Sujet commun + Suite numéro 1

|	suite n°1 ; ft. heidi, paco, anastasia

— Pas le plus grand romantique ni profondément attaché à la Saint Valentin, c’est avec un peu de réserve que j’ai profité de l’offre généreuse de la maire pour inviter Heidi. Une culpabilité qui n’en finit pas et une décision vite prise de renouer avec elle m’ont convaincu de faire les choses plus ou moins correctement cette fois, alors une petite peluche et une boite de chocolats l’attendent sur le siège passager de ma voiture quand je vais la chercher. Ce n’est pas parce qu’on y va pas en tant que couple que je ne peux pas faire de mon mieux pour qu’elle passe quand même un bon moment là-bas. Ou alors, j’essaye juste de me persuader que tout va bien, que je suis passé à autre chose, que les insomnies qui me maintiennent éveillé la nuit ne sont qu’éphémères et que les sursauts de mon cœur quand je l’aperçois avant de changer de direction n’existent pas.
Après des heures au volant et Heidi à mes côtés, on arrive enfin au complexe quasiment paradisiaque. Malgré le fait que ma voiture soit sûrement plus confortable que le bus mis à disposition par la ville, ça fait quand même du bien de pouvoir respirer l’air froid et se dégourdir les jambes avant de découvrir où on va loger. La politesse de mise, je porte ses affaires et les miennes jusqu’à notre chambre… avant de me rendre compte qu’il s’agit plutôt d’une suite ? Je pioche au hasard dans la boite de chocolats que j’ai donnée à Heidi comme pour reprendre une contenance. Même sans avoir vécu dans le besoin, je ne suis pas habitué à un tel luxe non plus. La carte d’accès à la chambre dans une main et les sacs dans l’autre, j’erre un peu dans les couloirs jusqu’à la porte qui semble être la notre. « J’ai oublié de demander si on sera avec d’autres gens. Tant pis. » Je marmonne un peu et hausse les épaules avec une petite grimace, sans la regarder, avant d’ouvrir la porte.
Il me semble y avoir de l’agitation dans les chambres, alors j’en déduis qu’on ne sera pas seuls. Ce n’est pas plus mal, en fin de compte. Mais quand mon corps tout entier se fige, cette pensée s’évapore aussi vite qu’elle est venue. Il s’écoule de très, très longues secondes de flottement et de silence avant que je ne réalise ce qu’il se passe. Il est là, devant mes yeux – Paco. Est-ce que c’est mon sweat qu’il porte ? C’est mon sweat. Il porte mon sweat. Pourquoi il porte mon sweat ? Mes yeux font des allers-retours rapides entre son visage et le vêtement – il est déjà trop grand pour moi, alors sur lui c'est encore pire, ou mieux. Je me disais bien que je ne pouvais pas l’avoir perdu dans la machine à laver. Des semaines de distance pour me remettre réduites à néant en un instant, tout vole en éclat. Entre ma tête brusquement vide et mon visage qui a probablement pâli à la vitesse de l’éclair, j’ai l’impression que je vais rendre mon dernier soupir sur place. La main crispée sur le bras d’Heidi sans que je ne m’en rende vraiment compte, je desserre les dents pour trouver la première excuse qui me passe par la tête. « On s’est trompés de chambre. Désolé. »

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— Pendant que je reste interdit quelques secondes, je manque presque de reconnaître ma nouvelle voisine. Sorti de mon moment d’absence par le bruit du bouchon de la bouteille de champagne qu’elle a visiblement eu un peu de mal à ouvrir, je me surprends presque à me demander pourquoi elle est là. Mais bon, on ne peut pas vraiment dire que je la connais alors ce serait délicat de s’avancer sur ses habitudes lors de la Saint Valentin. « Salut. » Plus sobrement qu’Heidi parce qu’encore un peu déboussolé, je pense quand même à la moindre des politesses. Il ne faudrait pas qu’elle reparte avec une image de moi plus catastrophique que nécessaire, étant donné qu’elle habite juste en dessous de chez moi.
