to eternal bliss (ft. paco)

— L’écharpe remontée jusqu’à mon nez et emmitouflé dans mon manteau, je sens pourtant le froid glacial s’infiltrer partout entre mes os à la seconde où je sors de ma voiture. Il faut dire que la maire avait bien prévenu toute la ville qu’une tempête de neige se préparait et ça ne va pas tarder. Garé là où le gps m’a emmené, je ne connaissais pas cet endroit mais c’est apparemment ici que Paco vit, ces temps-ci. Tant mieux, je me serais senti un peu… gêné, de devoir remettre les pieds aussi vite dans l’appartement qu’il partage avec son meilleur ami. Et c’est rassurant de savoir qu’il prend du temps pour lui plutôt que pour… ce dont Bastien et moi avons du le sortir. Notre mariage est un secret et notre relation… et bien, je ne sais pas quoi en dire mais j’imagine qu’il y a du mieux. Dommage qu’il ait fallu qu’on se blesse autant pour pouvoir se parler.
Son courrier arrivé chez moi par erreur entre les mains et les boucles qu’il m’a offertes aux oreilles, j’ai presque hâte de toquer à cette porte sans savoir ce qui m’attend de l’autre côté. Le cœur battant, je m’exécute et toussote un peu pour m’annoncer. « Paco ? C’est moi. » A la fois patient et pressé, je tends l’oreille pour essayer de deviner s’il arrive – angoissé comme une collégienne à deux doigts de donner une lettre d’amour à son crush alors que je n’ai que des factures sous la main.

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— Je n’aurais jamais pensé trouver Paco dans ce genre d’ambiance et pourtant, c’est bien là qu’il habite en ce moment. Au milieu de nulle part, ça ne me déplaît pas – après tout, c’est pour ça que j’habite côté nature gate. Après l’avoir entendu s’agiter de l’autre côté du mur, je me recule précipitamment et abaisse un peu mon écharpe pour être un peu plus présentable. Un peu tendu quand la porte s’ouvre, je suis à la fois soulagé et déçu qu’il me laisse rentrer sans m’embrasser en guise de salutations. « Hey. » Je lui adresse un sourire timide, sachant pertinemment que je suis celui qui l’a supplié pour qu’on aille doucement cette fois-ci – ça ne m’empêche pourtant pas de ressentir le manque, l’avoir à la fois si proche et le sentir si loin n’est pas facile. Quand je lui emboîte le pas dans son appartement, je me dépêche de fermer la porte derrière moi pour ne pas laisser le froid s’infiltrer ici et lui tends son courrier. « T’en fais pas, ça me dérange pas du tout. » Au contraire, même. C’est juste une excuse de plus pour le voir, comme si j’en avais encore besoin, plutôt que de me pointer chez lui sans raison particulière. C’est compliqué de retrouver une routine entre nous, on marche tous les deux sur des œufs et on fait attention à tout, tout le temps.
Sans savoir si c’est sa proposition ou son air malicieux qui me chatouillent le ventre, je laisse l’humeur qui flotte ici avec l’odeur de peinture me prendre aussi. « Ouah, une offre à ne pas rater. C’est un hon-… » A des kilomètres du choc qu’il est en train de vivre et que je ne remarque même pas, je mordille ma lèvre en déboutonnant un petit peu mon manteau. Ai-je même le droit de rester ici quelques instants avant de repartir chez moi ? Je soupire discrètement, un peu angoissé. Mes quelques pas dans l’appartement me mènent jusqu’à la pièce principale et ce que j’y vois me coupe le souffle comme un brutal coup dans la poitrine. Pendant un instant de flottement, mes mots se perdent, trébuchent et s’écrasent. Tout ce qui se passe dans ma tête aussi. « C-c’est… C’est… Euh… C’est très grand. » Les yeux rivés sur l’immense dessin au mur dont je devine sans aucun mal que je suis le sujet principal, je sens mes joues virer à l’écarlate. Difficile de trouver la réaction adéquate quand mon esprit se vide un peu plus à chaque seconde, je n’ose même pas détourner les yeux vers Paco. Pourtant, ce n’est pas l’envie qui m’en manque. J’ai tant de questions sur cette œuvre et aucune ne daigne m’échapper, je me sens juste… tout petit. « Est-ce que… je peux… euh, m’asseoir ? » Après un petit raclement de gorge, je parviens enfin à m’arracher à ma contemplation, à la fois déboussolé et toujours violemment coloré.

