Le bal de fin d'année

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— L’ennui quand on porte majoritairement du noir et qu’on a la super bonne idée d’adopter un chat blanc, c’est qu’on s’engouffre dans une spirale infernale sans fond de désespoir et de rage. C’est presque un miracle que j’ai réussi à porter ce costume sans qu’il ne soit recouvert de poils avant le jour j. Mais considérant mon absence d’une semaine dont je porte encore de terribles traces sur le visage, je n’ai pas pu le garder loin de moi bien longtemps. Un adieu rapide à ma boule de poil préférée et je sors de ma chambre pour me diriger vers le parking.
En route pour la salle des fêtes, je commence à regretter un peu ma décision d’y aller seul. A vrai dire, j’ai pensé à inviter Heidi ou April – et même le visage de la harceleuse m’a traversé l’esprit. Mais il n’y a qu’une seule personne avec qui j’aurais aimé y aller, et ça n’est aucune d’entre elles. Dans le pire des cas, je serais planté dans un coin de la salle avec l’alcool comme réconfort mais au moins j’aurais l’air élégant. Réajustant mon costume entièrement noir orné de quelques paillettes pour l’occasion, je quitte ma voiture pour rejoindre le lieu du bal en passant une main dans mes cheveux, comme si ça allait vraiment arranger quelque chose. J’espère que l’événement s’appelle comme ça juste pour le style et qu’il n’y a pas vraiment une piste de danse où il va falloir valser. Enfin, les probabilités que quelque chose se passe mal sont quand même assez faibles. Le nez en l’air pendant quelques secondes, j’apprécie sans jugement la beauté des lieux, décorés pour l’occasion.
Et malgré toutes les heures de sommeil que j’ai à rattraper et cette fatigue qui me colle à la peau, je n’ai aucun mal à voir la silhouette de Paco dans la foule ; il est avec Bastien, et moi je suis au milieu de presque l’intégralité de la ville. Le choix est vite fait, je détourne les yeux pour me diriger vers le bar.

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— Le dress code complètement libre a été une réelle torture pour elle. Des heures à se préparer, à choisir une tenue qui serait sans nul doute la plus belle de la soirée. Son humeur est passée si vite d’un costume fleuri qui lui aurait donné un air strict et cool, à une robe rose pailletée bouffante digne d’une princesse Disney, qu’elle ne savait plus où donner de la tête. Sa garde robe étalée sur son canapé, il a fallu réunir les plus grands esprits de la mode pour trouver la perle rare – à savoir, deux camarades de classe et un sondage sur Twitter. Dans tous les cas, peu importe son choix final, elle se devait d’y aller et de briller comme s’il n’y avait pas de lendemain. On ne rate pas un bal quand on s’appelle Sól Henriksen.
Quelques selfies et posts sur les réseaux sociaux plus tard, elle s’apprête à rejoindre ses amies déjà sur place. Il faut croire que l’événement a du succès, elle n’a pas vraiment croisé de personne qui ne projetait pas d’y aller. La robe sombre, incroyablement légère et vaporeuse pour une fin de décembre, est recouverte de délicates broderies la rendant presque transparente à certains endroits. Ornés de fils dorés, les détails éclatants sont discrets au premier abord mais bien visibles quand on s’attarde sur elle. Malgré son assurance, elle a préféré porter un legging noir en dessous – d’abord, à cause du froid, mais aussi pour préserver son très digne postérieur des regards qui glisseraient dessus malencontreusement. Une tenue est osée et élégante à la fois ; les épaules dénudées, elle a relevé ses cheveux en un chignon flou pour laisser apparaître le fin collier en or autour de son cou et ses boucles d’oreilles assorties. Quelques bracelets dans le même esprit aux poignets, elle s’imagine déjà boire une gorgée de ces flûtes de champagne avec un petit doigt en l'air.
Après une dernière retouche maquillage, elle se dirige enfin vers la salle déjà animée et lumineuse. Les escarpins vernis font leur effet pour annoncer son arrivée et elle se dirige tout naturellement vers le premier groupe de têtes connues qu’elle croise, avec un large sourire enthousiaste sur le visage. « Bonsoir ! » Ses yeux balayent l’assemblée, à la recherche d’une magnificence qui pourrait égaler la sienne. Des regards discrets sur toutes les tenues qui se démarquent dans la foule, elle finit par trouver près d’elle quelqu’un dont le style est suffisamment classe et original pour être son étoile brillante de la soirée. Tournée légèrement vers son interlocuteur, elle engage la discussion avec un naturel qui déconcerte parfois. « Et dire que je pensais que c’était moi qui serait la reine de la soirée. » Elle hausse un sourcil taquin et un rictus qui en dit long s’étire sur les coins de sa bouche. Beaucoup croiraient ce commentaire intéressé, voire hypocrite, mais en réalité il n’en est rien.