Dans le feu de l’action, elle nous propose de boire un coup avant de repartir et je refuse par réflexe. « Je crois pas que ça soit... » Interrompu par mon amie qui semble avoir vérifié le numéro de la chambre pendant que j’étais en train de me noyer dans un verre d’eau, je lui accorde un regard plein d’une perdition difficile à cerner. Je déglutis, nerveux, quand elle m’indique le joli chiffre en or sur la porte. Oh, ça va être très compliqué. Résigné, j’affiche un sourire forcé et prend une longue inspiration. « Okay, super. » A demi-mots, j’avoue être mal à l’aise, mais je ne dois pas baisser les bras maintenant ; de toute façon, il est trop tard pour demander un changement de chambre et considérant le fait que ce séjour est gratuit, ce serait déplacé.
Pendant qu’Heidi se présente tout naturellement, je commence à m’en vouloir violemment d’avoir répondu comme ça. Si seulement j’avais été un meilleur acteur, un meilleur menteur, j’aurais pu lui épargner cette minute de profonde incompréhension qui n’annonce clairement rien de bon pour la suite. Elle n’a pas de mal à aller vers Ana pour prendre sa coupe de champagne, pendant que je reste comme un con à l’entrée. Et Paco ne réagit pas, c’est ça le plus angoissant en fait. Est-ce qu’ils se sont retrouvés là par hasard, Ana et lui ? Ou est-ce qu’ils se connaissent ? Je n’arrive pas à croiser son regard tant il s’applique à garder les yeux baissés. Brusquement, il se lève pour vider d’une traite son verre ; j’ai l’impression de sursauter à chacun de ses gestes tant je suis tendu par la situation.
Pour être honnête, il fait presque plus froid dans la suite que dehors depuis qu’on y a mis les pieds. Et pour ne rien arranger à l’ambiance glaciale, Paco se débarrasse rapidement de mon sweat pour se changer. Je ne sais pas ce que je suis supposé en penser, je ne sais pas ce que c’est supposé vouloir dire. Est-ce qu’il avait oublié qu’il était à moi, et que maintenant qu’il s’en est rendu compte ça le dégoûte de le porter ? Je détourne les yeux, il y a une horrible douleur lancinante dans ma poitrine et elle ne veut pas partir. Je n’ose même pas aller le récupérer, alors il reste juste là, gisant sur le canapé. De quoi j’aurais l’air si je me précipitais pour le prendre et enfouir mon nez dedans, dans un ultime espoir de sentir son odeur contre moi encore une fois, juste une fois. Les mains brûlantes, je bouge un peu les doigts comme pour chasser l’engourdissement qu’il me provoque et m’avance enfin dans la pièce pour lâcher nos valises  près des portes.
Quand, toujours sans s’adresser à Heidi ou moi, il annonce à Ana qu’il est d’accord pour dormir dans un lit double, je sens mon visage se décomposer. Alors, j’imagine qu’ils sont venus ensemble. Et s’il est capable de dormir avec elle, c’est qu’ils sont proches. Et s’ils sont proches, ils ont forcément couché ensemble. Il y a un frisson qui me parcourt le dos tandis que je réalise ça, incapable de reposer les yeux sur lui. Il est là à emmener sa nouvelle conquête en week-end pendant que je vois encore son visage à chaque fois que je ferme les yeux, que j’ai encore le souvenir de ses doigts sur ma peau et que je pleure parfois au milieu de la nuit. Je suis tellement stupide.
Comme pour m’empêcher de chavirer, je me presse pour prendre ma coupe de champagne. « Merci, c’est gentil. » Restant poli malgré tout, je sais bien qu’Ana n’y est pour rien et qu’elle n’est peut-être même pas au courant. Sans commencer à boire, je jauge le pour et le contre. Une gorgée du liquide doré et l’ambiance sera assurément meilleure, mais est-ce que j’ai vraiment envie d’être bourré ce soir alors que j’essaye de recoller les morceaux avec Heidi ? Pas sûr. Ce serait dangereux ; je m’imagine déjà en train de la serrer dans mes bras et de lui raconter mes trouvailles scientifiques les plus loufoques et dénuées du moindre bon sens avec un immense sourire aux lèvres et un gloussement continuel. Finalement, ce n’est peut-être pas une si mauvaise idée. Incertain, je prends une toute petite gorgée d’alcool en espérant quand même limiter les dégâts. Et puis, je m’interromps brusquement. C’est une très mauvaise idée de boire. Si je me réveille au milieu de la nuit pour me glisser dans le lit de Paco par réflexe, les choses vont être très, très compliquées. Ou pire, je pourrais lâcher une confession accidentelle. Je fronce un peu les sourcils, énervé par ce dilemme provoqué par un simple verre de rien du tout.