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— Passée la gêne intense de se retrouver devant une œuvre de cette taille là qui me représente, je regarde un peu partout avant de poser les yeux sur lui pour essayer de reprendre une contenance. Ma tête reste vide un instant ; vu la situation qui est représentée, ça doit faire un moment que cette œuvre existe. Et je finis par sourire avec une pointe de tendresse discrète, le cœur battant. « Oui, c’est vraiment réussi. » Malgré le fait que je l’ai dit à voix basse, je secoue légèrement la tête de droite à gauche avant de me reprendre. « Enfin, je… j’en sais rien, j’y connais pas grand-chose. Juste, je l’aime bien et si tu l’aimes bien aussi, euh… bah, c’est bien. » Je laisse échapper un petit rire nerveux, presque désolé de ce manque d’éloquence qui me colle pourtant à la peau.
Du bout des lèvres, je lui demande timidement si je peux m’asseoir quelque part et lui souris avec douceur à sa réponse. « Oh, c’est rien, t’inquiète pas. Je vais pas… pas rester longtemps de toute façon, la tempête de neige devrait pas tarder alors… tu vois, quoi. » Quelque part, j’ai l’impression que c’est un endroit précieux qu’il me dévoile, une partie de son intimité. Prudemment, je m’installe sur un tabouret et attends mon chocolat chaud – le meilleur de la ville, apparemment. Je rougis un peu à sa dernière remarque et fais mine d’observer l’appartement comme une excuse pour ne pas devenir encore plus écarlate. « Donc ça veut dire que… avec moi, tu te sens comme si t’étais tout seul ? » Mon sourire s’efface brusquement quand je réalise ce que je viens de dire. Maladroit, je trébuche à chaque mot ; on dirait qu’on est revenus à nos débuts. « Je voulais dire, aussi… bien que si t’étais tout seul… Je… Désolé, je voulais pas te mettre mal à l’aise, c’est sorti tout seul. » Les lèvres pincées, je m’accoude au comptoir, le menton reposé dans la paume de ma main. Décidément, ce n’est pas facile de tout recommencer. Mes doigts s’enroulent autour de la tasse chaude et l’odeur rassurante me monte jusqu’au nez. C’est agréable, on dirait que je suis à la maison.

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— Pendant une fraction de seconde, je m’imagine à la place de celui qui me représente dans ce dessin. A quel point est-ce que la paix dessinée là sur mon visage serait réelle ? Impossible de savoir. Ramené à la conversation par son sourire, je le lui rends avec tendresse. « Peut-être que tu devrais. » Clignant des yeux, je réalise que ce n’est pas très clair alors je me reprends vite. « T’attendre à des compliments incroyables, hein. Pas aller voir un critique d’art. Il paraît qu’ils sont méchants et snobs. » Je fronce le nez comme un gamin et fais la moue, pas franchement pour qu’il aille se jeter dans la gueule du loup même si… je n’ai jamais parlé à aucun loup, en fait.
Cette distance polie entre nous est gênante, plus que je ne l’aurais imaginée ; on avance tous les deux sur un fil au-dessus du vide avec l’espoir que l’autre sera là pour nous rattraper. Recommencer depuis le début, c’est si compliqué quand on avait déjà un tas d’habitude. Encore une fois enfoncé jusqu’au cou dans mes pensées à me débattre contre moi même pour ne pas être le plus maladroit possible, je secoue la tête de gauche à droite. « Euh, non… Non, je-… » Bégayant un instant, je m’arrête et me détends en une seconde quand j’entrevois son sourire en coin. Les papillons dans le ventre, ils ne sont jamais partis mais c’est dans ce genre de moments qu’ils me font comprendre qu’ils sont encore là. Les mains autour de ma tasse, je laisse la chaleur m’envahir alors que ma poitrine se réchauffe en même temps. « Désolé, je suis un peu… bizarre. » Cette fois plus à l’aise, je lui souris sans me retenir.