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— Un verre, un deuxième. Je ne sais pas ce que je bois ; c’est même moyennement bon. Je grimace un peu en avalant la dernière gorgée et me sert autre chose cette fois. La couleur est jolie, le goût approximatif – c’est parfait. Il ne me reste plus qu’à attendre que ça me monte suffisamment à la tête pour oublier combien je préférerais être en train de somnoler devant ma console actuellement et réussir à m’amuser.
Du coin de l’œil, j’observe de loin la salle se remplir. Des filles déguisées en princesses et des gars en costume, il n’y a pour l’instant personne de très hors normes malgré le thème de la soirée. Les deux silhouettes familières s’approchent de moi, et sans pouvoir me retenir, je déshabille Paco du regard – difficile de faire autrement vu sa tenue. « Hey. » Doucement, je lui réponds à voix basse comme pour m’empêcher de lui sauter au cou au passage ; il faut dire que le retour à la normale après avoir passé une semaine ensemble a été un peu brutal. Relevant un peu les yeux vers son meilleur ami, je lui souris poliment aussi. A vrai dire, je suis plutôt rassuré de constater qu’il m’est possible de le croiser dans des circonstances plus correctes que la première fois qu’on s’est vus, lui et moi. « Salut Bastien. » J’observe mon amant ouvrir sa canette en haussant un sourcil, tandis qu’il engage la conversation. Je dois fausser une moue pour réussir à camoufler un sourire taquin qui m’aurait sans doute trahi. « Bah, c’était l’idée mais… je m’en serais voulu si j’avais raté ça. » Je porte mon cocktail à mes lèvres pour cacher mon air satisfait et continue à laisser mes yeux glisser sur lui par dessus le bord du verre, l’air de rien. C’est étrange de se dire qu’il sait exactement pourquoi j’ai cette tête là, malgré l’énorme sous-entendu que je viens de lui faire.

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— D’abord en admiration devant le look argenté audacieux de la brune qui se tient à ses côtés, elle finit par afficher un très large sourire quand celle-ci lui retourne le compliment. « Merci ! » La plupart des gens, elle y comprit, ont misé sur l’ambiance dorée, alors choisir l’opposé était définitivement une très bonne option pour se démarquer. Les mains jointes, elle effectue un gracieux tour sur elle-même pour faire un peu voler sa robe autour d’elle et laisser son interlocutrice en apprécier toutes les coutures. Les pans de la robe brodée délicatement soulevés par le mouvement dévoilent ses escarpins vernis qui lui donnent une taille bien plus grande que d’habitude. Dans son entrain, elle remarque sans mal une autre fille à la tenue impressionnante ; décidément, les gens n’ont pas fait les choses à moitié ce soir. Elle esquisse un petit geste du menton en direction de la nouvelle venue et sourit légèrement. « Elle aussi, elle a décidé d’en mettre plein la vue à tout le monde. »
Les yeux posés sur le cocktail de sa nouvelle amie pour la soirée, elle commence aussi à avoir un peu soif. Et même si le champagne lui fait vraiment envie, elle décide cependant de garder ça pour plus tard et s’empare d’une boisson sans alcool à la jolie couleur tandis que déjà les gens se regroupent autour de leurs verres. Il lui semble reconnaître Heidi près de la nourriture, mais préfère reporter son attention sur la conversation actuelle. Bien décidée à rester en bonne compagnie – à savoir, les personnes qui ont au moins l'air ravies d'être là – elle se présente sobrement. Plus par politesse qu’autre chose, puisqu’il ne serait pas étonnant que son nom soit connu avant même qu’elle n’engage la conversation. « Moi c’est Sól, enchantée. Je crois que tu fais partie de la sororité, c’est ça ? » Petit indice du début de la soirée, les groupes de filles qui arrivent toutes ensemble ne sont pas rares mais certaines têtes ne lui étaient pas étrangères.

