Nathaniel - I'm back from the closet

6 mois avant le présent
- Tu sais que tu es un gros idiot, Nathounet ?

La voix de son meilleur ami – en fait le seul -, résonne dans le salon de son appartement londonien. Nathaniel fronce les sourcils et se permet de rétorquer rapidement :

- Je t'ai déjà dit 100 fois, de ne pas m'appeler comme ça.
- Ah, parce que gros idiot ça passe ? C'est bien que tu le reconnaisses, parce que continuer de croire en la justice et en perdre presque son boulot à cause de ça...
- Je ne l'ai pas perdu, c'est une réhabilitation.
- Hmhm. Réhabilitation. Perdre son boulot. Des synonymes, en somme.

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Il y a longtemps - ou pas tant que ça -

On n'a jamais su qui était ses parents. De qui il venait exactement. D'où il sortait. C'était comme une anomalie dans le système. Un enfant qui n'avait déjà pas sa place dans le monde où on l'avait laissé.
Les adultes le voyaient soit en pitié, soit en poids. Personne n'était là pour s'occuper de lui. Sauf quand, bien sûr, on l'a enfin placé en famille d'accueil. Mais malgré tout ça, il avait déjà l'âge de comprendre par lui-même qu'il n'y aurait jamais personne pour lui.
C'est peut-être là, qu'il s'est créé cette illusion de stabilité, d'idéal parfait, qu'il atteindrait un jour, s'il faisait toutes les choses bien.
Sa famille d'accueil n'était pas si mal. Elle était même plutôt bien, et il était heureux de vivre avec eux.
Mais il y avait ce manque, ce vide. Ils n'étaient pas ses parents, et ils ne le seraient jamais. Ils lui donnaient l'amour nécessaire, notamment sa mère, mais ça ne semblait jamais suffire.
Il s'accrochait à ce qu'il pouvait avoir. Il se forgeait déjà toutes les défenses du monde, pour se sentir bien. Et peu importe, les regards en biais, les calculs de budgets, le fait d'avoir cette bouche à nourrir qui ne venait pas du bon ventre.
Nathaniel tombait dans son coin, et se relevait derrière, comme s'il n'avait jamais souffert.

Nathaniel alla à l'école. Il y allait déjà, d'ailleurs. C'est là qu'il fit face au fléau du harcèlement scolaire. Qui avait inventé ces règles qui stipulait qu'on devait se moquer des autres pour obtenir un peu de reconnaissance et de fierté ?

Il ne pouvait pas laisser faire ça. L'envie de justice le prenait à chaque fois. Il devait aider les autres, être là pour eux. Pouvoir leur offrir un peu de joie, et la libération d'un poids trop dur dont il pouvait leur débarrasser.
Alors il y eut Mary, qui le remercia, avant plus tard, recommencer à se faire harceler, se faire écraser, et ne pas se plaindre, juste fuir en changeant d'école.
Puis Emir, qui ne le remercia pas, mais lui fit savoir qu'il savait se défendre lui-même.
Puis Noor qui lui fit savoir que c'était son problème à elle. Et que le garçon n'avait pas à se mêler de ça.
Il y eut trop de monde pour être cité, mais ce qui fut sûr, c'est que personne ne voulait être avec Nathaniel, bizarrement. Peut-être parce qu'il était trop fonce dedans, qu'il n'avait pas la langue dans sa bouche, que lui, il n'avait peur de rien, mais que les autres derrière, craignaient les représailles.

Il faut dire qu’il termina un certain nombre de fois dans le bureau du directeur, et cela lui causa parfois des problèmes. Sa famille ne comprenait pas pourquoi Nathaniel s'évertuait à vouloir aider les autres comme ça, quitte à finir à la maison avec de gros bleus. Mais lui, s'entêtait, et ne faisait pas tant attention au reste autour.
Il fallait qu'il aide les autres. C'est tout.

Mais en échange, personne ne l'aidait lui.
Et quand il grandit, quand il perdit sa mère, bien qu'adoptive, mais qu'il aimait quand même, et que la douleur l'attrapa, il n'eut personne pour l’aider à se reconstruire derrière.
Sauf lui-même.
Il tenait toujours bon. Il se voyait comme un idéaliste optimiste : tout irait bien. Tant pis si on chutait. La Fontaine - un auteur français que sa mère aimait bien - n'avait-il pas écrit que le roseau se relevait toujours ?

Il s'aida lui-même, et estima que c'était logique.

Personne ne fut là pour l'aider quand plusieurs fois, il se prit la tête avec son père. Personne ne fut là pour le défendre, quand son père lui hurlait dessus sans raison.
Et quand une autre "mère" apparu dans sa vie, se montrant comme la remplaçante, Nathaniel l'apprécia, mais comme on apprécie une plante de salon chez quelqu'un.
C'est joli, ça offre quelque chose d'agréable, une petite touche de bonheur, mais au bout d'un moment on finit par l'ignorer.