Peut-être que j’aimerais bien rester là à le regarder pendant des heures, jusqu’à ce que mon chocolat soit froid et que ma voiture soit ensevelie sous la neige. Quelque part, j’en viens presque à espérer que cette tempête me coince ici pour avoir une chance de parcourir la distance qui s’est installée entre nous. « J’adorerais aller à un rencard avec toi. » Je lui réponds enfin, avec un apaisement visible sur le visage. « Ça te dirait qu’on… aille au cinéma, à la dernière séance et qu’après on prenne quelque chose à emporter et qu’on mange au bord du lac ? Un truc dans le genre, je sais pas. Qu’est-ce que tu veux faire, toi ? » Porté par mes moindres pensées, je me laisse aller à imaginer une soirée entre nous deux sans même envisager qu’on puisse mourir de froid en pleine nuit avec la météo de ces prochains jours. En plus, je n’ai jamais vraiment été un parfait petit ami alors je n’ai absolument aucune idée de ce qui pourrait constituer un rendez-vous… normal.

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— Les yeux rivés sur lui, j’attends et observe ses réactions avec autant de prudence que d’appréhension. Ça n’a jamais été quelque chose dont on discute, même s’il m’a déjà laissé mettre les pieds dans cette partie de son jardin secret. Et j’ai promis que je ne demanderais rien. Même si quand je l’entends répondre, j’ai envie de poser des questions, je me retiens et détourne le regard. « Pour ce que ça vaut, je… je me sentais bien, quand je te regardais peindre. » Comme un secret révélé à demi-mots, je lui souffle ces mots du bout des lèvres.
Mon sourire se change en rire léger quand il évoque l’université et je ne peux m’empêcher de rentrer dans son jeu. Je l’ai tellement repoussé, au début, qu’il m’est impossible de ne pas y succomber maintenant. « Oh, c’en est un. J’espère que tu m’en veux pas trop d’avoir récupéré ton titre. » Un sourire en coin, je plonge mes yeux dans les siens et lui tire la langue. C’est une blague à laquelle je ne crois pas mais quelque part, l’imaginer pendant une seconde m’amuse – au point de me donner envie de me comporter comme un gosse. Mais ma bonne humeur légère est de courte durée quand le doute ou la déception s’installent sur mon visage. « Ah… oui, c’est vrai. » Je crois que j’aurais vraiment aimé y aller avec lui, peu importe le temps ou la météo.
Mais la suite m’interpelle ; je repose le regard sur lui, à la fois curieux et perplexe. « Me foutre une raclée ? » Les restes de mon sourire reviennent alors, l’instinct de compétition avec. « Tu peux toujours rêver. » Même si à cet instant, c’est plutôt moi qui rêve. A le voir s’approcher comme un prédateur, mon cœur s’emballe et je ne peux rien y faire. « Peut-être que je te laisserais gagner. » Le rictus sur mes lèvres s’étire. Je n’ai même jamais tiré alors je n’aurais certainement pas à faire beaucoup d’efforts pour ça. Je finis par m’adoucir et m’approcher, plus à l’aise que tout à l’heure. « Ça fait rien. Ça me va aussi si on prévoit rien et qu’on voit sur le moment. J’ai juste, euh… ça m’a manqué de… d’être… avec toi. » Mais c’est la gêne qui s’empare de moi tandis que mes joues se mettent à brûler et que je tripote mes doigts comme une vaine tentative de me raccrocher à quelque chose pour ne pas être ridicule.

