne amie lui tire un frisson de plus quand elle l’entend. Et après un long moment de flottement où elle fait mine de n’avoir rien entendu, elle se décide enfin à esquisser un sourire. « Tu délires. » La main devant le visage comme pour cacher son gloussement inélégant, elle se retourne pour faire face à Heidi. « Le destin et tout ça… je n’y crois pas trop. Et c’est possible que je ne me souvienne même pas de cette conversation demain matin. » L’air songeur et les joues rouges, elle se balance doucement d’une jambe à l’autre sur le bord du trottoir comme pour empêcher ses genoux et ses orteils de geler sur place. « Alors que ça veuille dire quelque chose ou non, je ne suis pas certaine que ça compte. » Elle ne réalise pas trop ce qu’elle dit, ni qu’elle le dit avec son plus beau sourire – comme si ça avait une quelconque importance pour elle. Et puis, Heidi aussi a bu ; alors ce n’est pas complètement de sa faute si elle ne sait ni quoi dire ni quoi faire. De toute façon, elle se rassure en se disant qu'elle est trop bourrée pour être maîtresse de ses réactions, comme si le froid et l'air ne lui avaient pas déjà fait perdre quelques degrés.

|	I left my hand and my heart on the dancefloor ; ft. Heidi

— Il est si facile de nier en bloc pour éviter les silences pesants et les réponses douloureuses, de tout cacher sous l’alcool alors que le froid lui a déjà rendu une bonne partie de ses facultés. La mine boudeuse, elle observe Heidi et ses mouvements sans trop réussir à savoir ce qu’elle pense. Mais maintenant, c’est difficile de détacher son regard du sien, parce que l’ancienne amie attend des réponses qui sont déjà sur le bout de sa langue. Elle prend une longue inspiration, elle doit se concentrer pour rassembler ses pensées et mettre de l’ordre dans sa tête. « Mmmh… Ça serait rassurant de n’être responsable de rien, mais ce serait aussi triste de n’avoir aucun pouvoir de décision. Je préfère me dire qu’on s’est retrouvées là parce que j’avais envie de boire et parce qu’on t’a invitée à danser ici plutôt que de laisser ça au destin ou quelque chose du même genre. » Et pendant qu’Heidi semble se recroqueviller sur elle-même, elle s’accroupit près du trottoir comme pour laisser un peu de répit illusoire à ses pieds fatigués. Des réflexions bien trop sérieuses pour ce genre de soirée, voilà ce qu’elle déblatère. Elle soupire, encore une fois, et détourne sagement les yeux. Un stupide garçon, tout a commencé à cause de lui – ou plutôt tout est parti en vrille à côté de lui. « J’aurais aimé que ça soit sa faute. Tout aurait été tellement plus simple, si seulement c’était juste une histoire de garçon. » Elle hoche la tête doucement, essayant de se convaincre aussi elle-même au passage. Il y a des confessions qu’on ne fait qu’à voix basse, dans l’espoir vain qu’elles puissent s’envoler et disparaître avec le vent. « Mais la vérité, c’est que ce n’est pas ça. » La vérité, c’est qu’elle aurait du protéger son amie, ou au moins ne pas l’abandonner. Lui faire confiance plutôt que lui tourner le dos, lui parler plutôt que de lui reprocher des choses qu’elle n’aurait jamais pu savoir seule. Elle est bien la première à blâmer les hommes, jamais timide de leur attribuer tous les maux du monde, mais après de longues années à avoir tout attribué aux deux coupables de son infortune, elle a réalisé bien trop difficilement qu’elle n’était pas non plus innocente dans tout ça.
Un air vaguement las sur le visage, elle repose à nouveau les yeux sur Heidi comme si c’était la première fois qu’elle la voyait. Dépouillée d’émotions et de jugement, elle la regarde juste de haut en bas. Elle a l’impression de s’être libérée d’un poids, mais que rien n’est vraiment différent. Peut-être qu'en fin de compte, c'était déjà trop tard. Elle sourit à sa question, sincère et apaisée pour une fois. « Peut-être. » A vrai dire, elle ne fait plus autant la fête qu’avant ; elle a plus de travail, et aussi parfois envie de se prélasser dans son canapé. « Pas toutes, j’espère. Je commence à me faire trop vieille pour tenir le rythme. » Elle pouffe délicatement derrière sa main avant de se relever, les jambes un peu engourdies. Et puis, elle lève un sourcil et lui adresse un rictus provocateur. « Est-ce que c’est un fantasme secret ? Sortir tous les soirs en boîte et te déhancher comme s'il n'y avait pas de lendemain ? » Elle n’y croit pas vraiment connaissant Heidi et pariant qu'elle n'a pas franchement changé, mais elle doit bien avouer que ce serait assez drôle comme retournement de situation.