Et sans s'en rendre compte, peut-être que ce fut ce qui advint de Nathaniel. De devenir cette plante de salon. Parce qu'il y eut ce bébé, Luke, qui apparut dans la vie de sa famille, qui ne semblait pas la sienne.
Nathaniel avait déjà dix-sept ans, il ne s'en préoccupait pas, et réfléchissait plutôt à son avenir.

Et peut-être comme le garçon se préoccupait plus de ses études, que d'un moyen d'avoir un entourage qui lui donnerait plus que de lui prendre, on lui prit ce qui lui restait de stabilité.
Il rentra un jour d'un cours au lycée terminé tard, et découvrit que la petite famille avait déjà mangé, et n'avait même pas pensé à lui offrir les restes.

Nathaniel s'en doutait bien sûr, qu'il n'avait déjà plus sa place dans cette famille. Mais le comprendre lui fit mal quand même.
Il fit ses bagages, rendit son double de clé, et s'en alla dans un futur incertain, dans son chaos déjà tout tracé.

La rue l'accueillit à bras ouverts pendant quelques jours. Il ne voulait demander de l'aide à personne, parce qu'il estimait que les autres n'avaient pas à s'occuper de lui. C'était là l'ironie. Il avait aidé tant de gens, et lui-même ne désirait pas qu'on l'aide.
Il avait grandi seul, et décidait de continuer seul.

Jusqu'à ce qu'il tombe sur sa route. Ce type borné, qui décida de le ramener chez lui. Moss, qu'il disait s'appeler, alors que Nathaniel savait bien que c'était faux.
Moss avait 10 ans de plus que lui, et Moss lui donna ce que personne n'avait jamais songé à lui offrir. Non pas de la stabilité, parce que rien qu'à voir l'appartement de ce type, on comprenait que ce n'était pas dans ses cordes, mais plus... Une forme d'intérêt. D'amitié. D'entraide.

C'est Moss qui en voyant ce gamin borné, idéaliste, trop rempli de justice à s’en aller provoquer les mauvaises personnes, trop honnête, qu'il lui donna l'idée.

- Tu ressembles vraiment au cliché du jeune flic qui croit trop qu'à la fin le criminel est puni, tu pourrais leur apprendre la vie, à ses poulets merdeux.

C'est quelques mois plus tard, à force de ténacité, d'audace, et d'une ruse qui en surpris plus d'un, que Nathaniel pu arborer fièrement un badge de policier.
Avant de se faire piéger comme un lapin, dans la circulation.

Mais c'était mal connaître Nathaniel. Vraiment mal le connaître. Il ne comptait pas juste rester dans la circulation indéfiniment.
Il montra sa valeur comme jamais, et reprit ses mauvaises habitudes de se mêler de ce qui ne le regardait pas, tout en restant dans les règles. Le jeune homme avait compris ses règles qui empêchait d'arrêter le coupable si facilement, et les utilisait comme il en avait envie ou presque.
Il se les était appropriés, pour toujours s'imposer, imposer cet idéal qui aurait dû disparaître depuis trop longtemps.
Ça surprenait souvent. Quand on voyait Nathaniel, on le trouvait plutôt tranquille, bien comme il faut.
Et puis après on comprenait qu'en fait non. Ce type était tout sauf calme. Il l’était seulement en apparence. Il était une tempête à l'intérieur. Une tempête prête à tout dévaster sur son passage pour correspondre à ce qu'il s'était toujours accroché comme un roseau à ses racines.

Alors qu'il avait monté les échelons, de gré, presque de force, il rencontra celle qui fut une nouvelle anomalie dans son chaos déjà ambiant.
Il n'est pas sûr de se rappeler de leur rencontre exacte. Mais il se rappelait très bien la suite.
Il rencontra Moon-Jeong, et de la même façon que lorsqu'il avait rencontré Moss, sa vie prit un nouveau tournant.

Dire qu'elle "n'était pas comme les autres filles" aurait été générique. Elle ressemblait à n'importe qui et en même temps pas du tout. Elle était comme lui, aussi, sur quelques points. A commencer par leur apparence apaisante qui n'était rien comparé à leur véritable eux.
Elle était comme le face d'une pièce dont il aurait été l'autre face.
C'était beaucoup de choses, c'est vrai, et sûrement qu'elle n'était pas forcément tout ça. Que c’était juste une impression parce que ça n’était jamais arrivé avant. Mais Nathaniel n'a jamais su décrire exactement ce qu'ils étaient l'un pour l'autre. Une anomalie dans la vie de chacun probablement. Un moment étrange, où les atomes s'accrochaient mais ne formaient pas forcément ce à quoi on pensait.