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— Quelque part entre l’innocence pure et l’émerveillement, je sens mes yeux s’agrandir et briller d’une lueur si douce quand j’entends son murmure. Ces moments si discrets, si petits, et pourtant si précieux me reviennent en mémoire. Je ne peux pas arracher mon regard au sien ; ça ne devrait pas être une telle surprise et pourtant. Comment est-ce que j’ai pu survivre des mois sans l’avoir à côté de moi ? L’instant se brise quand il détourne le regard et mon cœur vacille. Que s’est-il passé, à quoi a-t-il pensé pour s’arracher au magnétisme qui flottait entre nous ?
Sans que je n’ai le temps d’y réfléchir, la conversation reprend son cours. Je souris, bon perdant si c’est de ça dont il s’agit. « Je râlerais même pas si c’est à toi qu’il faut que je rende la couronne. » Bien entendu, je sais que les études, ça ne lui correspond pas ou plus. Je sais que ça n’arrivera jamais, mais imaginer cette situation réveille quelque chose d’à la fois tendre et amusé dans ma poitrine. Je n’ai jamais été un grand dragueur, mais ça m’est venu tellement naturellement que je ne réalise pas tout de suite ce que je viens de dire.
Alors que chaque changement presque imperceptible dans son attitude ou sur son visage me pousse à me maudire de ne pas avoir tourné ma langue sept fois dans ma bouche avant de parler, la suite de la conversation me détend un peu. L’air plus léger, je lève un sourcil avec un rictus. « Oh oh… j’espère que tu dis pas ça juste pour te faire mousser. Et que tu vas pas me laisser gagner, non plus. Parce que je sais déjà où on va après ça. » Peut-être que je vais un peu vite en besogne, à planifier un autre rencard après celui qu’on a même pas encore eu. Mais l’idée m’est venue tellement naturellement – comme une évidence qui n’attendait que moi.
Poussé par l’envie de le faire se languir un peu, je ne lui révèle pas tout de suite à quoi je pense avec une petite lueur de malice dans les yeux. Et après cet aveu du bout des lèvres qui me brûle encore la langue, je sens mes joues s’enflammer. Je hoche la tête doucement, incapable de détourner le regard malgré la gêne intense qui s’empare de moi. Tripotant mes mains pour empêcher ce faible tremblement d’être trop visible, je me surprends à me rendre vulnérable sans savoir si j’ai vraiment le droit de l’être. La bouche sèche, les mots ne sortent pas malgré ce besoin urgent de me justifier. Il y a sa main, son visage, lui tout entier juste là. Je n’aurais qu’à faire un geste, il faut seulement que je prenne mon courage à deux mains pour une fois. Une seule fois. Je déglutis difficilement et mes yeux font des allers-retours dangereux entre ma tasse et lui. Tout doucement, j’amorce un mouvement vers ma tasse sans manquer de l’effleurer au passage. Mon cœur s’emballe dans ma poitrine à ce presque contact électrique, trop pour que je puisse faire autre chose que simplement me raviser. Est-ce que c’est tout ce dont je suis capable ? Le regard perdu de honte dans les volutes du chocolat chaud, j’en viens juste à espérer qu’il n’a rien remarqué.

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— Entre les sourires timides et ceux plus francs, j’essaye de me laisser aller. Parce que c’est ce qu’on essaye de faire tous les deux – se redécouvrir, s’autoriser à prendre notre temps même si c’est difficile de résister. En équilibre sur un fil, c’est compliqué de retrouver notre proximité naturelle d’avant, peut-être que ça ne sera plus jamais pareil. Loin des regards agréables et de la chaleur rassurante du moment, je suis soudain pris d’une honte envahissante. D’avoir essayé de le toucher, de ne pas avoir réussi ; d’avoir cédé et échoué. J’avale difficilement ma salive et renifle légèrement pour reprendre une contenance. J’espère qu’il n’a rien remarqué – à moins que je n’espère qu’il fasse pour moi le pas que je n’ai pas terminé ? Je ne sais plus, tout est si confus.