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— C’est agréable, profondément stressant aussi. Il suffirait juste que quelqu’un soit attentif pour constater que lui et moi, on se dévore du regard depuis qu’on s’est vu. Autant un soulagement qu’une déception quand il s’adresse à Bastien pour arrêter cette tension silencieuse, je suis quand même le mouvement. Je ne savais pas qu’il avait tardé à prévenir qu’il partait à Séoul, mais je grimace un peu en détournant un peu le regard quand il mentionne la police. « Promis, la prochaine fois je me chargerais de te prévenir. » En réalité, je ne sais pas s’il y aura une prochaine fois mais je l’espère quand même. Malgré la quantité importante d’alcool qui coule déjà dans mes veines, je reste encore raisonnable pour ça ; et ça m’éviterait de gros ennuis si on pouvait laisser les flics en dehors de mes escapades.
Finissant rapidement ma boisson, je me ressers sans trop réfléchir à ce que je prends. Mon énième verre à la main, je note le soudain changement d’attitude de Paco et Bastien – malgré la chaleur qui commence à inonder ma tête. Une moue perplexe sur le visage, j’essaye de suivre leur regard dans la foule pour comprendre de quoi il s’agit. Ils parlent de quelqu'un, mais je ne comprends pas de qui ni pourquoi. Surement un ami commun ? Mais avant que je ne puisse ouvrir la bouche pour demander, dénué d’une certaine politesse que l’alcool m’aurait probablement arraché, quelque chose d’autre attire mon attention. La maire, debout sur l’estrade, commence un petit speech au micro. Une tempête de neige ? Coincés ici toute la nuit ? Levant un sourcil, j’écoute la suite d’une oreille distraite pendant qu'un vent de panique commence à souffler sur la salle.
Un air vaguement inquiet sur le visage, je me tourne vers Paco et sens un léger tremblement dans ma voix. « J’ai laissé Bali tout seul, il va avoir trop peur… » Les joues un peu gonflées, je réfléchis rapidement à une solution et mon visage s’illumine. « Ah ! J’ai qu’à allumer le chauffage de ma voiture et ouvrir les fenêtres. Comme ça la neige va fondre avant de toucher le sol et je peux rentrer à la résidence. Aucun problème. Vous voulez que je vous ramène ? » Affairé dans les poches intérieures de ma veste, j’en sors finalement les clés de mon véhicule avec un air triomphant. Avec moins de cocktails dans le nez, j’aurais peut-être pu me rendre compte de l’absurdité de ma solution, mais il faut croire que non. « J’aurais du faire une école d’ingénieur, je suis un génie. » L’air définitivement sérieux sur le visage, je hoche doucement la tête en regardant Paco et Bastien à tour de rôle, comme pour chercher une approbation de leur part.

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— Le choix a été plutôt bon pour elle, en plus d’être en bonne compagnie elle peut recevoir des compliments bien mérités sur sa tenue et commenter celles des autres. Elle hausse un peu les sourcils et fait un petit mouvement de tête discret, bien d’accord avec ce que son interlocutrice avance sur le fait de manger ou boire avec une robe telle que celle de la fille de l’autre côté de la salle – d’ailleurs déjà affairée à converser avec une petite princesse modèle miniature qu’il lui semble reconnaître. Elle esquisse un sourire discret et reporte son attention vers la brune pour se présenter.
La dénommée April confirme la supposition sur la sororité et elle lui rend son sourire poli. Les filles venues avec elle s’avancent un peu et commencent à parler aussi. Elle les écoute sagement parler de leur projet, louable sans aucun doute. Peut-être que si elle n’en avait pas eu tant de son côté, elle aurait tenté sa chance parmi elles – quelque chose comme la solidarité féminine manque un peu à sa vie de luxe depuis un moment. Longtemps obsédée par le contrôle qu'elle pouvait avoir sur les gens, elle a heureusement fini par se rendre compte à quel point elle avait tout faux sur les relations sociales. Elle laisse échapper un petit rire, caché derrière sa main, à la remarque d’April qui suit la présentation de la sororité ; c’est vrai, ça fait un peu secte. « Ce que vous faites est vraiment bien, vous avez l’air de vous débrouiller pour organiser tout un tas de choses et l’ambiance a l’air d’être au rendez-vous. » Un compliment sincère, ils ne sont plus si rares dans sa bouche tant elle s’applique à être bienveillante malgré ses torts. « Malheureusement, même si je vous rejoignais je n’aurais sûrement pas vraiment le temps de m’impliquer suffisamment, j’ai pas mal de choses à faire de mon côté. » Elle laisse ses fines épaules dénudées retomber légèrement et leur adresse un sourire à peine désolé. C’est vrai, elle ne leur serait d’aucune utilité même si elle envie un peu la solidité de leur groupe. Elle finit par hocher la tête, April a raison, mais les filles aussi ; on ne rate pas une opportunité quand elle se présente.
Et puis soudain, une ombre vient voiler le tableau idyllique qu’elle s’est dépeint de cette soirée. Une tempête de neige, annoncée par la maire. Son visage s’assombrit et ses sourcils se froncent un peu aussi. On ne peut pas dire qu’elle n’y soit pas habituée, étant norvégienne. Mais elle n’a clairement pas prévu de rester là toute la nuit, coincée ou pas. Plus agacée ou ennuyée que vraiment inquiète, elle lève les yeux au ciel et se tourne vers le groupe de fille. « Bon, ça va être mon moment pour le champagne je crois. Est-ce que l’une d’entre vous a besoin d’un verre, pour tenir le coup ou pour autre chose ? » Pas très empathique ni préoccupée par les potentielles crises de panique qu’une telle nouvelle aurait pu provoquer, elle se résigne assez vite pour ne pas perdre le contrôle de la situation – et puis, tout va mieux quand on a une coupe de champagne entre les doigts.