De sûr, elle lui apportait comme un silence dans son chaos ambiant, comme une accouphène agréable, recouvrant le bruit irrégulier du monde.
Ils passèrent d'excellents moments, et Nathaniel profita de ces instants où il avait l'impression d'avoir une vie à l'endroit, comme jamais.
Jamais ils ne définirent ce qu'ils ressentaient. Jamais ils ne mirent de nom sur leur relation.

Ils collaboraient ensemble, dans le sens où elle prenait des photos des scènes de crime, et lui veillait sur elle. Mais à côté il y avait autre chose. Des moments comme des bulles que personne ne tenta d'éclater durant deux ans.
Même Moss le trouva changé, estimant que soudain, il paraissait à la fois plus sur Terre comme dans les nuages. Ou inversement.
Peut-être que pour une fois, Nathaniel avait définitivement la sensation d'exister. Au delà de le faire pour quelqu'un.

Et puis, la bulle éclata comme elle avait démarrée. Sans prévenir. D'un seul coup. Un jour, Moon-jeong disparu, et Nathaniel eut beau la chercher, la contacter, utiliser son boulot pour la trouver, savoir, comprendre, il ne comprit pas. Ne la retrouva pas.
Et eut soudain l'impression de retrouver le monde comme il l'était avant. Les sons ambiants de son chaos résonnant.
Avec en plus, la colère, la rancœur, la haine.

Tous ces sentiments qui vinrent l'étreindre comme une douce flamme à côté d'une flaque d'essence.
Peut-être que quelque part, Nathaniel l'avait cherché, à faire exploser en feu d'artifice sa vie pour la changer à nouveau.
Parce que quand il commença à s'adonner à l'enquête sur un trafic d'humains, il fut plus téméraire et déterminé que jamais. Au point que le jeune homme sembla mettre ses mains là où il ne fallait pas. Un peu trop loin. Trop proche aussi des malfrats qui pour certains, apporteraient juste un chaos et un désordre sans fin, s'ils venaient à être arrêtés.
Et Interpol le savait. Et peut-être aussi que Nathaniel le savait. Encore une fois, peut-être qu'au fond, il avait fait ça en connaissance de cause. Il n'avait plus personne pour retourner sa vie, alors il fallait bien qu'il le fasse lui-même. Même si en vérité, il y avait aussi toute la colère du monde laissé par une absence, qui avait provoqué ça.

C'est comme ça qu'on lui annonça simplement, qu'il était bien gentil, Nathaniel, à se prendre pour un justicier, mais maintenant il allait se calmer, se poser, et surtout aller voir ailleurs si l'herbe était plus verte, parce qu'il était allé un peu trop loin.

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Il y avait eu un silence, après qu'ils eurent parler de la "mutation" de Nathaniel. Moss l'observait en buvant sa bière, tranquillement.
Enfin, il se leva pour partir. Ils avaient bien parlé, et les deux amis ne se reverraient probablement jamais.
Ou à l'occasion, entre deux noëls.
Ou si Nathaniel revenait à Londres.

Ou en webcam.

Les deux s'approchèrent de la sortie, Nathaniel le raccompagnant. C'est là que Moss décida d'ouvrir sa bouche une dernière fois :

- Au fait, c'est quand que tu commences à penser à toi ? Ça serait l’occas’ d’y penser, ce renvoi.

Nathaniel eut un instant de silence, comme s'il ne comprenait pas.

- Je pense à moi.
- A quel moment ? Au moment où tu t'amusais à défendre des gens à défaut de penser à toi ? Au moment où tu es devenu flic et que tu as continué dans cette lignée en suivant un idéal de gamin ? Enfin là j't'ai un peu aidé, mais... Ou au moment où tu as tout donné ou presque, pour une fille qui a disparu sans plus de nouvelles ?
- Je...pense à moi.
- Si tu le dis. Moi je dis que tu devrais profiter de cette mutation naze pour réfléchir à qui tu es. Au lieu de t'attarder sur les autres. Allez gamin. A noël prochain. Et les secoue pas trop, là-bas, ils vivent dans le froid, ça ramollis.

Et sur ces bons mots, Moss partit. Comme Nathaniel, plus tard, en Norvège. Un pays dont il ignorait la langue, mais qu'il s'était efforcé d'apprendre quelques mots pour comprendre. Un pays qui l'accueille depuis maintenant six mois, alors qu'il sent que si ses doigts ne s'engourdissent pas, son travail lui, engourdis son cerveau.

Mais il y a un plus. Il y a sa présence à elle. Comme un fantôme qui serait venu le gifler en pleine face. Un coup du sort qui fait résonner les paroles de Moss en son for intérieur.
Qu'est-ce qu'il veut pour lui ?
Il le sait. Retrouver cet équilibre étrange de son chaos et de sa stabilité. Et il imagine qu’elle en est la clé.