Alors que je réalise un peu brutalement que j’ai fait ce que j’avais à faire, que je n’ai plus à rester ici, je détourne le regard avec gêne et me lève avec précipitation. Comme porté par cet embarras auto-infligé, je n’ose plus le regarder dans les yeux quand je remets mon manteau dans le même geste. « Je devrais y aller, désolé. Merci pour le chocolat. » Un vague murmure à peine audible et je me dirige vers la porte, crispé et frustré. Ça ne devrait pas se passer comme ça, je ne devrais pas faillir à respecter mes propres règles. Et au moment où une vague de froid me traverse quand je l’ouvre, je reste là, interdit. Clignant des yeux face au ridicule de la situation, j’observe ma voiture disparaître lentement sous la tempête de neige et tous mes espoirs de fuite avec. « Euh… » Comment je vais rentrer chez moi, maintenant ?

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— Debout là devant la porte ouverte, je reste interdit de longues secondes avant de finir par la refermer. A la fois gêné et dépité, je ne sais même pas quoi dire face à ma bêtise. Comment est-ce que j’ai pu oublier la tempête de neige suffisamment longtemps pour rester coincé ici ? Et la voix de Paco qui s’élève fait battre mon cœur un peu plus encore. Vingt-quatre heures. Ce n’est rien, rien qu’on n’a pas déjà fait des centaines de fois. Alors quel est le problème, pourquoi ai-je si chaud juste après m’être pris ce blizzard en pleine face ? La panique me prend à la gorge et mes mains deviennent moites ; je devrais répondre quelque chose plutôt que de rester crispé et muet comme une carpe. Mais rien ne vient.
Reposant les yeux sur lui avec une vague inquiétude sur le visage, je comprends qu’il m’invite à rester là. Il n’a pas franchement d’autre choix, j’en suis conscient et je me sens immédiatement coupable de lui imposer ça alors que je suis celui qui a demandé à prendre son temps. « J-je suis désolé, j’ai… j’ai oublié. » Baissant les yeux, je me résigne à obéir à son conseil. Une fois débarrassé de mon manteau et de mon pull maintenant sagement accrochés, je retire aussi mes chaussures. Si moi, je ne suis pas un grand amateur de chaleur, je sais que lui, si. Et bizarrement, toute la chaleur que cet appartement génère autour de moi n’a pas une once d’amertume. C’est comme… revenir à quelque chose de réconfortant sans même se rendre compte de la valeur que ça a.
Brusquement, un petit rire nerveux m’échappe. Et puis, je me reprends bien vite, trop effrayé à l’idée qu’il puisse le prendre pour lui. Avec un sourire pincé et une expression de pur désarroi mélangé à de l’ironie, je réussis enfin à le regarder dans les yeux – sans pouvoir empêcher mes joues de brûler au passage. « Il y a pas moyen que je dorme. Je suis… trop… gêné. » Je crois que ce serait bien moins embarrassant qu’on ne dorme pas du tout, voire même qu’on dorme tous les deux dans le même lit, plutôt que je me laisse aller en sachant qu’il sera dans la pièce. Malgré la proximité qui me chamboule de l’intérieur, c’est un violent coup du destin de me retrouver coincé avec lui juste après avoir tenté si peu, il y a quelques minutes à peine.
Hochant un peu la tête avec un sourire reconnaissant, je tripote mes doigts sans bouger de l’entrée. Je sais qu’il essaye de rendre ça normal, pour qu’on soit tous les deux à l’aise – et là, c’est moi qui pose problème tellement ma nervosité irradie dans toute la pièce. « Merci, t’en fais pas. Ça va aller. » Mon regard balaye l’appartement, à la recherche de quelque chose à quoi me raccrocher. Et puis, je finis par soupirer doucement. Ces prochaines heures ne vont pas être faciles, mais il faut bien commencer quelque part. Avec une lenteur et une prudence exagérées, je me dirige vers son lit pour m’y asseoir – à genoux, loin d’une position confortable. Après un long et timide silence, je désigne l’espace à côté de moi sur son lit d’un mouvement de tête avec un air incertain. « Est-ce que tu veux venir à côté de moi ? » Les mots lacèrent ma gorge et embrasent le bout de ma langue, mes lèvres en sont presque douloureuses tant ça m’a demandé d’effort – rien que pour ça.