Un discret soupir plus tard, je relève la tête avec un sourire que j’espère plus sincère à Heidi. « Je te laisse choisir la chambre. » Je n’ai pas spécialement de réticences à dormir dans un lit double avec elle puisque ça m’est souvent arrivé avec ma sœur, mais je sais qu’il vaut mieux lui laisser le choix plutôt que de m’imposer. Et puis, je me racle la gorge avant d’essayer d’engager la conversation avec ma voisine. En voyant le nombre de chambres, je prie silencieusement pour que deux autres personnes, si possible pas un couple, débarquent pour détendre l’atmosphère, mais pour l’instant rien ne vient. « Est-ce que vous… tu sais si on partage la suite avec d’autres personnes ? » Je me reprends rapidement, constatant sans peine que Paco n’a visiblement pas envie de prendre part à la conversation.

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— Passé les présentations très gênantes et la distribution globale de champagne pour tenter de briser la glace, je reste le nez dans mon verre sans savoir si je devrais boire ou non. Heidi est clairement dépassée par les événements à côté de moi, alors je tente un regard rassurant – qui n’aura probablement pas l’effet attendu tant je suis moi-même au bord du précipice. En tout cas, je vais clairement lui devoir des explications, que ça me plaise ou non.
Pendant qu’elle explore rapidement les chambres disponibles dans la suite pour en choisir une, je vois Paco vider la bouteille avec une ferveur impossible à ignorer. Autre chose qui ne rate pas, ce sont ses gestes appuyés pour me montrer qu’il s’est débarrassé de mon sweat, son attitude envers Heidi, ses mots pour Ana. Comme pour essayer de reprendre une contenance, je pose la question sur un potentiel troisième couple à venir à ma voisine et qu'elle me répond de façon pragmatique. « Mh, je vois. » Je préférerais clairement qu’on soit rejoints par d’autres personnes, la gêne et le malaise seraient plus facile à camoufler, à noyer même.
Alors que mon amie revient, j’ai un discret soupir de soulagement ; ça aurait pu être pire si elle avait tardé. La tension est palpable et je me décomposerais presque sur place si elle n’était pas là pour me rappeler que je lui dois bien de rester debout. « Euh oui, oui ça me va. Comme tu veux. » La voix hésitante, je réponds en faisant mine de regarder rapidement l’intérieur des chambres, sans même retenir la disposition du ou des lits dans celle qu’elle a choisie. Juste une façon désespérée de penser à autre chose, de focaliser mon attention autre part que sur lui.
Il y a eu des moments d’inconfort ou de malaise dans ma vie, mais celui-ci pulvérise quand même tous les records. Et bien évidemment, Paco étant Paco, il fait en sorte que la situation empire. Au début, c’est quasiment innocent ; mais je ne peux pas m’empêche de me méfier quand il commence à s’intéresser aux services proposés par l’hôtel. Les huiles de massage, c’est une chose. Mais vu l’air qu’il a sur son visage, ça ne s’arrête pas là. Brusquement, je manque de m’étouffer quand il parle de menottes et c’est le moment pour moi de m’éclipser. En gardant une oreille attentive sur la conversation, je pose ma coupe de champagne sur le premier meuble que je trouve et entreprend de déposer le sac d’Heidi et le mien dans notre chambre attitrée, le temps de me débarrasser de la légère rougeur sur mes joues. Je ne sais pas si c’était réellement écrit sur la carte où s’il a tout inventé pour me déstabiliser ou faire pression, mais oser sortir un truc comme ça après ce que je lui ai dit à demi-mots la dernière fois qu’on s’est vus… Mauvais plan. Maintenant, non seulement mon cœur se serre à cette pensée, mais j’ai aussi et surtout honte d’être là devant lui. Sa dernière remarque me sauve un peu de la perdition ; je ne suis pas certain d’avoir bien entendu parce que je ne vois pas trop ce que viendrait faire ça dans un hôtel, mais je lance une pique passive-agressive à travers la pièce sans me retourner. « Super. On n’a qu’à tous se teindre les cheveux en rose, histoire d’être assortis. » Ça ne va certainement pas améliorer la situation, mais ça aura au moins le mérite de changer de sujet.