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— Il y a quelque chose d’étrange à l’entendre dire que je suis ici chez moi, parce que je sais qu’il parle de papiers et pas de… sentiment. Il m’accueille ici parce qu’il le doit, pas parce qu’il le veut ? Une douleur me transperce la poitrine tandis que je détourne les yeux. C’est bizarre, c’est désagréable, ce n’est pas ce que je voulais. Alors qu’il s’éclipse dans la salle de bain, je m’installe sur le lit et prends le temps de souffler. Qu’est-ce que je veux ? Difficile à dire. J’ai sans cesse l’impression de jouer avec son cœur – et avec le mien. J’aurais aimé être plus direct, plus comme lui pour qui tout à l’air si facile. Mais moi, il me faut déjà toutes mes forces et le peu de courage qu’il me reste pour bredouiller ces simples mots qui flottent encore entre nous.
Le cœur battant, j’ai les yeux un peu écarquillés à sa réponse qui n’en est pas une. C’est juste de la torture. Une petite moue sur le visage, je finis par baisser les yeux. « C’est pas juste. » Ma voix un peu brisée se perd dans le silence et je finis par reposer le regard sur lui, un sourire douloureux sur les lèvres. « J’ai demandé en premier. » Mordant l’intérieur de mes joues pour empêcher la boule d’émotions dans ma gorge d’exploser, je sais bien qu’il est urgent que je reprenne une contenance ou au moins que je garde la face. Mais comment ? Je n’en ai même pas envie. Est-ce que le but de tout ça, ce n’était pas justement de se montrer comme on est vraiment ? Je soupire doucement, régulant ma respiration par la même occasion. Et puis, papillonnant des cils pour retenir les larmes de naître, j’entends ma propre voix sans la reconnaître. « Oui, je voudrais que tu sois là près de moi. Mais seulement si tu veux aussi. » Il a été si loin, pendant si longtemps. Et maintenant, j’ai l’impression que je pourrais mourir s’il s’approche – pourtant, à cet instant, il n’y a rien que je désire plus que ça.

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— C’est difficile de ne pas le fixer quand il vient s’asseoir à côté de moi, surtout avec ces mots comme une sentence. Mordillant l’intérieur de mes jours, je me crispe encore plus – si c’est possible. « J’en sais rien… je sais pas quoi faire. » Un aveu de faiblesse du bout des lèvres, voilà ce que c’est. Clairement, aucun de nous deux n’est à l’aise comme ça et c’est le moment où je me sens coupable d’avoir demandé à ce qu’on prenne notre temps. Ça aurait peut-être été plus facile si j’avais cédé et qu’on s’était sauté dessus à la seconde où nos regards se sont croisés. Mais ce n’est pas le cas et c’est ma faute.
Relevant brusquement la tête vers lui, j’ai l’air un peu perdu. J’ouvre et referme la bouche plusieurs fois, comme pour dire quelque chose qui ne viendra jamais. Et puis, après un temps, les mains jusque là posées sur mes cuisses viennent supporter mon poids alors que je m’installe un peu plus confortablement à côté de lui. S’il a fait un pas vers moi quand je lui ai demandé, c’est à moi d’en faire un maintenant. Terrifié ? Bien sûr que oui. Je dois déjà lutter pour ne pas simplement le regarder trop fort, me battre contre l’envie de sentir le grain de sa peau sous le bout de mes doigts, cesser d’imaginer sa chaleur tout contre moi. « Parce que je le suis… J’ai tellement peur de… je sais pas, de faire un truc de travers. De te faire du mal. De tout foirer, encore. » Le cœur battant et la respiration erratique, je mesure à quel point c’est compliqué de repartir à zéro. « Est-ce que c’est déjà en train d’arriver ? » Un appel à l’aide silencieux se peint sur mon visage, comme si je le suppliais de faire quelque chose qui puisse rendre tout ça normal – comme avant.

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— Je m’attendais à cette réponse et pourtant elle tord quand même mes entrailles. Pourquoi est-ce que c’est si dur ? Baissant les yeux, je hoche doucement la tête – presque sage et timide. C’est vrai, on s’est déjà fait du mal et on va continuer. J’ai juste à croire qu’on sera tous les deux assez forts pour s’en relever. A l’écouter parler de nos moments ensemble, je sais déjà où il veut en venir sans pouvoir retenir la rougeur sur mes joues. On n’a rien fait comme les autres, on n’a rien fait dans le bon ordre et c’était très bien comme ça. « Je sais. » D’une voix faible, je réfléchis à voix haute. « J’ai jamais été quelqu’un d’autre que moi, j’ai juste… besoin que tu me regardes comme je suis et pas comme tu m’imagines. Parce que je serais jamais à la hauteur de ça. » Je ne veux pas qu’il pense que je l’ai trompé ou que j’ai joué un rôle avec lui, parce que c’est bien loin de la réalité – et j’en serais de toute façon incapable même si je l’avais voulu. Aussi difficile que ce soit de soutenir son regard, j’y parviens tant bien que mal.
Un acouphène douloureux vient briser quelque chose avec violence dans ma tête alors que mon cœur rate un battement. Non, ce n’est jamais ce que j’ai voulu. Pendant une seconde de trop, je n’arrive plus à lutter et je cède. Les bras glissés autour de sa taille, je m’agrippe soudain à son tee-shirt et mon visage vient s’enfouir dans le creux de son cou. A respirer son odeur comme si j’avais été en apnée tout ce temps, il me faut quelques minutes pour enfin réussir à me débarrasser du poids sur ma poitrine. « C’était les deux meilleures années de ma vie et je les échangerais pour rien au monde, je veux rien oublier. » Sans oser bouger d’un pouce, je réalise à quel point c’est plus facile de lui parler quand je peux me cacher dans son étreinte et imaginer son cœur battre autant que le mien. Pour l’heure, j’espère seulement qu’il ne repoussera pas mon excès de confiance – ou mon inconscience passagère. « Si tu veux pas recommencer alors peut-être qu’à la place, on peut reprendre là où on s’était arrêtés avant de se blesser autant. Peut-être qu’on peut faire mieux. » Le ton faible et suppliant, la voix cassée par l’émotion, il me faut toute ma force pour ne pas fondre en larmes – parce que je sais que je n’en ai pas le droit.

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— Je n’arrive plus ni à penser ni à réagir, j’entends ses mots sans en comprendre le sens. La fragilité qui se révèle sous ma peau me fait trembler, mes doigts se perdent entre eux à force de s’emmêler. Mais cette fois, je reste silencieux. Si c’est une épreuve de plus à endurer pour le retrouver alors ainsi soit-il. Toujours sans rien dire, je m’accroche à ses paroles et à ses hésitations comme un homme à la mer. Maudissant mon cœur capricieux pour le sursaut que sa déclaration lui arrache, je tente tant bien que mal de garder une contenance, de ne rien montrer, de ne pas le déconcentrer. Je déteste toujours autant ça ; être parfait, être son sauveur, être son ange. Mais quelque part, maintenant, je peux comprendre sa vision des choses. Je baisse les yeux, presque sage. Pour moi aussi, il est quelqu’un de si important, de si élevé, d’impossible à rivaliser. Peut-être qu’il se sent pareil que moi, mais comme je suis moins bavard que lui sur ce genre de sujets… Est-ce que je devrais lui demander ?