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— Heureusement, personne ne s’oppose à la pièce qu’Heidi a choisi pour nous, c’est déjà un conflit de plus évité. Si on peut au moins ne pas s’étriper avant le dîner, ce serait déjà pas mal. J’entends vaguement la discussion entre Ana et Paco dans l’autre chambre alors que je m’installe dans la mienne, j’essaye de ne pas écouter plus que de raison. J’esquisse un petit sourire désolé aux mots de mon amie – décidément, elle se retrouve souvent coincée par mes problèmes. « Je t’expliquerai, c’est pas ta faute. » La moindre des choses, ça serait quand même de lui dire la vérité ; je ne risque pas de la rassurer comme ça alors qu’elle vient de se prendre un vent monumental par nos colocataires à cause de moi.
Lâchant un soupir amusé à la remarque d’Ana qui semble jouer le jeu, je perds bien vite le peu de légèreté que j’avais regagné quand j’entends la voix de Paco. Longtemps silencieux, je serre les dents pour éviter de répondre quoique ce soit. Je ne peux pas faire ça à Heidi, je ne peux pas l’impliquer là-dedans. D’un geste rageur, je laisse nos sacs près du lit avant de poser les yeux sur mes mains aux phalanges blanchies par la force que j’y ai mis. Je m’en veux, de me laisser atteindre comme ça ; mais comment faire pour l’ignorer et prétendre que tout va bien quand il est juste à côté ? De toute façon, peu importe la bataille, c’est lui qui va gagner. Alors à quoi bon se battre si c’est perdu d’avance.
Après quelques minutes pour me reprendre et retrouver mon visage froid et stoïque de d’habitude, je sors à mon tour de la pièce pour rejoindre Heidi. Je hoche doucement la tête pour approuver son programme. « Pareil. » Mais elle, elle ne sait pas que dans mon cas, il s’agit plus de fuite que d’amusement. J’ignore si on restera tout le week-end ensemble, on n’en a pas encore parlé, mais je ne lui souhaite pas de subir cette ambiance pendant tout le séjour. Elle finit sa coupe et je ne reprends pas la mienne, décidé à rester sobre. Le moment me semble mal choisi pour s’adonner à une soirée de choses stupides et sans logique.
Encore passionné par la carte des services proposés par l’hôtel, Paco commande à manger dans la suite et j’en déduis sans trop de mal qu’il ne sera pas au dîner ce soir. Tant mieux ? A peine soulagé alors que mon ventre se tord encore à chaque fois que j’entends sa voix, je me tourne vers Heidi avec un air faussement assuré. « Ça va bientôt être l’heure du repas de toute façon, on peut aller au restaurant en avance si ça te dit. »

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— Elle hoche sagement la tête, heureusement qu’elle est trop polie pour poser la question ici et maintenant – même si je ne doute pas qu’elle aimerait savoir pourquoi les choses se passent si mal ici. S’il n’y avait pas eu son sourire un peu rassurant, j’aurais pu croire à une certaine amertume dans ses mots ; mais ce n’est pas le cas. Sa patience ne semble pas avoir de limites, je lui en suis sincèrement reconnaissant après tout ce que j'accumule. Un dernier regard douloureux vers la chambre où Ana a rejoint Paco et je prends mon courage à deux mains pour suivre Heidi dans la notre. Je la regarde vider sa coupe de champagne avec un peu de peine, j’imagine qu’elle s’attendait à mieux que ça. Grimaçant légèrement, je me reprends pour lui proposer d’aller un peu en avance au repas. Son enthousiasme me soulage, elle est partante pour s’échapper d’ici. Décidément, je ne mérite pas tant de compréhension de sa part. « Cool. » J’ai un pâle sourire pour la remercier silencieusement. « Je vais me changer et on y va alors ? » Posant la question sur le bout des lèvres comme pour m’assurer de sa décision, je fouille quelques instants dans mon sac pour trouver des vêtements et me dirige dans la salle de bain.