Mais déjà, je suis rattrapé par la suite – et son désir de ne pas faire comme si ces deux années n’avaient pas existé. Perdant doucement pieds avec la réalité, je me laisse aller à des pulsions en sachant que je vais regretter. Et les remords ne viennent pas. Agrippé à lui comme ça, je sens juste sa chaleur m’envahir et ma poitrine se serrer d’émotions. La sensation est à la fois trop forte et trop familière, ce n’est rien que mon cœur puisse encore supporter. Le nez dans son cou et les lèvres effleurant sa peau, il me faut toute la force du monde pour résister à l’envie d’y goûter, d’y déposer un baiser. Son visage dans mes cheveux, je savoure la moindre parcelle de nos corps emmêler et le laisse me serrer contre lui. Alors, je me rapproche, pour lui autoriser cette étreinte autant que pour céder à mon envie dévorante de l’avoir tout contre moi. Je le sens hocher la tête avec un immense soulagement – à tel point que la bombe d’émotions dans ma gorge menace dangereusement d’exploser d’une minute à l’autre.
A regrets, je m’écarte après de longues minutes de silence. Les yeux piquants, je peine à sourire et pourtant ce n’est pas l’envie qui m’en manque. Je renifle alors que ma vision s’embrouille, mais je garde le regard rivé vers le sien. « Tu sais, je-… je te l’ai jamais dit, pas comme ça, mais moi aussi, je-… moi aussi, je t’aime. A la folie. » Il a toujours été un soleil dans ma vie, parfois chaleureux et toujours si brillant ; la seule chose à laquelle j’aspire ce serait de m’y brûler les ailes. Et ça vaudrait le coup – tout ça, ça vaut le coup. Et je ne le lâche pas, j’ai toujours les mains moites accrochées aux flancs de son tee-shirt comme si ma vie en dépendait, comme s’il allait m’échapper si j’osais m’en détacher.

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— Il y a encore tant de choses que j’aimerais dire, que j’aimerais faire aussi. Mes mains accrochées à son tee-shirt picotent de ne pas pouvoir effleurer sa peau et il me faut réunir toutes mes forces pour ne pas l’embrasser. Et malgré la difficulté à enfin cracher ce que j’ai sur le cœur depuis si longtemps, ça ne me suffit pas. J’en veux plus, comme si avoir goûté à son étreinte à nouveau me condamnait à le vouloir toujours plus. Les bribes de sa réaction qu’il essaye de cacher provoquent une avalanche en moi ; mon cœur repart à toute vitesse et la torsion brutale dans mon bas-ventre ne me laisse pas tranquille. En une fraction de seconde, c’est à son tour de m’enlacer – et je peux entrapercevoir ses larmes au passage. La chaleur aux joues, je caresse sa nuque un instant, incapable de le laisser s’échapper. Tentative désespérée d’échapper à la lourdeur et à l’importance du moment, une vague pensée me traverse. Ma voix encore un peu cassée s’élève, mon souffle tout contre lui. « Est-ce que tu pleures parce que je l’ai dit ou parce que ça m’a pris si longtemps pour le faire ? » Même si le ton de la plaisanterie est évident, je ne cesse pas les gestes de tendresse à son égard – j’en ai besoin pour rester conscient, pour garder pieds avec la réalité, pour me rassurer et me dire que je ne suis pas en train d’imaginer tout ça.
Brusquement, une furtive idée me tend un peu. Si je ne doute pas qu’il aura senti ma soudaine crispation, lui expliquer ce qu’il se passe serait plus compliqué. Que va-t-il se passer, maintenant ? Qu’est-ce qu’on est, lui et moi ? Des amoureux qui se sont déchirés jusqu’au sang et qui se sont mariés sur un coup de tête. A cause de moi. Je mords l’intérieur de mes joues, mesurant toute l’étendue de la stupidité de cette situation. Je l’ai entraîné là-dedans pour me sauver moi-même, à moi de l’en sortir. D’une petite voix, je pose alors la question qui va probablement me condamner. « Tu veux qu’on divorce ? » Quelle histoire ; se séparer, se marier, divorcer pour pouvoir se remettre ensemble. Il y a de quoi perdre la tête, et pourtant, je n’échangerais ça pour rien au monde quand je passe mes doigts entre les mèches de ses cheveux.

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